Angleterre 31

Darras tome 26 p. 99

 

§ III État de l'Eglise d’Angleterre.

 

   24. Tandis que l’Eglise de France commençait à dépouiller de compromettants honneurs, celle d’Angleterre continuait à repousser une humiliante et fatale déchéance. Malgré les efforts déployés et les succès obtenus par une série de véritables apôtres, de zélés réformateurs, l’illustre saint Dunstan dans le dixième siècle, le savant et pieux Lanfranc dans le onzième, le grand saint Anselme en dernier lieu, bien des ecclésiastiques du second ordre restaient engagés dans les liens du mariage. C’était là plus qu’un déshonneur, une déviation lamentable ; tous les bons esprit y voyaient la ruine même du ministère sacré. Pour les ramener à l’institution primitive, pour arrêter du moins les progrès de la contagion, de fréquents synodes furent réunis, dans lesquels on prenait de sages mesures, ou lançait de sévères décrets ; mais ni les injonctions ni les anathèmes ne suffisaient à déraciner le mal ; il fallait d’autres sanctions pour triompher des résistances : on eut recours au bras séculier. Henri I ne refusa pas son concours à l’Eglise, montrant la plus vive horreur pour la clérogamic ; comme il s’agissait d’infliger

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aux délinquants de fortes amendes, dont le produit rentrait tout naturellement dans son trésor, il ne pencha pas du côté de l’indulgence ; il en vint même à frapper sans distinction les innocents et les coupables. Ce roi, dont les historiens anglais ont vanté la sagesse et l’habileté, fut un vrai modèle de cupidité, de démoralisation et de barbarie1. Il appartenait à l’école du macédonien Philippe : il aimait mieux employer l’or que le fer pour agrandir ou défendre son royaume, bien qu’en plus d’une occasion il ait fait preuve de valeur sur les champs de bataille. Aucun moyen ne lui répugnait, quand il était question d’acquérir des richesses. Ce n’est pas lui qui pouvait négliger de saisir les revenus des abbayes ou des évêchés, à la mort du titulaire. Nul ne se montra plus ingénieux, à trouver des motifs pour prolonger les vacances. Le siège primatial de Cantorbéry demeura cinq ans inoccupé, depuis saint Anselme, comme si l'on eût désespéré de trouver un successeur à ce grand homme. Le roi cependant en percevait les revenus, moins les frais de la mense des religieux attachés au service de la cathédrale.


   26. L’évêque de Rochester, Ralf ou Raoul y remplissait au besoin les fonctions épiscopales. Cet état ne pouvait pas se prolonger indéfiniment. Pressé par les admonitions et les ordres du Pape, par les réclamations de ses propres sujets et les gémissements d’une Eglise si longtemps plongée dans le veuvage, Henri se décida enfin à réunir un concile à Windsor, dans le but de procéder à l’élection d’un archevêque. Beaucoup de prélats et de seigneurs étaient présents dès le jour de l’ouverture, VI des calendres de Mai, 26 du mois d’Avril 1114. «La volonté du roi, dit Eadmer, témoin oculaire, était que l’Abbé d’Abendon, un italien nommé Fabrice, fut élu. On ne contestait pas son mérite ; mais les vues de quelques hauts barons et de la plupart des évêques se tournaient d’un autre côté: ils désiraient voir élever sur ce siège un prélat anglais, ou bien un clerc de la chapelle Britannique. Le pontificat de Cantorbéry n’était échu qu’à des membres d’un ordre religieux. 11 n’avait existé

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1. John Lingard, Histoire d'Angleterre, chap. x.

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qu’une exception dans le cours de plusieurs siècles, celle de l’archevêque Stigand, qui certes ne devaient pas encourager une seconde infraction à cet antique usage, puisque ce malheureux primat fut déposé par le pape Alexandre, l’an 1070. 0n ne voyait, à l’heure présente, aucune nécessité, aucun prétexte même d’y contrevenir. Comme tous les suffrages semblaient d’abord se prononcer en faveur de l’évêque de Rochester, et chancelaient ensuite devant les considérations émises, Henri, voulant peut-être justifier son surnom de Beau-Clerc, en se mettant au-dessus d’une semblable tradition, ou plutôt agissant en habile politique, déclara tout à coup que c’était là l’homme de son choix. « A cette parole, vous eussiez entendu, poursuit le chroniqueur, un grand nombre d'assistants s’écrier avec enthousiasme : En vérité, Dieu tient dans sa main le cœur du roi ; il l’incline du côté qu’il veut1 » Half était d’un âge avancé et d’une santé débile quand il fut ainsi promu. Né dans la Normandie, il avait embrassé la vie monastique à saint Etienne de Caen, complété son éducation religieuse et littéraire sous le célèbre Lanfranc, et gouverné l’abbaye de saint Martin de Séez. Ayant encouru la haine de Robert, le terrible comte de Bellême, il avait quitté le continent pour se retirer en Angleterre, et s’était mis sous la protection de saint Anselme, qui jugea bientôt devoir l’appeler à l'épiscopat.

 

   27. Ne pouvant se rendre auprès du Pape pour lui faire agréer sa translation et recevoir sa bénédiction spéciale, selon l’usage Chartres consacré, il envoya trois députés à Rome, dans l’espoir qu’ils lui naïf, rapporteraient le pallium -. Saint Ives de Chartres appuya cette demande par une lettre qui nous est restée et dont nous aimons à donner quelques extraits : « A Pascal Pontife suprême, Ives humble serviteur de l’Eglise de Chartres, soumission dévouée comme à son maître. Votre paternité n’ignore pas combien de temps l’Eglise de Cantorbéry, depuis la mort du glorieux archevêque Anselme, a langui dans une triste viduité ; comment le roi d’Angleterre, usur-

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1. Eadmer

2. Malmesh

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pant les biens ecclésiastiques, les a fait servir à des usages séculiers ; avec quelle persistance il a mis obstacle à toute élection. Maintenant enfin, cédant à vos reproches, ainsi qu’aux avertissements réitérés des prélats de son royaume, il a permis à cette Eglise de se donner un pasteur; elle a nommé d’une voix unanime Ralf évêque de Rochester, homme religieux et digne, aussi distingué par son savoir que par ses mœurs. Il voulait se transporter de sa personne, selon les institutions de nos aïeux, auprès du Siège Apostolique ; mais deux raisons l’en ont empêché, ses infirmités corporelles et les périls d’un voyage en Italie. Des personnages recommandables, sous tous les rapports, vous sont envoyés à sa place, pour vous prier de confirmer sa promotion et de lui concéder la dignité du pallium. Mu par un sentiment de charité fraternelle, fort de votre paternelle bonté, osant mêler les conseils aux prières, je viens vous supplier de tendre la main à cette Eglise éprouvée. Si vous n’usiez à son égard d’une sage dispensation, elle retomberait dans le même état déplorable. Les grands ne demanderaient pas mieux que de le prolonger encore et de susciter de nouveaux délais. Nous frappons avec confiance à la porte de la miséricorde ; nous espérons que vous accueillerez avec bonté le suppliant qui se présente ; et vous vous réjouirez d’avoir reçu dans vos bras un fils généreux et fidèle1. »

 

    28. Les députés de l’Eglise de Cantorbéry rencontrèrent cependant bien des obstacles à Rome. L’affaire traînait en longueur ; ils se demandaient même s’ils aboutiraient dans leurs démarches; le découragement les gagnait, lorsque le fils de la sœur de saint Anselme vint les trouver, sous les portiques du palais de Latran. Il se nommait lui-même Anselme, et pendant longtemps il avait habité l’Angleterre, vivant auprès du grand archevêque son oncle. A la mort de ce dernier, il s’était retiré dans la capitale du monde catholique, aimant toujours l’Angleterre comme une seconde patrie. Soit à raison de ces qualités personnelles, soit par considération pour son illustre parenté, le Pape lui témoignait une grande affec-

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Yvon. Episc. carnot. Epist. ccl.

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tion ; il l’avait fait Abbé de Saint-Sabas. Anselme se conduisit à leur égard comme un ami de longue date ; il mit son crédit à leur disposition, et grâce à ses prières, leur demande fut couronné d’un plein succès. Lui-même fut chargé de porter le pallium au nouvel archevêque. C’était une véritable légation que le Pape lui confiait, ce qui ne lui permit pas de partir de suite. Les députés prirent les devants, trouvèrent le monarque anglais en Normandie, lui rendirent compte de l’heureux résultat de leur message, et puis attendirent le légat, pour l’accompagner en Angleterre. Celui-ci portait au roi, qui l’accueillit avec beaucoup d’honneur, une lettre du souverain Pontife, dans laquelle il se plaignait, en termes respectueux mais énergiques, des usurpations contre ses droits et son autorité. Les nonces du Saint-Siège n’étaient pas admis sans une autorisation royale. Pouvait-il tolérer une semblable atteinte à la plénitude du pouvoir spirituel? Les affaires les plus graves et les plus difficiles ne sont jamais déférées à son tribunal. De là bien des ordinations illicites, des translations contraires aux canons, des abus sans nombre. Ceux-là pèchent impunément qui sont établis pour corriger les autres. Pascal se plaint à la fin que l’aumône de Saint Pierre soit tellement négligée que l’Eglise romaine n’en reçoit pas même la moitié 1. A cette lettre en était jointe une autre, écrite à peu près dans le même sens, réclamant contre les mêmes injustices ; le Pape l’adressait à l’Eglise de Cantorbéry, pour régulariser ce qu'il y avait d’insolite et de vicieux dans la promotion actuelle.

 

   29. L’archevêque Half, dont la conscience et la position étaient désormais parfaitement rassurées, reçut le pallium avec la plus grande pompe, le Dimanche 17 Juin 1113. Au milieu d’un immense concours, paraissaient les évêques, les abbés, les barons, tout ce que la province et la capitale comptaient de plus distingués personnages. Les rues étaient richement décorées, la cathédrale resplendissait d’or et de soie. Le légat Anselme, portant l’insigne archiépiscopal dans un vase d’argent, fut solennellement accueilli par

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1 Pascal. Il sum. Pont. Epist cvu.

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les communautés religieuses, à l’entrée de la ville. Accompagné des autres prélats, l’archevêque y vint ensuite, nu-pied, quoique revêtu de ses ornements. Le cortège étant entré dans l’église et le pallium déposé sur l’autel, lui-même alla le prendre, mais non sans avoir renouvelé le serment d’obéissance au Pape ; il le fit ensuite baiser aux asssistants, et, s’en étant revêtu, il monta les degrés de la chaire primatiale ; c’était la prise de possession du siège et le couronnement de la cérémonie1 Dans la même année, 1115, le roi convoqua les évêques et les principaux seigneurs à sa cour. On crut que le nouveau primat avait désiré tenir un concile en présence du légat apostolique, dans le but de confirmer les règlements décrétés dans les conciles antérieurs ou en établir de nouveaux pour la réforme ecclésiastique. L’assemblée se tint à Westminster, le 17 du mois de Septembre. Ce fut un grand conseil, non précisément un concile ; et cependant on y traita des questions relatives aux intérêts des Eglises.

 

   30. Environ deux mois auparavant, l’infatiguable évêque de Préneste, ayant réuni le concile de Châlons et sommé pour la troisième fois les prélats normands de s’y rendre, avait sans hésiter suspendu de leurs fonctions ceux qui n’avaient pas obéi et déposé les plus opiniâtres. Henri, leur souverain temporel, s’était vivement senti blessé par une telle mesure. Il voulait donc avoir là-dessus le sentiment ou l’impression des grands de son royaume, ne doutant pas qu’il n’en fussent révoltés comme lui. Le légat Anselme, présent à cette réunion et n’ignorant pas sur quel terrain délicat et périlleux il s’avancait, y lut une seconde lettre pontificale, où se trouvait rappelée dans tous les points essentiels celle dont nous avons donné plus haut la substance. Pascal II ajoutait : « Comment les évêques d’Angleterre pourraient-ils être confirmés par nous dans leur dignité, quand nous n’avons aucun moyen d’information sur leur conduite ou sur leur science, quand ils fuient l’examen de nos légats et négligent de venir à Rome? Sans notre participation vous tranchez les questions, vous terminez les affaires dont

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1 Eadmer. Hist Novor. loco citato.

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le jugement nous est réservé; vous célébrez des conciles en dehors de notre autorisation : faut-il s’étonner qu’ils restent impuissants contre les abus qui régnent? Si vous consentez à revenir sur vos pas, à laisser intact le pouvoir du Saint-Siège, tel que nous l'ont transmis nos vénérables prédécesseurs, comptez sur notre paternelle bienveillance ; nous vous traiterons comme nos frères et nos enfants bien-aimés. Si vous demeuriez, au contraire, dans votre obstination, nous secouerions contre vous la poussière de nos pieds selon la parole de l’Evangile ; nous vous livrerions au jugement de Dieu, comme vous étant vous-mêmes retirés du sein de l’Eglise catholique. » On comprend quelle émotion devait exciter une semblable lecture, rapprochée des sentences naguère prononcées par Conon. Le roi se plaignait amèrement de l’atteinte qu’on portait sous son règne aux privilèges obtenus par son père le Conquérant, et plus récemment à son frère, dont il était le successeur immédiat, alors qu’il n’avait rien fait pour mériter une telle injure.

