Richer et Gallicanisme 3

Darras tome 36 p. 308

   

97. En 1616, Ubaldini céda la nonciature à Bentivoglio ; à un homme de combat succédait un homme de conciliation. Le nouveau nonce voulut ramener Richer. Gondi, proviseur de Sorbonne, devait lui prêter main-forte, Richer s'était prononcé fortement contre les théories frauduleuses de Marc-Antoine de Dominis ; on prit, de là, occasion pour l'aborder. Pour se rendre plus agréable, Bentivoglio avait commencé par empêcher, contre l'ancien syndic, toute rigueur ; il avait même défendu de l'attaquer. L'harmonie était complète entre la cour de Rome, le cabinet du Louvre et la faculté de théologie. Malgré la faveur des circonstances et toutes les bonnes grâces, Richer se montra peu sensible aux ouvertures pacifiques. Cette conduite fut mal vue en Sorbonne et au collège du cardinal Lemoine. Quand Richer voulut aller à confesse, plusieurs confesseurs lui refusèrent l'absolution. Richer en eut du déplaisir et s'offrit à expliquer ces propositions. Duval rédigea une formule que Richer devait souscrire. Richer, qui manquait de franchise et qui gardait tous ses préjugés au fond du cœur, cherchait moins à donner satisfaction qu'à se débarrasser de ses ennemis. Après quelques pourparlers, il rejeta la formule de Duval et présenta la déclaration suivante :


   « Je,  Edmond  Richer, prêtre du diocèse de Langres, de la

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faculté de théologie de Paris, et grand maître du collège du cardinal Lemoine, fondé en l'université de Paris, soussigné, déclare et certifie que je n'ai jamais eu d'autre intention ni volonté, en composant le traité De ecclesiastiae et politicâ potestate, en l'an 1611, sinon de montrer sommairement quelle était l'ancienne doctrine de l'école de Paris, et parce que m'étant étudié à abréger, je me suis rendu obscur, ce qui a donné sujet à quelques-uns d'interpréter en mauvaise part quelques propositions dudit traité : je déclare et proteste que j'ai toujours entendu et entends me soumettre et tous les écrits que j'ai faits et que je pourrai faire à l'avenir, au jugement du Saint-Siège et de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, et ai un très grand déplaisir que quelques propositions dudit traité aient été prises contre mon intention comme si j'eusse eu dessein de diminuer l'autorité légitime de notre Saint Père le Pape et celle de MM. les autres prélats de l'Église : ce qui ne m'est jamais venu en pensée. C'est pourquoi j'improuve et déteste de telles interprétations, et toutes autres contraire à la croyance de l'Église catholique, apostolique et romaine, déclarant et protestant de rechef, comme j'ai fait autrefois, que je suis prêt d'expliquer toutes les propositions dudit traité en un sens véritable et catholique. En foi et témoignage de quoi, j'ai écrit et signé de ma main la présente déclaration, l'an 1622, le jeudi trentième de juin. — Edmond Richer. »


Cette déclaration, par ses termes captieux, était propre à égarer le vulgaire ; elle ne trompa pas les théologiens. Richer faisait mention des principes de l'école de Paris comme si elle eût été coupable de ses erreurs; en parlant de l'obscurité de son livre, il insinuait qu'on l'avait condamné sans le comprendre ; il passait sous silence la censure de deux conciles provinciaux ; il parlait du Saint-Siège, avant l'Église comme s'il eût préposé l'Église au Saint-Siège; il parlait de protestations précédentes, que personne ne connaissait et ne désavouait pas, même en principe, ses propres erreurs ; il offrait seulement de les expliquer dans un sens catholique, ce qui marquait absence de regret et de désaveu.

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   98. Après la régence de Marie de Médicis et la chute du duc de Luynes, le pouvoir passa aux mains de Richelieu. L'avènement de Richelieu modifia toutes les tendances de la politique française. Au lieu de se rattacher aux doctrines romaines, Richelieu se fit le patron des idées gallicanes. Non qu'il fût personnellement hostile aux Papes ; il avait été au contraire, élevé dans des sentiments de dévotion au siège apostolique, et, au moins comme cardinal, il devait être dévoué à Rome. Mais Français et monarchiste jusqu'au fond de l'âme, il ramena toute sa politique à l'exaltation de la royauté et à l'agrandissement de la France. Suivant les courtes pensées de la sagesse humaine, il crut servir ces deux causes en adoptant les thèses flatteuses, mais dangereuses du gallicanisme politique. Que dirait aujourd'hui Richelieu si, sortant du tombeau, il voyait vaincues les deux causes qu'il a servi et les voyait vaincues par l'application de ses principes politiques. Mais la sagesse humaine, toujours courte par quelqu'endroit, ne saurait voir d'aussi loin qu'en se séparant de la religion, on se voue à la ruine. Donc, pour servir ses ambitieux desseins, Richelieu ne vit d'abord rien de mieux que de favoriser les conceptions de l'ancien syndic et de chercher noise aux Jésuites. C'est dans cet ordre d'idées que fut condamné le livre du P. Santarelli, à qui on ne pouvait rien reprocher, que son orthodoxie. Cette condamnation fut fort mai vue de Rome et montra, par les reprises d'hostilités dont elle fut le prétexte, qu'elle ne pouvait pas contribuer beaucoup à l'affermissement du pouvoir royal. Quand le gâchis fut au comble en Sorbonne, au Parlement et un peu partout, Richelieu intervint et voulut mettre ordre avec sa main de fer. Richelieu ordonna au Parlement de ne pas s'occuper des affaires de la Sorbonne ; commanda le silence à la faculté de théologie et, pour aller à la source de tout mal, s'adressa à Richer. Richer était l'âme de l'opposition gallicane, la cause secrète ou publique de toutes les disputes ; Richelieu lui demanda de rétracter les erreurs du Libellus. Richer, pour faire pièce à Duval, voulut traiter directement avec le ministre, mal lui en prit. Richelieu intima sa volonté, exigea de Richer la rétractation la plus explicite et lui imposa, de plus, l'obligation de

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déclarer, très haut qu'il la souscrivait librement. Richer était un sectaire ; il n'y avait pas en lui l'étoffe d'un martyr ; il signa la déclaration suivante :


« Je, Edmond Richer, prêtre du diocèse de Langres, docteur de la sacrée faculté, de théologie de Paris, et grand maître du collège du cardinal Lemoine, soussigné : Ayant considéré que quelques propositions du petit livre que j'ai écrit l'an 1611 de la Puissance ecclésiastique et politique ont été prises en mauvaise part, proteste et déclare que j'ai toujours voulu, et veux encore présentement me soumettre avec le livre susdit, ses propositions, leur interprétation et toute ma doctrine au jugement de l'Église catholique et romaine, et du Saint-Siège apostolique, que je reconnais pour la mère et la maîtresse de toutes les églises, et pour le juge infaillible de la vérité. Je proteste que j'ai eu une très grande douleur de voir que quelques-unes des propositions de ce petit livre aient été exprimées d'une manière qui a donné occasion de scandale, comme si j'eusse voulu diminuer ou ôter quelque chose à la juste et légitime puissance du souverain pontife et de messieurs les prélats de l'Eglise, quoique ce n'ait jamais été mon intention. Je désapprouve et condamne ces propositions, en tant qu'elles sont contraires (comme elles sonnent, c'est-à-dire suivant l'expression des mots qui frappent extérieurement l'oreille) au jugement de l'Église catholique, apostolique et romaine. Je reconnais que je donne cette déclaration librement et volontairement, afin que tout le monde voie mon obéissance envers le Saint-Siège apostolique, et que j'ai cru devoir la consigner entre les mains de Mgr le cardinal de Richelieu, proviseur de Sorbonne, pour le respect et la déférence que j'ai pour lui. En foi de quoi j'ai conçu, écrit et signé de ma main la présente déclaration, l'an 1629, le vendredi 7 décembre, en présence de M. Charles Talon, curé de Saint-Gervais, à Paris, et le P. Joseph, capucin. »

Signé : Richer, Talon et Joseph, avec paraphe


Richer comparut de sa personne, au Châtelet, devant les notaires Zutet et Coustart, pour reconnaître véritable le contenu de la déclaration et réquérir l'enregistrement. Cette rétractation rétablit à

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la Faculté, un commencement de paix. Duval, Gamache, Ysambert, Mauclerc, tous les adversaires de l'ancien syndic, renouvelèrent amitié avec le vieux théologien. Il paraît, d'après la narration de Richer, que la réconciliation fut sincère de part et d'autre et ne fut plus troublée. Le nonce du pape s'empressa de féliciter Richelieu de son succès. Richelieu eut le triomphe modeste. Il se confondit en louanges sur les bonnes dispositions de Richer, dont les intentions, disait-il, avaient toujours été pures et qui s'était empressé d'obtempérer aux désirs du cardinal pour assurer la paix de l'Église. A quelque temps de là, Richelieu se contentait d'écrire dans ses Mémoires le rapide compte-rendu suivant : « Ce mal que les remèdes aigrissaient au lieu de le guérir, fut heureusement terminé par l'entremise du cardinal qui, ayant appelé Richer, lui parla avec tant de vigueur et d'efficacité, qu'il le contraignit par la force de ses raisons, à se dédire sincèrement et volontairement de son erreur. Cette action reçut tant de bénédictions de Dieu, que Richer, depuis, ne parla plus de ses erreurs, non plus que s'il n'en eût jamais été infecté ; son âme en étant si entièrement lavée qu'il n'y en restait plus aucune apparence de vestige ; et la troupe de ceux qui l'avaient accompagné en cette opinion, le suivant comme leur maître, se dissipa et s'évanouit, de sorte que depuis il n'en a plus été parlé (1). »


