L’Inquisition 2

Darras tome 33 p. 578

 

    148. La tradition chrétienne va maintenant nous donner la confirmation de ces principes. L'Église, seul interprète légitime de la révélation, n'a pas, il est vrai, décidé expressément du droit de punir les hérétiques, mais elle a manifesté son esprit et son senti­ment par la parole de ses docteurs et par l'oracle de sa conduite. Les docteurs de l'Église sont favorables à la répression. Saint Au­gustin, qui avait, au commencement, désapprouvé la punition des hérétiques, rétracte et condamne  ses  anciennes opinions  et va même jusqu'à approuver la conduite de Constantin qui condamne les donatistes à la peine capitale, à cause de leur obstination. Saint Jérôme désapprouve la tolérance de Théophile d'Alexandrie envers les sectateurs d'Origène, et donne des éloges à son zèle quand il les a expulsés des monastères de Nitrie. Saint Grégoire le Grand exhorte Grenade, exarque d'Afrique, à réprimer sévèrement l'au­dace des hérétiques et invoque le bras séculier contre les violateurs des canons. Saint Epiphane fait exiler les Gnostiques. Saint Léon le Grand et le mellifluus saint Bernard, pensent et agissent comme leurs devanciers. On  cite, il  est vrai, des textes qui contredisent ceux-ci ; mais la contradiction n'est qu'apparente, car ces textes condamnent les cruautés ou contre l'individu seul, ou comme inop­portunes en fait, quoique non contraires aux principes, ou comme exercées  irrégulièremeut par une foule sans mission, quelquefois dans des vues de vengeance et de pillage. La conduite de l'Église confirme les paroles des docteurs. Dans l'ancienne loi Dieu punit de mort les idolâtres, les faux prophètes et les blasphémateurs, et Moïse punit de mort plusieurs milliers d'adorateurs du veau d'or.

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Dans la loi nouvelle, et dès les premiers siècles, quoique Dieu se charge lui-même visiblement de la défense de la religion opprimée, on peut citer cependant comme exemples de justice, Simon le Ma­gicien, Elymas, Ananie et Saphire. Durant les siècles postérieurs, Dieu cesse d'intervenir directement et emploie, suivant l'ordre ordi­naire, les causes secondes ; alors les empereurs agissent de concert avec l'Eglise pour réprimer les hérétiques. Le concile d'Aquilée, l'an 384, et d'autres postérieurs, tant œcuméniques que particu­liers, décernent des peines corporelles contre les hérétiques et en appellent à la puissance séculière. De sorte que l'Inquisition, sinon comme tribunal permanent, au moins quant à ses résultats, a existé dès le commencement. On ose dire ici que l'Eglise a adopté ce principe d'intolérance aux siècles de barbarie, mais que maintenant elle le réprouve. Cette observation est injurieuse pour l'Église et pour nos ancêtres : pour l'Église dont la morale, diverse suivant les applications, est immuable pour les principes; pour nos an­cêtres qui étaient dans leurs doctrines beaucoup moins barbares que nous. Elle est du reste fausse de tout point, l'Eglise enseigne au­jourd'hui ce qu'elle a toujours enseigné. Ainsi le concile de Cons­tance  oblige Jérôme de Prague à condamner Jean Huss qui quali­fiait de conduite pharisaïque celle qui consiste à livrer au bras sé­culier l'hérétique opiniâtre ; ainsi saint François de Sales, ce doux saint, qui prenait plus de mouches avec une goutte de miel qu'avec un tonneau de vinaigre, apprenant que le duc   de Savoie va don­ner à ses Etats la même liberté qu'en France, lui écrit : « Tous les désastres de la France n'ont pas d'autre source que cette liberté pire que tout esclavage, et il est évident que toutes les raisons d'Etat qui ont engagé les rois à la tolérer étaient trompeuses et préjudiciables.» Aussi, en plein dix-septième siècle, l'Eglise cano­nise saint Pie V et saint Ferdinand de Castille; elle dit du premier : lnquisitoris officivm inviolabili animi fortitudine diu sustinuit ; electus pontifex, fuit in extirpandis erroribus assiduâ vigilantiâ; et elle loue le second  d'avoir poursuivi les  hérétiques dans tout son royaume et d'avoir porté, de ses propres mains, du bois sur le bû­cher pour les brûler! En poussant plus à fond cette question d'au-