 

   31. De l’avis de ses conseillers, il résolut d’envoyer des députés à Rome, dans l’espoir que, mieux éclairé, le Pape lui rendrait justice. Guillaume de Varlwast, évêque d’Exeter, fut mis à la tête de cette ambassade. C’était un vieillard, et de plus il avait perdu la vue ; mais il avait déjà accompli des missions de ce genre1 ; Pascal II le connaissait ; le roi savait combien il était habile et souple. Un an ne s’était pas encore écoulé que l’archevêque de Cantorbéry lui-même, malgré son âge et ses infirmités, prit la résolution de se rendre à Rome. Il était d’abord poussé par le désir d’aller se prosterner aux pieds du Pontife suprême et de recevoir directement ses instructions, tout en accomplissant le pèlerinage ad limina Apostolorum, si cher aux âmes catholiques, et beaucoup plus aux pasteurs des âmes. Il se voyait ensuite dans la nécessité de plaider au tribunal romain les droits de son Eglise. Heuri I venait, dans les premiers mois de cette même année 1116, de faire proclamer héritier de ses états, et spécialement du royaume d’Angleterre, le seul fils légitime qui lui restât, Guillaume duc de Normandie. Il s’était hâté

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i Cf. tom. xxiv de cette histoire, p. 443.

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de lui conférer ce dernier litre, pour donner l’exclusion à son neveu, qui portait également le nom de Guilluame, mais plus connu sous celui de Cliton, et qui représentait les droits de l’infortuné Robert, désormais sans ambition et sans espérance personnelle. « Ce fut le XIII des calendes d’Avril, rapporte Eadmer, que les évêques, les abbés et les princes de tout le royaume furent assemblés de nouveau, sur l’invitation ou plutôt par l’ordre du monarque, pour assister et prendre part à cette proclamation. Il leur communiqua son projet de passer bientôt sur le continent, leur parla de l’incertitude des choses humaines, des accidents surtout qui pouvaient le menacer, et finit par demander leur adhésion à la résolution qu’il avait prise1 . » Nul ne la refusa, on le comprend sans peine ; et cependant le jeune prince n’avait excité jusque-là qu’une profonde et générale antipathie. Il ne dissimulait pas la sienne pour les Anglais. On l’avait entendu prononcer cette parole: « Quand je régnerai sur ces vils saxons, ils traîneront la charrue comme des bœufs. » Ses mœurs n’étaient pas moins ignobles que ses sentiments : il donnait sur les marches du trône l’exemple des vices les plus honteux. Son étrange immoralité devait faire rougir son père lui-même, en déchirant le cœur, en désolant la foi de sa pieuse mère, la noble Mathilde d’Ecosse. On verra plus loin par quel terrible coup Dieu préserva l’Angleterre d’une ignoble et féroce tyrannie.

 

   32. Henri venait d’arriver dans sa bonne ville de Rouen, la capitale de la Normandie, quand Anselme, nommé pour la seconde fois légat en Angleterre, vint se présenter à lui, demandant sa protection pour aller en toute liberté remplir la charge qu’il tenait du chef suprême de l’Église. Ce ne fut pas une légère contradiction pour le roi. Ces pouvoirs extraordinaires délégués à des prélats romains, lui semblait une atteinte aux pouvoirs permanents de l’archevêque de Cantorbery, et presque une dérogation à l’indépendance de sa propre couronne. Il se garda bien néanmoins d’exprimer un blâme formel ou d’opposer une résistance directe. Renfermant dans son cœur le mécontentement qu’il éprouvait, il combla

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1. Eadmer, Hist. Nov. Ibid.

