Hagiographie des Gaules 2

Darras tome 14 p. 432

 

   40. « Fidolus s'attacha tellement à son libérateur, continuent les actes, qu'il ne faisait plus un pas que sur son ordre et pour lui complaire. Son cœur s'affermit dans la componction et l'obéis­sance ; il écoutait la parole des anciens, exécutait tous leurs ordres, mettait en pratique tous leurs conseils. De son côté, Aventinus qui l'avait d'abord aimé comme un fils, en le voyant grandir dans la vertu, le considérait non plus comme un captif racheté de ses mains, mais comme son maître dans les voies spirituelles. Peu à peu les frères, témoins de l'humilité, du zèle, de la dévotion du jeune arverne, s'habituèrent à le considérer comme le pré­vôt du monastère et lui obéissaient spontanément. A cette épo­que , Aventin disparut tout à coup de la cellule abbatiale qu'il occupait 2. » — Depuis longtemps, il sollicitait saint Camélien d'accepter sa démission et de le laisser s'enfoncer dans quelque solitude pour y mener la vie érémitique. L'évêque s'était toujours

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1      Greg. Turon., De glor. confessai:, cap. lviii.

2    Eodem iiaque iempore, Aventino abbate ipsius cellulœ discedente. (Bolland., Act. S. Fidol., loc. cit.) C'est encore ici une expression caractéristique que les hagiographes locaux ne semblent point avoir comprise. Ils l'interprètent tous dans le sens qu'elle signifierait la mort de saint Aventin. Mais les Bollandistes, avec leur érudition ordinaire3 ont signalé cette erreur. Ils main­tiennent la leçon discedente, au lieu de decedente; et ils ajoutent : Constat enim ex Aveniini vita eum in sua anachoresi obiisse, ideoque verosimilius est viventi adhuc suffecium esse sanctum Fidolum in monasterio.

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p433  .   VI.   —  HAGIOGRAPHIE  DES   GAULES.   


opposé à ce pieux désir. Mais le miracle de la multiplication du vin dans le cellier du monastère étant venu par hasard à se découvrir, Camélien n'osa plus résister aux prières du serviteur de Dieu. Aventinus se construisit d'abord un abri de chaume près d'un oratoire voisin de la ville, et y demeura quelques mois. La foule des pèlerins qui ne tardèrent pas à y accourir effraya son humi­lité ; il se retira à sept milles de Troyes, dans une île couverte de forêts, environnée comme d'une ceinture par la Seine et la petite rivière d'Oze. Il apporta dans cette solitude un pain, quelques ins­truments aratoires, des graines de légumes, un peu de sel, de l'orge et du millet. La méditation des Écritures, le chant des psaumes et le travail des mains devaient se partager sa vie. Une petite cellule de branchages entrelacés lui servit de demeure. Une tunique de peau, véritable cilice aux poils hérissés, une ceinture de cuir, un capuchon de laine, des sandales grossières formaient son vêtement. Une fois tous les trois jours il rompait un pain d'orge trempé dans l'eau, et le mangeait avec les racines et les légumes qu'il avait cultivés de ses mains. Les hôtes de la forêt, les oiseaux, les bêtes sauvages étaient ses seuls visiteurs. Une nuit, le solitaire entendit à la porte de son ermitage un rugissement féroce et des coups violemment frappés par un animal furieux. Seigneur, s'écria l'ermite, vous ne laisserez point mon âme descendre dans l'enfer, vous serez mon protecteur et mon salut 1! — Il continua à prier, récitant les psaumes de David. Aussitôt le crépuscule qui précède l'aurore et sépare les ténèbres profondes des premières lueurs du matin, l'homme de Dieu ouvrit la porte de sa cellule. Un ours entra, la tête et les oreilles basses, il paraissait fatigué et souffrant; doux comme un agneau, il se coucha aux pieds du saint et se mit à les lécher. En même temps, il étendait douloureusement l'une de ses pattes, dans laquelle un éclat de bois s'était enfoncé. Le solitaire fit tiédir de l'eau, humecta la tumeur, détacha le corps étranger; puis, entourant la plaie d'un linge, il traça sur l'animal le signe de la croix. L'ours sembla, d'un œil reconnaissant, remercier

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1 Psalm. xv, 10.

