Darras tome 42 p. 348
39. Lorsque disparurent les plus vaillants adversaires du gallicanisme, parurent d'autres défenseurs de l'Église romaine, et, au premier rang, le cardinal Pie. Louis-François-Désiré-Édouard Pie, né à Pontgouin en 1815, d'un cordonnier, comme Urbain IV, fut, pour la piété et pour la science, un enfant d'une admirable précocité. Après des études d'un extraordinaire éclat, prêtre en 1839, il fut cinq ans vicaire de Notre-Dame de Chartres, cinq ans vicaire général de Mgr de Montals et nommé évêque en 1849. Dès ses débuts dans l'épiscopat, il attira sur lui les sympathies de la chrétienté, par la profondeur de ses vues et la modération de ses actes. A son avis, nous étions arrivés à la période fatale des conséquences extrêmes: il fallait revenir à Dieu ou périr. Fidèle à cette consigne, Edouard Pie voulut la remplir par l'accomplissement intégral et parfait de ses devoirs d'évêque; il ajouta, aux devoirs ordinaires de l'épiscopat, la restauration des synodes diocésains, une grande part aux conciles provinciaux, la constitution de son séminaire en Faculté de théologie et le plus grand soin de se servir des ordres religieux. Pie, dans son diocèse, c'est l'évêque complet. En dehors de son diocèse, il fut homme de combat, mais sans sortir de ses attributions épiscopales, sans parler comme publiciste, sans chercher à agir comme personnage politique. D'abord, dans ses instructions synodales, il se prit aux erreurs des révolutionnaires bourgeois et des rationalistes engraissés ; il combattit spécialement Cousin et Thiers; ensuite il entra dans la lice, pour la défense du pouvoir temporel des Papes et de Rome considérée comme siège de la papauté ; puis, lorsque l'empire déchaîna contre l'Église les brochuriers et les impies, l'évêque de Poitiers tint
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p349 § II. —LES ÉCRIVAINS ECCLÉSIASTIQUES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE IX
victorieusement tête à Renan et à Laguerronière; mais, pardessus tout, il fit la guerre aux catholiques libéraux, représentés dans l'Église par l'évêque d'Orléans. Cette dernière erreur était, à ses yeux, la plus dangereuse, parce qu'elle se couvrait du patronage d'une tête mitrée, et la plus funeste, parce qu'elle préconisait le principe de tous les désastres. « Dire que Jésus-Christ est le Dieu des individus et des familles, et n'est pas le Dieu des peuples et des sociétés, c'est dire qu'il n'est pas Dieu. Dire que le Christianisme est la loi du monde individuel et n'est pas la loi de l'homme collectif, c'est dire que le Christianisme n'est pas divin. Dire que l'Église est juge de la morale privée et domestique et qu'elle n'a rien à voir à la morale publique et politique, c'est dire que l'Église n'est pas divine. Dire qu'il y a deux ordres de doctrines, deux ordres de morale, l'un qui relève de la religion, l'autre qui relève seulement de l'Etat, c'est enseigner le dualisme manichéen. Somme toute, le naturalisme politique n'est rien moins que l'apostasie, s'il n'est même l'athéisme (1). » Telle était la pensée-mère de l'évêque de Poitiers; en toutes choses, il cherchait à restaurer le règne social de Jésus-Christ, et repoussait le naturalisme intronisé par la révolution, naturalisme dont l'objectif est l'exclusion formelle de Jésus-Christ, roi des nations. Sans qu'il y eut combat personnel, ni même éclat, Pie fut, pendant trente années, l'antagoniste de Félix Dupanloup, l'Eusèbe du catholicisme libéral. Au concile, les deux champions se rencontrèrent et Dupanloup fut mis en pleine déroute. Pour approuver ses doctrines et glorifier ses services, Léon XIII revêtit de la pourpre Pie de Poitiers en 1879; l'année suivante le cardinal Pie mourait à Angoulême. Sa mort fut un deuil pour l'Église dont il était une des lumières et une des gloires. Personne ne connaissait mieux que lui les Écritures, les pères et les docteurs dont il s'inspirait dans toutes ses œuvres; écrivain distingué, orateur éloquent, il laissait, dans les dix volumes de ses œuvres, une exposition magnifique de doctrines chrétiennes dans leur application à l'ordre civil et une
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(1) Pie, Œuvres, t. VI, p. 434.
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réfutation péremptoire des erreurs, matériellement hérétiques, du catholicisme-libéral. La chrétienté porte encore son deuil; l'histoire le placera au niveau des plus grands évêques de la Sainte Eglise et Poitiers par lui aura eu un second S. Hilaire.