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--------- L'accès au Dieu unique peut connaître en vérité des voies très différentes. ---------Pour un homme qui a été élevé dans la tradition chrétienne, le chemin commence par le Tu: il sait qu'il peut s'adresser au Seigneur; que ce Jésus n'est pas une personnalité historique du passé, mais qu'il est contemporain de toutes les époques. Et il sait que dans le Seigneur, avec lui et par lui, il peut s'adresser à celui à qui Jésus dit «Père». Il voit en quelque sorte le Père en Jésus. Car il voit que ce Jésus trouve ailleurs la source de sa vie et que tout son être est échange avec l'Autre, s'origine en Lui et se redonne à Lui. Il voit que ce Jésus de par son existence entière est vraiment « Fils », quelqu'un qui, au plus intime de lui‑même, se reçoit d'un autre et vit son être comme reçu. En lui se trouve présent le fondement caché de l'être dans l'agir, la parole, la vie, la souffrance de celui qui est véritablement Fils, ce grand Inconnu devient visible, audible, accessible. Le fondement caché de l'être se révèle comme Père86. La Toute‑Puissance est comme un père. Dieu n'apparaît plus comme l'Être suprême ou comme l'acte d'être, mais comme personne. --------Parler à Dieu n'est pas s'adresser à un quelconque vis‑à‑vis qui reste vis‑à‑vis comme un autre Tu. Cela
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s'adresse à celui qui est le fondement même de mon être, sans qui je ne serais pas, et ce fondement de mon être est identique au fondement de l'être en général, il est même l'Être, ce sans quoi rien n'est.
Le plus stupéfiant est que ce fondement absolu est en même temps relations ; pas moins que moi, qui connais, pense, ressens, aime, mais plus que moi, en sorte que je ne peux connaître que parce que je suis connu, je ne peux aimer que parce que je suis d'abord aimé. Le premier article du Credo concerne donc une connaissance tout à la fois extrêmement personnelle et extrêmement objective. Une connaissance extrêmement personnelle, découverte d'un Tu qui me donne un sens, auquel je peux me confier sans réserve. C'est pourquoi il ne s'agit pas d'une formule neutre mais d'une prière dans laquelle on s'adresse à Dieu : Je crois en Dieu ‑je crois en toi, je me confie en toi. Quand Dieu est véritablement connu, il n'est pas une chose dont on peut parler comme des nombres imaginaires ou naturels, mais un Tu auquel on parle parce qu'il s'adresse lui‑même à nous. Mais je peux me confier à lui absolument pour cette raison qu'il est lui‑même absolument, parce que sa personne est le fondement objectif de toute réalité. Faire confiance et avoir confiance sont possibles en ce monde comme des réalités motivées, parce que le fondement de l'être est digne de toute confiance‑ si cela n'était pas, tout acte individuel de confiance serait en définitive une farce insignifiante ou une ironie tragique.
Nous faut‑il, après toutes ces réflexions, revenir aux questions du début ? Ces questions recelaient les objections de plus en plus pressantes du marxisme: Dieu n'est pour ainsi dire pas autre chose que le nombre imaginaire inventé par les classes dominantes pour y résumer dans un regard global leur puissance: une image du monde qui se ramène aux concepts de “Père » et de “Toute‑Puissance” et qui exige l'adoration du Père et de la Toute‑Puissance, se présente en fait comme un Credo de l'oppression; seule une radicale émancipation du Père et de la Toute‑Puissance peut faire naître la liberté. ---------- -----