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Les Juifs connaissaient mieux le caractère de Saul; ils ne le prirent jamais pour un halluciné. Cependant comme il leur fallait trouver un motif quelconque à sa conversion instantanée, voici celui qu'ils inventèrent; s'il n'est pas plus vrai que celui de nos rationalistes, il est du moins beaucoup plus habilement imaginé : «Paul, disent-ils, né à Tarse d'une famille païenne, était païen lui-même. Venu jeune à Jérusalem, il y passa plusieurs années, rencontra la fille du grand prêtre et se berça de l'ambitieux espoir d'en obtenir la main. Pour y parvenir, il n'hésita pas à se faire prosélyte et à recevoir la circoncision. Malgré ces avances, le pontife lui refusa sa fille et dès lors Paul, dans sa rage, ne cessa d écrire contre la circoncision, le sabbat et la loi de Moïse 1. »
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1 C'est saint Épiphane qui nous a transmis cette calomnie judaïque, dont Ebion et ses disciples s'emparèrent plus tard. Nous croyons utile de reproduire ici ce texte peu connu : 4>aTy.o0o(v aOtèv eîvai "EMrjva, xal 'EUrçviSo;
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5. Tout succédait au gré de l'ambitieux Agrippa. Il n'avait
plus qu'une dernière faveur à obtenir, pour se trouver en possession de l'intégrité du royaume de Judée, dont le premier Hérode avait été investi.
Il fallait déterminer l'empereur à lui céder la province romaine dont Jérusalem était le centre. Les événements ne se prêtèrent point
d'abord à la réalisation de ce vœu, caressé depuis si
longtemps; il lui fallut attendre quatre années et traverser encore une
révolution, avant de l'atteindre. Caligula, qui distribuait si libéralement
des royaumes, voulait obtenir, en retour, les honneurs de la divinité. Après
avoir fait couper la tête à toutes les statues de Jupiter, de Mars et
d'Hercule, dans les temples de Rome, de Grèce et d'Asie, pour y faire
substituer la sienne, il avait donné des ordres semblables à Pétrone,
successeur de Vitellius dans le gouvernement de Syrie, et l'avait expressément chargé de faire ériger la statue du dieu Caligula au
milieu du Temple de Jérusalem. Le gouverneur d’Egypte, Avillius Flaccus, devait prescrire les mêmes mesures à Alexandrie et dans le
reste de sa province. Dès que la teneur du décret impérial fut connue en Palestine, les habitants abandonnèrent leurs travaux et vinrent
en masse se prosterner aux pieds du gouverneur romain, à Ptolémaïs, pour le
supplier de ne pas exécuter un tel ordre. « Si vous persistez à inaugurer
l'image du nouveau dieu, dans le Temple de Jérusalem, disaient-ils, vous n'y
réussirez qu'après nous avoir massacré tous; et la statue de César passera à
travers des flots de sang!» Pétrone eut le bon esprit de ne point pousser à
bout une population exaspérée. Il gagna du temps et trouva moyen de faire
prendre patience au dieu son maître. Avillius Flaccus fut moins prudent, ou
moins heureux, à Alexandrie. La population égyptienne et grecque de cette ville tenait fort peu à une divinité de plus ou
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de moins, elle accueillit d'autant plus volontiers le caprice impérial qu'elle y trouvait une excellente occasion d'assouvir sa haine contre les Juifs. On comptait alors, dans la province d'Alexandrie, un million d'Hébreux 1. Ceux-ci refusèrent unanimement de laisser élever la statue du dieu Caligula dans leurs synagogues. Les Egyptiens et les Grecs envahirent alors les deux quartiers habités par les Juifs, égorgeant sans pitié tous ceux qu'ils rencontrèrent. Le carnage fut horrible. La rage populaire cherchait des supplices plus cruels que la mort, contre cette race abhorrée. On jetait les uns dans des bûchers; d'autres étaient flagellés, jusqu'à ce que toute leur chair fût éparpillée en lambeaux. Après ces scènes de barbarie, on mit le feu à toutes les synagogues, et, sur leurs cendres fumantes, on dressa les statues impériales. Les Juifs qui survécurent au massacre furent chassés de leurs anciens quartiers, et entassés dans le coin le plus infect de la ville, avec défense d'en sortir.
6. Au moment où ces nouvelles parvenaient à Rome, Caligula rentrait triomphant d'une expédition militaire en Germanie, dans les Gaules et la Grande-Bretagne. Il avait cherché partout des ennemis et n'avait rencontré que des populations empressées à reconnaître l'autorité des aigles romaines. La colère du dieu empereur fut à son comble, quand il apprit que les Juifs refusaient d'adorer ses images. Hérode-Agrippa eut besoin de toutes les ressources de son imagination, pour calmer les premiers transports de cette divinité outragée, et l'empêcher de signer une sentence de proscription universelle contre la race juive. Cependant une enquête fut ouverte sur les événements d'Alexandrie. Les Hébreux de cette ville envoyèrent à Rome cinq députés, chargés de fléchir la colère de César et d'obtenir justice de l'inaction du gouverneur d'Egypte, qu'on rendait responsable de tout le sang versé. Le chef de cette ambassade fut le célèbre philosophe juif, Philon. De leur côté, les habitants d'Alexandrie, de concert avec le gouverneur romain, faisaient partir, sous la conduite d'Appion, des députés qui devaient rejeter tout l'odieux des derniers événements
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1. Philo, In FIuxo, tom. Il, pag. 523..
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sur les Juifs, et disculper la population égyptienne. Cette double légation fut admise en présence de Caligula. « An premier abord, dit Philon, nous pûmes nous convaincre, en observant le visage et l'attitude de l'empereur, que nous avions en lui un ennemi déclaré, non un juge. Pour examiner une cause dont les griefs, remontant à quarante années d'oppression silencieuse, allaient enfin pouvoir se produire; quand il s'agissait du sort de tant de milliers de Juifs, fixés à Alexandrie, un juge aurait pris place sur son tribunal, il se fût entouré d'un conseil de ministres. Les deux parties, citées à son tribunal, auraient eu successivement la parole ; la clepsydre officielle eût mesuré leurs discours. Après les avoir entendues, le juge en aurait conféré avec ses assesseurs, et la sentence, publiquement rendue, aurait porté les caractères et les formes de l'équité légale. Mais Caligula, le sourcil froncé, nous apparut comme un odieux tyran. Aucun appareil de tribunal, dans son audience. Il s'entretenait avec deux intendants des jardins de Mécène et de Lamia, voisins de Rome. Il y était en villégiature, depuis trois ou quatre jours, et voulait passer l'inspection des bâtiments. On venait de les ouvrir tous, et il commençait cette promenade d'architecte, quand nous fûmes introduits. Tomber à ses pieds, l'adorer humblement, et le saluer des noms d'Auguste et d'Imperator, fut notre premier devoir. Sa réponse nous fit trembler, non plus pour la cause elle-même, mais pour notre vie. Il nous dit, avec un ton d'effroyable sarcasme : N'êtes-vous pas ces mortels, exécrés des dieux, qui outragez ma divinité, reconnue par tout l'univers, et me préférez je ne sais quel être, dont vous ignorez même le nom? — Levant ensuite les mains au ciel, il éclata en blasphèmes. J'ai dû les entendre, mais je ne pourrais les transcrire, sans me rendre coupable de sacrilège. Nos adversaires triomphants comprirent que leur cause était gagnée. La joie rayonnait sur leurs visages; ils s'approchèrent à leur tour et acclamèrent l'empereur, en lui prodiguant tous les titres et tous les surnoms qu'on donne aux dieux. Ces hommages, qui excédaient sans mesure la portée d'une nature, humaine, furent agréés. Le vil sycophante Isidore 1, encouragé par
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1. C'était un des membres de la légation opposée.
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ce bon accueil, prit la parole : Seigneur, dit-il en nous montrant, vous détesteriez bien davantage encore ces hommes et toute leur race, si vous connaissiez leur impiété et leur haine contre vous! Pendant que les Alexandrins offraient des victimes, pour le rétablissement de votre santé, seuls, ces hommes ne firent point de sacrifices. Quand je dis ces hommes, je parle de tous les Juifs. — Une protestation unanime contre ce mensonge s'échappa de nos lèvres. Seigneur Caïus, dîmes-nous, c'est là une horrible calomnie! Nous avons immolé pour vous des hécatombes; leur sang a coulé sur nos autels; nous n'en avons point rapporté la chair dans nos maisons, pour nous livrer à de joyeux festins, comme d'autres l'ont fait ; mais nos victimes furent tout entières consumées par le feu. Trois fois nous avons renouvelé ces sacrifices : la première, lors de votre avènement à l'empire; la seconde, à l'époque où vous avez échappé à cette grave maladie qui consterna l'univers; la troisième, lors de votre triomphe sur les Germains. — Soit, dit l'empereur. Vous avez offert des sacrifices, mais à un autre, non à moi. Quel honneur m'en est-il revenu? Ce n'est pas à moi que vous avez sacrifié ! — A cette interpellation foudroyante, le sang se glaça dans nos veines. Cependant l'empereur continuait son inspection, parcourant les galeries, les salles, les appartements les plus secrets, notant les défauts qu'il rencontrait sur son passage et indiquant les améliorations qu'il voulait faire. Nous le suivions, montant ou descendant les escaliers, serrés de près par nos adversaires, qui ne nous épargnaient ni les railleries ni les outrages. C'était une scène d'histrions. Tout-à-coup, s'interrompant au milieu des ordres qu'il donnait, l'empereur se retourna vers nous et nous demanda gravement : Pourquoi ne mangez-vous pas de chair de porc? — Cette question provoqua de bruyants éclats de rire au milieu de nos adversaires, moins encore pour ce qu'elle avait de plaisant que par l'occasion qu'elle leur offrait d'applaudir aux facéties du jovial despote. Quoi qu'il en soit, leur hilarité choqua même les courtisans du prince, qui savaient qu'un sourire devant César pouvait coûter la vie, et que Caligula le permettait à peine à ses familiers les plus intimes. Nous essayâmes de répondre: Chaque peuple, disions-
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nous, a ses coutumes diverses. Nos adversaires ont eux-mêmes des aliments qui leur sont interdits. Il y a des nations qui regardent comme un sacrilège de manger la chair des agneaux. — César nous interrompit, en riant, et nous dit : Vous faites bien de ne pas manger de porc; cette viande est détestable ! — Ainsi il se jouait de nos terreurs. Quelques instants après, il reprit, d'un ton de colère : Je voudrais savoir à quel titre vous réclamez un droit de cité dans Alexandrie! — Nous commençâmes aussitôt une réponse catégorique. Il s'aperçut que nous alléguions des raisons péremptoires et que nous entamions une discussion sérieuse. Sans vouloir davantage nous entendre, il se précipita tout-à-coup dans la galerie principale, et, la parcourant à grands pas, de droite et de gauche, il ordonnait à ses intendants de remplacer les pierres translucides, qui étaient à chaque fenêtre, par des vitres blanches. Puis revenant lentement vers nous : Que dites-vous? demanda-t-il. — Nous essayâmes encore de résumer les observations que nous avions à faire valoir, mais il courut à une pièce voisine, où il fit mettre en place des tableaux anciens. Il nous fallut renoncer à achever un discours entrecoupé de la sorte. Harassés, sans espoir, n'attendant plus que la mort, et dans une inquiétude qui nous laissait à peine notre présence d'esprit, nous nous remîmes simplement entre les bras du Dieu véritable, le suppliant de nous délivrer des fureurs de ce faux dieu. Le Seigneur eut pitié de nous. Caïus sembla un instant oublier sa colère: Ces hommes, dit-il, me semblent plus malheureux que coupables. Insensés, qui ne veulent pas croire à ma nature divine !— Ce fut ainsi qu'il nous congédia '. »
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§ IX. Les Juifs et l'empereur Claude.
61. Saint Pierre continuait à évangéliser la ville de Rome. Grâce à ses prédications, le nom du Christ devenait un sujet d'ardentes controverses, dans les synagogues. La puissance impériale, dont Claude avait le titre, était alors réellement exercée par trois affranchis , Pallas, Narcisse et Calliste, portant encore , dit Tacite, les traces du fouet qui meurtrissait naguère leurs épaules, et se vengeant sur le monde entier du mépris dont ils étaient l'objet. La province de Judée, livrée comme une proie à leurs créatures, changea quatre fois de main, en dix ans. Cuspius Fadus, le premier de ces fonctionnaires, eut à réprimer la révolte de Theudas. Tibère-Alexandre, apostat juif, successeur de Fadus, fit crucifier à Jérusalem les chefs du parti des zélotes, Jacques et Simon. A l'arrivée de Ventidius Cumanus, successeur de Tibère-Alexandre, l'effervescence populaire était au comble. Un soldat romain, de garde à la porte du Temple, un jour de grande solennité, se permit en public un acte d'indécence révoltante. A l'instant, la foule éclata en excès de fureur. Ventidius fit avancer sa cohorte ; et les massacres d'Hérode l'Ascalonite se renouvelèrent, dans la malheureuse cité. A quelques jours de là, un esclave de l'empereur sortit de Jérusalem, emportant un riche butin, dérobé dans le désordre de l'émeute. On l'arrêta, dans la campagne voisine, et on le renvoya complètement dépouillé. Les troupes romaines, pour venger cette injure, reçurent l'ordre de piller tous les villages environnants. Dans cette expédition, un soldat livra publiquement aux flammes un exemplaire de la loi juive. A la nouvelle de cet attentat, la rage des Hébreux ne connut plus de bornes. Sur ces entrefaites, on ap-
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prit qu'un Galiléen, se rendant à la Ville sainte, avait été mis à mort sur le territoire de Samarie. Ventidius, sommé de punir les meurtriers, s'y refusa; et bientôt la Galilée se souleva tout entière, prit les armes, et, sous le commandement d'un chef nommé Êléazar, vint assiéger Samarie. Le procurateur romain accourut, avec une aile de cavalerie et quatre cohortes, surprit ces troupes indisciplinées, et noya la révolte dans le sang. Cependant une députation, composée du grand prêtre Ananias et du capitaine du Temple, se rendait à Rome, pour implorer la clémence ou la justice impériale. Pallas voulait donner à son frère Félix le gouvernement de la Judée. Cette circonstance fut favorable aux négociateurs juifs. Une sentence d'exil fut prononcée contre Ventidius, et le frère du favori alla prendre, à Jérusalem, la place devenue vacante par cette révocation. L'insurrection, comprimée pour quelques instants, n'y était pas éteinte. » Les hommes de tête et d'action, parmi les Juifs, selon la remarque de M. Salvador, avaient conçu leur révolution libératrice sur une base assez large. Quand la guerre de Judée éclata, dit Josèphe, les Romains étaient travaillés par leurs discordes intérieures. Les Gaules, qui confinent à l'Italie, s'agitaient; les Celtes se montraient impatients du joug. Après la mort de Néron, les troubles, jusque-là partiels, prirent un caractère d'universalité. Dans ces conjonctures, les Juifs les plus distingués par leur courage et par leurs richesses voulurent arriver à un ordre de choses nouveau. Ils provoquèrent le soulèvement de toute notre nation. Dans la grandeur du tumulte, leur espoir était de se rendre maîtres de l'Orient. Les Romains, de leur côté, craignaient de perdre ce fleuron de la couronne impériale 1. » L'histoire de l'Église doit noter ces incidents caractéristiques, qui préparaient la catastrophe solennellement annoncée par le Sauveur. Pendant que les Juifs se berçaient dans ces rêves d'indépendance, et se flattaient de ressaisir un jour le sceptre de l'Orient, des lettres, couronnées de lauriers, apprenaient au César Claude, que les aigles romaines venaient de triompher en Grande-Bretagne, et que Caractacus, le héros de la
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1. Salvador, Dotnin. Rom. en Judée, tom. I,pag. 491: Joseuh.. De Bell, jtirf., (...•■cefat., pag. 48.
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résistance, dans cette île lointaine, était prisonnier de guerre. Or, parmi les soldats de cette expédition, se trouvait un jeune guerrier qui faisait là ses premières armes. Son nom de Vespasien était encore obscur. Jérusalem devait le connaître plus tard.
62. L'attitude des Juifs de Jérusalem se reflétait nécessairement dans celle des Juifs de Rome. Nous comprenons donc que les dispositions du gouvernement impérial, à leur égard, ne devaient pas être Fort bienveillantes. Ainsi s’explique l'édit de bannissement, porté contre eux par l'empereur Claude. « Il chassa de Rome, dit Suétone, les Juifs qui s'agitaient sans cesse, sous l'impulsion du Chrest1. » Cette brève indication d'un historien romain, ne prenant pas même la peine d'apprendre la vraie prononciation du nom du Christ2, place l'empereur Claude au nombre des persécuteurs de l'Église. Eut-il conscience de l'acte que ses favoris lui firent accomplir? Connut-il, au moins de nom, Pierre, le chef d'un empire plus puissant que celui des Césars? Nous sommes réduits sur ce point à de simples conjectures. La race juive, vouée au mépris populaire, avait été plusieurs fois l'objet de mesures semblables, au sein de Rome. La police impériale ne se préoccupait vraisemblablement guère d'examiner à fond les doctrines controversées dans l'intérieur des synagogues. Les Juifs de Rome se soulevaient contre saint Pierre prêchant le Christ, de même que ceux d'Iconium et de Lystres se déchaînaient contre Paul et Barnabe. L'ordre public était troublé. Chrétiens et Juifs furent chassés, sans distinction, ni choix. Le prince des apôtres quitta donc, pour quelque temps, la future capitale du royaume de Jésus-Christ. Le premier, il entra dans cette route de l'exil, que tant de papes eurent à parcourir après lui. La dispersion de la chrétienté naissante eut pour résultat direct de jeter en Gaule une légion d'apôtres. « L'empereur, dit encore Suétone, venait d'abolir, dans cette contrée, l'exercice du culte barbare et sanguinaire des Druides, qu'Auguste n'avait interdit que pour les citoyens. A la même époque, il permit aux députés ger-
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1 Sueton., Claud., xxv.
2. chrest. Les païens persistèrent longtemps encore à prononcer Ils faisaient, ainsi que nous l'apprend Tertullien, dériver ce mot de Xpès-tos, Utile.
