Léon XII et les Francs-Maçons 1

Darras tome 40 p. 299

 

12. Pour venir à l'action générale du règne, ajoutons que Léon XII, voyant s'agiter partout les éléments de l'ordre social, travaillait avec calme comme le lion. Environné de complots, bien décidé à y tenir tête, il s'était fait, dès la première heure de son règne, une occupation incessante de rendre les gouvernements attentifs aux œuvres de désordre qui se tramaient partout. La crise européenne n'était plus dans la guerre ; elle trouvait son point de résistance dans les mauvais livres et se propageait par les mauvaises doctri­nes. Le principe de l'éducation nationale et populaire était vicié ; le principe de la liberté constitutionnelle, admis jusqu'à la licence et surtout pour son profit, ne pouvait produire à la longue que les fruits amers de révolutions nouvelles. Un observateur attentif eût pu déjà discerner, dans les conditions de gouvernement politique, des signes avant-coureurs d'un branle-bas, que nous verrons plus tard amener un cataclysme.

Les premiers soins du souverain pontife, après son couronne­ment, avaient été de passer en revue toutes les branches de l'ad­ministration romaine. Léon XII avait établi une congrégation permanente pour les affaires de l'État et de l'Église,  congrégation

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dont il se réserva la présidence, et dans laquelle il fit entrer le cardinal della Somaglia, secrétaire d'État à la place de Consalvi. Ce fut, du reste, de la part de Léon XII, a-t-on dit, une faute que d'éloigner des affaires un homme qui, malgré son grand âge, était encore capable d'y répandre de vives lumières. Consalvi ne survé­cut pas à ce qu'on a appelé sa disgrâce, expression qui n'a pas de sens dans l'Église, et qui ne pouvait en avoir ni pour Consalvi ni pour Léon XII. Léon XII, en effet, avait consulté Consalvi et reçu de lui les meilleurs conseils ; et Consalvi était de ceux qui des­cendent du pouvoir, mais sans avoir le moyen d'en tomber.

 

Le brigandage, dans les environs de Terracine et de Sonino, ainsi que dans les forêts voisines de Viterbe, était né d'une longue occupation militaire et s'entretenait par le concours de la Char-bonnerie. L'état du pays et ses vieilles mœurs y aidaient encore. Léon XII, qui avait le cœur bon et la main rude, jugea nécessaire d'envoyer le cardinal Poletti, en qualité de légat à latere, chargé de publier un édit sévère, qui changerait complètement le système de ménagements suivi jusqu'alors ; aux termes de la nouvelle loi, il n'y avait plus ni amnistie ni commutation de peines pour les brigands, qui seraient condamnés à mort, et leurs biens confis­qués ; les communes devraient garder leur territoire, et, pour cha­que acte de brigandage, payer une amende de cinq cents écus ; tous les pouvoirs seraient concentrés entre les mains du cardinal-légat, chargé de nommer des podestats et des lieutenants. Le bri­gandage, grâce à cet édit de terreur, peu à peu disparut.

 

Les Jésuites étaient en butte à des hostilités sans nom. Léon XII ne se dissimula pas que de semblables agressions faisaient déses­pérer du terme où pourraient s'arrêter la bassesse humaine et la lâcheté publique. Bien que le pontife eût cru avoir, comme cardi­nal, quelques motifs de se plaindre de la célèbre Compagnie, une fois pape, il n'hésita pas à lui confier un collège à Tivoli, le collège romain, le Musée, la Bibliothèque et l'Observatoire. En 1824, pour couronner son œuvre, il appelait les Jésuites : « Ces hommes très distingués, qui, recommandables par la sainteté de leurs mœurs, par la splendeur des dignités et par le mérite de la science, travail-

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lant dans ce domicile des beaux-arts, ont brillé pour l'avantage de la chose sacrée et publique. » — En même temps Léon XII fondait sept universités : deux grandes à Rome et à Bologne, cinq secon­daires à Ferrare, Pérouse, Camerino, Macerata et Ferme On voit que l'Église aime les ténèbres et se plaît à entraver l'esprit humain ; en revanche, les soi-disant progressistes, dès qu'ils triomphent quelque part, n'ont rien de plus pressé, pour favoriser les lumières, que de fermer les collèges.

 

   13. Mais le point capital, dans cette histoire, c'est le travail des sociétés secrètes. Quand elles eurent pris pied dans les principales villes de l'Italie, elles rédigèrent une instruction, que nous donnons, traduite de l'italien, dans son effrayante crudité :

 

« Depuis que nous sommes établis en corps d'action et que l'or­dre commence à régner au fond de la vente la plus reculée comme au sein de la plus rapprochée du centre, il est une pensée qui a toujours profondément préoccupé les hommes qui aspirent à la régénération universelle : c'est la pensée de l'affranchissement de l'Italie, d'où doit sortir à un moment déterminé l'affranchissement du monde entier, la république fraternelle et l'harmonie de l'huma­nité. Cette pensée n'a pas encore été saisie par nos frères d'au-delà des Alpes, ils croient que l'Italie révolutionnaire ne peut que cons­pirer dans l'ombre, distribuer quelques coups de poignard à des sbires ou à des traîtres, et subir tranquillement le joug des événe­ments qui s'accomplissent au-delà des monts pour l'Italie, mais sans l'Italie. Cette erreur nous a été déjà fatale à plusieurs repri­ses. Il ne faut pas la combattre avec des phrases, ce serait la pro­pager ; il faut la tuer avec des faits. Ainsi, au milieu des soins qui ont le privilège d'agiter les esprits les plus puissants de nos ventes, il en est un que nous ne devons jamais oublier.

 

« La papauté a exercé de tout temps une action toujours déci­sive sur les affaires d'Italie. Par le bras, par la voix, par la plume, par le cœur de ses innombrables évêques, prêtres, moines, reli­gieuses et fidèles de toutes les latitudes, la papauté trouve des dé­vouements sans cesse prêts au martyre et à l'enthousiasme. Partout où il lui plaît d'en évoquer, elle a des amis qui meurent, d'autres

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qui se dépouillent pour elle. C'est un levier immense dont quelques Papes seuls ont apprécié toute la puissance (encore n'en ont-ils usé que dans une certaine mesure). Aujourd'hui il ne s'agit pas de reconstituer pour nous ce pouvoir, dont le prestige est momenta­nément alfaibli ; notre but final est celui de Voltaire et de la révo­lution française, l'anéantissement à tout jamais du catholicisme et même de l'idée chrétienne, qui, restée debout sur les ruines de Rome, en serait la perpétuation plus tard. Mais pour atteindre plus certainement ce but et ne pas nous préparer de gaieté de cœur des revers qui ajournent indéfiniment ou compromettent dans les siècles le succès d'une bonne cause, il ne faut pas prêter l'oreille à ces vantards de Français, à ces nébuleux Allemands, à ces tristes Anglais qui s'imaginent tous tuer le catholicisme tantôt avec une chanson impure, tantôt avec une distinction illogique, tantôt avec un grossier sarcasme passé en contrebande comme les cotons de la Grande-Bretagne. Le catholicisme a la vie plus dure que cela. Il a vu de plus implacables, de plus terribles adversaires, et il s'est souvent donné le malin plaisir de jeter de l'eau bénite sur la tombe des plus enragés. Laissons donc nos frères de ces contrées se livrer aux intempérances stériles de leur zèle anticatholique ; permettons-leur même de se moquer de nos madones et de notre dévotion ap­parente. Avec ce passe-port, nous pouvons conspirer tout à notre aise et arriver peu à peu au terme proposé. »

 

« Donc la Papauté est depuis seize cents ans inhérente à l'his­toire de l'Italie. L'Italie ne peut ni respirer ni se mouvoir sans la permission du Pasteur suprême. Avec lui, elle a les cent bras de Briarée ; sans lui, elle est condamnée à une impuissance qui fait pitié. Elle n'a plus que des divisions à fomenter, que des haines à voir éclore, que des hostilités à entendre surgir de la première chaîne des Alpes au dernier chaînon des Apennins. Nous ne pou­vons pas vouloir un pareil état de choses ; il importe donc de cher­cher un remède à cette situation. Le remède est tout trouvé. Le Pape quel qu'il soit ne viendra jamais aux sociétés secrètes ; c'est aux Sociétés secrètes à faire le premier pas vers l'Église, dans le but de les vaincre tous deux.

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« Le travail que nous allons entreprendre n'est l'œuvre ni d'un jour, ni d'un mois, ni d'un an ; il peut durer plusieurs années, un siècle peut-être, mais dans nos rangs le soldat meurt, le combat continue.

 

« Nous n'entendons pas gagner les Papes à notre cause, en faire des néophytes de nos principes, des propagateurs de nos idées. Ce serait un rêve ridicule, et de quelque manière que tournent les événements, que des cardinaux ou des prélats par exemple soient entrés de plain pied par surprise dans une partie de nos secrets, ce n'est pas du tout un motif pour désirer leur élévation au siège de Pierre. Cette élévation nous perdrait. L'ambition seule les aurait conduits à l'apostasie, le besoin du pouvoir les forcerait à nous immoler. Ce que nous devons demander, ce que nous devons cher­cher et attendre, comme les juifs attendent le Messie, c'est un Pape selon nos besoins. Alexandre VI avec tous ses crimes privés ne nous conviendrait pas, car il n'a jamais erré dans les matières religieu­ses. Un Clément XIV, au contraire, serait notre fait des pieds à la tête. Borgia était un libertin, un vrai sensualiste du dix-huitième siècle, égaré dans le quinzième. Il a été anathématisé malgré ses vices, par tous les vices de la philosophie et de l'incrédulité, et il doit cet anathème à la vigueur avec laquelle il défendit l'Église. Ganganelli se livra pieds et poings liés aux ministres des Bourbons qui lui faisaient peur, aux incrédules qui célébraient sa tolérance, et Ganganelli est devenu un très grand pape. C'est à peu près dans ces conditions qu'il nous en faudrait un, si c'est encore possible; avec cela nous marcherons plus sûrement à l'assaut de l'Église qu'avec les pamphlets de nos frères de France et l'or même de l'Angleterre. Voulez-vous en avoir la raison ? C'est qu'avec cela, pour briser le rocher sur lequel Dieu a bâti son Église, nous n'a­vons plus besoin de vinaigre annibalien, plus besoin de la poudre à canon, plus besoin même de nos bras. Nous avons le petit doigt du successeur de Pierre engagé dans le complot, et ce petit doigt vaut pour cette croisade tous les Urbain II et tous les saints Ber­nard de la chrétienté.

 

   « Nous ne doutons pas d'arriver à ce terme de nos efforts ; mais

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quand? mais comment? L'inconnu ne se dégage pas encore. Néan­moins, comme rien ne doit nous écarter du plan tracé, qu'au con­traire tout y doit tendre, comme si le succès devait couronner dès demain l'œuvre à peine ébauchée, nous voulons, dans cette instruc­tion qui restera secrète pour les simples initiés, donner aux prépo­sés de la vente même des conseils qu'ils devront inculquer à l'uni­versalité des frères sous forme d'enseignement ou de mémorandum. Il importe surtout, et par une discrétion dont les motifs sont trans­parents, de ne jamais laisser pressentir que ces conseils sont des ordres émanés de la vente. Le clergé y est trop directement mis en jeu, pour qu'on puisse, à l'heure qu'il est, se permettre de jouer avec lui comme avec un de ces roitelets ou de ces principicules sur lesquels on n'a besoin que de souffler pour les faire dis­paraître.

 

« Il y a peu de chose à faire avec les vieux cardinaux ou avec les prélats dont le caractère est bien décidé. Il faut laisser les incorrigi­bles à l'école de Consalvi ou puiser dans nos entrepôts de popula­rité ou d'impopularité les armes qui rendront inutile ou ridicule le pouvoir entre leurs mains. Un mot qu'on invente habilement et qu'on a l'art de répandre dans certaines honnêtes familles choisies pour que de là il descende dans les cafés et des cafés dans la rue, un mot peut quelquefois tuer un homme. Si un prélat arrive de Rome pour exercer quelque fonction publique au fond des provin­ces, connaissez aussitôt son caractère, ses antécédents, ses qualités, ses défauts surtout. Est-il d'avance un ennemi déclaré? un Albani, un Pallotta, un Bernetti, un délla Genga, un Rivarola ? Envelop­pez-le de tous les pièges que vous pourrez tendre sous ses pas ; créez-lui une de ces réputations qui effrayent les petits enfants et les vieilles femmes ; peignez-le cruel et sanguinaire ; racontez quel­ques traits de cruauté qui puissent facilement se graver dans la mémoire du peuple. Quand les journaux étrangers recueilleront par nous ces récits qu'ils embelliront à leur tour, inévitablement par respect pour la vérité, montrez ou plutôt faites montrer par quelque respectable imbécile ces feuilles où sont relatés les noms et les excès des personnages. Comme la France et l'Angleterre,

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l'Italie ne manquera jamais de ces plumes qui savent se tailler dans des mensonges utiles à la bonne cause. Avec un journal dont il ne comprend pas la langue, mais où il verra le nom de son délé­gat ou de son juge, le peuple n'a pas besoin d'autres preuves. Il est dans l'enfance du libéralisme, il croit aux libéraux comme plus tard il croira en nous ne savons trop quoi.

 

Écrasez l'ennemi quel qu'il soil, écrasez le puissant à force de médisances ou de calomnies ; mais surtout écrasez-le dans l'œuf. C'est à la jeunesse qu'il faut aller ; c'est elle qu'il faut séduire, elle que nous devons entraîner, sans qu'elle s'en doute, sous le drapeau des sociétés secrètes. Pour avancer à pas comptés, mais sûrs, dans cette voie périlleuse, deux choses sont nécessaires de toute nécessité. Vous devez avoir l'air d'être simples comme les colombes, mais vous serez prudents comme le serpent. Vos pères, vos enfants, vos femmes elles-mêmes doivent toujours ignorer le secret que vous portez dans votre sein, et s'il vous plaisait, pour mieux tromper l'œil inquisitorial, d'aller souvent à confesse, vous êtes comme de droit autorisé à garder le plus absolu silence sur ces choses. Vous savez que la moindre révélation, que le plus petit indice, échappé au tribunal de la pénitence ou ailleurs, peut entraîner de grandes calamités, et que c'est son arrêt de mort que signe ainsi le révélateur volontaire ou involontaire.

 

« Or donc pour nous assurer un Pape dans les proportions exi­gées, il s'agit d'abord de lui façonner, à ce Pape, une génération digne du règne que nous rêvons. Laissez de côté la vieillesse et l'âge mûr ; allez à la jeunesse, et, si c'est possible, jusqu'à l'enfance. N'ayez jamais pour elle un mot d'impiété ou d'impureté : Maxima debetur puero reverentia. N'oubliez jamais ces paroles du poète, car elles vous serviront de sauvegarde contre des haines dont il importe essentiellement de s'abstenir dans l'intérêt de la cause. Pour la faire fructifier au seuil de chaque famille, pour vous donner droit d'asile au foyer domestique, vous devez vous présenter avec toutes les apparences de l'homme grave et moral. Une fois votre réputa­tion établie, dans les collèges, dans les gymnases, dans les univer­sités et dans les séminaires, une fois que vous aurez capté la con-

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fiance des professeurs et des étudiants, faites que ceux qui principalement s'engagent dans la milice cléricale aiment à recher­cher vos entretiens. Nourrissez leurs esprits de l'ancienne splendeur de la Rome papale. Il y a toujours au fond du cœur de l'Italien un regret pour la Rome républicaine. Confondez habilement ces deux souvenirs l'un dans l'autre. Excitez, échauffez ces natures si pleines d'incandescence et de patriotique orgueil. Offrez-leur d'a­bord, mais toujours en secret, des livres inoffensifs, des poésies resplendissantes d'emphase nationale, puis peu à peu vous amenez vos dupes au degré de cuisson voulu. Quand sur tous les points à la fois de l'État ecclésiastique ce travail de tous les jours aura répandu nos idées comme la lumière, alors vous pourrez apprécier la sagesse du conseil dont nous prenons l'initiative.

 

« Les événements qui, selon nous, se précipitent trop vite, vont nécessairement appeler, d'ici à quelques mois, une intervention armée de l'Autriche. Il y a des fous qui, de gaieté de cœur, se plai­sent à jeter les autres au milieu des périls, et cependant ce sont ces fous qui, à une heure donnée, entraînent jusqu'aux sages. La révo­lution que l'on fait méditer à l'Italie n'aboutira qu'à des malheurs et à des proscriptions. Rien n'est mûr, ni les hommes, ni les choses, et rien ne le sera encore de bien bongtemps ; mais de ces malheurs vous pourrez facilement tirer une nouvelle corde à faire vibrer au cœur du jeune clergé ! Ce sera la haine de l'étranger. Faites que l'Allemand (il Tedesco) soit ridicule et odieux avant même son entrée prévue. A l'idée de suprématie pontificale, mêlez toujours le vieux souvenir des guerres du sacerdoce et de l'Empire. Ressuscitez les passions mal éteintes des Guelfes et des Gibelins, et ainsi vous vous arrangerez à peu de frais une réputation de bon catholique et de patriote pur.

 

« Cette réputation donnera accès à nos doctrines au sein du jeune clergé comme au fond des couvents. Dans quelques années, ce jeune clergé aura, par la force des choses, envahi toutes les fonctions ; il gouvernera, il administrera, il jugera, il formera le conseil du souverain, il sera appelé à choisir le pontife qui devra régner, et ce pontife, comme la plupart de ses contemporains, sera

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nécessairement plus ou moins imbu des principes italiens et huma­nitaires que nous allons commencer à mettre en circulation. C'est un petit grain de sénevé que nous confions à la terre ; mais le soleil des justices le développera jusqu'à la plus haute puissance, et vous verrez un jour quelle riche moisson ce petit grain produira.

 

« Dans la voie que nous traçons à nos frères, il se trouve de grands obstacles à vaincre, des difficultés de plus d'une sorte à surmonter. On en triomphera par l'expérience et par la perspica­cité ; mais le but est si beau qu'il importe de mettre toutes les voiles au vent pour l'atteindre. Vous voulez révolutionnner l'Italie ; cherchez le Pape dont nous venons de faire le portrait. Vous voulez établir le règne des élus sur le trône de la prostituée de Babylone, que le clergé marche sur votre étendard en croyant toujours marcher sous la bannière des clefs apostoliques. Vous voulez faire disparaître le dernier vestige des tyrans et des oppresseurs, tendez vos filets comme Simon Barjone ; tendez-les au fond des sacristies, des sémi­naires et des couvents plutôt qu'au fond de la mer, et si vous ne pré­cipitez rien, nous vous promettons une pêche plus miraculeuse que la sienne. Le pêcheur de poissons devint pêcheur d'hommes; vous nous amènerez des amis autour de la Chaire apostolique. Vous aurez prêché une révolution en tiare et en chape, marchant avec la croix et la bannière, une révolution qui n'aura besoin que d'être un tout petit peu aiguillonnée pour mettre le feu aux quatre coins du monde.

 

« Que chaque acte de votre vie tende donc à la découverte de cette pierre philosophale. Les alchimistes du moyen âge ont perdu leur temps et l'or de leurs dupes à la recherche de ce rêve. Celui des sociétés secrètes s'accomplira par la plus simple des raisons : c'est qu'il est basé sur les passions de l'homme. Ne nous découra­geons donc ni pour un échec, ni pour un revers, ni pour une défaite ; préparons nos armes dans le silence des ventes ; dressons toutes nos batteries, flattons toutes les passions, les plus mauvaises comme les plus généreuses, et tout nous porte à croire que ce plan réussira un jour au delà même de nos calculs les plus improbables (1). »

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(1) Cette pièce et les suivantes avaient été communiquées à Crétineau-Joly par

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Les sociétés secrètes commençaient par la corruption ; elles devaient recourir promplement au poignard. En 1823, elles trou­vèrent un écho dans la capitale du monde chrétien. Angelo Targhini et Léonidas Montanari, coupables d'assassinat, expièrent leur crime sur l'échafaud. Voici comment le chef de la Haute-Vente raisonne sur leur mort : « J'ai assisté, dit-il, avec la ville entière, à l'exécu­tion de Targhini et de Montanari ; mais j'aime mieux leur mort que leur vie. Le complot qu'ils avaient follement préparé, afin d'inspirer la terreur, ne pouvait pas réussir; il a failli nous compro­mettre ; donc leur mort rachète ces petites peccadilles. Ils sont tombés avec courage, et ce spectacle fructifiera. Crier à tue-tête, sur la place du Peuple à Rome, dans la cité-mère du catholicisme., en face du bourreau qui vous tient et du peuple qui vous regarde, que l'on meurt innocent, franc-maçon et impénitent, c'est admi­rable, d'autant plus admirable que c'est la première fois que sem­blable chose arrive. Montanari et Targhini sont dignes de notre martyrologe, puisqu'ils n'ont daigné accepter ni le pardon de l'Église ni la réconciliation avec le Ciel. Jusqu'à ce jour, les patients entreposés en chapelle, pleuraient de repentir, afin de toucher l'âme du Vicaire des miséricordes ; ceux-là n'ont rien désiré com­prendre aux félicités célestes et leur mort de réprouvés a produit un magique effet sur les masses. C'est une première proclamation des sociétés secrètes, et une prise de possession des âmes.

 

« Nous avons donc des martyrs. Afin de faire pièce à la police de Bernetti, je fais déposer des fleurs, et beaucoup de fleurs, sur le fossé où le bourreau a caché leurs restes. Nous avons adopté des dispositions en conséquence. Nous craignons de voir nos domes­tiques compromis en faisant cette besogne ; il se trouve ici des Anglais et de jeunes miss romanesquement antipapistes et ce sont eux que nous chargeons de ce pieux pèlerinage. L'idée m'a paru aussi heureuse qu'aux susdites jeunes blondes. Ces fleurs jetées pendant la nuit aux deux cadavres proscrits, feront germer l'en­thousiasme de l'Europe révolutionnaire. »

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ordre du pape Pie IX. Les originaux sont à Rome, les textes imprimés dans L'Église romaine en face de la Révolution, t. II.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon