CHAPITRE VII
1. Différend entre Augustin et Sévère de Milève au sujet de Timothée. - 2. Augustin rend ce dernier à Sévère qui le réclame obstinément. - 3. Louange incomparables données par Sévère à Augustin. - 4. Réponse de ce dernier aux louanges de son ami. - 5. Grande amitié d'Augustin et de Sévère ; quelques chapitres de l'histoire de ce dernier.
1. Il y eut deux lettres d'écrites, environ à cette époque, à Sévère (5), avant le concile de Milève, comme nous le verrons plus loin. Ce Sévère est certainement le même qui, après avoir passé quelques années dans le monastère d'Augustin, fut fait évêque de Milève (6). Il s'était déjà acquis un certain renom sur ce siège, lorsqu'Augustin, récemment élevé à l'épiscopat saluait amicalement Paulin en son nom (7). Sévère paraît avoir aussi adressé une lettre à Paulin à la même époque, car ce dernier parle de la joie que lui avait causée la lettre de Sévère et de plusieurs autres saints et vénérables évêques (8). Quelque temps après, Profuturus de Cirta fut prié par Augustin de saluer en son nom Sévère, à qui il n'avait pas le temps d'écrire (9). Sévère et Augustin étaient de la même ville, et avaient été pendant longtemps tous deux nourris abondamment ensemble de la parole de Dieu (10). Quelle que soit la force des liens de la parenté, elle n'aurait pas été plus grande que celle des liens de l'amitié qui les unissait étroitement. Cela n'empêcha pas néanmoins qu'il ne s'élevât un différend entre eux. Ce fut d'ailleurs une affaire très compliquée, que nous pensons pouvoir expliquer ainsi. Un certain Timothée avait commencé à lire publiquement les Écritures à Sousanne et en certaines autres églises du diocèse d'Hippone. Ayant donc reçu dans ces églises la charge de lecteur, il ne lui était pas permis de passer à une autre église. Néanmoins, il pensa à aller à Milève. Sévère, cependant, le lui défendit, à moins qu'il n'en eût obtenu la permission de
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(1) Contre les Lettres de Pe (3) Contre les lettres de Petil. liv. 2, eh. LXXXIII, n. Let~i1/re1iLvX~V11],, enh-t-xc2lx(,5)nL.e2tt2r8e. L(2X)II-LLeXtltlrle L(6x)vrV,ony. 1p.lus haut. III, ch. v, n. 3. (7) Let. xxxi, n. 3. (8) Lettre xxxii, n. 1. (9~ Lettre xxxviii. 11. 3. (10) Lettre LXXXIV . , n. 1.
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Carcedonius; on ne sait au juste si ce dernier était prêtre de Sousanne ou non. Timothée, cependant, ne tint pas compte de cet ordre et, sans avoir demandé le consentement de Carcédonius, se rendit auprès de Sévère. Ce fut l'origine du différend (1). Sévère lui ayant enjoint de retourner à Sousanne pour y servir Dieu, il fit serment de ne se séparer, pour rien au monde, de la société de Sévère (2), Cependant il revint à Sousanne. Pendant ce temps-là, Sévère avait une conférence avec Augustin sur ce sujet peut-être même à Hippone, sans aucun doute pour lui demander Timothée. Mais tandis qu'Augustin pensait à ce qu'il déciderait de Timothée, bien persuadé, à la suite de l'entretien qu'il avait eu à son sujet avec Sévère, que ce dernier consentirait à le lui laisser, le prêtre de Sousanne et un certain Vérin firent ordonner Timothée sous-diacre de cette église sans s'assurer de l'avis et du consentement d'Augustin (3). Peu de temps après, Augustin se rendit à Sousanne avec Alype et Samsouci (4), où ils firent une enquête sur ce qui s'était passé en leur absence et contre leur volonté, et trouvèrent que ce qu'ils en avaient su était en partie faux, en partie vrai, et que le tout était très fâcheux. Ils s'efforcèrent d'y apporter remède autant qu'ils purent par leurs remontrances, leurs avis et leurs prières : par leurs réprimandes à l'égard de ceux qui avaient commis la faute, par leurs avis en indiquant aux uns et aux autres ce qu'ils avaient à faire pour remédier au mal qui avait été fait; par leurs prières; car « nous eûmes recours à la prière, pour nous servir des paroles d'Augustin, pour nous corriger nous-mêmes et remettre entre les mains de la miséricorde de Dieu, notre conduite et l'issue des résolutions que nous avions à prendre, et pour recourir aux remèdes de la grâce qui devait guérir les plaies que l'indignation pouvait avoir faites à nos âmes (5). Ils tâchèrent de persuader à Timothée de ne plus quitter l'église de Sousanne ; mais il leur fit savoir qu'il avait fait serment de ne jamais quitter la société de Sévère, et que s'il n'était pas lié ainsi, il ne se refuserait pas à faire ce qu'ils voulaient de lui. Les saints évêques lui remontrèrent que si Sévère, qui n'était lié par aucun serment à son égard, voulait le dégager de celui qu'il avait fait et consentir, pour éviter le scandale, à ce qu'il restât à Sousanne, il le pouvait sans parjure. En les entendant parler ainsi, Timothée fit ce qu'il convenait à un serviteur de Dieu, à un fils de l'Église, et promit de s'en tenir à ce qu'ils décideraient d'un commun accord avec Sévère. Aussitôt les trois évêques écrivirent à Sévère, lui firent savoir ce qu'ils avaient fait, et le supplièrent, par la charité du Christ, de se rappeler ce qu'ils avaient dit auparavant et de leur faire une réponse qui les consolât un peu. Quant à Timothée, il n'écrivit point à Sévère, parce qu'un de ses cousins dont on ignore le nom devait l'informer de tout ce qui s'était passé (6).
2. Sévère vit une offense dans le fait d'avoir ordonné Timothée, sous-diacre de l'église de Susanne, pendant qu'il demandait qu'on le lui laissât pour son église. Dans sa réponse aux évêques, il dit qu'il s'étonnait de voir que, tout en disant que cette ordination leur déplaisait, ils voulaient la maintenir, quand il était facile de réparer le mal en cédant Timothée à son église. En apprenant quelle était la pensée de Sévère soit par sa lettre, soit sans elle, Augustin reconnut qu'il ne pouvait couserver la charité avec Sévère qu'en lui renvoyant Timothée. Il lui adressa donc une lettre dont voici le commencement: «Si je vous parle selon que l'affaire en question me porterait à le faire, que devient la charité? Et si je ne le fais, que devient la liberté de l'amitié? Cependant, après avoir hésité quelque temps entre les deux partis, j'ai pris celui de me justifier auprès de vous, plutôt que de vous accuser vous-même (7). » Il lui donne ensuite la raison de la conduite qu'il a suivie dans cette affaire, tout en ajoutant que, quoiqu'il n'ait pas de regret de lui avoir renvoyé Timothée, il espère cependant que Sévère considérera devant Dieu, qu'un évêque ne peut pas retenir un clerc d'une autre église, sous prétexte que ce dernier
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(1) Lettre Lxiii, n. 1-2. (2) Lettre LXII, n. 2. (3) Lettre Lxiii, n. 1. (4) Lettre LXII, Il. 1. (5) Lettre Lxiii, n.
(2) Lettre Lxii, n. 2. (7) Lettre LXIII, n. 1.
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a juré de ne jamais se séparer de lui, sans s'exposer au danger de porter une grave atteinte à la discipline ecclésiastique. Toutefois, s'il voulait ne point manquer aux lois de la concorde et n'encourir le blâme de personne, il devait, sans se mettre en peine d'un serment qu'il n'approuvait pas, rendre Timothée à l'église de Sousanne. Il abandonne ensuite cette affaire à son propre jugement en ne lui demandant qu'une chose, de consulter le Christ qui habite dans son cœur, il n'en peut douter, et qui y règne en maître. Il lui dit que Timothée n'est pas clerc de son église, en qualité de sous-diacre, ce qu'il n'est devenu qu'après s'être engagé à rester auprès de Sévère et que ce dernier l'eût réclamé à Augustin, mais en qualité de lecteur. Le saint évêque demande à Sévère si on ne doit point tenir pour lecteur un homme qui en a rempli la charge dans son diocèse, dans plusieurs autres églises et enfin à Sousanne, en présence du prêtre de cette dernière église. Cependant il n'affirme pas qu'on doive, d'après les canons, le compter au nombre des lecteurs, ce qui nous porte à placer cette affaire avant le concile de Milève, du 27 août 402, où il fut décrété que si un clerc avait lu seulement une fois dans une église, c'en est assez pour qu'il ne pût être compté parmi les clercs d'une autre église. Il est vraisemblable que c'est ce différend qui fut cause qu'on fit ce canon. D'ailleurs il n'y a pas de doute que Sévère fût obligé de rendre Timothée à Augustin : il est même très probable qu’il le lui rendit avant ce canon.
3. L'amitié qui unissait Augustin et Sévère n’eut point à souffrir de ce débat. Rien de plus affectueux ou de rempli d'un sentiment plus pur que les lettres qu'ils se sont écrites l'un à l'autre quelques années plus tard (1). Sévère écrivait la sienne à la campagne, où il vivait depuis quelque temps dans la société d'Augustin, c'est-à-dire dans la lecture de ses ouvrages. Nous allons en donner ici un passage pour qu'on puisse voir quel fut cet évêque, quel était son caractère, et en quelle estime il avait les livres du saint docteur. Sévère s'écrie : « Frère Augustin, je rends grâce à Dieu de qui nous vient tout ce qui cause notre joie et notre bonheur. Je me trouve admirablement bien avec vous. Je vous lis beaucoup, je vais dire une chose qui étonnera sans doute et qui pourtant est bien vraie, c'est que je jouis bien mieux de vous, quoique vous soyez absent, que quand je vous ai près de moi; car il n'y a point d’affaires importunes qui viennent se mettre, pour ainsi dire, entre vous et moi. Je jouis donc, de vous autant que j'en suis capable, quoique ce ne soit pas autant que je le voudrais; car vous savez combien je suis avare de vous. Mais enfin je ne me plains pas de ne pas jouir de vous autant que je le voudrais, puisque j'en jouis autant que je le puis. Que Dieu soit donc béni, mon très cher frère, de ce que je me trouve si bien lorsque je suis avec vous. Je suis transporté de joie de me voir uni si étroitement à vous et collé, pour ainsi dire, à vos mamelles pour m'abreuver de leur plénitude. Je tâche de me fortifier par cette excellente nourriture et de me rendre capable de presser ces mamelles délicieuses et d'exprimer tout ce qu'elles renferment de plus intime et de plus caché. Car tandis qu'elles ne me présentent, pour ainsi dire qu’une petite ouverture à sucer, comme à un enfant au berceau, je voudrais qu'elles s'ouvrissent entièrement, pour que tout ce qu'elles contiennent se répandît sur moi. Oui, je voudrais qu'elles se vidassent tout entières pour moi, ces mamelles pleines d'un suc tout divin et de toutes sortes de douceurs spirituelles; ces mamelles si pures et si éloignées de toute duplicité, quoiqu'elles soient d'ailleurs ornées de la double couronne de la charité de Dieu et du prochain; ces mamelles, enfin, gonflées du suc de la vérité et qui ne répandent que vérité. Je me tiens donc sous ces divines mamelles pour recevoir ce qui en découle et s'en épanche, afin que, nourri et fortifié par ce que j'en reçois, je puisse marcher avec vous dans la voie de la vérité. 0 sainte et industrieuse abeille de Dieu, qui bâtit des ruches pleines d'un nectar tout céleste et ne distillant que miséricorde et vérité !
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(1) Lettres cix et cx.
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Cest là que mon âme fait son séjour, trouve toutes ses délices, c'est de là qu'elle tire de quoi remplir son vide et soutenir sa faiblesse. Ainsi en prêtant à Dieu votre voix et votre ministère, vous faites qu'on bénit son nom et que chacun joint sa voix à la vôtre pour prendre part aux cantiques de louange que vous chantez à sa gloire. Ce qui se répand sur nous de la plénitude de Jésus-Christ nous devient plus doux en passant par un si digne canal et s'enrichit, en quelque manière lorsqu'il nous est présenté par un ministre si pur et si fidèle, qui relève tellement les choses par le tour qu'il leur donne et par l'ordre où les mettent son esprit et son industrie : la beauté de cet esprit pourrait nous éblouir et arrêter sur lui mes regards, s'il n'était lui-même aussi appliqué qu'il l'est à tourner nos regards vers le Seigneur et à nous faire rapporter à ce dernier tout ce que nous admirons en lui, afin que nous reconnaissions qu'il vient de Dieu, et que tout ce qu'il y a de bon, de pur et de beau en lui ne s'y trouve que par participation à sa bonté, à sa pureté et à sa beauté (1). » En terminant sa lettre, il prie Augustin de lui répondre longuement, il trouvera toujours sa lettre trop courte (2). Une affaire paraissait exiger qu'il se rendît auprès du saint docteur; il lui demande cependant, puisque cela se peut, de l'exempter de ce voyage, pour ne point être forcé de se détourner de celui qu'il a entrepris. On ne voit pas bien s'il veut parler, en s'exprimant ainsi, de sa retraite ou de la visite de son diocèse.
4. Gaudence et Quodvultdeus apportèrent cette lettre à Augustin qui, peu de temps auparavant, avait écrit à Sévère pour une autre affaire, par l’entremise du diacre Timothée. Ce dernier n'était pas encore parti : mais, comme il était sur son départ, et semblait devoir l'effectuer d'heure en heure, Augustin ne put lui mettre sa réponse à la lettre si remplie de choses aimables qu'il venait de recevoir. «Mais, dit-il, lors même que j'eusse répondu par son entremise, je resterais encore votre débiteur. Comment, en effet, répondre à votre ineffable douceur et à l'immense désir de votre cœur (3)? » Il éprouvait quelque embarras pour répondre à Sévère qui lui avait prodigué les louanges; il devait répondre à son tour par des louanges, et il croyait devoir s'en abstenir, de crainte d'alarmer sa modestie. Il appréhendait, d'un autre côté en se montrant sobre de louanges, de ne point répondre comme il le devait et de rester son débiteur. Il dit qu'il se mettrait peu en peine des louanges extraordinaires que Sévère lui adressait, si elles étaient sorties de la bouche d'un flatteur, attendu que, dans ce cas, il ne serait pas tenu de les payer de retour; mais, comme il savait, au contraire, qu'elles ne procédaient que d'un amour sincère et d'un cœur qui n'exprime au-dehors que ce qu'il ressent au-dedans, il se trouvait dans un égal embarras, soit qu'il répondît sur le même ton, soit qu'il ne le fit point. Toutefois, il répondit dans de profonds sentiments d'humilité et d'affection, et sans perdre de vue le respect qu'il devait avoir pour la justice. Bien qu'il ne pût nier que Sévère le connût comme il se connaissait lui-même, en effet il était un autre lui-même, ou plutôt leurs deux âmes se confondaient en une seule, cependant il a peut-être erré dans l'opinion qu'il a conçue de lui, attendu qu'on ne se connaît pas bien soi-même. Il ne peut souffrir qu'il en soit ainsi, non-seulement, parce qu'il ne veut pas que son ami soit induit en erreur, mais encore de peur que, par suite, il ne prie moins Dieu pour que son Augustin devienne ce qu'il croit qu'il est déjà. Il serait bien porté à le traiter comme il a été traité par lui, et à lui montrer, sans aucun déguisement, l'excellence des biens et des dons que Dieu, dans sa divine munificence, a mis en lui; mais il préfère épargner sa modestie, non parce qu'il craint de se tromper dans ses jugements, mais de peur que Sévère, loué par un autre Sévère, ne semble se louer lui-même, et pour ne point lui donner un motif de lui faire la même demande qu'il a lui-même reçue de lui. Quant à la lettre que Sévère voulait longue, il répond que ses occupations ne lui per-
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(1) Lettre eix, n. 1-2. (2) ffid., n. 3. (3) Lettre ex, n. I.
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mettent pas de lui en écrire une telle; la règle de la justice demande, en effet, que ce qu'il doit à Sévère, le cède à ce qu'il doit à Sévère et aux autres, c'est-à-dire à l'Église universelle. Il prie donc, lui et tous ceux qui étaient liés d'amitié avec lui, de vouloir bien ne point lui imposer de nouvelles charges. Il doit, au contraire en détourner les autres avec toute l'autorité et la sainte bienveillance qu'il peut. Il lui fait connaître de plus qu’il l'attend.
5. Augustin, dans une lettre à l'évêque Novat, le prie de lui envoyer son frère qui était nécessaire pour les besoins de l'Église. Il lui parle en ces termes: « Pour étendre les vues de votre esprit, je vous dirai que, quelque étroits que soient les liens du sang qui vous attachent à votre frère, ils ne surpassent certainement pas ceux qui nous unissent, moi et mon frère Sévère. Cependant vous savez combien il m'arrive rarement de le voir : or, cela ne vient ni de ma volonté ni de la sienne; mais nous préférons les avantages de notre mère l'Église, pour le siècle futur, dans lequel nous serons à jamais unis, à nos propres avantages dans le temps. Combien plus devez-vous supporter la séparation de ce frère pour l'utilité de l'Église notre mère? car vous n'avez point ruminé ensemble la nourriture du Seigneur, aussi longtemps que je l'ai fait avec mon bien cher concitoyen Sévère, qui, cependant, m'écrit à peine et à de longs intervalles, des lettres bien courtes et souvent mêlées de détails d'affaires plutôt que remplies des choses délicieuses que nous goûtons ensemble dans les pâturages du Seigneur. » Cette amitié d'Augustin et de Sévère était connue de tout le monde. Aussi voit-on un écrivain inconnu s'exprimer ainsi, dans une lettre à Augustin, placée à tort dans les œuvres de saint Jérôme : « Étant venu précédemment dans la ville de Léges, j'ai été vivement peiné de ne vous y point trouver tout entier. Je n'ai trouvé que la moitié de vous-même et, pour ainsi dire, une partie de votre âme, dans la personne de votre bien cher Sévère, dont la vue m'a fait néanmoins quelque plaisir. Ma joie eût été complète si je vous avais trouvé tout entier, je me réjouis du moins de voir la portion de vous que j'avais trouvée, mais j'étais bien peiné de ne point voir l'autre. Enfin j'ai dit à mon âme : «Pourquoi es-tu triste, et pourquoi te troubles-tu? Espère en Dieu, et il permettra que tu jouisses de la présence de celui que tu aimes. » Aussi, plein de confiance pour cela dans le Seigneur, j'espère qu'il m'accordera la grâce de vous voir. » Et, pour rassembler ici tout ce qu'on peut trouver de Sévère, Augustin rapporte un phénomène extraordinaire de magnétisme, dont il avait été témoin, en dînant chez Bathanaire, comte d'Afrique, et il ajoute qu'il n'y accorde pas moins de foi que s'il y eût été lui-même présent. Sévère, pour apaiser les troubles excités, en 406, contre l'Église en Afrique, comme nous le verrons plus bas, s'employa autant que l'exigeait sa charité. Il eut même une conférence avec Augustin, pour aviser ensemble au meilleur moyen de remédier à de si grands maux. Plus tard, comme un prêtre du diocèse de Milève se rendait à la cour de l'empereur, Sevère le pria de passer par Hippone. Augustin profita de l'occasion pour récrire à Olympius sur le même sujet, et lui recommander de saluer Sévère pour lui. On ne trouve pas le nom de Sévère parmi ceux de la conférence de Carthage; mais, en 416, il écrivit une lettre au pape Innocent, avec tous les autres évêques de la Numidie réunis à Milève. Il mourut en 426, après avoir désigné son successeur, en présence de son clergé. Grâce aux soins d'Augustin, ce fut en effet celui qu'il avait désigné qui lui succéda. Il y avait, dans la même ville, des serviteurs de Dieu, c'est-à-dire des moines que Sévère y avait établis, comme l'avaient fait, suivant Possidius, tous ceux qui avaient été tirés du monastère d'Augustin pour être élevés à l'épiscopat.
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CHAPITRE VIII
1. Augustin compose en 402 son second livre contre Pétilien. - 2. Il réfute dans ce livre la lettre entière de ce donatiste. - 3. Il écrit aux catholiques une lettre qui n’eut pas tout d’abord pour titre De l'unité de l'Eglise. - 4. Pétilien, pour toute réponse, charge Augustin d’injures et de malédictions. - 5. Admirable réponse d'Augustin aux injures et aux malédictions de Pétilien. - 6. Augustin dispute contre les donatistes, en expliquant le psaume XXXVI, au peuple de Carthage.
1. Le 27 avril 402, mourut le pape Anastase. La nouvelle de sa mort n'était pas encore parvenue en Afrique lorsqu'Augustin écrivit son second livre contre la lettre de Pétilien, car il y parle d'Anastase comme occupant encore le siège de Pierre (1). Augustin, place ce livre, dans la revue de ses autres ouvrages, de manière qu'on n'en peut assigner la publication avant cette même année. En effet, Pétilien en répondant au premier livre d'Augustin avant que le second ait paru, se plaint qu'il ait reçu Quodvultdeus, clerc donatiste, et lui ait conservé son grade; ce qui n'a pu arriver qu'après la concile de Carthage du 13 septembre 401, où fut fait le canon concernant l'admission des clercs donatistes avec leurs dignités. De plus, dans un passage du second livre, Augustin dit qu'on avait eu, dans un temps peu éloigné, encore, à souffrir la tyrannie d'Optat le Gildonnien, expressions qui ne peuvent signifier qu'il ne s'est pas écoulé un ou deux mois seulement mais un certain laps de temps, depuis la fin de cette tyrannie, arrivée en 398. Cette remarque renverse l'opinion de Baronius qui place ce livre d'Augustin avant l'année 398. Nous ne parlons pas des lois d'Honorius publiées en 399, pour la destruction des idoles, dont il fait mention dans ce même livre. Enfin il parle souvent de Félicien sans faire mention de Prétextat, ce qui indique évidemment que celui-ci n'était déjà plus du monde : il vivait encore lorsque Augustin écrivait à Généreux, sous le pontificat d'Anastase.
2. D'après ce que nous avons dit plus haut, on peut voir que la lettre écrite par l'évêque donatiste de Cirta contre l'Église avait été réfutée dans le premier livre du saint docteur mais non en entier, parce qu'il n'avait pu en lire qu'une partie, les donatistes la cachant avec soin; mais leurs efforts pour lui en dérober la suite furent vains, car elle finit par tomber tout entière entre les mains d'Augustin. Les catholiques du Cirta se la procurèrent, la copièrent et la lui firent parvenir pour y répondre entièrement. Augustin interrompit ses livres sur la Trinité et sur la Genèse: «Ce n'est pas, dit Augustin, parce que Pétilien avait dit rien de nouveau, à quoi je n'aie déjà répondu de différentes manières, mais à cause de nos frères dont l'intelligence un peu lente ne pouvait rapporter aux passages semblables qu'ils avaient lus ailleurs, ce qu'ils rencontraient dans la suite de cette lettre, que j’ai cédé aux désirs de ceux qui me priaient de répondre à chaque point en particulier, comme si nous discutions les choses en présence l'un de l'autre. Je citerai les propres expressions de sa lettre, à la suite de son nom, et ma réponse à la suite du mien, comme si des secrétaires les eussent recueillies tandis que nous parlions. Ainsi personne ne pourra se plaindre et m'accuser d'en avoir omis quelque partie ou d'en avoir rendu l'intelligence impossible en confondant les personnages. En même temps, ces mêmes donatistes qui ne veulent pas discuter avec nous en public ne pourront éviter la vérité quand elle répondra à chacun des points de la lettre qu'ils ont adressée à leurs partisans, comme si nous discutions en présence les uns des autres.» Il avait procédé de même pour réfuter les livres de Fauste. Plus loin, il se plaint d'être obligé de s'arrêter à des bagatelles, de peur qu'elles ne deviennent un embarras pour les faibles et ne leur soient un occasion de chute. Ce procédé fit bien plus de mal aux donatistes qu'il ne lui causa de peine à lui-même. En effet, Pétilien ne trouvant rien à répondre, eut recours à la calomnie, et prétendit qu'Augustin mentait en faisant de sa réponse un
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(1) Contre la letIre de Pétil. liv. ii. eh. LI.
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dialogue alors qu'ils n'avaient point eu de conférence ensemble. « Que faire avec des hommes ainsi disposés, s'écrie-t-il, ou qui croient que ceux à qui ils adressent leurs écrits sont ainsi faits?» Telle fut la cause de son second livre, qui est assez long, contre Pétilien. Dans ce livre, il réfute de nouveau le commencement de la lettre de Pétilien, ce qu'il avait déjà fait dans son premier livre. Il pensait que tout ce qu'il disait dans son livre était tellement appuyé sur les Ecritures, que personne, à moins de se déclarer ennemi de la parole divine, ne pouvait aller contre. Il affirma sans crainte que ceux qui auparavant faisaient un si grand cas de la lettre de Pétilien, reconnaîtraient enfin, en en lisant la réfutation, de quel côté était la vérité. Il ne leur défend pas d'entendre Pétilien lui-même s'il veut défendre sa lettre.
3. Cependant il écrivit une longue lettre aux fidèles confiés à ses soins, à peu près vers le même temps où il publia son second livre contre Pétilien, et avant de commencer son troisième. Cette lettre est maintenant le livre de l'unité de l'Église. Il établit dans cette lettre la vérité de l'Église catholique, par l'autorité des Écritures, et il fait voir, en même temps, que les donatistes n'en peuvent tirer un seul passage, qui leur soit favorable, attendu qu'il n'en est pas dont le sens est évident qui ne leur soit contraire. Quant aux textes ambigus ou obscurs et ceux qui ont un sens allégorique, ils ne peuvent servir à prouver ce qui est controversé. Un évêque donatiste, s'étant servi de textes semblables dans un discours qu'il fit à Hippone, s'était attiré les acclamations de ceux qui, ne distinguant pas le spécieux du solide, croyaient qu'il avait apporté quelques raisons nouvelles en faveur de leur secte. On voit aussi dans ce livre que les donatistes avaient coutume de citer les miracles accomplis par leurs partisans, les bienfaits accordés à ceux qui priaient en invoquant leurs morts, et enfin les visions célestes envoyées à quelques-uns d'entre eux. « Ecartons, dit Augustin, ces inventions d'hommes de mensonge, ou ces prodiges des esprits d'erreur. Car, ou ce qu'on dit est faux, ou si les hérétiques ont accompli quelques miracles, nous devons les en craindre davantage, attendu que le Seigneur, après avoir dit, il y aura des séducteurs qui feront des prodiges et tromperont, s'il était possible, les élus même, continue avec force et dit : Je vous en ai avertis d'avance. Si donc un homme, qui prie dans les mémoires des hérétiques, est exaucé, ce n'est certainement pas à cause du lieu où il prie, mais à cause du mérite de son désir, qu'il reçoit ou du bien ou du mal. Il y a bien des hommes que Dieu exauce dans sa colère, il y en a beaucoup d'autres à qui, dans sa bonté, il n'accorde pas ce qu'ils demandent, pour leur donner ce qui leur est utile. Ne lisons-nous pas que le Seigneur en a exaucé plusieurs qui avaient prié sur les hauts lieux de la Judée, bien que ces hauts lieux lui déplussent tellement que les rois qui ne les renversaient pas étaient blâmés, et que ceux qui les renversaient étaient loués par lui? Ce qui montre bien que les sentiments de ceux qui prient ont plus de puissance que le lieu où ils prient. Quant aux fausses visions, ils n'ont qu'à lire ce qui est écrit: que Satan lui-même se transfigure en ange de lumière et que beaucoup ont été trompés par leurs propres visions. Qu'ils écoutent aussi les discours et les miracles que les païens prétendent s'être accomplis dans leurs temples et par la vertu de leurs dieux. Parmi ceux qui sont exaucés, mais de différentes manières, non seulement il y a des chrétiens catholiques, mais des païens, des Juifs et des hérétiques plongés dans diverses erreurs et de nombreuses superstitions. Mais ils sont exaucés, soit par des esprits séducteurs qui, cependant, ne font rien que ce qui leur est permis ; car Dieu juge d'une manière sublime et ineffable ce qu'il faut accorder à chacun, soit par Dieu lui-même, pour punir notre malice, ou pour consoler notre misère, ou même pour vous avertir de chercher le salut éternel. Mais personne n'arrive au salut et à la vie éternelle s'il n'a le Christ pour chef. Or personne ne peut avoir le Christ pour chef s'il ne fait partie de son corps qui est l'Église en qui nous devons reconnaître d'après les saintes Écritures, sa tête elle-même, non pas la chercher dans les différentes rumeurs
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des hommes, ni dans leurs opinions, dans leurs actions, dans leurs paroles et dans leurs visions d'hommes. » Dans cette lettre, il donne à entendre que Prétextat d'Assuris était mort dans la communion des donatistes et que Félicien de Mustis vivait encore dans la même communion. À l'endroit où il parle des persécutions, on trouve quelques lignes qui peuvent bien se rapporter aux lois d'Honorius de l'année 405, mais que nous croyons concerner des lois antérieurement portées, soit nommément contre les donatistes, soit en général, contre les hérétiques. Le saint docteur n'avait certainement pas encore vu la réponse de Pétilien qu'il a réfutée dans son troisième livre, lorsqu'il fit ce dernier livre, puisque, dans sa préface, il demande à Pétilien de répondre à cet ouvrage ou aux deux premiers livres publiés par lui contre sa lettre. Pétilien ayant répondu avant qu'Augustin eût fini son second livre contre lui, n'a pu répondre qu'au premier. Il en abordait quelques passages (1); mais sans y répondre d'une manière satisfaisante, il en laissait un grand nombre sans y faire aucune réponse, surtout l'endroit où Augustin lui demande pourquoi ils ont reçu le baptême des maximianistes qu'ils avaient condamnés. Sur ce point, il n'y eut pas même l'ombre d'un combat: il ne put se tirer de là qu'en renvoyant sa réponse à un second livre qu'il annonçait.
4. Cependant ayant reconnu par expérience combien il était faible pour défendre cette cause, il préféra l'abandonner ; en même temps il choisit une matière où son éloquence ressortirait davantage aux yeux de ses partisans. Ceux-ci poussaient la haine contre le saint prélat à un tel point, que quiconque parlait en sa faveur était, pour eux, un ennemi. C'est pourquoi il mit Augustin à la place de l'Église, ne trouvant rien à dire contre elle. Et, de cette façon, il devint, pour parler comme Augustin, riche d'une immense disette. Il tourna toute sa colère contre lui et l'accabla d'injures sans nombre. Mais après avoir bien parlé contre lui, il se trouva qu'il n'avait rien dit que de tout à fait faux ou de fort peu répréhensible, ou qu'on ne pouvait plus lui reprocher depuis qu'il avait reçu le baptême. En cette circonstance Pélilien se mit peu en peine du jugement des hommes sensés qui devaient lui faire un juste reproche d'avoir, pour éviter la faiblesse de sa cause dont il avait conscience, changé une affaire en quelque sorte publique en une querelle particulière. Il attaque vivement la vie d'Augustin avant sa conversion, il le charge même de fautes qu'il n'avait pas commises, et en omet plusieurs dont il s'était réellement rendu coupable. Il donne à quelques expressions de ses confessions un sens qu'elles n'ont pas. Il affirmait qu'Augustin avait été prêtre chez les manichéens, dont il lui attribuait tous les vices: il allait même plus loin et donnait pour certain qu'en l'an 386, Augustin avait été contraint de s'éloigner d'Afrique comme manichéen, quoique à cette époque, il se trouvât à Milan déjà depuis un an. Bien plus, avec une impudence sans exemple, il soutenait qu'il était encore dans les mêmes erreurs. Il lui donnait le nom de l'orateur Tertullus qui avait accusé saint Paul, à cause de la rhétorique qu'il avait professée, en même temps que pour rendre odieuse la force avec laquelle, dans son argumentation, il écrasait les donatistes, il l'appelait dialecticien, en mettant toute son éloquence à prouver que la dialectique n'était bonne qu'à soutenir le mensonge. Il mettait en avant certaines sentences portées contre quelques personnages dont la plupart étaient inconnus au saint évêque, et prétendait qu'il était convaincu de fautes, par le seul fait qu'un homme qui autrefois avait été de ses amis, cité en jugement, l'avait nommé, quoique absent, pour défendre sa cause. Il donnait les titres de ses lettres, pour trouver quelque prise sur lui, mais ces titres étaient copiés par lui ou par les siens selon qu'il leur avait plu de les composer. Et comme notre saint annonçait à un de ses amis et à son épouse qu'il leur envoyait du pain bénit, Pétilien vit caché dans l'envoi de ces eulogies, un crime abominable; et il n'eut pas honte de dire au dépit du sens
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(1) Contre Pé12. eh. xix, xx, xxxIII, L.
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commun, que, sous les apparences de ce présent sacré était caché un philtre amoureux pour cette femme, non seulement au su de son mari, mais encore de concert ou de complicité avec lui. Car après ces mots du livre Contre Pétilien, « non seulement au su de son mari,» nous croyons devoir préférer, «mais encore de concert ou de complicité avec lui, » à la leçon d'Erasme qui a lu seulement, « mais encore avec son concours. » Car il est vraisemblable que Pétilien avait pris le passage qu'il détournait dans un sens si odieux, dans la lettre qu'Augustin écrivait à Paulin et à son épouse Thérèse, et où il dit simplement: « que la bénédiction du pain que nous vous envoyons devienne plus abondante par la bienveillance et l'affection avec lesquelles vous le recevrez. (1) » En outre Pétilien prétendait qu'il ne fallait pas oublier non plus ce que Mégale, dans sa colère, avait écrit contre Augustin qui n'était encore que prêtre, à l'époque où on le présentait pour l'épiscopat, ce dont Mégale n'avait pas tardé à demander pardon en plein concile. Pétilien ne voulait pas qu'on tint compte de cette démarche de Mégale : il lui faisait même un crime d'avoir demandé avec humilité et douceur qu'on oubliât sa faute. Il accusait Augustin de vol, parce que celui-ci, en reproduisant un de ses textes, avait omis deux mots qui ne se trouvaient pas dans la copie qui lui avait été remise et qui n'ajoutaient rien à la question, enfin il lui reprochait comme un crime l'établissement de la vie monastique en Afrique.
5. Pétilien se trompait beaucoup s'il pensait, par cette manière d'agir, amener Augustin à abandonner la défense de l'Église pour la sienne propre: il avait affaire à un homme qui travaillait non pas à s'attirer l'estime des hommes, mais à les convertir à Dieu; qui était prêt à abandonner sa cause plutôt que celle de l'Église catholique ; qui n'avait enfin qu'un désir, s'humilier et s'abaisser lui-même, en même temps qu'il louerait et exalterait le Seigneur. « J'élèverai par mes louanges, disait-il, la maison de mon Dieu que j'aime, et je m'humilierai et m'abaisserai moi-même. » Les opprobres dont ses adversaires le couvraient, ou qu'il s'attirait en prêchant la vérité et en combattant les faussetés de l'erreur, loin de lui causer de la tristesse lui procuraient une abondante consolation; il ne considérait pas combien était amer, mais plutôt combien était faux ce qu'il entendait et combien est vrai celui pour qui il l'entendait et qui promet une grande récompense à ceux qui souffrent pour lui. Dans les injures de Pétilien, il voyait la ruse du diable qui cherchait à lui faire haïr l'homme qui le traitait aussi indignement. Aussi le saint évêque s'appliquait-il avec une âme pleine de vigilance et de grandeur à terrasser l'ennemi invisible, tout en aimant l'ennemi visible et en lui conciliant par ses prières la miséricorde divine. Aussi dans la réponse qu'il dut lui faire, il ne viola en aucune manière la règle de conduite qu'il avait coutume de tenir quand il avait à répondre à des discours ou à des écrits injurieux pour lui, il ne cédait point à sa juste douleur, mais recherchait l'avantage de ses lecteurs ou de ses auditeurs, lorsqu'il combattait les erreurs de ses adversaires par des arguments invincibles, plutôt que les injures par d'autres injures. Il se proposa donc dans son troisième livre Contre Pétilien de montrer que celui-ci n'avait aucunement répondu à son premier livre; et il promet de le montrer si clairement que les donatistes, quelque attachés qu'ils soient à l'erreur et de quelque inimitié qu'ils soient animés pour sa personne, ne puissent le nier, s'ils veulent seulement lire les écrits de l'un et de l'autre; et il ne leur demandait pour arriver à cette conviction, que de comparer son livre avec la réponse de Pétilien : sa charité pour ces hommes à l'intelligence un peu lente lui fit ajouter un troisième livre, dans lequel il écarte les injures de Pétilien avec une grande simplicité et beaucoup de douceur. Il déclare qu'il déteste sa vie d'avant son baptême et qu'il ne veut s'en souvenir que pour exalter la gloire de Celui « qui, dit-il, par sa grâce, m'a délivré de
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(1) Lettre xxxi, n. g.
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moi-même. Aussi lorsque j'entends blâmer cette partie de ma vie, je ne suis pas assez ingrat pour me plaindre de celui qui m'accuse, quelque pensée qu'il ait en m'accusant. Plus il blâme, ma maladie, plus je loue mon médecin ». Quant à sa vie depuis son baptême, ses actions extérieures n'ont point besoin de défense auprès des fils de l'Église qui la connaissaient bien; pour ceux qui ne la connaissaient pas, il ne les croyait pas assez méchants pour s’en rapporter au témoignage d'ennemis tels que Pétilien, et pour croire plutôt sur l'autorité de ce dernier que sur le témoignage de ceux qui le connaissaient. Si Pétilien voulait sonder les replis intimes de l'âme, sa conscience seule pouvait rendre témoignage sur ce dont on l'accusait, et il fallait l'accepter absolument sur parole. Or, il dit que, sans pouvoir s'approprier ces mots de l'Apôtre : « Ma conscience ne me reproche rien, » il peut cependant affirmer cette vérité devant Dieu, qu'il ne se reconnaît coupable, dans sa conscience, d'aucun des crimes dont Pétion voulait noircir sa vie depuis son baptême. Mais loin de vouloir charger l'Église de sa défense, il ne se propose, au contraire, qu'une chose, prouver contre les hérétiques qu'il faut renoncer à mettre sa confiance dans les hommes, pour rapporter notre gloire et toute notre espérance à Dieu seul; par conséquent, on ne doit pas abandonner la maison de Dieu à cause des méchants qui y sont tolérés maintenant. Aussi les catholiques qui aimaient la vérité en lui et l'écoutaient avec bonheur lorsqu'il la leur enseignait, devaient-ils être tranquilles, non à cause de l'estime et de la considération dont il jouissait auprès d'eux, mais à cause de l'espérance qu'ils avaient placée en Dieu. Quant aux donatistes, ils devaient examiner, non quel il était lui-même, ni la peinture que Pétilien leur traçait de sa personne, mais la force des arguments par lesquels il défendait la cause de l'Église dont il s'était chargé, quel qu'il fût d'ailleurs lui-même, et remportait la victoire sur leurs erreurs. Il presse ensuite Pétilien de laisser de côté les injures inutiles, pour répondre à ce qu'il avançait. De même, il ne se met pas trop en peine de justifier ceux que Pétilien avait attaqués dans son livre. Car Augustin prétendait qu'il n'était permis à personne de quitter l'Église sous prétexte de se séparer des méchants qui ne pouvaient point être convaincus. Pétilien, donnant un autre sens à ce que disait Augustin, assurait que toute espèce de crimes était impunie chez les catholiques. Pour en donner un exemple, il disait qu'un évêque dépossédé de sa charge à cause du crime de sodomie, et même déjà remplacé par un autre, avait été plus tard rétabli dans ses fonctions. À quoi Augustin répondait que Pétilien ne savait ce qu'il disait. Ce dernier parlait encore d'un autre qui avait été condamné à la pénitence publique par les donatistes; mais Augustin paraît insinuer que c'était un mensonge. Il citait également un certain clerc nommé Quodvultdeus, que les donatistes avaient éloigné de leur communion parce qu'il avait été convaincu d'un double adultère et que les catholiques avaient reçu cependant aux honneurs ecclésiastiques (c'est le sens des paroles de Pétilien). Mais Augustin dit qu'on ne le reçut qu'après qu'il eût prouvé son innocence, ou du moins qu'il l'eût persuadée à tout le monde (2). Mais le saint prélat soutient que c'est à tort que Pétilien prétend que la discipline de l'Église était négligée. « Il y a, dit-il, une foule de documents où l'on voit des évêques ou d'autres membres du clergé, actuellement dépouillés de leurs charges, que la honte a fait fuir dans d'autres pays, ou passer dans vos rangs ou dans ceux d'autres hérésies, ou qui sont restés dans leur pays où on les connaît (3). » Il cite nommément un certain Honorius, de Milève, qui avait sans doute précédé Sévère dans cet évêché. Il parle aussi de Splendonius, qui fut déposé du diaconat dans les Gaules et qui, venu à Cirta, fut rebaptisé par Pétilien et élevé à la prêtrise. Ému de ce fait, l'évêque catholique de Cirta fit lire publiquement les actes de la déposition de ce diacre. Mais Pétilien lui-même, indignement calomnié par ce diacre, fut
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(1) Contre la lettre de Pétit, iiv. III, eh. x. (2) Contre la lettre de Pètil, liv. III, Ch. Y-XXII- (3) Ibid., Xvii
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plus tard contraint de le renvoyer. Plus tard, comme il fallait montrer à Pétilien qu'il y avait certainement aussi des ministres pervers cachés dans les rangs des donatistes, il fut contraint de lui rappeler qu'un certain Cyprien, évêque de Tubursicubure, surpris dans une maison de débauche, avec une fille publique, avait été conduit, par eux, à leur évêque de Carthage Primien, qui, pour ce fait, le condamna et le chassa, sans toutefois réitérer le baptême à ceux qu'il avait baptisés auparavant (l). Il termine son livre en s'adressant aux donatistes en ces termes : « Mais vous, êtes-vous capables de distinguer la vérité de l'erreur, le vain du solide, le calme de la tempête; ce qui est sain de ce qui ne l'est pas, la parole de Dieu des discours présomptueux des hommes, les preuves des accusations, les documents des inventions mensongères, l'attaque de la défense? Si vous l'êtes, c'est bien, c'est très-bien; si vous ne l'êtes pas, nous n'aurons pas à nous repentir de nous être occupé de vous ; car si votre cœur ne se tourne point vers la paix, notre paix reviendra vers nous (2). » Pour ce qui est du second livre de Pétilien, dans lequel il promettait de parler des maximianistes, Augustin en parle comme d'un livre qu'il n'a jamais vu, tout en disant qu'il savait qu'il n'y avait rien de raisonnable dans ce livre.