St Grégoire 1

Darras tome 15 p. 43


§ III. les Lombards en Italie»

 

22. Pendant que les petits-fils de Clovis, livrés à la dangereuse influence de femmes astucieuses et vindicatives, entraient dans la voie du meurtre et de l'oppression, Justinien, si longtemps aban­donné aux caprices d'une courtisane couronnée, achevait les der­nières années de son règne. Deux monuments immortels, le code Justinien et Sainte-Sophie de Constantinople, ont fait oublier ses fautes, et attaché à son nom une gloire qui a couvert pour la pos­térité des faiblesses sans nombre et de regrettables désordres. Ni le code, ni la basilique, ne furent cependant l'œuvre personnelle de l'empereur. Il serait plus juste de renvoyer à Ulpien l'honneur de la compilation des Institutes, et à l'architecte celui de la construc-

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tion de Sainte-Sophie. Mais Justinien ne l'entendait pas ainsi. Sa personnalité éclate dans le prologue fameux de ses lois; elle éclata avec plus de vanité encore, le jour de la dédicace de la basilique, lorsqu'il s'écria : «Gloire à Dieu, qui m'a jugé digne d'achever ce grand ouvrage. Salomon, je t'ai vaincu! » Pour attester cette vic­toire idéale sur le fils de David, il fit placer dans l’atrium de Sainte-Sophie une statue où le puissant roi de Jérusalem, dans une attitude humiliée, semblait contempler d'un œil jaloux les magni­ficences de la basilique impériale. Il faut cependant reconnaître, avec le docte professeur romain M. Vincenzi 1, que Procope, à qui nous devons ces détails, est loin d'être un témoin impartial. Peut-être a-t-il calomnié gratuitement son héros. M. Vincenzi cherche à établir que toute l'histoire de Justinien, telle qu'on la lisait jusqu'à ce jour, est fausse; que les monuments relatifs au pontificat de Vigilius sont apocryphes; que notamment les actes du Ve concile œcuménique ont été interpolés, travestis, dénaturés par les acéphales ; enfin que les témoignages concordants d'Evagrius le Scolastique et du Liber Pontificalis doivent être écartés en ce point. La thèse est neuve, et peut mettre sur la voie de rec­tifications importantes. Mais dans l'état actuel, et jusqu'à ce que des monuments nouveaux viennent en fournir la confirmation, elle nous semble trop absolue et trop radicale. M. Vincenzi n'admet même pas que Justinien, dans les deux dernières années de sa vie, soit tombé dans l'erreur des Incorrupticoles. Cependant il est cer­tain que le patriarche de Constantinople, saint Eutychius, fut exilé par l'empereur pour avoir soutenu la thèse contraire, et ne fut rappelé que par le successeur de Justinien. M. Vincenzi fait obser­ver que la doctrine adoptée par Justinien n'était pas intrinsèque­ment hérétique comme on l'a cru. L'empereur, dans l'édit qu'il pu­blia sur cette matière, disait simplement : «Que le corps du Christ avant sa résurrection avait été incorruptible, en raison de son union avec la divinité ; mais le Verbe de Dieu avait permis que néan-

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1 Aloys. Vincenzi, In S. Gregorii Nysseni et Qrigenis scripta et doctrinam nova recensio, cum appendice de Aciis synodi V cccumenicœ, 4 vol. in-4°, Roms, Mo-riui, 1865.

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moins son corps fût soumis à la corruption, à toutes les affections et douleurs de la nature humaine, sauf le péché. » Au contraire, les corrupticoles enseignaient que « le Christ, avant sa résurrec­tion, avait été comme homme corruptible et passible, bien qu'il fût impassible comme Dieu. » Nous reconnaissons volontiers la nuance indiquée par le savant professeur romain, et nous admet­tons qu'elle constitue en faveur de Justinien une circonstance atté­nuante. Mais en somme, est-ce que de pareilles matières tombaient sous la juridiction de l'empereur, et pouvaient être définies ou ju­gées par les décrets de César? Évidemment c'était au pape ou aux conciles à les trancher en dernier ressort 1. La manie de légi­férer sur les dogmes et la discipline ecclésiastiques donne à Justi­nien le caractère hargneux d'un souverain qui porte la main à l'en­censoir. Sa politique ne fut pas non plus irréprochable. S'il ne se rendit pas coupable d'une ingratitude monstrueuse envers Bélisaire, ainsi que les romanciers le prétendent, il commit du moins la faute de laisser mourir ce grand homme dans la disgrâce (mars 5G5), et cela au moment où l'empire épuisé contractait avec le roi de Perse, Chosroès, la honteuse obligation de payer un tribut annuel de trente mille pièces d'or. Ainsi se terminait une lutte qui ensanglantait l'Orient depuis plus de trente années. Chosroès, l'un des plus fiers ennemis du nom romain, était monté sur le trône de Perse en 381. Fils de Cabadès, de la race des Sassanides, il avait hérité des instincts belliqueux de ses ancêtres, et mérita le titre de Grand. De 531 à 533, il eut la gloire de vaincre deux fois Bélisaire, et de contraindre Justinien à signer un traité de paix où tous les avantages étaient pour les Perses. En 539, pro­fitant de l'épuisement de l'empire, occupé alors à combattre les