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mains de s'asseoir à l'orchestre, quand il vit avec quelle simplicité et quelle confiance ces envoyés, qu'on avait laissés confondus dans la foule, étaient allés d'eux-mêmes se placer à côté des ambassadeurs parthes et arméniens, assis au rang des sénateurs, disant qu'ils ne leur étaient inférieurs ni en noblesse ni en courage 1. » Les Gaulois et les Germains, nos pères, fixaient donc l'attention de Rome, au moment où l'exil de saint Pierre et de ses disciples ouvrait une carrière nouvelle au zèle apostolique. Il y a lieu de s'étonner que ces rapprochements, fournis par l'histoire profane, n'aient jamais été relevés, dans la discussion relative à l'origine de nos Églises. Fortunat les connaissait sans doute, quand il disait, avec un sentiment de fierté chrétienne et nationale : « Terre des Gaules, applaudis à ta propre gloire ! Rome t'envoie le salut. La splendeur apostolique visite les Allobroges2. »
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4. Pour l'honneur de notre race, il faut dire que l'histoire a flétri unanimement ce monstre à face humaine, qui régna pendant quatorze ans sur le monde. A l'époque même de la révolution française, quand de stupides républicains croyaient faire une profession de foi démocratique en prenant les surnoms impériaux de Caligula, de Titus et de Caracalla, il ne s'en trouva point qui ait eu l'ignoble courage de se faire appeler Néron. Ce mot est resté, dans toutes les langues, le synonyme de la férocité bestiale et de la lâcheté humaine, dans une alliance qui semblait réaliser l'idéal du vice et de l'infamie. Quel contraste entre les deux souverainetés qui se disputaient alors l'univers ! Le premier des papes en présence du plus hideux des empereurs, Pierre et Paul en face de Néron! Le salut du monde vis-à-vis de l'horreur du monde ; le ciel d'un côté, l'enfer de l'autre; voilà le grand spectacle qui remplira la der-nière période du siècle apostolique ! Par une bizarre coïncidence, la famille des Hérodes dut presque toute sa fortune aux plus mau-vais empereurs. Caligula avait couronné Agrippa Ier. Néron se montra généreux envers Agrippa le Jeune; il ajouta à la souveraineté de ce prince la Galilée, avec les villes de Tibériade et de Tarichée, et la province de Juliade, sur la rive occidentale du Jourdain, avec les quatorze cités qui la composaient. Cette libéralité en faveur d'un roi juif arrêta, sous la plume de Josèphe, les malédictions que le nom seul de Néron réveille dans la conscience de tous les historiens. « Je n'insisterai pas, dit Josèphe, sur les crimes de Néron. Assez d'autres auteurs ont écrit sur ce sujet. Les uns, comblés des
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p9 CHAP. IV. — SYNCHRONISME.
bienfaits de ce prince, n'ont guère tenu compte de la vérité. Les autres, emportés par la haine, se sont rués sur sa mémoire, avec l'impudence du mensonge et de la fureur. L'histoire doit les flétrir. Pourquoi s'étonner d'ailleurs qu'on ait calomnié Néron, quand on n'a pas même respecté la vie des empereurs qui l'ont précédé? Les chroniqueurs, nés bien longtemps après la mort de ces princes, n'avaient cependant aucun motif légitime de poursuivre leur mémoire. Mais laissons à des pamphlétaires la liberté d'écrire ce qui leur plaît. Pour nous, sans autre souci que de dire la vérité, il nous suffit de toucher légèrement les faits du monde romain qui ont un rapport plus direct avec l'histoire juive ; nous ne voulons pas nous y appesantir 1. » Ce jugement de l'historien hébreu sur Néron nous fait comprendre à quel degré d'abaissement le niveau religieux et moral était tombé en Palestine. Un prêtre de Jérusalem n'osait pas, sous Titus, assumer la responsabilité d'un verdict sévère contre un monstre jadis couronné; il croyait devoir faire des réserves et plaider les circonstances atténuantes en faveur de Néron !
5. La politique romaine n'était point invariable dans les moyens quoiqu'elle le fût toujours dans le but. Claude avait banni les Juifs et les chrétiens de Rome ; le nouveau César les y laissa rentrer. Un fait du même genre avait eu lieu après la mort de Tibère. Le prince des apôtres put donc revenir dans la capitale du monde, où nous le suivrons bientôt. Il importe auparavant de connaître la situation politique et religieuse de Jérusalem, à cette époque de transition qui devait amener la catastrophe finale. Nous emprun-tons à Josèphe le tableau des dissensions intestines de sa patrie. « Les événements, dit-il, se précipitaient vers une ruine. La Judée était pleine de brigands qui parcouraient les campagnes, et de magiciens qui trompaient le peuple par leurs impostures. Chaque jour le gouverneur Félix s'emparait de quelques hommes de ce genre et les livrait au supplice. Éléazar, fils de Dina, chef d'une troupe nombreuse, tomba vivant au pouvoir du procurateur. On lui avait promis la vie sauve ; il se livra donc avec bonne foi au
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1. Joseph., Antiq. jud., lib. XX, cap. V, §40.