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torité ecclésiastique et de tradition  chrétienne, on ne peut pas douter que l'Inquisition du Royaume catholique au XVIe siècle, n'ait été adoptée et consacrée par l'Eglise, comme l'Inquisition déléguée qui l'avait précédée pendant trois  cents ans. On   peut citer en preuve, non seulement saint Pie V, dont le comte de Fulloux a si mal écrit l'histoire, mais le grand Sixte-Quint qui, réorganisant le service  des Congrégations romaines, met l'Inquisition en tête et s'en réserve la présidence ; mais Paul IV qui ordonnait à l'Inquisi­tion de brûler les hérétiques sans attendre qu'ils fussent relaps et supprima la réserve, voulant que les dignitaires ecclésiastiques eux-mêmes pussent être recherchés par l'Inquisition ; mais Adrien VI qui, grand inquisiteur avant son élection, garda ce titre après sa promotion au Souverain pontificat ; mais Sixte IV qui conféra  au grand inquisiteur le pouvoir de s'adjoindre des subalternes. La tra­dition des papes est constante ; on n'en pourrait citer aucun dont les actes détonnent avec les actes de ses prédécesseurs. A côté des papes, on peut citer Ximenès et les grands saints du XVIe siècle. Ximenès qui ramenait toute la science de la politique au salut des âmes, re­gardait l'Inquisition comme le tribunal de Dieu, c'est son mot, et le chef-d'œuvre du gouvernement catholique. Les saints contempo­rains, François Xavier, François de Borgia, Jean de Dieu, Jean de la Croix, Pascal Baylon,  Thomas de Villeneuve, Pierre d'Alcantara, Joseph Calasanz, Rose de Lima, témoins des jugements et des exécutions de l'Inquisition espagnole, ne les désapprouvent point ; Thérèse de Jésus, Ignace de Loyola, Jean de Ribéira, Louis de Gre­nade, les approuvent1. Puisque cet illustre sénat de saints, qui doit juger le monde au  dernier jugement avec Jésus-Christ, est favo­rable à l'Inquisition, la cause de l'Inquisition est gagnée devant la conscience catholique.

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1 Voir pour les textes à produire en preuve, dans les Incartades libérales, les lettres du docte, implacable et doux Jules Morel au Rédacteur en chef de l’Univers ; lire en particulier la première et la sixième lettre ; les quatre précédentes sont consacrées, avec une logique très-forte et une science par­faite, à relever les erreurs d'Héfelé, Ranke, Haveman, Guizot et Lenormant, erreurs que l'on qualifierait mieux en ne les considérant que comme des actes d'ignorance.

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149. On voit par cette autorité décisive de la tradition, et on verra encore mieux par l'histoire quelle est dans l'Inquisition la part de l'Église. Il est bon cependant de préciser ici ce point : d'au­tant que des écrivains, même catholiques, disent que l'Église n'est pas responsable de l'Inquisition, que c'est une affaire politique, que les rois ont à en répondre. Un premier point hors de conteste, c'est que l'Église enseigne et pratique la répression de l'erreur par la force, dans certaines circonstances données. Un autre point éga­lement incontestable, c'est que l'Église dans deux conciles géné­raux, celui de Vienne et le quatrième de Latran, et dans plusieurs conciles provinciaux, ceux entre autres de Vérone, de Toulouse, de Narbonne, d'Arles, de Béziers et d'Alby, approuve et même ins­titue l'Inquisition dans la forme de tribunal régulier et perma­nent. Du reste les constitutions de l'Inquisition émanaient de Rome; le grand inquisiteur était à Rome, sous la direction générale de la papauté ; l'Inquisition était établie partout au vu et au su de l'É­glise, sans qu'elle l'ait jamais condamnée, et même les ministres de l'Église y prenaient part sans qu'elle les ait aucunement désap­prouvés. Au contraire, c'est elle qui les instituait, et cela se com­prend puisque les Inquisiteurs étaient juges de la foi. Cependant il est juste de remarquer: 1° Que l'Inquisition est établie souvent, non sur l'initiative de l'Église, mais à la demande des rois ; 2° que l'acte de punition vient du bras séculier, non de l'Église qui abhorret a sanguine, et autorise seulement l'effusion du sang, mais ne le verse pas ; 3° que les papes pratiquent à Rome et recomman­dent partout la modération ; 4° qu'ils se réservent partout le droit de faire grâce ; et 5° que l'Église ne peut répondre des erreurs et des cruautés particulières. Tout juge peut errer, prévariquer même; la justice est sainte. On pourrait faire sur ces restrictions des difficultés et dire qu'en examinant les textes, il s'agit bien réel­lement de punir le manque de foi, l'abjuration, le désistement de la foi comme crimes et non le mal fait à la société. Infliger la peine, n'en est pas moins l'œuvre du bras séculier. Ainsi Honorius III et Lucius III disent expressément qu'ils ordonnent de rechercher les  hérétiques  à la requête des princes ; ainsi encore les princes

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coopèrent à l'établissement de l'Inquisition  et règlent la peine ; quand du reste, on ne distinguerait pas  entre la constitution et l'Évangile, où n'oublierait pas le dommage causé à la société, par­ce qu'on appuie davantage sur la malice intrinsèque du crime d'hé­résie, attendu qu'alors l'Église et l'État sont comme identifiés ; on sait enfin que quand l'Église, dans sa foi ecclésiastique, agit pour le seul intérêt de la foi, elle exige l'acquiescement du coupa­ble à la peine, ce qu'elle ne fait point ici parce que la société  ci­vile intervient. Mais on s'abuserait si l'on disait, avec le comte de Maistre, que l'Inquisition fut un tribunal purement royal. «Que l'In­quisition, dit un consulteur de l'Index, ne soit pas un tribunal pu­rement ecclésiastique, cela est vrai  et parfaitement juste ;  mais comment l'Inquisition est-elle un tribunal purement royal, si le roi n'a pas le droit de nommer l'inquisiteur général, si cette nomina­tion vient du Pape exclusivement, et si le roi n'a que la concession de désigner le candidat au choix du Pape ? N'est-ce pas là le signe d'un tribunal au moins mixte ? Le grand inquisiteur nomme à son tour directement les inquisiteurs des tribunaux particuliers. Je n'ai vu nulle part que ces nominations dussent être agréées par le gouver­nement, quoique je le suppose volontiers de fait. Le règlement cons­titutif fut non seulement publié par Thomas de Torquémada, mais il fut concerté par les plus grands prélats et ecclésiastiques d'Es­pagne réunis à Séville. Le roi y donna, comme il devait, son con­cours. Les cortès de 1812 se sont trompées quand elles ont pré­tendu que, dans tous les cas, les rois étaient les maîtres absolus de nommer,  de suspendre et de renvoyer les inquisiteurs. Les rois n'étaient pas plus maîtres de nommer et de renvoyer les inquisi­teurs, que de nommer et de renvoyer les évêques de leur royaume, quoiqu'ils eussent la nomination aux évêchés1. »


150. Nous devons rechercher maintenant les origines historiques de l'Inquisition et esquisser l'histoire de ses développements, sur­tout au XVIe siècle. On sait ce qu'en dit Voltaire :


Ce sanglant tribunal,

Ce monument affreux du pouvoir monacal,

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1 Incartades libérales, p. 110.

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p583 CHAP. XII. — l'inquisition.     

 

Que l'Espagne a reçu mais qu'elle même abhorre,

Qui venge les autels, mais qui les déshonore.

Qui, tout couvert de sang, et de flamme entouré,

Égorge les mortels, avec un fer sacré.

 

L'Inquisition, comme toutes les grandes institutions, n'apparaît pas nettement constituée à un jour donné ; elle se forme peu à peu. Ses premiers linéaments se dessinent, avant le douzième siècle dans les mesures de rigueur prises contre les hérétiques, et, en ce sens, elle remonte à Constantin ; elle remonte même au berceau de l'Église catholique par l'effet temporel de l'excommunication. C'est donc à tort qu'on a voulu faire de saint Dominique, l'inventeur de l'Inquisition, d'autant qu'il n'a même jamais été inquisiteur, cette charge ayant été confiée aux dominicains douze ans seulement après sa mort. Voici, au surplus, la filiation qu'on peut assigner au Saint-Office, d'après les conciles. L'an 1179, le concile de Latran déclare que, quoique l'Église ait horreur du sang, il est souvent utile de faire craindre à l'homme les châtiments corporels : ainsi on excommuniera les hérétiques, les fauteurs d'hérésie et on ac­corde deux ans d'indulgence à qui leur fera la guerre. D'après cette première ordonnance, en 1184, au concile de Vérone, Lucius III et Frédéric Ier, ordonnent, de concert, aux évêques, de rechercher les Cathares que la voix publique désignera comme suspects, con­vaincus, relaps ; de les mettre en jugement et de livrer les opiniâ­tres au bras séculier qui infligera une peine convenable. Mais les hérétiques augmentent et la gangrène du manichéisme envahit sourdement le midi de la France. Le quatrième concile de Latran, 1215, porte les décrets suivants : Une ou deux fois l'an l'évêque ou son délégué parcourront chaque diocèse ; ils nommeront deux ou trois laïques pour rechercher les hérétiques; ils pourront exiger de tous les habitants le témoignage par serment de la pureté de leur foi ; on fera connaître à l'accusé l'accusation pour qu'il se dé­fende, on lui nommera ses accusateurs et il sera entendu de ses juges. Sur ces entrefaites, Innocent III envoie aux Albigeois des missionnai­res pour les ramener par l'autorité de la science et de la vertu. Le légat Pierre de Castelnau est assassiné par les hérétiques, la croi-

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p584      poxtificat de paux in (1534-1549).

 

sade contre les Albigeois se fait, et l'an 1229, sous le pape Grégoire IX, le concile de Toulouse donne à l'Inquisition sa forme définitive. Voici ses ordonnances : Les garçons à quatorze ans et les filles à douze, doivent faire serment de foi ; les fidèles doivent se confesser et communier trois fois l'an, sinon ils sont suspects ; quiconque est suspect est surveillé et, s'il ne peut vivre de ses revenus, est nourri par l'Église, de peur qu'en gagnant sa vie par le travail, il ne soit en contact avec les fidèles ; de plus l'exercice de la médecine lui est interdit ; l'évêque nomme un prêtre et deux laïques par paroisse pour rechercher les hérétiques dans les maisons et les livrer au bailli ; les abbés propriétaires doivent faire de même ; le receleur d'hérétiques est puni, ses biens sont confisqués ; la maison est dé­truite, le terrain confisqué, le propriétaire puni là où on trouve un hérétique, le bailli négligent est cassé, ses biens sont confisqués ; aucune pénalité n'est appliquée sans que l'évêque ou son délégué connaisse l'affaire ; enfin les pénitents changeront de pays et porte­ront une croix sur leurs vêtements, jusqu'à ce qu'une permission du Pape ou de son légat les autorise à l'enlever. L'Inquisition est ainsi organisée et le seul changement grave qui intervienne dans la suite c'est le passage de l'Inquisition des mains et de la juridic­tion de l'évêque, aux mains des Dominicains sous la juridiction im­médiate du Saint-Siège.

 

151. L'histoire de l'Inquisition en Espagne a été tout particulièrement défigurée. On n'a pas étudié son histoire  dans des auteurs sûrs ; on n'a point saisi son caractère, ni suffisamment distingué les diverses périodes de son histoire. — L'inquisition n'est connue du grand nombre que par des auteurs indignes de toute confiance, à savoir Puigblanch, Villeneuve et Llorente. Puigblanch a publié, sous le pseudonyme de Nathanaël Jontob, l’ Inquisition dévoilée. Un semblable titre est significatif ; le pseudonyme ne l'est pas moins; l'auteur ne l'a pris, dit-il, que pour exprimer, par ces deux mots hébreux, son bonheur de parler et d'écrire librement contre l'In­quisition. L'ouvrage manque d'ailleurs de l'impartialité et de la modération qu'exigent son sujet : impiété, colère haineuse, atta­ques indécentes, basses railleries, érudition indigeste,  étroitesse.

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d'esprit qui réduit des questions graves à une affaire d'étymologie, tout y est :  c'est un  salmigondis de bile voltairienne et de fa­tuité à faire  compassion. Villeneuve est, comme Puigblanch un Espagnol qui a fait sa réputation en déclamant contre  son pays. Ces deux auteurs se disputent la gloire d'avoir éclairé le public au sujet du Saint-Office et cette noble discussion fait autant d'honneur à l'un qu'à l'autre. Villeneuve a pris la peine d'écrire en deux vo­lumes in-octavo sa Vie littéraire. On voit là sa haine contre Rome et sa haine contre la partie du clergé qui n'était pas de sa coterie. À part ces explosions, vous trouvez, consigné de la main de l'auteur, le plus complet panégyrique de sa science profonde, de sa vaste éru­dition, de son talent poétique,  de sa charité et de son humilité surtout. Devant un tribunal, ces misères feraient rire ; dans un li­vre, elles font pitié. Mais le grand historien  de l'Inquisition,  c'est Llorente. Chanoine de Calahorra à vingt-six ans, il s'affilie aux francs-maçons qui le font parvenir. Secrétaire général de l'Inquisi­tion à Madrid, il se compromet par un projet de Constitution qui

introduirait en  Espagne le schisme et l'hérésie, et se relève de la disgrâce en faisant trois volumes contre les libertés des provinces basques que voulait confisquer le ministre Godoy.  En  1808, Llo­rente prend parti pour les Français oppresseurs de son pays, entre dans l'administration qui enlève les biens de l'Eglise, est accusé de s'en approprier par fraude, et destitué. Sous le règne du roi Joseph, Llorente écrit son histoire de l'inquisition qui est supprimée.  A la rentrée des Bourbons,  il vient à Paris et publie de nouveau cette histoire qui est interdite par l'archevêque de Paris et par l'Univer­sité.   Ses œuvres littéraires   s'augmentent d'une  traduction  des Aventures de Faublas et de Portraits  des papes :  deux  écrits  qui achèvent de déshonorer sa plume. Chassé de France,   Llorente va mourir à Madrid en 1823. Il est convaincu de n'avoir  pas lu les anciennes écritures des archives de l'Inquisition, d'avoir fait des conjectures sur quelques passages et d'avoir brûlé une  partie  des documents. Un auteur qui se respecte  si peu ne mérite aucune créance.     

 

   152. Le trait caractéristique de  l'Inquisition   d'Espagne c'est la   

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sévérité, et comme cette sévérité ne se retrouve  point ailleurs,  il faut bien reconnaître qu'elle n'est point le fait de l'Eglise, mais seulement de l'Espagne. La question est de savoir si la sévérité de l'Espagne est justifiée. Car si elle ne l'est de tout point, elle l'est du moins suffisamment, pourvu qu'on tienne compte de l'histoire, du caractère et de la situation politique d'Espagne. Son histoire se ré­duit à une longue croisade contre l'Islam, croisade dans laquelle elle verse son sang des siècles, pour conquérir le sol à l'Église et à la patrie. Au milieu de cette lutte perpétuelle, l'Espagnol identifie sa foi avec son indépendance et trempe l'énergie  de son caractère d'une haine vivace contre tout ennemi de l'indépendance et de la foi. Au moment où l'Inquisition s'établit,  la croisade est près de finir, mais l'heure est solennelle ; l'Espagne a dans ses mains les destinées de l'Église et du monde ; elle  est maîtresse en Afrique, maîtresse en Amérique, prépondérante en Europe. Cependant elle porte dans son sein des chrétiens judaïsants dont la richesse et l'influence sont un danger permanent ; ces Juifs sont alliés aux Maures qu'ils soutiennent dans leurs résistances et s'efforcent de relever après leur défaite, et les Maures épient l'instant de planter leur drapeau sur Gibraltar. D'un autre côté, le protestantisme me­nace l'Italie, se propage dans les hautes classes de l'Espagne, va la diviser, l'ensaglanter plus que tout autre pays. La sagesse des rois catholiques recourt alors aux moyens  extrêmes,  elle  épouvante, elle tue ; mais aussi elle sauve la foi et l'indépendance si chère à l'Espagne et  elle assure à l'Église la prépondérance en Europe. Sans cette résistance, l'Église était réduite à n'être en Europe que tolérée, on sait que cette tolérance n'est que la persécution voilée sous le masque légal du libéralisme. L'histoire de l'Inquisition d'Es­pagne se divise en trois périodes : la première comprend le temps où l'Inquisition fut purement religieuse; la seconde celle où elle fut politico-religieuse et dirigée contre les Juifs, les Maures et contre le protestantisme ; la troisième celle où, à dater de Philippe II, elle se contenta de réprimer les vices infâmes et de fermer le passage à la philosophie de Voltaire, jusqu'à son abolition en 1811. La première période ne présente aucun fait important. L'Inquisition s'établit en

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Aragon d'abord, pour éloigner les Albigeois, puis elle passe en Gastille, en Navarre et en Portugal. Mais en Castille même elle est tel­lement bénigne que le franciscain Espina s'en plaint au Pape disant qu'elle est pour les Juifs et les hérétiques un objet de dérision. C'est alors que, pour enlever aux évêques l'odieux de la répression et le danger des inimitiés, Innocent IV charge exclusivement les Domi­nicains des offices inquisitoriaux, comme délégués du  Saint-Siège, sous la juridiction du Pape, et en dehors de la juridiction   épiscopale. La seconde période est celle où l'Inquisition devient politico-religieuse. Il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette expres­sion, ce n'est point une Inquisition  nouvelle, c'est l'ancienne qui change de caractère, ou plutôt qui sert au roi pour sauver ses Etats en sauvant la foi. L'action du roi sur l'Inquisition est évidente : c'est lui qui nomme ou destitue les inquisiteurs, lui qui a tout le bénéfice des confiscations, lui qui met dans les  attributions  du Saint-Office des affaires temporelles qui ne sont nullement du res­sort de l'Église, lui enfin qui se sert ça et là de l'Inquisition pour ôter aux riches leurs biens et aux puissants leur autorité. Aussi des opprimés en appellent-ils souvent à Rome qui les absout. Voici les faits saillants de cette période. L'an 1477, Ferdinand et Isabelle mon­tent sur le trône. Les dangers que fait courir à la foi et à la nationa­lité espagnole l'opulence des Juifs attirent leur attention. On com­mence des missions pacifiques ; le cardinal de Mendoza répand un catéchisme de la vie chrétienne, et les Juifs pour toute réponse, pu­blient un libelle contre la religion et la conduite du gouvernement. Alors Ferdinand et Isabelle conseillés par le  Dominicains Alonzod de Oyeda emploient une autorisation obtenue de Sixte IV en 1478, et fondent en Castille le tribunal de l'Inquisition, composé de deux ou trois dignitaires de l'Église, âgés d'au moins quarante ans, gradués et de bonnes mœurs. Le premier inquisiteur général fut Thomas de Torquemada, le croque-mitaine des grands  enfants d'aujourd'hui, celui qu'on  répute le bourreau par excellence, encore qu'il soit complètement justifié par Herréras et Mariana.  Torquemada  con­voqua les inquisiteurs, dressa les statuts et pour inspirer la terreur voyagea entouré de quarante cavaliers et de deux cents gardes ; il

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p388      PONTIFICAT DE PAUL m  (lo3i-154y).

 

fit brûler partout les  livres   et les hérétiques  opiniâtres, en tout 8.800 victimes. Un de ses assesseurs fut Pierre d'Arbues,  chanoine de Sarragosse qui fut assassiné par les chrétiens Judaïsants et que l'Église a canonisé. Sous Charles-Quint le danger est passé et avec lui les rigueurs. Mais à l'avènement de Philippe II les tentatives du protestantisme amènent une recrudescence de sévérité : les  mau­vais livres circulent,  des  personnages influents sont   gagnés à l'hérésie, même dans le clergé, le peuple espagnol va se laisser fa­natiser par les idées de réforme, quand le grand roi, par des me­sures énergiques, conjure les périls. Alors se déroule la triste af­faire de l'archevêque de Tolède, Barthélémy de Caranza dont l'in­nocence  est reconnue, quoique plusieurs de ses paroles sur la justification prêtent à la censure.  En somme, l'Inquisition a fait mourir, pendant trois siècles, d'après les calculs les plus exagérés, 341.000 personnes ;   mais elle jugeait, outre le crime  d'hérésie, quatorze autres crimes, et elle a épargné à l'Espagne les horreurs de guerres religieuses qui ont inondé l'Europe de  sang. La troi­sième période de son histoire est sans importance.  Ces  faits que nous produisons d'après Ranke et Hefelé, sont contestés par l'abbé Morel. Voyons maintenant, dit-il, si l'Inquisition était un tribunal royal investi de pouvoirs ecclésiastiques. S'il en était ainsi quelle lâcheté que celle des Papes  qui investissaient de pouvoirs  ecclé­siastiques un tribunal qui  ne relevait pas de  leur autorité ?  On croit laver le Pape, par ce stratagème, du sang que l'Inquisitien a fait répandre, et l'on ne voit pas qu'on lui donne un rôle mille fois plus ignoble que celui dont on admet l'ignominie. On répond à ceux qui traitent le Pape de bourreau, qu'il n'en est que le valet. Je reprends à mon tour une défense plus franche et mieux entendue. Si l'Inquisition est un tribunal royal, si les inquisiteurs étaient des employés royaux, pourquoi l'Inquisition n'avait-elle pas le droit de condamner à mort? Depuis quand un roi et la justice qui émane de lui, sont-ils privés du droit de décerner le dernier supplice ? Vous voyez donc bien  que l'Inquisition était un tribunal ecclésiastique investi de pouvoirs ecclésiastiques. Voilà pourquoi  il eût encouru les censures canoniques, s'il eût osé condamner à mort. Mais le roi

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nommait et destituait à son gré les inquisiteurs? Rien de plus faux que cette assertion, elle ne mérite pas une réponse. Parmi les con­seillers de sa cour, il y en avait un de l'Inquisition. Oui, qui n'avait pas voix délibérative. Les tribunaux du Saint-Office étaient soumis comme  les  autres à l'inspection royale. Nullement; l'inspection royal ne regardait que les finances, le matériel, le civil.  Elle ne touchait pas plus à l’ Inquisition proprement dite,  que  l'inspection de l'Etat, sous l'empire de la loi 1850, ne doit toucher à l'éduca­tion des petits séminaires. Mais les mêmes personnages qui y rem­plissaient les fonctions d'assesseurs siégeaient souvent à la haute cour. Qu'est-ce que cela prouve ? le même personnage était prési­dent de la haute cour de Castille, régent du royaume, grand inqui­siteur, primat d'Espagne, archevêque de Tolède, et ce personnage s'appelait le cardinal Ximénès. Cela faisait-il que Ximénès, grand inquisiteur, ne jugeait pas en vertu de la délégation apostolique? Il a donc menti, puisqu'il le dit en tête de tous ses actes. Ximénès ne voulait pas de laïques au tribunal de l'Inquisition, même sans voix délibérative, par des raisons d'homogénéité et de secret. Mais il ne nie pas que le tribunal jouissait en beaucoup de cas de prérogati­ves royales. Le produit des confiscations appartenait à la chambre royale,  à laquelle le budget de l'Inquisition imposait d'énormes dépenses ; ce point d'ailleurs avait été réglé par le Pape. Le souve­rain disposait d'une cour de justice à laquelle aucun grand seigneur et aucun grand prélat ne pouvaient se soustraire quand ils étaient hérétiques, magiciens ou obscènes. En quoi cela rendait-il le sou­verain absolu, à moins que l'Inquisition ne fabriquât l'hérésie,   la magie et l'obscénité à discrétion. Et c'est dans l'histoire du  cardi­nal Ximénès, grand inquisiteur, qu'on ose laisser percer cette ca­lomnie, et c'est là qu'on peut lire cette parole de Segni, si digne d'Eugène Sue ou de Quinet : L'Inquisition a été inventée pour ar­racher aux riches leur fortune, et aux puissants leur considéra­tion1 ! Parole menteuse, car l'Inquisition, tribunal de la foi, si elle a défendu le pouvoir, contre d'injustes attaques, elle n'a pas moins

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1. Incartades libérales, p. 97^

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p590      PONTIFICAT DE  PAUL III   (1534-1549).

 

défendu, contre les empiétements des rois, les droits des particu­liers et les fuéros des provinces.

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