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1 Ajoutons que l'église d'Occident se déclara contre l'édit de l'empereur. Saint Nicetius, évêque de Trêves, fit usage en cette occasion de l'autorité que lui donnaient ses vertus et quarante années d'épiscopat. Il écrivit à Justinien pour l'exhorter à reconnaître son égarement; il lui reprochait avec une liberté apostolique les violences exercées contre de saints évêques, et lui déclarait que l'Italie, l'Afrique, l'Espagne, les Gaules, retentissaient d'anathèmes contre sa doctrine. (S. Nicet. Tveyir., Epist ad Justinian.; Patr. lat., t. LXVI1I, col. 578).

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Goths en Italie, il se rua sur les provinces arméniennes, traversa la Mésopotamie, la Cappadoce, pénétra jusqu'au cœur de la Syrie, assiégea la ville d'Antioche dont il se rendit maître (540). Le car­nage fut effroyable; après cinq jours d'extermination et de pillage, le vainqueur fit raser les murailles de la ville, et entraînant à sa suite un peuple entier de captifs, il se jeta sur Apamée, qui eut le même sort. Justinien interrompit une seconde fois ses discussions théologiques, pour entamer des négociations de paix. Un nouveau traité intervint. Chosroès ne le respecta que deux ans, et recom­mença ses ravages dans les provinces orientales. Enfin, en 561, le roi des Perses, vieux lui-même, céda aux instances de l'empereur octogénaire, et consentit à accepter l'énorme tribut que la cour de Constantinople lui faisait offrir. Ce fut le dernier acte du règne de Justinien, qui mourut à l'âge de 83 ans, le 14 novembre 563. « Après avoir rempli tout l'empire de troubles et de désordres, dit Evagrius, il alla recevoir son jugement dans les enfers. » Cette sentence de damnation, n'a été ratifiée ni par l'histoire, ni par le saint-siége. L'histoire a tenu compte des qualités éminentes du prince, et lui a pardonné des faiblesses et des erreurs : le saint-siége a pensé que quatre-vingts ans d'orthodoxie pouvaient faire oublier les écarts et les excès d'un empereur qui aspira surtout à l'honneur d'être un théologien légiférant.


   23. La couronne impériale fut solennellement posée sur la tête de Justin II ou le Jeune, neveu de Justinien, par le patriarche in­trus Jean le Scolastique. Le nouveau César se fit aimer durant les premiers mois, et détester durant les douze années de son règne. Il commença par promulguer un édit de pacification religieuse, où il rappelait d'exil les évêques bannis par son oncle, à l'ex­ception toutefois du patriarche saint Eutychius, qui ne rentra en possession du siège de Constantinople qu'en 577, après la mort de Jean le Scolastique. Il annonça l'intention de modérer les dépenses excessives de la cour, paya les dettes du dernier règne, supprima quelques impôts, enfin se montra libéral et généreux à l'occasion. Ces heureux débuts, joints aux grâces naturelles de sa personne, firent croire qu'il était digne du pouvoir suprême. Mais au fond

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Justin II, prince faible et dissolu, avait trop d'inconstance dans le caractère pour tenir les rênes du gouvernement. Livré aux dé­sordres d'une vie extravagante, qui se termina par une démence presque complète, il laissa à l'impératrice Sophie, nièce de Théodora, le soin des affaires. Ce fut le signal des fautes et des cala­mités. Le divorce, aboli par la législation de Justinien, fut rétabli par une constitution impériale. «Si l'affection mutuelle constitue la société des deux époux, » disait Justin, « la haine réciproque doit avoir autant de force pour la dissoudre 1. (566.)» Un petit-neveu de Justinien, brave guerrier, qui défendait les rives du Danube contre les incursions des Abares, portait ombrage par un mérite trop écla­tant. Sophie le manda à la cour, lui prodigua toutes les démonstra­tions d'une tendre amitié, et lui fit donner par son époux le titre de gouverneur d'Egypte. Le prince sans défiance partit pour aller prendre possession de sa nouvelle charge. A peine arrivé à Alexan­drie, un assassin à gages le poignardait dans son lit (566). Il fallait de l'argent pour payer les crimes et les débauches de la cour. Les emplois civils et militaires, les dignités ecclésiastiques elles-mêmes, furent mis à l'encan, et devinrent l'objet d'un trafic honteux ou sa­crilège ; les fortunes des particuliers étaient confisquées au profit de vils et cupides adulateurs. Sophie ne respectait ni les services, ni la vertu, ni le talent. L'Italie devint bientôt victime de son odieuse politique. Le dernier lien qui rattachait l'Occident à l'em­pire allait être définitivement brisé par le caprice d'une femme.

 

24. L'eunuque Narsès, l'heureux compétiteur de Bélisaire, le vainqueur des Goths, des Francs, des Germains et des Hérules, continuait à faire jouir l'Italie des douceurs de la paix. Il avait quatre-vingt-quinze ans, mais son âme héroïque conservait toute sa vigueur. II surveillait d'un regard attentif les progrès alarmants du roi des Lombards, Aiboin, qui venait d'anéantir la nation des Gôpides. Dans la bataille décisive qui s'était livrée aux bords de la Save entre ces deux races barbares, Alboin avait tué de sa main le roi gépide Cunimond. Les vaincus furent exter-

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1 Justini, Novell., n, m ; lnter Justiniani, Novell., cxl.

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minés. Le crâne de Cunimond fut monté sur un trépied d'or, pour servir de coupe aux festins solennels qui suivirent le triomphe (567), et Alboin, veuf de Glotswinde, fille de Clotaire I, ne tarda pas à épouser Rosemonde, la fille du malheureux Cunimond. Maître de la Pannonie, le roi Lombard rêvait, comme jadis Attila et Genséric, la conquête de la péninsule italienne. Rome attirait tous les barbares ; mais Narsès était là. L'épée qui avait tué Vitigès n'avait pas cessé d'être redoutable aux mains du héros nona­génaire : elle tenait en échec la puissance des Lombards. Tout à coup on apprit que la cour de Constantinople marchandait à Nar­sès le prix de ses loyaux services. L'impératrice Sophie se plaignait que l'eunuque gardât, pour l'entretien de ses troupes et le service de son lointain gouvernement, la meilleure partie des revenus. Voulait-il donc s'enrichir et jouer au souverain? Des émissaires envoyés à Rome soulevèrent une partie des sénateurs. La multi­tude, toujours facile à tromper, cria bientôt contre la prétendue tyrannie de Narsès. Ce fut alors que se produisirent les plaintes enregistrées au Liber Pontificalis. «Mieux vaudrait pour nous, disaient les Romains dégénérés, être encore sous le régime des Goths ! L'eunuque est un tyran. II trompe le très-pieux empe­reur, et abuse de l'autorité qu'il tient de lui. Qu'on nous délivre de cet oppresseur, autrement nous rappellerons les barbares ! » Justin II accueillit ces rumeurs calomnieuses, que l'impératrice avait propagées en Italie, et qu'elle appuyait de tout son crédit à Constantinople. Un rescrit officiel enjoignit à Narsès de verser désormais dans les caisses du trésor byzantin, sans aucune rete­nue, le produit intégral de tous les impôts perçus en Italie. « J'o­béirai, répondit Narsès. Mais avec quoi solderai-je mes troupes? Si l'on me prend pour un concussionnaire, je suis prêt à me rendre à Constantinople, et à justifier tous les actes de mon administra­tion. » Ce noble langage fut taxé d'insolence par les courtisans. L'im­pératrice envoya au général une quenouille et un fuseau, avec cet ordre ironique : «Revenez incessamment à Constantinople. Je vous donne la surintendance de mes femmes, dans l'ouvroir du gynécée. Il faut être homme pour avoir le droit de manier les armes, et

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de gouverner des provinces. » A la lecture de ces outrageantes paroles, Narsès lança sur le courrier des regards étincelants de fureur, et s'écria : « Va dire à ta maîtresse que je lui prépare une fusée qu'elle ne pourra jamais dévider. » Pendant que le messager reprenait avec cette réponse le chemin de Gonstantinople, Narsès lui-même quittait Rome, le cœur ulcéré, et se retirait à Naples. Il écrivit au roi des Lombards d'abandonner les pauvres campagnes de la Pannonie, et de venir occuper le territoire italien, le plus riche de l'univers. Une invitation si inespérée fut accueillie avec des transports d'enthousiasme. Alboin avait jadis aidé Narsès à détruire l'empire des Goths. Depuis cette époque, il était resté of­ficiellement son ami ; mais dans la réalité il attendait impatiem­ment la mort de ce grand capitaine, qu'il regardait comme le seul obstacle à ses projets ambitieux. Aujourd'hui c'était de Narsès lui-même qu'il recevait un décret d'investiture pour son futur royaume d'Italie (507).

 

   25. Ces événements, précipités par la passion et la vengeance  d'un héros outragé, n'avaient pu s'accomplir sans agiter violamment l'opinion. A Rome, le sénat et une fraction du peuple, soutdoyés par les émissaires de l'impératrice, s'applaudissaient du départ de Narsès. Le pape Jean III ne partageait pas le sentiment d'odieuse ingratitude d'une populace égarée. Il se rendit immédia­tement à Naples pour essayer de fléchir Narsès. Celui-ci était en proie aux sentiments les plus contradictoires. Déchiré tour à tour par la colère et le remords, tantôt il brûlait d'impatience d'ap­prendre l'invasion de Rome, d'entendre de loin les gémissements de cette ville ingrate, et de jouir du désespoir de l'impératrice ; tantôt, rougissant de sa propre trahison, il voulait aller à Constan­tinople porter sa tête à l'empereur, mais lui faire connaître avant de mourir les infâmes menées qui avaient jeté le vainqueur des Goths dans l'alliance des Lombards. En voyant le souverain pon­tife, Narsès s'écria, suivant le récit du Liber Pontificalis : « Quel mal ai-je fait aux Romains? Je vous le demande, très-saint père. J'ai l'intention de partir pour Constantinople. Je veux que l'empe­reur sache ce que j'ai fait pour l'Italie. — Si vous partez, répon-
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dit Jean III, je serai avant vous à Constantinople. Mais plutôt calmez votre juste ressentiment et revenez avec moi à Rome. » Le héros finit par consentir. Le peuple romain accourut à leur ren­contre. Tous, se prosternant aux pieds de Narsès, le conjuraient avec larmes de leur pardonner, et de détourner la tempête qui menaçait l'Italie. Il se hâta en effet d'écrire au roi lombard pour l'engager à se désister de son entreprise. Mais Alboin avait déjà sur pied une nombreuse armée ; il savait toute l'histoire de la dis­grâce de Narsès ; il n'attendait plus que la fin de l'hiver pour tra­verser les Alpes. Le repentir du héros devenait impuissant à réparer le mal causé par un instant de désespoir. Narsès succomba au chagrin et aux remords. Ses dépouilles mortelles furent trans­férées à Constantinople, et sur ce cercueil l'impératrice put me­ner le deuil de l'Italie, à jamais perdue pour l'empire de Byzance 1 (567).

 

26. Le 2 avril 568, lendemain de la fête de Pâques, Alboin fran­chissait les Alpes avec sa nation entière, hommes, femmes, vieil­lards et enfants. Des acclamations d'enthousiasme s'élancèrent de tous les rangs de la multitude, à la vue des fertiles cam­pagnes d'Italie dont elle allait se mettre en possession. La cité de Forum Julii (Prioul) fut la première où les Lombards posèrent leur drapeau victorieux. L'impératrice Sophie n'avait pas attendu la mort de Narsès pour lui donner un successeur. Elle choisit natu­rellement une de ces incapacités adulatrices, telles qu'on en ren­contre dans les cours corrompues. Il eût fallu un guerrier; Longin, c'était le nom du favori, n'avait jamais porté les armes : il eût fallu un politique assez habile pour détacher du gros de l'armée lom­barde les auxiliaires suèves, bavarois, saxons, bulgares et sarmates, que l'appât du butin avait groupés autour du roi victorieux.

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1 « Le cardinal Baronius avait cru pouvoir, dit Muratori, révoquer en doute l'histoire de l'eunuque Narsès, sur la foi d'un auteur grec, Çorippus (De laudibus Justini II), lequel parle d'un Narsès qui fut à Constanti­nople en grande faveur près de Justin II. Mais le P. Pagi a démontré qu'il n'y a rien de commun que le nom entre le vainqueur des Goths et l'autre Narsès, son homonyme, dont parle Corippus. Le récit du Liber Pontificalis subsiste donc dans toute son authenticité. » (Muratori, Annal, ital., ad ann. 567.)

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Longin n'avait appris d'autre politique que celle du gynécée. En revanche, Sophie lui avait donné le titre d'Exarque, appellation nouvelle que le génie byzantin, fertile en inventions de ce genre, venait de créer déjà pour les gouverneurs d'Afrique. L'exarque possédait tous les droits de la souveraineté, tant que l'empereur lui conservait sa charge. II n'était tenu qu'au paiement d'une somme annuelle, stipulée d'avance, et fixée le jour même où il rece­vait son emploi. Ce fut donc en qualité d'exarque que Longin vint aborder à Ravenne, pour inaugurer dans cette capitale une forme de gouvernement qui devait durer près de deux siècles. Vraisem­blablement il se montra surtout hostile au pape Jean III, en haine de Narsès. C'est du moins ce que nous sommes en droit de conclure de la parole du Liber Pontificalis, qui nous représente le saint pontife obligé de se tenir plusieurs années renfermé dans la catacombe de Tiburce et Valérien. Là, comme les martyrs ses prédé­cesseurs, il accomplissait les cérémonies sacrées et conférait les ordinations épiscopales.

 

27. La persécution subie par Jean III n'était pas seulement le fait des animosités politiques ; il s'y mêlait de plus un fanatisme sectaires. On se souvient du schisme inauguré en Occident 1 et en Italie par des évêques rebelles qui persistaient à rejeter le Ve con­cile œcuménique,   IIe de Constantinople, malgré la confirma­tion solennelle donnée à ses actes par les papes Vigilius et saint Pélage I. Fidèle à la tradition de ses prédécesseurs, Jean III continua d'exiger de chacun des évêques nouvellement institués un serment écrit d'adhésion aux décrets du cinquième concile géné­ral 2. Cette mesure exaspérait les réfractaires assez nombreux dans la Vénétie, l'Emilie et la Campanie. Ils en vinrent à effacer des diptyques de leurs églises le nom du pontife romain. On conçoit tout naturellement  qu'ils  prirent parti contre le pape, dans la bruyante agitation occasionnée par la disgrâce de Narsès.   Ces évêques schismatiques furent les plus puissants auxiliaires de l'im-

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1 Cf. tom. XIV de  cette Histoire, pag. 566, 567. — 2. Cf. Noris. Dissert, de synod. V œcumen., cap. ix, § 3.

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pératrice Sophie, et se firent l'écho de toutes les calomnies propa­gées contre le héros. Il suffisait que Jean III se fût publiquement déclaré en faveur de Narsès, pour qu'ils se jetassent aveuglément dans la ligne opposée. Ils ameutaient l'opinion publique, soule­vaient le peuple et le sénat romain, organisaient des ambassades à Constantinople pour se plaindre de la tyrannie du gouverneur et de la connivence du pape. Plus tard, l'invasion d'Alboin en Italie les combla de joie. Ils appelaient de tous leurs vœux l'épée des Lombards, qu'ils espéraient engager facilement dans leur querelle contre le pontife de Rome. Lamentable égarement de ces cœurs ulcérés, trahissant et les intérêts de la foi et ceux de la patrie ! Telles étaient les coalitions multiples et les dangers de toute sorte contre lesquels Jean III avait à se défendre. Son courage s'éleva à la hauteur du péril. On put le contraindre à quitter le palais du Latran, donné par Constantin à ses prédécesseurs ; on put le réduire à se cacher, comme un proscrit, dans les galeries sou­terraines des catacombes. Mais là il conférait les ordinations épiscopales, suivant l'expression du Liber Pontificalis; et il n'élevait à la dignité d'évêque que des sujets qui eussent souscrit la con­damnation des Trois Chapitres. Nous avons la preuve de cette fer­meté du saint pontife par les témoignages explicites de deux de ses successeurs, Pélage II et Grégoire le Grand 1, qui s'accordent à lui prodiguer les plus sincères éloges.

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