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p10 PONTIFICAT DE SAINT PIERRE (33-66).
gouverneur, qui le fit charger de chaînes et conduire à Rome. Félix nourrissait un ressentiment profond contre le grand prêtre Jonathas, qui lui reprochait souvent les vices de son administration. Or c'était Jonathas qui avait sollicité de l'empereur Claude la nomination de Félix au gouvernement de Judée. Le grand prêtre eût voulu trouver dans le magistrat romain plus de vigilance, de fer-meté et de justice. Ses récriminations continuelles outrèrent Félix qui songea aux moyens de se débarrasser d'un censeur importun. Jonathas avait pour intime ami un habitant de Jérusalem nommé Dor, auquel Félix promit une grosse somme d'argent, s'il voulait l'aider à assassiner le grand prêtre. Dor accepta. Des sicaires, soudoyés par le traître, se rendirent à Jérusalem, sous prétexte d'y offrir un sacrifice au Seigneur. Dissimulant leurs poignards sous leur tunique, ils se mêlèrent au cortège du pontife et le frappèrent d'un coup mortel. Les auteurs du crime ne furent même pas recherchés. Encouragés par l'impunité, les sicaires prirent l'habitude, à chaque solennité, d'entrer dans la ville et de poignarder leurs victimes, non-seulement dans l'enceinte de la cité, mais dans les parvis mêmes du Temple. Il suffisait qu'un homme fût désigné à leur vengeance, soit par une haine particulière, soit par une infâme cupidité, pour le voir périr sous leurs coups. La majesté du lieu saint n'arrêtait point ces bras sacrilèges. Hélas ! ce fut sans doute en punition de tels attentats que Dieu prit en horreur la cité de Jérusalem ; qu'il permit aux flammes allumées par les soldats romains de dévorer son Temple; et qu'il fit peser sur tout notre peuple, hommes, femmes et enfants, le joug de la plus cruelle servitude ! Tel était le lamentable état de la cité. Cependant des im-posteurs et des magiciens entraînaient la foule aux déserts, promettant des prodiges et des miracles qui manifesteraient leur vocation divine. Les multitudes se laissaient séduire; mais l'événement ne tardait pas à renverser leurs espérances. Les malheureux, forcés de revenir à leurs foyers, tombaient sous le pouvoir du gouverneur Félix, qui les envoyait à la mort. Vers cette époque, un Égyptien, qui se disait prophète, arriva à Jérusalem. Il eut assez d'empire sur le peuple pour le déterminer à quitter la ville et à
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p11 CHAP. IY. — SYNCHRONISME.
se retirer sur la montagne des Oliviers. A un signal que je donnerai, disait-il, les murailles de Jérusalem, tombant d'elles-mêmes, écraseront les Romains, et nous rentrerons en vainqueurs dans la cité sainte. Cependant Félix avait réuni toutes ses cohortes, il se jeta à leur tête sur cette multitude fanatisée, quatre cents personnes furent tuées, et deux cents prisonniers tombèrent vivants entre ses mains. L'imposteur alexandrin réussit à s'échapper pendant le combat et ne reparut plus. Ces revers ne découragèrent point les rebelles. Le mot d'ordre des brigands, sur tout le territoire, était l'insurrection contre Rome, dont il fallait, disaient-ils, secouer le joug et renverser l'empire. Les bourgades qui refu-saient d'entrer dans leur ligue étaient impitoyablement livrées aux flammes 1. »