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le légat d’hommages, mais en inventant chaque jour une cause de retard, en élevant incessamment de nouveaux obstacles. Par ses soins, le bruit de cette légation se répandit bientôt en Angleterre, ou les cœurs n'étaient guère mieux disposés; par ses ordres, les principaux barons et les prélats furent réunis en conseil, sous la présidence de la reine Mathilde, afin de parer à cet incident et de détourner le coup sans rompre avec le Pape. C'est là qu’il fut décidé, d’un consentement unanime, que l’archevêque de Cantorbéry se rendrait d’abord auprès du roi, et prendrait ensuite le chemin de Rome, puisque la question le touchait personnellement. Une autre circonstance le pressait d’accomplir ce voyage, et toujours pour la défense de ses droits, dans l’intérêt des prérogatives de son siège. Thomas archevêque d’York, étant mort l’année précédente, l’un des chapelains du roi, fort aimé de ce prince, et nommé Turstin ou Turstan, fut élu par les clercs et le peuple, avec l’approbation du primat; mais, quand celui-ci lui demanda de faire acte de soumission et de dépendance à son égard, le nouvel élu refusa d’une manière péremptoire; plutôt que de subir cette condition, il renvoya la cérémonie de son sacre. Le roi, sachant qu’il s’opiniâtrait par une confiance blessante en sa protection, lui déclara qu’il se soumettrait à l’exemple de ses prédécesseurs, ou qu’il ne serait point archevêque. Turstin ne voulut pas se démentir, et prit le parti d’envoyer de son côté des députés à Rome, pour faire trancher ce débat. Malgré ses résistances et ses prétentions, le chapelain ne devait pas être un ecclésiastique ordinaire, puisque saint Yves crut pouvoir aussi le recommander à la bienveillance de Pascal II. Du reste, il eut bien voulu revenir au dernier moment sur sa détermination ; mais celle du roi fut que l’instance serait suivie à la cour romaine. Henri consentit également au départ de l’archevêque de Cantorbéry; il lui donna pour compagnon de voyage et comme son ambassadeur particulier auprès du Pape l’évêque de Norwich nommé Herbert. Parmi les personnages qui formaient la nombreuse suite de Ralf, nous devons mentionner un disciple de saint Anselme, le moine Eadmer, le célèbre chroniqueur de l’époque.

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   Peu de jours après s’être mis en chemin, n’ayant pas encore traversé la France, le primat fut atteint d’une grave maladie. Nous le retrouvons célébrant à Lyon les fêtes de Noël de cette année 1116. Il venait d’entrer en Italie dans les premiers jours de l’année suivante, qu’il dut encore s’arrêter quelque temps dans la ville de Plaisance, où l’évêque Herbert tombait à son tour dangereusement malade. Celui-ci ne poussa pas plus loin; dès que la crise fut passée il retourna vers sa patrie; tandis que l’archevêque continua son chemin et parvint à Piome. Malheureusement le Pape alors était à Bénévent, comme nous l’avons dit en racontant les derniers mois de la vie du Pontife; et les Teutons occupaient la capitale du monde chrétien. Dans de telles conjonctures, le vieux primat n’osa pas affronter les périls de ce second voyage1; il se contenta d’écrire à Pascal, concernant les affaires religieuses d’Angleterre, en lui témoignant son regret de ne pouvoir rendre personnellement ses hommages au Vicaire de Jésus-Christ, et compléter ainsi son pieux pèlerinage dans la ville sainte. L’empereur Henri V, qui campait aux portes de Rome, désira recevoir à sa cour le prélat anglais, dont il savait la haute position et dont il avait entendu louer le mérite. Half n’accepta cet honneur qu’après avoir obtenu l’autorisation du Pape, qui l’accorda sans difficulté, dans la pensée peut- être que le vénérable vieillard interviendrait utilement et ferait entendre des paroles de conciliation et de sages conseils à l’oppresseur de l’Église. Il fut déçu dans cet espoir, comme dans toutes les démarches qu’il avait faites jusqu’à ce jour. En réponse aux demandes contradictoires des deux archevêques d’Yorck et de Cantorbéry, il adressa deux lettres au roi d’Angleterre, mais qui devaient être communiquées à tous les évêques du royaume. Sans rien décider quant au fond du débat, qu’il réserve pour une époque ultérieure, il se borne à déclarer que l’archevêque élu ne saurait être privé de sa dignité sans un jugement canonique, et qu’il n’appartient nullement au roi d’empêcher ou de suspendre les effets de

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1 « Les satellites de l’empereur, qui pour la seconde fois était venu porter à Rome la terreur de ses armes, assiégeaient tous les chemins. » Willem. Malmesb. De yestia pont. Angl. i.

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l’élection. Malgré tous les obstacles, Turstin occupera le siège d’Yorck et l’honorera par son zèle, aussi bien que par la pureté de sa vie. Il sera loué par saint Bernard1 ; et ce témoignage pourrait au besoin remplacer tous les autres, mais les autres ne manquent pas.

   34. La seconde lettre pontificale, celle qui regarde les immunités de l’épiscopat anglais et les prérogatives de l’Église primatiale, nous croyons devoir la citer : «Pascal évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses vénérables frères les évêques d’Angleterre et à son très-cher fils, l’illustre monarque Henri, salut et bénédiction apostolique. Comme notre bien cher et vénérable frère l’archevêque Ralf se rendait auprès de nous, nous avons appris que vous nous aviez adressé une ambassade que devait remplir le vénérable Herbert, évêque de Norwich. Empêchés l’un et l’autre par de graves maladies, ces frères et coévêques n’ont pu parvenir jusqu’à nous ; mais des messagers honorables et dignes de tout respect nous ont apporté leurs lettres. Nous avons vu là l’objet de vos désirs, en même temps que celui de leur demande. Vous souhaitez donc que de notre temps l’Église de Cantorbéry ne perde rien de ses anciens privilèges; que nous n’amoindrissions ni ne laissions amoindrir la dignité dans laquelle l’établit jadis le bienheureux pape Grégoire par le saint apôtre Augustin. Indépendamment de ce qui nous était signifié dans ces lettres, les délégués, hommes sages et fermes, nous ont exposé de vive voix, avec autant de modération que d’énergie, leurs propres sentiments. Certes nous avons fait un agréable et bienveillant accueil à leurs personnes, à leurs discours, à tout ce qui nous venait de votre part, comme nous venant de frères bien-aimés; et nous désirons que cela vous soit agréable dans le Seigneur. Sache votre dilection qu’il n’entre nullement dans nos pensées de porter la plus légère atteinte à la dignité de

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1 Epist. xcv, ad Turstinuru arehiepiscuut Eboracensem. Voici comment débute cette lettre; il suffit d'en citer les premiers mots : « Splendor operis et opinionis odor bene, ut comperi, in gloria vestra convenerunt. Opinioneiu opns probat nec faisant fuisse nec vacuarrt... quomodo nunc vel maxime cla-ruit zelus justitiee, eminuit et invaluit sucerdotalis vigor... »

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l’Eglise de Cantorbéry. Le bienheureux Grégoire, ce grand pontife du siège Apostolique, nous l’honorons en tout, comme l’un des principaux membres du corps mystique de Jésus-Christ, comme le pasteur et le docteur du peuple chrétien, comme le ministre du salut éternel; et nous ratifions avec amour toutes les institutions qui lui doivent leur origine. Par conséquent, la dignité dont il investit, dans la personne d’Augustin, l’Église deCantorbéry, et qu’a si noblement maintenue notre frère Anselme, de sainte et glorieuse mémoire, nous n’entendons nullement l’amoindrir; nous voulons, au contraire, qu’elle reste en pleine possession des privilèges authentiques qui lui furent concédés, et qu’elle ne soit jamais troublée dans cette possession1

 

   35.. Celte lettre est datée du IX des calendes d’Avril 1117; car les députés furent obligés de séjourner à Rome jusque-là, soit par la mauvaise santé de l’archevêque, soit parce qu’on espérait voir le Pape y rentrer d’un moment à l’autre, sur de faux bruits répandus par les impériaux. Ce fut l’un des derniers actes signés par Pascal II. Quand il vint à la connaissance des Anglais, plusieurs le blâmèrent; ils eussent voulu que le Pape se prononçât d’une manière catégorique et plus prompte, qu’il renonçât formellement au droit d’envoyer des légats en Angleterre, qu’il tint l’archevêque de Cantorbéry pour son légat perpétuel dans cette partie du monde catholique. C’était bien la pensée du roi, ce ne pouvait être celle du Pontife. Dans la sage lenteur de ses jugements, la papauté s’inspire de Celui qu’elle représente: participant à son éternité, elle participe à sa patience. De plus, elle ne pouvait pas se dessaisir d’un droit inhérent à sa mission, chargée qu’elle est de conserver ou de ramener dans le droit chemin toutes les Eglises du monde.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon