DIRE LES VÉRITÉS DIFFICILES.
12. «Les habitants de Génésareth, continue l’Évangile, ayant appris que Jésus venait de débarquer sur leur territoire, lui apportaient les malades sur leur lit, et les déposaient à ses pieds. Il les guérissait. Dans les villages, les bourgs et les cités qu'il traversait, on les exposait sur la place publique; ils le suppliaient de leur permettre de toucher la frange de son vêtement, et tous ceux qui la touchaient étaient guéris. Cependant la multitude, nourrie du pain miraculeux, avait passé la nuit au pied de la montagne. Le lendemain, ne voyant plus l'unique barque qui la veille était attachée à la rive, et sachant que Jésus avait laissé partir les disciples sans les accompagner, elle se mit à sa recherche. Ne l'ayant point trouvé, la foule traversa le lac, sur les bateaux des pêcheurs de Tibériade, et vint Capharnaum, s'enquérant de Jésus. Lorsqu'ils l'eurent rencontré, ils lui dirent: Maître, quand donc êtes-vous venu ici? —En vérité, en vérité, je vous le dis, répondit-il, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains en abondance, et que vous avez été rassasiés. Travaillez, non pour vous procurer une nourriture périssable, mais pour obtenir la vie éternelle que le Fils de l'homme vous donnera. Car c'est lui que Dieu le Père a marqué du sceau de son élection. — Ils lui demandèrent alors: Que ferons-nous pour accomplir les œuvres de Dieu ? — L'œuvre de Dieu, reprit Jésus, consiste pour vous à croire en celui qu'il a envoyé. — Mais, reprirent-ils, à quel signe reconnaîtrons-nous que nous devons vous croire? Quelle preuve en donnez-vous ? Nos pères ont mangé la manne dans le désert.
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1. Marc, VI, 54 ad ultim.
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Les paroles de l'Écriture l'attestent: «Moïse leur a donné à manger le pain du ciel.» — En vérité, en vérité, je vous le dis, répondit Jésus, ce ne fut pas Moïse qui donna le pain du ciel, mais mon Père vous donne en ce moment le véritable pain céleste. Car le pain de Dieu est celui qui descend du ciel et communique la vie au monde. — Seigneur, s'écrièrent-ils, donnez-nous ce pain merveilleux. — Je suis, répondit-il, le pain de vie. Quiconque vient à moi n'aura plus jamais faim ni soif. Je vous l'ai déjà dit, vous m'avez vu, et vous ne croyez pas encore. Tout ce que me donne mon Père viendra à moi, et je ne le rejetterai point, car je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour accomplir l'ordre de celui qui m'a envoyé. Or, la volonté du Père qui m'envoie est que je ne perde aucun de ceux qu'il m'a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. Oui, telle est la volonté de mon Père qui m'a envoyé: Quiconque voit le Fils de l'homme et croit en lui aura la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. — Cependant les Juifs murmuraient, parce qu'il avait dit: Je suis le pain vivant, descendu du ciel. — Quoi donc, disaient-ils, n'est-il point Jésus, fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère? Comment peut-il dire: Je suis descendu du ciel?—Jésus leur répondit: Cessez de murmurer ainsi. Nul ne peut venir à moi, si mon Père, qui m'a envoyé, ne l'attire par sa grâce. Celui-là, je le ressusciterai au dernier jour. Il a été écrit par les Prophètes: «Tous seront admis à recevoir la doctrine de Dieu.» En effet, quiconque entend la voix du Père, et suit son enseignement, vient à moi; non pas cependant que personne ait vu le Père. Celui-là seul qui est de Dieu a vu le Père. En vérité, en vérité, je vous le dis: Celui qui croit en moi a la vie éternelle. Je suis le pain de vie. Vos aïeux ont mangé la manne, au désert, et ils sont morts. Si quelqu'un mange le pain descendu du ciel, celui-là ne meurt pas. Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Quiconque mangera ce pain vivra éternellemient. Le pain, que je donnerai pour la vie du monde, c'est ma chair. — Les Juifs laissèrent alors éclater leur indignation. Ils disaient entre eux: Comment peut-il nous donner à manger sa propre chair? — Jésus reprit: En vérité, en vérité, je vous le dis: Si vous ne
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mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous. Quiconque mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est réellement une nourriture et mon sang un breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui. Le Père, qui m'a envoyé, est vivant et je vis de sa vie; de même, celui qui me mange vivra de ma vie. Voilà donc le pain descendu du ciel, bien différent de la manne que vos aïeux mangèrent et qui ne les préserva pas de la mort. Celui qui mange ce pain vivra éternellement. —Or, Jésus tenait ce discours en enseignant le peuple, dans la synagogue de Capharnaum. Plusieurs de ses disciples, en l'écoutant, disaient: Cette parole est d'une intolérable dureté! Qui pourrait l'admettre? — Jésus, connaissant leur pensée, leur dit: Cela vous scandalise! mais attendez le jour où vous verrez le Fils de l'homme remonter aux cieux, d’où il est descendu. L'esprit vivifie tout; les sens n'ont rien à faire ici. Or, les paroles que j'ai prononcées sont esprit et vie. Cependant il en est quelques-uns parmi vous qui ne croient pas. — En effet, Jésus savait, dès le commencement, quels étaient les incrédules; il connaissait celui qui devait le trahir. Il ajouta donc: Je vous l'ai dit; Nul ne peut venir à moi, si cette grâce ne lui a été donnée par mon Père. — En ce moment, plusieurs de ses disciplef se retirèrent, et ne voulurent plus marcher à sa suite. Alors, Jésus dit aux douze: Et vous, voulez-vous aussi m'abandonner?—Seigneur, s'écria Pierre, à qui irions-nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle. Nous savons et nous croyons que vous êtes le Christ, Fils de Dieu! — Jésus reprit: Ne vous ai-je pas élus au nombre de douze? Cependant, parmi vous, il y a un fils de Satan. — Il désignait ainsi Judas Iscariote, fils de Simon, l'un des douze, qui devait le trahir 1.»
13. La multiplication des pains, sur la montagne, ce prodige, qui eût entraîné la foi de tout autre peuple, n'est pas suffisant pour les Juifs. Ils le trouvent inférieure à celui de Moïse; car, enfin, Jésus n'a multiplié que des pains d'orge et la chair de quelques
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1. Matth., XIV, 32 ad ultiiu. ; Marc, vi, 53 ad ultiia. ; Joann., vi, 22-72,
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poissons, pour un seul repas et pour une foule restreinte. Moïse, au contraire, avait fait descendre la manne du ciel, pendant quarante années, et avait nourri ainsi des millions d'hommes. Pour faire une telle objection, et pour montrer une pareille exigence, il fallait être Hébreu. Jamais un Spartiate ou un Romain n'eût parlé ainsi. Mais les fils d'Abraham, d'Isaac et de Jacob étaient les familiers du miracle. Élie avait multiplié l'huile, dans les jarres de la veuve de Sarepta. Ce prodige ne dépassait pas celui de Moïse, et quand Notre-Seigneur s'annonce comme le Messie prédit par Moïse, on lui demande des signes plus éclatants que ceux de Moïse, d'Élie et des autres Prophètes. L'attitude du peuple est telle qu'on pouvait l'attendre de tout son passé historique. Sous ce rapport, le Testament Ancien et le Testament Nouveau se renvoient l'un à l'autre un témoignage solennel d'authenticité. Il faut donc que le divin Maître nourrisse d'un pain miraculeux, non plus une foule affamée au désert de Bethsaïda, mais des générations entières. Il faut que ce pain descende du ciel, et qu'il ne soit pas la reproduction d'un aliment terrestre. Il faut enfin que le prodige ne soit pas un phénomène isolé et transitoire; mais qu'il ait, comme la manne de Moïse, le double caractère de l'universalité et de la durée. Mais le Sauveur va plus loin que les exigences de la rage juive; et la merveille permanente dont il annonce l'institution épouvantera l'incrédulité elle-même. Le corps et le sang de Jésus-Christ seront à jamais le pain et le vin de l'immortalité. Il n'y a point ici de figure, de symbole ni de métaphore. «Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang un breuvage. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi et moi en lui, Celui qui me mange vivra par moi.» Impossible de se méprendre sur la réalité positive de cette parole. Elle indigne les Juifs: «Comment, disent-ils, celui-ci nous donnera-t-il sa chair à manger?» Elle révolte un grand nombre de disciples jusque-là fidèles. Ils abandonnent leur Maître, en criant: «Un tel langage est intolérable!» Qu'était-ce pourtant que cette parole du Sauveur, sinon le dogme de la transsubstantiation eucharistique, miracle permanent du pain de vie, descendu du ciel, qui s'est multiplié sans limite et sans mesure pour nourrir des générations d'âmes? D'un pôle à l'autre, la multi-
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plication des pains s'accomplit anjourd'hui comme à Bethsaïda. L'incrédulité juive et la désertion des disciples épouvantés ne changent rien au langage de Notre-Seigneur. Il n'adoucit point sa formule, pour calmer l'indignation de ses auditeurs. Qu'on suppose un instant que la pensée du divin Maître eût été celle-ci: Je vous donnerai à manger un pain ordinaire, qui sera la figure de mon corps; je vous donnerai à boire un vin pareil à celui dont vous faites usage tous les jours, et qui sera la figure de mon sang. Cette hypothèse est celle du protestantisme. Qui donc eût empêché le Sauveur d'apaiser soudain tous les murmures, et de retenir à ses côtés la foule des disciples incrédules? Un seul mot d'explication, tombé de ses lèvres, eût fait cesser l'agitation produite par un discours interprété tout d'abord en un sens trop absolu. Mais Jésus-Christ redouble ses affirmations à mesure que le tumulte augmente. Il redit invariablement: «Je vous donnerai ma chair à manger et mon sang à boire. Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous. Ce langage vous scandalise, attendez le jour où vous verrez le Fils de l'homme remonter au ciel d'où il est descendu. L'esprit vivifie tout, et les sens n'auront rien à faire ici.» O Jésus de l'Eucharistie, pain vivant descendu du ciel, des milliers d'adorateurs ont remplacé pour vous, et remplaceront jusqu'à la fin des temps, les disciples incrédules qui vous abandonnèrent à Gapharnaûm! S'il est encore des Juifs charnels, pour l'oreille de qui ce langage est dur, l’Église catholique vous redit chaque jour, au pied de vos tabernacles, la protestation de saint Pierre: «Seigneur, nous ne vous fuirons pas, car vous avez les paroles de la vie éternelle!»
DIRE LES VÉRITÉS DIFFICILES.