Darras tome 15 p. 508
65. En revanche, un mensonge palpable à l'endroit de Sophronius. « Ce saint moine, » ainsi que l'appelle d'ailleurs Sergius, était véritablement saint, et son nom est inscrit aussi bien dans le Ménologe grec que dans le Martyrologe romain. Compagnon de saint Jean Moschus, l'auteur du célèbre Pratum spirituale, tous deux avaient fui leur monastère du Sinaï à l'époque de l'invasion persane. Réfugiés d'abord en Egypte près de saint Jean l'Aumônier, ils avaient poursuivi leur pèlerinage jusqu'à Rome. Jean Moschus y mourut en 620. Après la victoire définitive d'Héraclius, le corps du saint abbé fut déposé dans un cercueil de chêne et pieusement rapporté par Sophronius à Jérusalem d'abord, puis au Sinaï. Le patriarche Zacharie, qui avait connu Jean Moschus, reçut avec vénération ses saintes reliques. Quelque temps après, il mourait lui-même, terminant au pied de la croix une vie dépensée tout entière au service de la croix (G31). L'abbé du Sinaï, Modestus, qui avait administré l'église de Jérusalem en qualité de vicaire de Zacharie, lui succéda ; mais il ne fit que passer sur ce siège où la reconnaissance du clergé et du peuple l'avait élevé. Un monument de sa dévotion pour la sainte Vierge nous est resté sous le titre de Encomium in dormitionem sanctissimae Virginis Mariae 1, précieux témoi-
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1 Pair, grœc, tora. LXXXVI, col. 3278.
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gnage de la foi de l'église de Jérusalem à l'assomption de Marie. Mort prématurément (633), Modcslus eut pour successeur Sophro-nius, son disciple, et l'imitateur de ses vertus. Pendant que les suffrages unanimes des habitants de Jérusalem acclamaient son nom, Sopbronius était à Alexandrie. Il assista au synode où Cyrus dressa les articles de la réunion projetée avec les sectes monophysites. Il protesta contre le terme d'une seule énergeia, introduit dans le programme d'union. Sergius le constate, mais il ajoute que, venu depuis à Constantinople, Sopbronius s'était rendu aux observations qui lui furent présentées, et qu'il avait pris l'engagement de garder sur ce point le silence. Ce fait est faux, nous verrons bientôt Sophronius, devenu évêque de Jérusalem, donner un démenti formel à l'assertion calomnieuse du patriarche. En lisant attentivement la lettre de Sergius, on arriverait, croyons-nous, assez facilement à conjecturer que le véritable motif qui la fit écrire fut précisément l'attitude énergique de ce moine, devenu inopinément évêque, et dont la parole dès lors plus autorisée menaçait de démasquer toutes les intrigues, de renverser tout cet échafaudage de dissimulation et d'hypocrisie. Sergius jette insidieusement la remarque qu'il n'a point encore reçu l'épître synodique, ou lettre de communion, de ce nouvel évêque. Il n'y insiste pas, c'est un incident qu'un œil distrait pourrait ne point apercevoir. Dans la pensée de Sergius, il y avait là un piège très-habilement tendu pour l'avenir. Si la lettre synodique de Sophronius était muette sur le point en litige, elle deviendrait une preuve indirecte de la promesse de silence que le patriarche affirmait faussement avoir obtenue de lui. Si, au contraire, la lettre synodique abordait résolument la question, le retard mis à la publier accuserait une hésitation et comme une lutte sourde, où la conscience d'un engagement pris et violé se serait révoltée contre elle-même. Sophronius apparaîtrait comme un esprit inquiet et brouillon, incapable de discipline et de suite, sacrifiant la paix de l'Église au frivole désir d'un peu de bruit et d'éclat.
66. Tout était donc admirablement calculé dans ce chef-d'œuvre d'astuce; d'autant mieux que, de tant de réticences, d'habiletés, de
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calomnies, Honorius était dans l'impossibilité matérielle d'en soupçonner une seule. C'est là un point capital, sur lequel on s'est étrangement mépris. « Depuis onze ans que ces perfides manœuvres se tramaient en Orient, et qu'elles s'y trahissaient par des actes, dit un récent historien, le pape Honorius aurait dû en être instruit par ses nonces à Constantinople. Mais soit qu'il n'en eût pas à la cour impériale, soit que ses nonces ne fissent pas leur devoir, Honorius ne se doutait de rien 1. » Il y a dans ce reproche un oubli complet du synchronisme historique de cette époque. Théodore de Pharan, l'auteur obscur de la nouvelle hérésie, était depuis l'an 610, date de la prise de Jérusalem par Serhar, complètement cerné, dans son diocèse d'Arabie, par les troupes de l'invasion persane. La Palestine, la Syrie, l'Egypte, au pouvoir des troupes de Chosroès étaient complètement isolées du reste de la catholicité. Les relations avec Rome, surtout depuis l'édit du roi de Perse proscrivant toutes les communions chrétiennes sauf le nestorianisme, étaient aussi rares que dangereuses. Les écrits de Théodore de Pharan ne purent donc absolument pas sortir du petit cercle d'adeptes entre les mains desquels ils se trouvaient avant l'invasion. L'évêque de Phase, Cyrus, dans le pays des Lazes, et Paul, l'évêque sévérien, c'est-à-dire monophysite, rencontré par Héraclius en Arménie, n'étaient pas dans une situation plus favorable au point de vue des communications avec Rome. Depuis l'an 618, Serbar, on se le rappelle, campait à Chalcédoine. Le blocus de tout l'Orient ne cessa qu'en 629, lors de la victoire définitive des armées impériales. De Constantinople même, depuis l'an 620, les relations avec Rome durent être presque nulles. Tous les navires avaient été réquisitionnés en vue de la prochaine expédition projetée par Héraclius. A partir de l'an 622, l'empereur quitta sa capitale, il n'y revint qu'au printemps de l'an 628, et la quitta de nouveau pour n'y rentrer qu'en 635. Nous avons vu d'ailleurs que, dans ses longues absences, il était accompagné de l'impératrice et de toute sa famille. Lors donc qu'on parle d'une cour impériale à
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1. Rohrbacherj Hist. univ. de l'Église cat/wl., loin. X, pag. 8(i;
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p511 CHAP. VII. — llONOIilUS ET le patriarche SERGICS.
Byzauce, près de laquelle devait, se trouver un apocrisiairc, ou nonce, on commet un anachronisme. Selon toute probabilité, il n'y avait pas d'apocrisiaire à Byzance, parce qu'au VIIe siècle ces sortes d'envoyés pontificaux étaient attachés non pas à la capitale, mais à la personne même de l'empereur. Dans l'hypothèse contraire, et en supposant contre toute vraisemblance qu'un apocrisiaire quelconque fût resté à Byzance où il n'avait, en l'absence de l'empereur, aucune raison d'être; quel moyen aurait-il eu de communiquer avec Rome, soit pendant le siège effectif par les Awares, soit pendant l'année qui prépara et celle qui suivit leur expédition, alors que ces barbares avaient envahi et pillaient la Servie et la Croatie, soit même en temps ordinaire, quand les transports par mer faisaient défaut? La lettre de Sergius ne commence-t-elle pas par établir cette situation telle que nous la dépeignons : «Tous les jours j'aurais voulu, dit le patriarche, recourir à vos conseils. Maintenant que je puis facilement correspondre avec votre sainteté, je m'empresse de le faire. » Il n'y a donc lieu d'incriminer ni la négligence d'Honorius, ni celle du nonce accrédité à Constantinople, s'il s'en trouvait un. Ajoutons que les relations de Sergius avec Théodore de Pharan et les autres sectaires disséminés en Orient, étaient essentiellement secrètes; qu'elles ne se trahirent par des actes publics qu'en l'an 633, date des conférences d'Alexandrie où Sophronius assista. Or, en l'an 634, c'est-à-dire quelques mois après cette première manifestation, Sergius se hâtait de prendre l'initiative et d'informer le pape.
67. A moins d'avoir reçu une communication surnaturelle qui lui eût révélé une série de manœuvres complètement ignorées, dans Honorius ne pouvait donc avoir l'ombre d'une défiance sur la vérité des faits exposés par Sergius. A moins d'être prophète, ce pape ne pouvait deviner que les paroles de Sergius avaient une signification cachée, différente de leur sens obvie, et qu'on se réservait de démasquer plus tard. Sergius se plaignait, qu'on eût la prétention d'attribuer à Jésus-Christ « deux volontés contraires l'une à l'autre ; » par l'une le Verbe aurait voulu nous sauver, par l'autre il aurait combattu cette volonté divine. « C'est une impiété, »
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disait-il, et théologiquement il avait raison. La volonté humaine, dans la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, n'avait pas comme dans la nôtre le dualisme créé par la concupiscence. Ainsi présentée, la chose était claire. Honorius ne vit et ne pouvait voir là l'ombre d'une difficulté. D'ailleurs on ne sollicitait pas de lui une définition de foi. Sergius protestait qu'il ne tenait nullement à ce qu'on employât les termes de une ou deux opérations. II déclarait à diverses reprises que le silence gardé sur ce point évitait une nouvelle explosion de controverses et de luttes ardentes. Honorius n'avait donc pas à répondre par une définition dogmatique à une consultation qui n'en demandait point. Il ne pouvait inventer une hérésie pour la combattre et la condamner d'avance. Aussi ne le vit-on pas, comme jadis le pape saint Léon, écrire de sa main une constitution doctrinale, la déposer pendant quarante jours sur le tombeau de saint Pierre, ordonner des prières publiques pour que le Saint-Esprit daignât éclairer son intelligence et guider sa plume. Honorius se contenta d'appeler son secrétaire, Jean Sympon, lui remit la lettre du patriarche, le chargea de rédiger une réponse 1, qui fut agréée et expédiée. Elle était écrite en latin et conçue en ces termes :
1 Il y a lieu de s'étonner que, durant les longs et retentissants débats dont la lettre d'Honorius fut l'objet en ces derniers temps, alors que des adversaires plus bruyants que sérieux répétaient chaque jour que la lettre d'Honorius était uue définition ex cathedra, réunissant tous les caractères de ces décisions solennelles si rares dans l'histoire des papes, nul n'ait songé à rapprocher ces sesquipedulia verba de l'humble et prosaïque vérité. Voici le texte de saint Maxime qui nous apprend que la lettre d'Honorius, comme toutes les réponses à des consultations disciplinaires n'offrant pas de difficultés spéciales, fut simplement rédigée par le secrétaire d'Honorius, Jean Sympon. Kai iipo; aÙTOï; tov TaOr/jv È7iiaTo).r,v èv Aativoi; Û7iaYopEÛ<javT<x xcaà xs),evîiv aùroù xûpiov àSÊSv 'Itoâvvr,v à*(\ù>iatm (7Û(inovov. Prœtereaque, qui jubente llonorio liane cpislolam latine dictaverat, sanctissimum Dominum albatem Joannem, ci ah épis-tolis adjutorem. Cet abbé Jean était ce qu'on appellerait de nos jours à Rome un secrétaire des lettres latines. On a pris l'habitude de l'appeler Jeau Sympon, par suite d'une confusion de nom et de titre. Sunponos; (collaborateur) signifie ici secrétaire. C'était le titre que portait communément l'abbé Jean. On l'appelait Jeau le secrétaire, comme on a dit Anastase le bibliothécaire. Cf. Maxim., Epist. ad Marin.; Patr. grœc, tom. XCI, col. 213.
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68. « Nous avons reçu la lettre de votre fraternité, par laquelle vous nous mandez que Sophronius, autrefois moine, et maintenant évêque de Jérusalem, a soulevé des querelles et des disputes nouvelles de mots contre notre frère Cyrus, évêque d'Alexandrie, qui a enseigné aux hérétiques convertis une seule opération en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sophronius vint trouver votre fraternité, il renonça à sa querelle, après s'être longuement instruit auprès de vous de l'affaire, et vous pria d'exprimer par écrit ce qu'il vous avait entendu dire. Nous avons reçu la copie de votre lettre à Sophronius, et, après l'avoir lue, nous louons votre fraternité de la prudence et de la circonspection dont elle a fait preuve, en écartant la nouvelle expression qui peut scandaliser les simples ; car nous devons nous tenir dans les voies de la tradition.
« Sous la conduite de Dieu, nous sommes arrivés à la mesure de la foi orthodoxe, que les apôtres de la vérité ont exposée à la lumière des saintes Écritures, confessant que Notre-Seigneur Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, opère les choses divines par l'intermédiaire de l'humanité hypostatiquement unie au Verbe, et que ce même Christ opère les choses humaines d'une manière ineffable et unique, la chair qu'il a prise étant unie sans séparation, immuablement et sans confusion à la divinité demeurée parfaite. Celui qui a brillé en sa chair par des miracles de la pure divinité est le même qui, dans les opprobres de la passion, a manifesté la sensibilité de la chair, vrai Dieu et vrai homme tout ensemble.
« Le médiateur unique entre Dieu et les
hommes dans l'une et l'autre nature, le Verbe fait chair qui a habité parmi
nous, le Fils de l'homme descendu du ciel est le un et même Seigneur de gloire (comme il
est écrit), qui a été crucifié, bien qu'il soit avéré pour nous que la divinité ne puisse rien souffrir d'humain ; ce n'est pas du
ciel, mais du sein de la mère de Dieu, qu'a été prise la chair; car la vérité même dit dans l'Évangile : « C'est le même qui
est monté au ciel et qui en est descendu, le Fils de
l'homme qui est aux cieux. » Elle nous apprend par là, avec évi-
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dence, que la chair passible a été unie à la divinité d'une manière ineffable et unique, sans confusion ni mélange, comme sans division ; de telle sorte, manifestement, que cette union merveilleuse ne peut être conçue que dans la distinction persistante des deux natures. C'est conformément à cette vérité que l'Apôtre a dit dans son Épître aux Corinthiens : « Nous annonçons une sagesse parfaite, sagesse qui n'est point de ce monde, ni des princes de ce monde qui doivent être anéantis ; mais nous annonçons la sagesse cachée dans le mystère divin, que Dieu avait prédestinée à notre gloire avant les siècles; laquelle aucun des princes de ce siècle n'a connue. Car s'ils l'avaient connue, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de gloire 1.»
« C'est pourquoi, bien que la divinité n'ait pu être crucifiée ni rien ressentir des souffrances humaines, on dit, à cause des deux natures, que Dieu a souffert, et que l'humanité est descendue du ciel avec la divinité. De même nous professons une volonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ; puisque assurément notre nature a été prise par la divinité sans le péché qui est en elle, c'est-à-dire notre nature telle qu'elle a été créée avant le péché, et non celle qui a été viciée après la chute. Car le Christ Notre-Seigneur en s'assimilant notre chair de péché, a ôté le péché du monde, et nous avons tous reçu de la plénitude de sa perfection; en prenant la forme d'esclave, il se montra extérieurement semblable à l'homme. Conçu sans péché par l'opération du Saint-Esprit, il est né par cela même sans péché de la sainte Vierge immaculée, mère de Dieu, sans participer à la corruption de notre nature déchue.
« Le mot chair a deux acceptions dans les saintes Écritures, il se prend en bonne part et en mauvaise part.
« Quand il est écrit : « Mon esprit ne demeurera pas éternellement avec les hommes, parce qu'ils sont chair 2; » quand l'Apôtre dit : « La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu3 ; » et ailleurs : « Par l'esprit, j'obéis à la loi de Dieu ; par
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1 1 Cor., il, 6-8. —2 Gènes., vi, 3. — s I Cor., xv, 50.
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la chair, à la loi du péché ; car je vois dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de l'esprit et qui me tient captif sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres 1 ; » et de même dans beaucoup d'autres passages analogues, le mot « chair » est entendu et employé dans un sens absolument mauvais. Il faut au contraire prendre le terme en bonne part dans ce que dit le prophète Isaïe : « Toute chair viendra à Jérusalem, et ils adoreront en ma présence 2 ; » et Job : « Dans ma chair je verrai Dieu 3 ; » et ailleurs : « Toute chair verra le salut de Dieu 4, » et autres passages semblables. Notre Sauveur donc, comme nous l'avons dit, n'a point pris la nature qui a péché, celle qui résiste à la loi de l'esprit, mais « il est venu pour chercher et sauver ce qui était perdu 5, » c'est-à-dire la nature humaine qui avait péché. Le Sauveur n'a pas eu dans ses membres une loi différente ou une volonté opposée et contraire, parce que sa naissance a été au-dessus de la loi de la nature humaine. Bien qu'il soit écrit : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de mon Père qui m'a envoyé 67; » et encore : «Non pas ce que je veux, mais ce que vous voulez, ô mon Père; » ces expressions et autres semblables n'impliquent pas une volonté contradictoire, mais se rapportent au mystère de l'humanité prise par le Verbe. Car toutes ces choses ont été dites pour nous. Le maître de toute sainteté nous a donné l'exemple, afin que nous marchions sur ses traces ; il a appris à ses disciples que chacun de nous ne doit pas suivre sa volonté propre, mais préférer en tout la volonté de Dieu.
« Marchons donc dans la voie royale; évitons les filets des chasseurs tendus à droite et à gauche ; ne heurtons pas le pied contre la pierre ; laissons aux Iduméens, c'est-à-dire aux hérétiques charnels, ce qui est à eux ; n'imprimons en aucune façon la trace de nos pas sur leur terre, c'est-à-dire dans leur mauvaise doctrine : ainsi nous pourrons arriver à la patrie en suivant les traces de nos pères. Que d'un pas pour ainsi dire trébuchant, des téméraires
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i Rom., vu, 22, 23. — s Jsa., lxvi, 23. — 3 Job., xix, 26. — 4 Luc, m, 6. — 5 Luc, xix: 10. — 6. Joao., vi, 38. — 7 .Marc, xiv, 36.
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se fassent passer pour docteurs en Israël; qu'ils introduisent des nouveautés et entraînent les esprits superficiels : nous du moins sachons qu'il ne convient pas d'enseigner comme dogmes de l'Église ce que les conciles n'ont pas décidé, ce que les autorités canoniques n'ont pas jugé à propos de définir. Il ne faut pas mettre au nombre des doctrines de l'Église ce qui n'a point été décidé par les conciles, ce que les saints canons ne définissent pas. Ainsi donc, que personne n'ose prendre sur lui de professer une ou deux opérations en Notre-Seigneur Jésus-Christ; car ni les Évangiles, ni les écrits des Apôtres, ni les décrets des conciles ne paraissent avoir rien défini à cet égard. Si quelques docteurs, comme en balbutiant, ont employé à ce sujet des termes plus ou moins théologiques, nul n'a le droit d'en prendre acte pour transformer en dogmes définis des opinions particulières. Que Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils et Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, soit en tout un seul et même opérateur, produisant parfaitement les œuvres divines et les œuvres humaines, c'est ce que les saintes Écritures montrent clairement. Mais quant à conclure des œuvres de la divinité et de celles de l'humanité, qu'il faille dire et concevoir une ou deux opérations, cela ne nous regarde aucunement; tout au plus serait-ce la besogne des grammairiens ou rhéteurs qui font métier de vendre aux enfants la science des mots et de leurs dérivés.
« Nous n'avons pas appris dans les saintes Écritures qu'il y ait une ou deux opérations de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son divin esprit; mais nous savons qu'il a opéré de plusieurs manières, puisqu'il est écrit : « Celui qui n'a pas l'esprit de Jésus-Christ, n'est pas à Jésus-Christ 1; » et ailleurs : « Personne ne peut dire Seigneur Jésus, si ce n'est dans l'Esprit-Saint. Il y a diversité de dons, mais il n'y a qu'un même esprit ; il y a diversité de ministères, mais il n'y a qu'un même maître ; il y a diversité d'opérations, mais il n'y a qu'un même Dieu qui opère
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1 Rom., vin, 9.
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tout en tous1. » Si donc il y a une grande diversité d'opérations, et si néanmoins Dieu les produit toutes dans les membres du corps entier, à plus forte raison peut-on le dire de notre chef, le Christ Notre-Seigneur, comme lui étant éminemment convenable; en sorte que le chef et le corps soient un tout parfait, et que le tout concoure, selon le mot de l'Apôtre, « à l'état de l'homme parfait, dans la mesure de l'âge et de la plénitude du Christ 2. » Car si dans les chrétiens qui sont ses propres membres, l'esprit du Christ, en qui tous vivent, se meuvent et sont, opère de plusieurs manières, à combien plus forte raison ne devons-nous pas admettre que le médiateur de Dieu et des hommes opère par lui-même, avec plénitude et perfection, de manières diverses et ineffables dans la communion de ses deux natures? Pour nous, nous devons prendre nos sentiments et nos inspirations dans les oracles de la divine science, rejetant en toute certitude les choses qui, par la nouveauté des expressions, arrivent à produire du scandale dans la sainte Église de Dieu; de peur que les simples, choqués de l'expression de deux natures, n'aillent croire que nous adhérons à la folle opinion de Nestorius, ou que, d'un autre côté, si nous estimons qu'il faut confesser une seule opération en Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous ne paraissions, aux oreilles étonnées, reconnaître l'erreur d'Eutychès. Gardons-nous de raviver de nouvelles flammes du milieu des cendres de ces questions brûlantes, dont les vains et faibles arguments sont consumés. Professons simplement et avec vérité qu'un seul et même Jésus-Christ Notre-Seigneur opère dans la nature divine et dans la nature humaine. Il vaut beaucoup mieux que ces vains fabricateurs de dissertations sur les natures, philosophes oisifs et profanes, pleins d'orgueil et de présomption, nous poursuivent de leurs clameurs, que de s'exposer à laisser dans la disette spirituelle les humbles de cœur, les fidèles disciples de Jésus-Christ. En effet, personne ne trompera par les vains artifices de la sophistique les disciples des
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1 I Cor., XII, 3-6. — 2. Ephcs., IV, 13.
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p518 PONTIFICAT d'hosorius I (625-638).
pêcheurs fidèles à leur doctrine ; toute proposition rocailleuse ou subtile d'un artificieux syllogisme a été broyée dans leurs filets.
« Voilà ce que votre fraternité doit enseigner avec nous, comme nous l'enseignons avec elle, vous exhortant à éviter dans vos paroles l'emploi récemment introduit de cette expression nouvelle, une ou deux opérations, et à dire avec nous selon la foi orthodoxe et l'unité catholique que Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant et vrai Dieu, opère dans les deux natures ce qui est de la divinité ou de l'humanité.
« Souscription de la main du pape : Que Dieu vous conserve sain et sauf, cher et très-vénérable frère. »