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p434          TONTIFICAT  DE  SAINT AGAPIT  I   (333-336).


son charitable médecin. Il rentra dans la forêt, s'enfonça dans les vastes solitudes et ne reparut plus depuis. Les oiseaux venaient chaque jour à la fenêtre de la cellule. L'homme de Dieu éten­dait la main et ils becquetaient sans crainte les miettes de pain ou les graines qu'il leur offrait. Le bienheureux ermite avait re­trouvé la domination primitive d'Adam sur les animaux. Il les ai­mait et les protégeait. Sur la fin de sa vie, un moine vint se fixer
auprès de lui pour soulager sa vieillesse. Ce moine prenait quelque­ fois de petits poissons, et les apportait vivants dans un vase plein d'eau. Aventin les rejetait à la rivière en disant : Allez, petites créatures du grand Roi. Reprenez votre liberté et continuez à vivre de la vie qu'il vous a donnée. — La cellule du pieux ermite avait fini par être découverte. Les malades y accouraient en foule et y re­couvraient la santé spirituelle et corporelle. Aventin mourut com­blé de bénédictions et de grâces vers l'an 540, et sa mémoire vit toujours dans le pays illustré par sa sainteté et ses miracles 1.

 

   47. Lorsque saint Aventin quitta le monastère de Troyes, pour se consacrer à la vie erémitique, les frères, d’un commun accord, élurent à sa place son disciple Fidolus. Dans cette haute dignité, l'ancien captif arverne se montra un modèle de mortification, d'humilité, de douceur. Son oraison était continuelle. Trois pains lui suffisaient pour tout un carême. Avec le temps, son jeûne de­vint encore plus rigoureux. Une année, le troisième pain était en­core intact à la cœna Domini (jeudi saint). Il avait coutume de mêler de la cendre à l'eau qui lui servait de boisson. Comme son maître Aventin, il eut le don des miracles. On lui présenta un jour deux aveugles, sur lesquels il fit le signe de la croix; à l'instant on vit tomber de leurs yeux des globules de sang, pareils à des écailles, et l'infirmité disparut. — Un enfant, nommé Octavianus, était entièrement perclus. Ses jambes refusaient de se mou­voir. Les parents désolés vinrent le déposer aux pieds du saint prêtre. Fidolus le porta lui-même sur la natte qui lui servait de couche. Il passa deux jours en prières. La troisième nuit, le Sei-

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1. Bolland., Ad. S. Aventin., 4 febr.

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p435 CHAP.  vi. — HAGiocRArniE des gaules.  

 

gneur l'exauça et le petit paralytique fut rendu à la santé. — L'ancien captif d'Arvernie était plein de compassion pour les esclaves, dont il avait personnellement connu les infortunes. Un de ces malheureux, fuyant la colère de son maître, vint chercher un refuge au monastère de Fidolus et pria le saint d'intercéder en sa faveur. Le vénérable abbé intervint près du maître et en obtint, à force d'instances et de supplications, la promesse de faire grâce au fugitif et de lui épargner la toiture. Mais à peine l'esclave était-il entre ses mains, que le barbare le fit jeter, pieds et poings liés, dans une basse fosse d'un castrum qu'il possédait à Tornodorum (Ton­nerre). Fidolus en fut bientôt informé. Il se mit en prières, deman­dant avec larmes au Seigneur de venir en aide au malheureux captif. Or, cette même nuit, le prisonnier vit ses chaînes tomber d'elles-mêmes; la porte de son cachot s'ouvrit, et il put sortir de la redoutable forteresse sans avoir été aperçu par les gardes. Ainsi miraculeusement délivré, il vint se jeter aux pieds de l'homme de Dieu, et passa le reste de ses jours dans le monastère1. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon