St Loup, St Rémi et une lettre

Darras tome 13 p. 372

 

   22. Les invasions de barbares amenaient sur le sol ancien, conqui une première fois par l'Évangile, de nouvelles générations à convertir. L'Église se montrait partout à la hauteur des circonstances. Les Gaules comptaient alors presque autant de saints que d'évêques : Saint René, successeur de saint Maurille, à Angers, saint Perpetuus à Tours, saint Léon à Bourges, saint Victor au Mans, saint Euphrone à Autun, ont laissé une mémoire immortelle. Parmi cette glorieuse phalange d'apôtres et de docteurs, Loup de Troyes brillait, disent les chroniqueurs, « comme un soleil de doc­trine ot de sainteté. » On le consultait de toutes parts, et ses décisions

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p373  CHAP.  V, — HAGIOGRAPHIE CONTEMPORAINE.     

 

étaient reçues comme des oracles. Il nous reste de lui une lettre ré­digée collectivement avec saint Euphrone d'Autun, en réponse à diverses questions ecclésiastiques qui leur avaient été soumises par Thalassius, successeur de saint René sur le siège épiscopal des An-degavi (Angers). Voici ce monument précieux pour l'histoire de la liturgie et de la discipline des Gaules au Ve siècle. «Au seigneur saint et vénérable, au très-bienheureux évêque Thalassius, Lupus et Eu­phrone ses frères et collègues. — Nous avons pris connaissance du mémoire que vous nous avez fait transmettre par le sous-diacre Archontius, et nous adressons à votre sainteté les solutions qu'elle nous demande. La vigile de Noël se célèbre d'une manière différente de celle de Pâque. Dans la première, les leçons doivent être tirées de l'histoire de la nativité; dans la seconde, du récit de la passion. La vigile de l'Epiphanie a de même un office particulier. Ces vigiles se prolongent d'ordinaire ou toute la nuit, ou du moins jusqu'au point du jour, excepté celle de Pâque qui ne dure pas aussi long­temps. Dans cette dernière, les leçons des divers livres de l'Écri­ture doivent être choisies parmi les figures ou les prophéties de la passion. Aucune autre règle ne détermine ces lectures. Chaque évêque a la liberté de les prendre dans l'Ancien et le Nouveau Tes­tament, et de les répartir à son gré comme intermèdes à la psal­modie et aux chants. L'Eglise permet les secondes noces pour les ostiarii (portiers) ; chaque évêque est donc libre d'appliquer ou non cette tolérance; mais les secondes noces sont absolument interdites aux exorcistes et aux sous-diacres. Au reste il serait plus conve­nable de n'admettre aucun homme marié dans les rangs de la cléri-cature inférieure. Quant à notre pratique particulière, à Autun, le portier qui veut passer à de secondes noces est déposé de sa charge. En ce qui concerne les exorcistes et les sous-diacres, nous leur in­terdisons absolument le mariage. Les sous-diacres se donnent réci­proquement le baiser de paix dans le sanctuaire; jamais à l'autel, dont ils ne doivent approcher que pour donner la palle au diacre, ou la recevoir de lui 1. »

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1. S. Lup., Epist. n; Pair, lai., tom. LY1H, col. 66-68.

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p374        POKTIFICA.T DE  SAINT HILAIRE   (461-467).

 

   23. Vers ce temps (459), le vénérable Bennagius, évêque de Reims, mourait, laissant tous ses biens patrimoniaux à son église, ReijBf. pro refrigerio sui, disent les actes. « Dieu lui réservait, ajoutent-ils, un successeur qui devait être la lumière des nations. Remigius (saint Rémi), le noble fils d'AEmilius et de Célinia 1, ce fruit de bénédiction dont la naissance avait été prédite par un saint et accompagnée de prodiges, vivait alors dans la solitude qu'il s'était choisie au pagus Laudunensh (Laon). Il n'avait que vingt-deux ans, mais déjà sa réputation de sainteté et de science était universelle dans les Gaules. Le clergé et le peuple de Reims, assemblés pour élire un évêque, acclamèrent tout d'une voix Remigius. Parmi tant de fidèles de tout âge, de tout sexe, de toute condition, il ne se produisît pas un seul vote discordant. Les acclamations furent spontanées, una­nimes, irrésistibles. Tous disaient : Il est digne ! C'est l'élu de Dieu ! Il sera notre père ! On courut en foule à sa cellule. Remi­gius, ignorant ce qui venait de se passer, n'eut pas le temps de fuir. Fondant en larmes, il supplia ce peuple d'avoir pitié de son ado­lescence. Il protesta contre la violation des règles ecclésiastiques qui ne permettaient point d'ordonner un évêque si jeune. Enfin il déclara qu'on pouvait lui faire violence, mais qu'il n'accepterait pas la dignité qu'on voulait lui imposer. En ce moment, il plut à la toute-puissance de Dieu de manifester que l'élu du peuple était aussi le sien. On dit qu'une auréole lumineuse descendit du ciel sur la tête du saint, et que sa chevelure parut tout imprégnée d'une huile miraculeuse, pareille à celle qu'on emploie pour l'onction des pontifes. La résistance du solitaire fut dès lors inutile. La foule l'amena en triomphe à Reims ; les évêques procédèrent à son sacre, au milieu des acclamations et des transports de joie de toute la province. Le jeune évêque dépassa toutes les espérances. Il se montra prodigue d'aumônes, assidu aux veilles, persévérant dans la prière, consommé dans la charité, éminent en sainteté et en doctrine. Son visage reflétait la pureté de son âme, sa parole gagnait tous les cœurs. Sa vue seule faisait rentrer les pécheurs en eux-mêmes et encourageait les justes. Aussi l'on disait qu'il avait pour

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1 Cf. chap. ii, n° 38 de ce volume.

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p375  CHAP.  V.  — HAGIOGRAPHIE  CONTEMPORAINE.

 

les fidèles le regard plein de douceur de saint Pierre, et pour les coupables la majesté terrible de saint Paul. L'empire qu'il exerçait sur les hommes s'étendait jusqu'aux êtres sans raison. Plus d'une fois on vit les passereaux des campagnes l'entourer dans ses ex­cursions, et se reposer sans crainte sur ses épaules. Il leur distribuait les miettes de sa table et ils venaient les manger dans sa main. Dans l'une de ses premières visites pastorales, au vivus de Calmisiacum (Chaumuzy) 1, il rendit la vue à un aveugle. La vierge Celsa, qui vivait dans un monastère situé à Celtum (Gernay), voulut avoir l'honneur de recevoir le saint évêque et sa suite. Mais elle se déso­lait de ne pouvoir offrir de vin à ses hôtes, parce qu'elle en man­quait. Remigius envoya le cellerier puiser à un tonneau vide, et le miracle des noces de Cana se renouvela en ce jour. Reims vit ac­courir à son nouveau thaumaturge les multitudes qui affluaient à Auxerre, au temps de saint Germain. On cite une jeune fille de Tou­louse que ses parents amenèrent du midi de la Gaule, priant le saint évêque de chasser les esprits du mal qui la tourmentaient depuis sa première enfance. La malheureuse démoniaque fut délivrée. Une nuit, pendant que Rémi était en prière, selon sa coutume, dans la basilique du bienheureux martyr Nicasius, un incendie éclata dans la cité. Le feu fit des progrès si rapides qu'en peu d'instants il enva­hit un tiers des habitations. Le saint évêque fit sur lui-même le signe de la croix et s'élança au milieu du brasier. Il pénétra dans cette fournaise ardente, et à mesure qu'il avançait, traçant à droite et à gauche le signe du salut, les flammes s'éteignirent2. » Tel était, au début de son épiscopat, dans la cité gallo-romaine de Reims, le futur apôtre des Francs.

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1 Chaumusy est maintenant un bourg du département de la Marne, à  trois lieues et demie sud-ouest de Reims.

2. Flodoard, Hist. eccles. Rem., lib. I, cap. x-Xlli Patr. lat., tom. CXXXV, col. 43-49 pass.

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