99. Richer mourut le 29 novembre 1631. Avait-il été plus sincère dans sa seconde rétractation que dans la première ? Les docteurs Duval et Grandin le pensent. S'il faut en croire le P. Lafontaine, Richer aurait laissé une preuve authentique de sa conversion dans un document où il aurait, les unes après les autres, expressément condamné toutes les propositions du Libellus. Malheureusement sa conduite secrète est en opposition formelle avec sa con-

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(1) Richelieu, Mémoires: Liv. XX. Richelieu caractérise ainsi l'événement. « Ce qui arriva de plus mémorable en l'année 1629, comme plus important à la foi de Jésus-Christ, contre laquelle s'élevait un schisme, qui eut bientôt gagné toute la chrétienté, c'est que maître Edmond Richer, auteur de ce mal, fut induit et persuadé, par le soin et la diligence du cardinal à se dédire de l'opinion erronée et du livre pernicieux qu'il avait publié contre la puissance du Pape, vicaire de Jésus-Christ et chef de son Église.

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duite politique. Quelques jours après son entrevue avec Richelieu, il écrivait son testament ; dans cet écrit, il renouvelle toutes ses erreurs, sans y rien ajouter, sans en rien diminuer ; il s'excuse d'avoir signé la rétractation, sans dire un mot qui puisse faire croire à sa sincérité. Bien plus, dans les deux dernières années de sa vie, Richer avait fait la révision de ses nombreux ouvrages ; en les soumettant à cette dernière correction il prit les précautions les plus minutieuses pour que l'autorité publique ne parvint pas à les supprimer après sa mort. En telle sorte, qu'il est difficile de ne pas partager, à son égard, le sentiment d'Arnauld : « Les exactions forcées de signatures et de déclarations peuvent quelque chose sur la main, non sur le cœur. Les torts de Richer ne nous font pas méconnaître ses vertus. Richer était un prêtre laborieux, indifférent aux biens, aux plaisirs et aux honneurs terrestres. Malheureusement l'attache à son sens privé et le défaut de respect pour les décisions de l'Église, ternirent l'éclat de ces qualités et firent de notre docteur langrois, un type de sectaire. Sa faiblesse d'esprit ne sut jamais se déprendre de ses opinions. L'obstination de l'orgueil, surexcitée par une lutte longue et irritante, l'empêcha de renoncer à ses erreurs et de se soumettre à l'autorité légitime. Après les jugements qui le frappèrent, Richer donna le scandaleux spectacle d'un docteur atteint par des condamnations formelles, qui méprisait les décisions de l'Église et continuait à professer publiquement des erreurs réprouvées par les juges de la doctrine. Peut-il y avoir un spectacle plus capable d'amoindrir le respect du pouvoir hiérarchique que la vue d'un syndic de Sorbonne bravant et défiant la chaire du prince des apôtres. Quant aux opinions fausses de Richer, s'il n'en est pas, à proprement parler l'inventeur, il en fut du moins, le codificateur habile et le vulgarisateur entreprenant. Richer eut aussi ses opinions personnelles. Le gallicanisme de Gerson voulait du multitudinisme dans l'Église et de la démocratie dans l'État. Le gallicanisme de Richer introduit, dans la constitution de l'Église, le régime aristocratique et place le pouvoir absolu à la tête de l'État. Episcopalisme, régalisme et parlementarisme: voilà les trois mots qui le caractérisent. Pour faire valoir

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ce système, il parut à l'heure favorable, après la chute de la Ligue en pleine efflorescence du pouvoir royal ; il vit triompher le gallicanisme politique ; il fut moins heureux pour le gallicanisme ecclésiastique. Mais d'autres viendront émonder le système et le faire valoir. Quoi qu'il en soit, Richer est un homme à qui faisaient également défaut le sens de l'Unité et le sens de l'Église. Il fut un séditieux, un sectaire, un des esprits les plus funestes à la France et à l'Église.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon