Darras tome 18 p. 372
22. Les hommes du Nord ! les Normands ! tel était le cri d'alarme poussé alors sur tous les confins septentrionaux de l'empire franc. Nos chroniqueurs ont des accents de douleur poignante, quand ils énumèrent les désastres de cette funeste époque et le pillage des plus riches cités par ces hordes sauvages que leurs légers esquifs portaient avec une incroyable rapidité dans les directions les plus diverses et les plus lointaines. Une flotte de six cents voiles, sous la conduite de Roric, remonta l'embouchure de l'Elbe et opéra une descente à Hambourg, où, pendant un jour et deux nuits les barbares commirent tous les excès imaginables (800). La Frise fut ravagée, les églises et les monastères incendiés et pillés, les populations égorgées ou conduites en captivité. La Hollande, les bords du Rhin et du Tahal ne furent pas mieux traités. Dans le même temps, Godefriel, un autre de leurs chefs, pénétrait jusque dans la ville de Beauvais, qu'il livrait au pillage. Passant ensuite en Aquitaine, les Normands prirent Bordeaux, qui leur fut livrée par la trahison des Juifs, s'en partagèrent les immenses richesses et n'y laissèrent que des débris fumants.
Darras tome 20 p. 414
PONTIFICAT DE SERGIUS IV
(août 1009-juillet 1012.)
§ I. Les pèlerinages à Jérusalem»
25. Les catalogues pontificaux se bornent à une simple mention de Sergius IV sans presque aucun détail biographique. Celui de Watterich 3 dit simplement : « Sergius, surnommé Os porci, était
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1 Guido Aretin. De Tgnolo Cantu. Patr. tat,, tom. CXLI, col. 423.
2. « La gamme inventée par Guy d'Arezzo n'avait d'abord que les six premières notes; on y ajouta plus tard une septième, qui complète les principales intonations de l'échelle musicale. De nos jours, on a découvert un rapport surprenant et mystérieux entre les sept intonations musicales du son, les sept couleurs principales de la lumière, les sept figures principales de la Géométrie. Par exemple, une barre de fer chauffée graduellement présente graduellement les sept couleurs principales dans lesquelles se divise le rayon lumineux; si, dans cette incandescence graduelle, on frappe la barre de fer, elle rend graduellement les sept notes de la gamme musicale, si on place à côté, sur une feuille de fer-blanc, ou sur le couvercle d'un piano, une poudre fine et légère, les vibrations graduelles des sept notes principales formeront graduellement, avec la poussière, les sept figures principales de la géométrie: le cercle, l'ellipse, le cône, etc. Ce mystère de la nature parait s'étendre fort loin. » (Rohrbacher, Histoire universelle de l'Eglise catholique, tom. XII, p. 440). »
3. Watterich, tom. I, p. 69.
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p415 CHAP. VI. — LES PÈLERINAGES DE JÉRUSALEM.
romain d'origine; il siégea trois ans et quinze jours.» Le catalogue de Zwellen un peu moins laconique s'exprime en ces termes : « Sergius IV portait avant sa promotion le nom de Pierre. On l'avait surnommé Os porci, du nom de sa mère Stéphanie Bucca porci. Il était évêque d'Albano au moment de son élection. Il fit décorer la tombe de Sylvestre II (Gerbert), et composa l'épitaphe qui y est gravée 1. » Le Codex Regius ajoute ces paroles significatives : « Ce fut un pontife de vie sainte et d'excellente doctrine 3, » éloge que justifie amplement l'inscription suivante, placée sur le tombeau de ce pape près de celui de Gerbert sous le portique de Saint-Jean de Latran : « Qui que vous soyez, lecteur qui franchissez le seuil de cette basilique, avant de parcourir du regard les merveilles que l'art y a accumulées, suspendez un instant votre course, et lisez ce titre sépulcral. Ici reposent dans la tombe les restes d'un pasteur vénéré, que le Tout-Puissant, en des jours heureux, donna à son Église dont il fut la gloire. Il fut le pain du pauvre, le vêtement des nus, le docteur du peuple. Il changea son nom de Pierre pour prendre celui de Sergius, à l'époque où il fut appelé à prendre avec le titre de souverain pontife le gouvernail du vaisseau céleste de l'Église. Durant cinq années il avait fait bénir son épiscopat dans la cité d'Albano, quand il fut élevé au pontificat suprême. Accordez à sa mémoire une pieuse prière et dites : Jésus rédempteur, ayez pitié de lui, donnez à son âme le repos de vos tabernacles éternels 1. »
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1. Catalog. Zwetlens. Pair. Lat., tom. CCXIII, col. 1030.
2. Coiex Regius, fol. 195 verso. Cf. Novaës, Sergius IV pap^i 150, tom. ][,
p. 213.
• Quisqui3 ad hoc tendis sublimia limina lector,
Et caperis tanta nobilitate domus : Intentis oculi9 aula percurrere raraa
Desine materia3, arte juvante manus. Lumina cum gressu pendente arguta coercens,
Respice soll cilus, quid velit hic titulus. Hic tumulata jacent pastoris membra serenl, Quem decus Ecclesiae contulit omnipotens, Pauperibus panis, nudorum vestis opima, Doctor et egregius qui fuit m populo.
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p416 PONTIFICAT DE SEEG1US IV (1000-1012).
26. L'avènement de Sergius IV coïncida avec un désastre dont le retentissement se prolongea au sein de la chrétienté tout entière. Les Musulmans abattirent à Jérusalem l'église du Saint-Sépulcre, qui avait déjà été brûlée par Chosroès au septième siècle. Il passa pour constant que ce forfait eut pour premiers auteurs les juifs de France, lesquels écrivirent au calife Hakem que s'il ne ruinait pas promptement ce terme de pèlerinage, si fréquenté par les chrétiens, bientôt ceux-ci le dépouilleraient de ses États. Le porteur de la lettre fut arrêté à Orléans, où un pèlerin qui avait voyagé avec lui en Palestine le reconnut. Il confessa son crime et fut condamné à être brûlé vif. Les juifs qui étaient fort nombreux et très riches à Orléans en furent chassés. La nouvelle de leur trahison se répandit dans tout le royaume et par tout l'univers : ce qui fit prendre aux princes chrétiens la résolution unanime de les bannir entièrement de leurs États. La haine publique éclata en même temps dans toutes les provinces. On les chassa des villes, on les poursuivit dans les campagnes comme des animaux malfaisants ; plusieurs furent noyés, un grand nombre périt par le fer et par d'autres genres de tourments ; quelques-uns se tuèrent de désespoir ; d'autres se firent baptiser pour échapper à la mort. Les haines nationales exaltées par ces vengeances se portèrent souvent à des excès, qu'avec nos mœurs actuelles nous ne pouvons que condamner. Elles persistèrent pendant toute la durée du moyen âge. On a encore trouvé là une occasion d'incriminer l'Église comme si elle eût excité l'indignation populaire contre les juifs, et que tout le sang versé dans ces circonstances déplorables dut lui
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In quo mulato permansit noraine prsesul,
Sergiusex Petro, sic vocitatus erat, Jui? sacerdoti laetas dum vidit arisîa3,
Cœtibus œquavit naviger angelicis. Albanum regimen lustro venerabilis uuo
Bexit, post summum ducitur ad solium. Ductus mente pia : Jesu, die, parce redemptorl
Utque vicem capias, die .• Deus hune habeas.
(Watterich., tom. I, p. 89).
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p417 CHAP. VI. — LES PÈLERINAGES A JÉRUSALEM.
être imputé. L'histoire, qui n'est que le témoin de la vérité, ne peut s'associer à ces reproches calomnieux. Elle constate seulement le courant des idées générales qui poussait la chrétienté tout entière à des violences contre les Juifs, race déicide et marquée comme d'un sceau réprobateur. La scission profonde qui existait entre les habitudes des peuples chrétiens et celles de cette nation odieuse, la réputation bien établie qu'avaient les Juifs de s'enrichir par des moyens usuraires, de traiter tous les royaumes de l'univers comme leurs pères avaient traité les Égyptiens, et de les dépouiller de leurs richesses, entretinrent ces préjugés qui éclatèrent parfois d'une manière terrible. Mais ce sont là des faits qui se rattachent au caractère général d'une époque : on ne saurait les attibuer à l'Église en particulier, pas plus qu'à nulle autre institution alors existante. Chaque siècle, chaque phase de la civilisation, a son lot de bonnes et de mauvaises actions qui lui est propre. L'Église faisait infiltrer goutte à goutte, au cœur des sociétés naissantes, des principes de douceur et de bienveillance universelles. Mais elle eut longtemps à combattre, pour atteindre au but de cette noble mission. Et si notre siècle qui est encore loin de la perfection, même en ce genre, croit devoir se glorifier d'avoir fait quelques progrès sur ses pères, c'est aux efforts incessants de l'Église qu'il en est redevable.