Espagne 4

Darras tome 18 p. 410

 

   54. Les évêques espagnols ne prirent aucune part à la controverse du prédestinatianisme. Une cruelle persécution sévissait alors sur leur patrie. Les rois des Asturies ou de Léon ne se tenaient plus, comme au temps de Pélage, renfermés dans les rochers des sierras. Depuis Alphonse le Chaste, qui, pendant un règne de cinquante ans, avait merveilleusement relevé le courage de ses sujets par une série de victoires, ces anciens chrétiens, autrefois si honteusement opprimés, commençaient à faire trembler leurs oppresseurs. Ils leur avaient enlevé plusieurs villes, entre autres Léon, Tuy, Astorga (816). Les Francs possédaient encore, au-delà des Pyrénées , l’Ibérie orientale ou la Catalogne ; les villes de Barcelone, de Girone,

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p411 CHAP. VIII. — LE PRÉDESTINATlANISME DANS LES GAULES.

 

d’Urgel et d’Elne (aujourd’hui Perpignan), reconnaissaient Narbonne pour leur métropole. Au milieu même de ces montagnes, il s’élevait alors une troisième puissance, à l’exemple de laquelle un grand nombre de héros chrétiens se formèrent bientôt des souverainetés aux dépens des Maures d’Espagne, qu’ils resserrèrent de jour en jour et qu’ils finirent par accabler entièrement. Inigo, comte de Bigorre, se voyant à la merci de ces Barbares, sous le faible gouvernement du fils de Charlemagne, conçut le généreux dessein de se défendre lui-même, et fut reconnu roi par les chrétiens du pays, vers l’an 830. Il se fortifia suffisamment pour laisser, après quelques années de vie et de victoires, un royaume bien établi à son successeur Chimène, qui le transmit de même à son fils Inigo II, prince des plus dignes de ce beau sang, et qui, sans se borner à l’héritage de ses pères, l’étendit au loin, prit la ville importante de Pampelune, donna toute sa fortune et une consistance durable au royaume de Navarre. Telle fut l’origine de cette couronne, l’une des plus illustres comme des plus anciennes de toute celles d’Espagne.

 

   53. Les progrès des armes chrétiennes avaient profondément irrité les Maures. En 850, une persécution, comparable aux plus sanglantes luttes du paganisme contre l’Eglise, désola toute l’Espagne. Alors se renouvelèrent les spectacles d’héroïsme que les martyrs avaient donnés au monde pendant les trois premiers siècles. A Cordoue, le saint prêtre Perfectus fut amené au tribunal du cadi (juge musulman). « Que pensez-vous de Jésus-Christ et de Mahomet? lui demanda le magistrat. — Jésus-Christ, dit le confesseur, est le Dieu béni sur toutes choses. Quant à Mahomet, votre prétendu prophète, c’est un de ces séducteurs dont parle l’Évangile, qui doivent précipiter leurs adeptes dans l’abîme éternel. » Il avait à peine achevé ces mots que, par ordre du juge, on le conduisit dans une plaine voisine de Cordoue, sur les rives du Bétis, où il fut décapité. Isaac, abbé du monastère de Tuban, et plus de trente de ses disciples eurent le même sort. Les vierges Flora, Maria, Liliosa, Colomba, Aura et Nathalie, montrèrent la même constance et reçurent également la couronne du martyre. Saint Euloge, prêtre de Cordoue, qui nous a laissé le récit de leurs souffrances, fut arrêté lui-

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p412 PONTIFICAT DE SAINT LÉON JV (847-855).

 

même et eut enfin part au triomphe de ceux qu’il avait défendus et encouragés toute sa vie (850). Ces scènes de cruautés se renouvelèrent sans interruption pendant soixante ans. Abdérame II, calife de Cordoue, auteur de la persécution, fut frappé de mort subite sur une terrasse de son palais, pendant qu’il repaissait ses yeux de l’affreux spectacle d’une exécution de chrétiens. Ce terrible coup de la vengeance divine n’effraya point Mahomet, son fils et son successeur, qui poussa encore plus loin que son père sa fureur impie. Mais il lui aurait fallu dépeupler ses Etats et ne plus régner que sur un désert s’il eût banni ou mis à mort tout ce qu’il y avait de chrétiens dans son empire. Il se vit obligé de recourir aux évêques pour qu’ils défendissent aux fidèles de se présenter d’eux-mêmes au martyre. Un concile fut tenu à Cordoue (852), pour ce singulier objet; mais l’ardeur et la constance des chrétiens n’en fut point ralentie. Mahomet fut donc obligé, par raison d’Etat, de changer de système et de substituer aux violences sanguinaires une persécution plus sourde. Il s’étudia à étouffer la religion chrétienne sous le mépris public; il ôta aux fidèles toutes leurs charges, les chassa du palais, fit abattre toutes les églises construites depuis l’entrée des Maures en Espagne, et accabla d’impôts tous les adorateurs de Jésus-Christ. Il réserva les tortures et la mort pour les prêtres et les évêques, qu’il continua à mettre à mort, espérant tuer le catholicisme dans ses Etats, en détruisant la perpétuité du sacerdoce.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon