Grégoire VII 71

Darras tome 22 p. 527


§ V. Simulacre de paix.

 

Ce sacramentum, véritable pacte de Judas, ne porte aucune souscription. Les traîtres n'aiment point à signer de tels actes. Vraisemblablement les émissaires chargés de la négociation dressèrent à part la liste des signataires pour la remettre au roi excommunié. Si elle se retrouve quelque jour on y verra sans nul doute figurer les noms de ces fameux pères conscrits dont Benzo comparait sans rire la majesté à celle des Fabius, des Scipions, des Metellus2. Sortis pour la plupart des couches d'invasion établies à Rome par les vainqueurs barbares, ces patriciens féodaux qui mêlaient dans leurs harangues les souvenirs du roi Evandre aux citations du Liber Pontificalis étaient toujours prêts à trahir les papes. On se rappelle leur alliance intime avec Cadaloüs et la série de leurs attentats contre le saint pontife Alexandre II. La nouvelle trahison qu'ils méditaient contre Grégoire VII n'a donc pas lieu, de

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1. Pertz, Mon. German., tom. VIII, p. 461. — WaUe*ich, tem. I, p. 456,

2. Cf. tom. XXI de cette Histoire, p. 404.

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p528 PONTIFICAT DaE  GRÉGOIRE VII  (l07ci-lUS5).

 

nous surprendre. Mais aussi lâches que criminels, ils n'eurent pas le courage de leur infamie. La négociation demeura secrète, le grand pape n'en eut pas même le soupçon ; il ne devait apprendre les détails de cette perfidie qu'au moment où les traîtres ouvriraient à Henri IV les portes de la ville éternelle 1. Le complot resta de même inconnu au vrai peuple, qui continuait à défendre énergiquement la cause pontificale. Nous en avons la preuve dans les paroles suivantes de Bernold : « La conspiration ourdie à Rome avait des complices même parmi les princes de Bénévent et de la Campanie. Il fut convenu avec le roi Henri que pour préparer les voies, on laisserait le pape Grégoire libre de convoquer vers la mi-novembre un concile où le débat serait mûrement examiné. Le roi promit spontanément de se soumettre à la décision qui y serait prise ; les Romains firent de même. Henri jura de plus avec serment de laisser pleine faculté à tous les évêques de se rendre à cette assemblée, et de ne les inquiéter ni à l'aller ni au retour, en sorte que le pape pût sans aucun scrupule adresser soit aux prélats soit aux abbés les lettres de convocation. Après que tous ces arrangements furent conclus, Henri qui redoutait pour son armée et pour lui-même les chaleurs de l'été, se replia avec toutes ses troupes en Lombardie, laissant seulement à Rome, dans la forteresse du Palazzuolo, les trois cents hommes de garnison commandés par Udalric de Gozehem. Mais, ajoute le chroniqueur, le glaive de saint Pierre, ce fut l'expression qui vint sur toutes les lèvres, frappa ces Teutons. Ils succombèrent à une mort presque foudroyante. Leur chef, ce misérable qui avait été l'un des plus ardents fauteurs du schisme, expira sans avoir eu le temps de rentrer dans la communion de l'Eglise. Trente soldats échappèrent seuls à la

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1 Quod juramentum licet in prxterila sstate factum fuerit, omnes tamen intimas papœ ad terminum pêne latuit. (Bernold. Chronic. loc. cit. col. 1382 M. Villemain qui n'a point connu le texte du Sacramentum retrouvé au Musée britannique consacre deux pages attendries à louer la modération de Henri IV, son respect religieux pour le caraetère de Grégoire VII et la persévérance de son attachement filial pour un pape qui s'en montrait si peu digne, (Hist. de Grig. VII, tom. II, p. 335-339.)

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contagion. Le peuple romain se ruant alors sur la forteresse, la rasa jusqu'aux fondements 1. »

 

30. Evidemment les Transtévérins qui détruisaient le Palazzuolo de Henri IV, comme jadis les Saxons avaient démoli la citadelle de Hartzbourg, n'étaient pas dans le secret de la conspiration. Le roi qui avait fait payer par tant de flots de sang chacune des pierres de la forteresse saxonne n'eut pas même l'air de savoir que son Palazzuolo n'existait plus. Cette attitude importait à la réalisation de son programme occulte; se taire en ce moment lui donnait une apparence magnanime qui devait servir ses desseins. Henri IV ne connaissait pas le nom moderne de «moyens moraux, » mais il pratiquait supérieurement la chose. Ad callida se argumenta convertit, « Il se retourna vers la politique de ruse et de fourberie 2, » dit le catalogue pontifical. Le vénérable abbé de Cluny qui l'avait levé des fonts du baptême, s'était porté garant de sa bonne foi à Canosse, n'avait cessé de lui prodiguer les plus sages conseils, traversait alors l'Italie pour se rendre en pèlerinage au Mont-Cassin3. Dans une entrevue avec ce terrible filleul, il lui déclara que toute communion était rompue entre eux. « Aucun fidèle craignant Dieu, ajouta-t-il, aucun religieux digne de ce nom, ne saurait plus communiquer avec vous. » Cette noble attitude de saint Hugues suggéra au prince parjure tout un nouveau plan de perfidie, qui devait concourir au succès du premier. « Affectant une douleur profonde de sa situation présente et un regret sincère du passé, reprend le catalogue pontifical, Henri fit sur-le-champ mettre en liberté le cardinal d'Ostie Odo, l'évêque Bonizo de Sutri et les autres vénérables captifs retenus depuis un an dans les fers. Un édit fut promulgaé pour annoncer à toute l'Europe que le siège de Rome était levé, que les pèlerins pouvaient sans obstacle accomplir leur voyage ad limina, le roi Henri leur garantissant à tous

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1. Bernold. Ckronic, loc, cit. col., 1381. 2. Catal. Cencii  Patr. Lat. t. CXLVIII. col. 126. Cod. Yatic. "Watterich tom. I, p. 340.

3. Petr. Diac. Chronic. Cassinens. Patr. Lat., tom. CLXXIII, col. 790.

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par un serment solennel sécurité et liberté entière. Pour mieux tromper l'opinion publique et se rallier la faveur populaire, il déclara qu'il entendait ne recevoir la couronne impériale que des mains du seigneur pape Grégoire 1. » Un dernier trait, enregistré par Bernold, compléta cette manifestation hypocrite. « Wibert du Ravenne fut dédaigneusement, dit le chroniqueur, renvoyé dans son diocèse, « Ravennate suo intérim Ravennum transmisso 2. On voit que le tyran faisait bon marché de ses propres créatures et qu'il possédait supérieurement la théorie des « moyens moraux. »

 

31. Les sénateurs romains ses complices ne manquèrent pas d'exalter, comme il convenait, des dispositions si bienveillantes pour l'Église. Leur propagande ne fut pas stérile. « Le peuple, les clercs, les religieux eux-mêmes, reprend le catalogue pontifical, manifestaient une joie exubérante. Ils venaient se prosterner aux pieds du pontife pour le supplier d'accueillir les avances du roi. Ils s'attendrissaient jusqu'aux larmes en rappelant les malheurs de la patrie, et en invoquant la miséricorde paternelle qui pouvait d'un mot les effacer pour jamais. Le grand pape était forcé de subir quotidiennement de pareilles requêtes. Prêt à mourir pour la défense de la justice et de la vérité, il n'était pas dupe de ces manœuvres; il devinait le moteur qui suscitait ces démonstrations inconscientes. Sa réponse, toujours la même, était celle-ci: « J'ai fait depuis longtemps l'expérience des ruses et de la mauvaise foi de Henri IV. S'il veut cependant donner satisfaction à Dieu et à l'Eglise pour les fautes notoires dont il s'est rendu coupable, je consentirai volontiers à l'absoudre, et quand il sera par ma bénédiction rétabli dans la communion ecclésiastique je ne refuserai point de lui donner la couronne impériale. Mais autrement je ne dois ni ne puis d'aucune façon prêter l'oreille à vos prières3. » A toutes les sollicita –

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1 Ut popularem favorem omninn consequerïtur et gratiam in publico dixit quod a domno Gregorlu papa imperialis caronœ dignitatim vellet accipere. [Catal. Cenc, loc. cit.)

2. Bernold, loc. cit.

3. Cod. Vajican. — "Watteo'ch, tom. I, p. "41.

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p531 CHAP. V.     S1MULACSE  DE     AIX.

 

tions, à toutes les requêtes qui lui étaient chaque jour adressées, le grand pape opposait invariablement la même condition préalable. Les émissaires de Henri IV la transmettaient à ce prince, « qui n'avait aucunement, ajoute le chroniqueur, l'intention de la tenir et dont la conscience protestait au fond par le remords,» remordente conscientia1. Le roi parjure ne pouvait se méprendre sur le résultat de ses intrigues. Grégoire VII déjouait même celles dont il ne connaissait point encore la trame. A Rome ainsi qu'à Canosse, en 1083 comme en 1077, il se montrait semblable à lui-même, fidèle à l'Eglise catholique dont il était le chef, à la loi de Jésus-Christ dont il était le vicaire. Inaccessible aux illusions dont les Romains se berçaient autour de lui, son génie prévoyait sous le calme apparent le retour de la tempête. On se réjouissait de la conversion simulée du roi, de sa rupture avec l'antipape Wibert, de la paix qui succédait soudain en Toscane et dans les états de la comtesse Mathilde à une guerre si acharnée. Grégoire VII ne partageait aucune de ces fausses joies, de ces trompeuses espérances. Dès Je 24 juin, fête de la nativité de saint Jean-Baptiste, quinze jours après l'invasion de la cité Léonine et pendant que le roi vainqueur occupait encore la forteresse du Palazzuolo, «il avait solennellement, dit Bernold, renouvelé la sentence d'excommunication contre l'hérésiarque Wibert, contre Henri de Germanie et tous leurs fauteurs, adhérents, ou complices 2. » En même temps ses légats allaient en Apulie presser l'arrivée des secours promis par Robert Guiscard. Le héros de Dyrrachium luttait alors contre la défection de son neveu Jordano, prince de Ca-poue, qui venait d'entrer ouvertement dans la ligue formée contre le saint-siége entre l'empereur byzantin et le roi tudesque. Jordano avait obtenu de ce dernier un diplôme d'investiture dont il se montrait reconnaissant en combattant le duc d'Apulie et en s'efforçant de gagner à la cause du schisme l'illustre abbé Desiderius et les religieux du Mont-Cassin3. Ses intrigues échouèrent devant

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1. Cod. Vatican. — Watterich, tom, 1. p. 341.

2.Watterich, tom. I, 454.

3. Petr. Diao. Ckronic. Cassin. Pair. Lat., tom. CLXXIII, col. 7S7.

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p532 PONTIFICAT  DE GREGOIRE  VU (1073-1085).

 

la noble fermeté du cardinal Desiderius, mais elles réussirent près de quelques seigneurs normands. Ceux de Troja et d'Ascoli arborèrent le drapeau de Henri IV, symbole de schisme contre l'autorité du saint-siége et de rébellion contre la suzeraineté de Robert Guiscard. Le héros normand travaillait à éteindre cette révolte dans le sang de ses auteurs, quand il reçut le message de Grégoire VII. « Ne pouvant à l'heure même se porter sur Rome avec son armée dit Lupus Protospathaire, le duc envoya plus de trente mille solidi pour aider Grégoire VII à retenir les Romains dans le devoir 1. »

    32. Cependant le pape avait adressé à tous les évêques et à tous les abbés orthodoxes des lettres de convocation pour le concile 2, qui devait s'ouvrir le XII des calendes de décembre (20 novembre 1803) dans la basilique du Sauveur au Latran 3. L'annonce de cette assemblée extraordinaire, après l'interruption forcée des synodes quadragésimaux dont le blocus de Rome avait empêché la tenue aux époques habituelles, produisit une immense sensation.  « Les princes allemands, dit Bernold, firent partir des ambassadeurs pour y assister. De France, un grand nombre d'évêques et d'abbés

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1. Lup. Protospathar. Chronk. Patr. Lat. tom. CLV, col. 140.

2. Bernold. col. 1381.

3. Catalog. Vatic. —Watterich, t. I, p. 806. Nous n'avons plus la lettre pontificale de convocation à cette assemblée. Le continuateur du Cours complet d'Hist. eccl. ne s'arrête point devant cette lacune du Registrum de Grégoire VII; il imagine de rapporter à cette période historique une lettre non datée du grand pape, où il est question de l'élection du roi Rodolphe mort quatre ans auparavant. Cette lettre ainsi transposée et n'ayant aucune espèce de rapport avec la situation présente fournit au moderne historien un prétexte aux plus violentes diatribes. D'après lui, Grégoire VII n'aurait pas seulement été dupe des manœuvres de Henri IV, il leur eût sciemment prêté l'autorité de son nom et de son caractère. « Donc tout va finir, dit-il, du jour où Henri renoncera à l'obédience de Wiber ! Mais les investitures, mais les scandales de mœurs, les prétentions tyranniques etc., etc ? Il y avait bien d'autres choses à arranger! » {Cours compl. d'hist. eccl., t. XIX, col. 1365, not. 1952.) Nous citons textuellement et sans rien ajouter ni changer ces phrases lamentables, parce qu'elles ont profondément scandalisé les lecteurs catholiques, habitués à trouver, dans l'œuvre gigantesque entreprise par M. Henrion et publiée par l'illustre éditeur de la Patrologie, une sérieuse érudition jointe à une doctrine parfaitement pure et vraiment catholique.

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p533 CHAP.   V.   —  SIMULACRE  DE  PAIX.

 

se mirent en route; de tous les points de l'Italie, il en fut de même. Le roi Henri en grand appareil et avec une nombreuse escorte sortit de Pavie, déclarant qu'il se rendait en personne au concile. » Mais il s'arrêta au Forum Cassii (aujourd'hui Santa-Maria di For-cassi près de Vetralla au sud de Viterbe). C'était le point de jonction où de France, d'Allemagne et des diverses provinces de Lombardie devaient nécessairement, d'après la topographie des routes alors existantes, aboutir tous les voyageurs qui voulaient arriver à Rome par la voie de terre. « Or, reprend le chroniqueur, le 11 novembre fête de saint Martin, comme les ambassadeurs des princes teutoniques arrivaient au Forum Cassii, les soldats de Henri IV postés en embuscade sur le chemin, les arrêtèrent, pillèrent tous leurs bagages et les conduisirent à leur maître qui les fit jeter dans un cachot. C'était, ajoute Bernold, une singulière façon d'interpréter le sauf-conduit royal officiellement accordé à tous ceux qui voudraient se rendre au concile. Les Romains ne tardèrent point à être informés de cette violation du droit des gens et ils commencèrent à murmurer véhémentement, multum contra Henricum murmurare cœperunt. Mais Henri leur réservait d'autres surprises. Ainsi quand le vénérable Odo évêque d'Ostie, que le roi venait cependant de rendre à la liberté, traversa le Forum Cassii pour se rendre au concile, le passage lui fut interdit et il se vit retenu à la cour non plus dans la captivité d'un cachot, mais sous une étroite surveillance qui ne le privait pas moins de sa liberté. Parmi les évêques et abbés venus de France ou de Lombardie, Henri fit un choix intelligent. « Il laissa passer les plus obscurs, les jugeant avec raison inoffensifs ; mais il retint les meilleurs, ceux dont la présence eût été surtout nécessaire : Meliores autem episcopi et domno apostolico magis necessarii spccialiter prohibiti sunt. Ceux qui eurent l'honneur de l'exclusion furent le célèbre Hugues de Die récemment promu au siège métropolitain de Lyon, saint Anselme de Lucques et Réginald de Côme. «Beaucoup d'autres très-religieux clercs et moines, ajoute Bernold, furent aussi arrêtés par le tyran, et quelques-uns eurent à subir par son ordre de véritables tortures, quos in captione fecit

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p534 PONTIFICAT   DE   GfiÉGOIRB  VII  (107^-1085).

 

cruciari. Satisfait de sa campagne et heureux d'avoir si habilement exploité la crédulité publique, Henri ne poursuivit pas plus loin son voyage et retourna triomphant à Pavie1. » Il n'était pas le premier, il ne devait pas être le dernier à se croire fort contre Dieu et son Christ, contre l'Église immortelle bâtie sur la pierre qui brise tous les marteaux et écrase tous les persécuteurs.

 

  33. En de pareilles conditions, après ces infâmes violences que le tyran prenait sans doute pour des traits de génie, le synode romain indiqué avec tant de solennité par le grand pape et si dérisoirement placé par Henri sous sa protection et sa sauvegarde officielle, ne pouvait être bien nombreux. Grégoire VII l'ouvrit cependant à l'époque fixée (20 novembre 1083). A défaut des actes qui disparurent, comme presque tous les autres monuments de cet immortel pontificat, sous la main des schismatiques, le Codex Vaticani nous a conservé un sommaire malheureusement trop laconique de cette assemblée synodale, la douzième et la dernière que Grégoire VII ait présidée à Rome2. En voici la teneur : « L'an de l'incarnation dominicale mille quatre-vingt-trois, le onzième du pontificat du seigneur pape Grégoire VII, le XlI des calendes de décembre, sous la présidence de l'apostolique pontife, un synode fut célébré dans la basilique de Latran. Il dura trois jours. Les archevêques, évêques et abbés de la Campanie, de la principauté de Bénévent et de l'Apulie y assistèrent. Il n'y eut que très-peu d'évêques des provinces de la Gaule, le tyran Henri ayant forcé à rebrousser che-

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1. Bernold. Chrome. Patr.Lat. tom. CXLVIII, col. 1382. — M. Villemain en reproduisant avec toutes les atténuations imaginables cette page d'un chroniqueur contemporain a la bonne foi de trouver « violentes » les «précautions » de Henri (Hist. de Grég. Vil, t II, p. 340). Cet aveu nous console des étranges appréciations du continuateur du Cours complet d'histoire ecclésiastique.

2. C'est à tort que Mansi et Labbe parlent d'un Xe concile tenu à Rome par Grégoire VII, le 24 juin)0S4, dans lequel le pape aurait renouvelé la sentence d'excommuuication contre Wibert de Ravenne et le roi Henri. Le passage de Bernold qui a donné lieu à cette mention erronée se rapporte non pas à l'an 1084 mais à l'année précédente 1083, ainsi que l'ont judicieusement fait observer les docteurs Jaffé et Watterich. Nous avons nous-même, au n° 31 du présent chapitre, rétabli à si véritable date le fait signalé par Bernold.

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p535 CHAP.   V.     QUATRIEME   SIEGE   DE   R03IE  PAR  HENRI  IV.

 

min la plupart de ceux qui s'y rendaient. La disette régnait alors dans la ville, à la suite des trois précédents sièges. La famine avait chassé un grand nombre d'habitants : ceux qui restaient étaient profondément découragés. Le seigneur apostolique parla en termes saisissants des grandes vérités de la foi, de la constitution immortelle de l'Eglise, du courage et de la constance nécessaires dans la persécution présente. On eût dit non pas un homme mais un ange. Son discours arracha des larmes et des sanglots à tous les assistants 1. » — Le pape se proposait, dit Bernold, de fulminer un anathème nominatif contre Henri, mais à la prière de l'assemblée il renonça à cette mesure. L'excommunication fut prononcée en général contre tous ceux qui de quelque manière que ce soit empêcheraient les voyageurs de venir à Rome soit pour accomplir leur pèlerinage ad limina soit ponr visiter le souverain pontife2 »

VI. Quatrième siège siège Rome par Henri IV.

34. Huit jours après la clôture du concile, Henri reparut avec son armée sous les murs de Rome (1er décembre 1083). « Le terme fixé d'avance par les conjurés qui devaient lui ouvrir les portes de la ville, reprend Bernold, était arrivé. Jusque-là ni le pape ni aucun de ses conseillers n'avaient rien su du pacte conclu l'été précèdent par les sénateurs romains. Au retour de l'armée assiégeante, ceux-ci vinrent trouver le seigneur apostolique et lui avouèrent toute la vérité2. » Leurs dispositions étaient changées depuis que le roi parjure avait donné de nouvelles preuves de sa perfidie non-seulement en refusant d'assister en personne au concile ainsi qu'il s'y était positivement engagé, mais en arrêtant les

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1 Cod. Vatic. ap. Watterich, tom. 1, p. 456,

2.        Bernold,  Chronk. col. 1382,

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p536 PONTIFICAT   DE   GREGOIRE   VII   (1073-1085).

 

évêques qui voulaient s'y rendre au mépris du sauf-conduit général promulgué en son nom dans toute l'Europe. Ils se repentaient maintenant de leur crédulité et de la trahison qui en avait été la suite. Leurs scrupules religieux se mêlaient aux préoccupations de leur patriotisme enfin réveillé. D'une part, ils voulaient garder la religion du serment même contracté vis-à-vis d'un parjure ; de l'autre, ils entendaient ne pas être dupes une seconde fois et ne pas faire bénéficier le roi tudesque d'un engagement qu'il venait de violer lui-même. L'expédient qu'ils imaginèrent pour se tirer d'embarras est extrêmement curieux. Il fait comprendre, mieux que toutes les dissertations rétrospectives, ce qu'était au moyen âge la valeur du serment, base de toute la constitution sociale. » « Désolés de leur faute, continue le chroniqueur, ils dirent au pape : «Nous avons juré que vous donneriez la couronne à Henri; c'est là expressément à quoi se borne la teneur de notre sacra-mentum. Nous n'avons pas promis que vous lui conféreriez l'onction sainte du sacre impérial. Offrez-lui donc une couronne, et nous serons déliés de notre engagement. » — Le seigneur apostolique se prêta à leurs désirs. En conséquence les Romains mandèrent à Henri qu'il avait à choisir entre deux partis : donner satisfaction pour le passé et venir recevoir la couronne avec la bénédiction du pontife ; ou refuser toute satisfaction préalable, et dans ce cas avoir à se présenter au bas des remparts du château Saint-Ange, où le pape ferait tendre au bout d'une perche une couronne accompagnée de sa malédiction. Le roi, comme on pouvait le prévoir, refusa l'une et l'autre proposition. Les Romains lui adressèrent un nouveau message conçu en ces termes : « S'il le faut, nous sommes prêts à reprendre les armes. Nous avons accompli notre serment au pied de la lettre ; désormais nous sommes dégagés de toute obligation vis-à-vis de vousl. » Après cette dernière communication, les Romains soutinrent le siège

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1. Ce passage qui avait été altéré dans les précédentes éditions de la Chronique de Bernold (Cf. Patr. Lat., t. CXLVI1I, col. 1382) a été rétabli par M. Pertz d'après des manuscrits authentiques (Cf. Watlcrich, t. I, p. 457J.

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p537 CHAP. V.   QUATRIÈME  SIÈGE  DE  ROME  PAR HENRI  IV.       

 

avec vigueur et prêtèrent au pape le secours de leurs bras et de leurs conseils. Déçu dans ses espérances, le roi s'acharna plus que jamais à son entreprise. Campé sous les murs de Rome, il n'épargnait ni les assauts, ni les intrigues, ni les menaces, ni les promesses pour emporter de vive force ou se faire ouvrir par trahison les portes de la cité pontificale. »

 

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