Darras tome 20 p. 345
§ III. Première année de Pontificat.
12. Il nous fallait rétablir ainsi la vérité et mettre en relief les nobles qualités du jeune Othon III, pour mieux faire ressortir les espérances de grandeur et de gloire que l'alliance d'un tel empereur avec un pape du mérite de Gerbert fit éclater au sein de l'Europe chrétienne. Élu le 9 février, Gerbert fut intronisé dans la basilique de Saint-Pierre le dimanche des Rameaux, 2 avril 999. Il changea son nom patronymique pour prendre celui de Sylvestre II. Ce choix indiquait, vis-à-vis de l'empereur, une déférence pleine de délicatesse. Le pape Sylvestre Ier avait dû à l'influence et à l'amitié de Constantin le Grand la pacification de l’Église au quatrième siècle ; le nouveau pontife en faisant revivre le nom de Sylvestre voulut montrer la nature des liens qui l'unissaient à Othon III, perpétuer le souvenir des services déjà rendus par ce prince à Rome ainsi qu'à la chrétienté tout entière, et consacrer d'avance par cette allusion à un précédent si glorieux les grandes choses qu'il méditait pour l'avenir. « Sylvestre II, dit M. Olleris, songeait à ranimer dans le clergé le véritable esprit ecclésiastique, à rendre au saint empire romain toute sa splendeur, à fixer en Italie et à Rome même la résidence du pape et de l'empereur, à
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1. Ps. cv, 3.
2. Oth. III. Edktum. Pair. La., tom. cit. col. 855.
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répandre la civilisation et la foi dans les contrées orientales, enfin à délivrer le Saint-Sépulcre des mains des infidèles qui l'outrageaient. Le cœur du jeune prince, ouvert à toutes les idées nobles et généreuses, promettait au pape un puissant concours. Othon III dans sa piété et son dévouement à son ancien maître ne savait rien lui refuser. On le voit, sur la demande de Gerbert, conférer à l'église de Reggio des possessions que lui discutait un seigneur du voisinage, gratifier l'église du VerceiL du comté de ce nom et de celui de Sainte-Agathe, faire des largesses au monastère de Saint-Pierre et de Saint-Servat à Quedlimbourg, à celui de Bobbio dont l'ancien abbé Pétroald avait repris l'administration-. Le pape, de son côté, accordait ou confirmait des privilèges aux abbayes de Saint-Lambert à Seven, du Saint-Sauveur et de Saint-Benoît à Lena, à l'église de Strasbourg, aux monastères de Lorseham et de Fuldal. » L'empereur prolongea son séjour à Rome, et tout en confirmant par sa présence l'autorité de Sylvestre II, il s'appliqua à faire disparaître de la ville éternelle les factions dont jusqu'à ce jour elle avait eu à subir les désastreux contre-coups 2.
1. Deux causes épiscopales, laissées en suspens sous le pontificat de Grégoire V, appelèrent tout d'abord l'attention du nouveau tpontife. Sans attendre la mort du vénérable Wido, évêque du Puy, dont nous avons signalé les nobles efforts pour l'établissement de la Trêve de Dieu3, son neveu Etienne s'était assuré sa survivance par le crédit de quelques seigneurs et de quelques prélats gagnés à prix d'argent. Lors de la vacance du siège, le clergé et le peuple repoussèrent, unanimement l'intrusion d'Etienne, lequel se fit néan-moins sacrer et se mit en possession du siège à main armée. La cause fut déférée au jugement de Grégoire V. Celui-ci, dans le concile de Rome de 998, avait solennellement cndamné Etienne. Il autorisa le clergé du Puy à procéder à une élection canonique, qui eut lieu en effet. Les suffrages régulièrement exprimés se portèrent sur un prêtre
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1. Olleris. Vie de Gerbert, p.. 169.
2. Lausser. Gerbert, p. 315.
3. Cf. ch. m, n. 1G Je cd présent volums
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vertueux, nommé Théotard, l'un des plus zélés-collaborateurs du pieux Wido. Mais Etienne se maintenait toujours en possession de son siège usurpé. Les choses en étaient là quand Sylvestre II intervint pour le triomphe de la justice et le retablissement.de la paix. Voici en quels termes il s'exprima : « Sylvestre, serviteur des serviteurs de Dieu, à son très cher fils dans le Seigneur, Théotard, évêque de la sainte église du Puy en Velay. Les causes ecclésiastiques se définissent par les sentences synodales, et nul n'a le droit de se soustraire au jugement une fois prononcé. Or, il est constant que, dans le synode général tenu à Rome par notre prédécesseur Grégoire V, l'intrus Etienne qui s'est emparé de votre église a été juridiquement condamné et frappé de déposition, pour s'être fait assurer du vivant même de son oncle un siége qui n'était pas vacant, et qu'il a depuis occupé de force contre la volonté du clergé et du peuple. Le jugement rendu en synode par le pontife romain décrétait qu'une élection canonique aurait lieu et que les clercs du Puy en Velay procéderaient au choix d'un évêque légitime. Leur choix s'est porté sur vous, vénérable frère. Nous confirmons donc votre élection en vertu de notre autorité apostolique, nous vous ordonnons évêque, vous exhortant à prodiguer au troupeau qui vous est confié toutes les tendresses de votre sollicitude pastorale, à lui donner l'exemple de toutes les vertus. Appuyez-vous sur notre autorité; en aucun cas elle ne vous fera défaut; bravez toutes les vaines sentences d'excommunication que l'intrus pourrait dans son audace téméraire lancer contre votre, personne ou contre votre église1. La fermeté de ce langage annonçait dans Sylvestre II la résolution inébranlable de rétablir l’ordre partout, et d'en finir avec les intrusions sacrilèges. C'était le mot que nous avons déjà lu dans son épitaphe : Frangitur omne reum.
14. Un autre grand scandale ser perpétuait à Laon, où l'indigne Ascelin, « le vieux traître, vetulus traditor, » venait de renouveler contre le roi de France, Robert le Pieux, un de ces odieux guet-apens qu'il excellait à préparer. Au moment où les soldats de
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1. Gerbert. Epist:, ccxvi. Ed. Onens, 0. lïtr.
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Robert se présentaient au nom de leur maître pour prendre possession de la citadelle, Ascelin les avait fait arrêter et jeter pieds et poings liés dans les cachots de la forteresse. L'archevêque de Reims Aroulf, envoyé du roi Robert, devait avoir le même sort ; il n'échappa à la captivité que par la fuite. Dénoncé à Sylvestre II pour ce nouvel attentat, l'évêque de Laon, ancien élève de Gerbert, reçut la lettre suivante : « Sylvestre évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Ascelin de Laon. Ne vous étonnez pas si vous ne trouvez en tête de notre lettre ni salut ni bénédiction apostolique. Sous le nom d'évêque, vous avez à force de crimes cessé d'être un homme. Si la fidélité élève un mortel jusqu'à Dieu, la perfidie le ravale au niveau des brutes. Vous savez toutes ces choses, j'en suis témoin ; aussi quelle n'est pas mon indignation en vous voyant tomber si bas ! Le roi Robert et les évêques de France ont adressé simultanément et à nous et à l'empereur Othon III une lettre où sont détaillées les accusations formulées publiquement contre vous devant le peuple et le clergé, dans un synode tenu à Compiègne par les archevêques de Reims et de Tours, ainsi que par les autres évêques des Gaules. Vous y aviez été invité ; l'on vous avait accordé pour vous y rendre toutes les sauve-garde soit pour votre vie, soit pour votre liberté. Fort de ces garanties, vous avez comparu ; les crimes qu'on vous reprochait étaient si notoires, que vous prîtes le parti de tout avouer et d'implorer la miséricorde du roi. Elle vous fut accordée et, par de nouveaux serments qui devaient encore être de nouveaux parjures, vous avez obtenu grâce entière pour le passé. On exigea seulement de vous comme otages l'archidiacre de Laon et l'un de vos hommes d'armes ; moyennant quoi vous juriez de rendre au prince la citadelle et les tours de Laon. Or, quand votre métropolitain l'archevêque de Reims, Arnulf, se présenta avec les autres envoyés royaux pour prendre possession de la citadelle, nouveau Judas, vous le fîtes entourer par vos satellites pour l'arrêter. Il échappa comme par miracle à cette embûche, mais ses compagnons moins heureux furent jetés par vous dans un cachot. 0 Judas ! car tel est votre nom véritable, vous avez donc renouvelé la trahison atroce de la passion du Sauveur. Vous avez souillé de
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ce crime l'épiscopat tout entier. Vous avez trahi votre métropolitain, vous avez trahi votre roi, vous n'épargneriez pas même sa personne sacrée si vous en aviez le pouvoir, et vous retenez ses loyaux serviteurs dans les fers. Combien de fois déjà ne vous ai-je pas adressé à ce sujet des remontrances écrites ou verbales ! Aujourd'hui que vous avez mis le comble à vos iniquités en résistant à nos exhortations et à nos ordres, nous vous enjoignons d'avoir à comparaître en personne au concile que nous tiendrons à Rome dans la semaine qui suivra les prochaines fêtes de Pâques. Aucune excuse de votre part ne sera admise ; votre absence ne retarderait point le jugement synodal. Vous ne sauriez d'ailleurs la motiver sur le manque de sauf-conduit dont vous pourriez vous plaindre. Nos mesures sont prises pour que vous ne soyez nullement inquiété dans le voyage, soit en Lorraine soit en Italie. Un seul cas, celui d'une maladie imprévue, pourrait légitimer votre absence; mais alors vous auriez à vous faire représenter par des témoins véridiques qui répondraient en votre nom aux chefs d'accusation articulés contre vous1. » On ne sait quel fut l'effet produit sur Ascelin par cette lettre terrible. Il est probable que le « vieux traître » se soumit, en apparence du moins, et qu'il fit le voyage de Rome. Ce qui est certain, c'est qu'il réussit à conserver jusqu'en 1030, date de sa mort, un siège épiscopal si longtemps profané par son ambition et ses intrigues.
15. Nous venons de voir en quels termes Sylvestre II prenait contre Ascelin la défense de l'archevêque de Reims, Arnulf. Les souvenirs du concile de Saint-Basle étaient complètement effacés. Rien n'est plus louchant que la lettre écrite à ce sujet par le grand pape à son ancien compétiteur. Il est facile d'imaginer quelle avait dû être l'inquiétude d'Arnulf à la nouvelle de la promotion de Gerbert au souverain pontificat. Le nouveau pape allait-il, revenant sur le passé, poursuivre son ancien adversaire et casser les décisions prises par Jean XV st Grégoire V? Humainement parlant, la situation était des plus délicates. Sylvestre II en maintenant Arnulf sur le siège de Reims condamnait implicitement la conduite anté-
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1. Gerbert. Epist.. ccxii. E<lit. Olleris, p. 151.
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rieure de Gerbert : en le déposant, il sacrifiait les décrets émanés du saint-sjége à un ressentiment personnel. Vraisemblablement Arnulf prit l'initiative et adressa au pape une lettre de soumission et d'humble repentir. C'est du moins ce qu'il est permis de conjecturer d'après la teneur même du rescrit pontifical ainsi conçut « Sylvestre évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son cher fils en Jésus-Christ, Arnulf, archevêque de la sainte église de Reims. Il appartient au siège apostolique non-seulement de prendre les pécheurs en miséricorde, mais de relever ceux qui sont tombés et de rétablir les pénitents au même degré d'honneur d'où ils étaient, déchus. Telle est dans sa plénitude la puissance de délier accordée au bienheureux Pierre, divin privilège qui appartient à l'église romaine et fait resplendir sa gloire dans tout l'univers. Voilà pourquoi nous vous tendons la main à vous, Arnulf, archevêque de Reims. Vous aviez pour quelques fautes, été dépouillé de la dignité épiscopale ; mais votre abdication ne fut point approuvée par Rome, et nous tenons à fournir en votre personne la preuve que la charité de l'église romaine peut couvrir toutes les fautes, réhabiliter de toutes les déchéances. L'apôtre Pierre possède en effet une puissance souveraine, à laquelle nulle autorité en ce monde ne saurait être comparée. Déjà la crosse eet l’anneau vous ont été rendus ; nous vous concédons par ce présent privilège le droit de remplir toutes les fonctions archiépiscopales, de jouir de toutes les prérogatives attachées au siège métropolitain de Reims, vous autorisant à porter le pallium aux solennités où il est d'usage de le faire, à couronner les rois de France, à sacrer les évêques vos suffragants, à exercer sous notre autorité apostolique le ministère pastoral dans les mêmes conditions que vos prédécesseurs. Nous défendons abso-lument à quelque personne que ce puisse être, soit en synode, soit ailleurs, d'oser revenir sur votre abdication précédente, de vous la reprocher, d’y faire même allusion ; «nous voulons que notre autorité apostolique vous soit partout un bouclier, qu'elle vous défende même contre les terreurs de votre propre conscience. Nous vous confirmons et au besoin vous rétablissons dans la possession intégrale de l'archevêché de Reims avec tous les évêchés suffra-
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gants, tous les monastères, paroisses (plebibus), titres et chapelles qui en dépendent, tous les domaines, châteaux, villes, bourgades et maisons appartenant à votre église, selon la teneur inviolable du testament du bienheureux Remy apôtre des Francs. Si quoiqu'un, ce qu'à Dieu ne plaise, entreprenait de violer notre présent décret, émané du siège apostolique de Rome, qu'il soit anathème1.» On remarquera que dans cette bulle Sylvestre II ne se prononçait pas sur la nature et la gravité des accusations qui avaient provoqué jadis la déposition d'Arnulf; il s'appuyait, pour le confirmer dans la possession du siège de Reims, uniquement sur le fait de la non-participation du pape à son jugement. «Votre abdication, disait-il, n’a point été approuvée par Rome, » tua abdicutio romano assensu caruit. Cette déclaration de Sylvestre II est catégorique. Gerbert avait eu le tort autrefois d'en contester la valeur. Sous ce rapport, le pape réparait noblement la faute qu'il avait commise en qualité d'archevêque de Reims. Quant au fond de la question, il est constant qu'Arnulf fut coupable de haute trahison envers Hugues Capet. Sa culpabilité était notoire, et dans les circonstances où fut élu ce prince carlovingien elle pouvait entraîner canoniquement une sentence de déposition ; mais les évêques français qui la prononcèrent n'en avaient pas le droit. Une cause de cette nature relevait directement du saint-siége. Voilà pourquoi le saint-siége cassa le jugement des évêques des Gaules ; tel est le dernier mot de ce grand procès, qui passionna tous les esprits à la fin du dixième siècle. Ce n'était ni la première ni la dernière fois qu'un coupable condamné par des juges incompétents, à la suite d'une procédure anticanonique, devait se voir réhabilité par le saint-siége, gardien né des règles ecclésiastiques des canons. Faute de com-prendre ce principe élémentaire de droit, dont l'application se rencontre chaque jour même dans les tribunaux civils, on s'est trop souvent parmis de déverser contre la jurisprudence pontificale des injures non moins odieuses qu'imméritées. Un jugement cassé pour vice de forme n'innocente pas un meurtrier; mais toutes les législations civilisées interdisent d'exécuter un meurtrier tant que
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1 Gerbert. Epist. CCÏV, p. 145.
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le jugement qui le condamne n'est pas pleinement régulier et exempt de tout vice de forme.
16. Arnulf survécut longtemps à sa réhabilitation ; il ne mourut qu'en 1021, après avoir réparé dans les dernières années de sa vie le scandale des premières. Les acteurs principaux du concile de Saint-Basle n'eurent pas le privilège de la longévité. Le promoteur Arnould d'Orléans mourut au commencement de l'an 1003. Il avait été précédé dans la tombe par le président Siguin, archevêque de Sens, mort le 17 mai 999. La succession de ce dernier fut vivement disputée, et Sylvestre II eut à intervenir dans le débat. Une élection régulière avait d'abord promu au siège vacant Léothéric, un des élèves privilégiés de Gerbert à l'école de Reims. Mais bientôt des résistances se produisirent contre lui de la part du clergé, avec une telle ardeur qu'il lui fut impossible de se mettre en possession de son siège. Ce fut alors que le pape fit entendre sa voix souveraine. Nous n'avons plus la lettre qu'il écrivit à cette occasion, mais les chroniqueurs qui en mentionnent l'existence nous laissent supposer qu'elle avait l'éloquence de celle qui venait de foudroyer Ascelin. Elle fit tomber toutes les oppositions, et Léothéric put enfin prendre le gouvernement de l'église de Sens. La mort frappait à coups redoublés parmi les anciens amis de Gerbert. On apprit à Rome, vers le mois d'octobre 999, que la tante de l'empereur, la pieuse princesse Mathiide, abbesse de Quedlimbourg, venait de s'endormir dans le Seigneur après une vie de saintes œuvres et de noble dévouement à l'Église et à l'État. Par l'élévation de son caractère et la suprématie de son esprit, Mathilde avait acquis en Allemagne une immense influence. Durant ses expéditions, Othon III lui confiait toujours la régence. C'était grâce à ses sages conseils que ce jeune prince avait pu grouper de nouveau sous son obéissance, après une minorité orageuse, les peuples d'origine diverse violemment réunis par l'épée d'Othon le Grand ».
17. La bienheureuse mort de l'impératrice Adélaïde eut lieu
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1. Lausser. Gerbert, p. 320.
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quelques mois après et fut comme la clôture du premier millénaire chrétien. La sainte aïeule d'Othon III avait toujours professé pour Gerbert une profonde estime ; plus que personne elle s'était réjouie de sa promotion au souverain pontificat. « La dernière année de sa vie, dit son biographe saint Odilon, Adélaïde voulut se préparer au pèlerinage du ciel par un dernier pèlerinage dans les monastères de la Burgondie. Elle visita successivement ceux de Payerne (Pater-niacum) et de Saint-Maurice d'Agaune, distribuant de ses mains augustes les plus abondantes aumônes aux religieux, aux églises et aux pauvres. Sur le point de quitter Agaune, elle alla se prosterner près des reliques des saints martyrs, priant avec une ferveur inaccoutumée. Un messager arrivant d'Italie lui apporta en ce moment la nouvelle de la mort du vénérable Franco évêque de Worms, qui avait accompagné l'empereur à Rome. C'était un digne serviteur de Dieu, et l'impératrice l'affectionnait particulièrement. Hélas! s'écria-t-elle, que vais-je devenir? Tous ceux que j'aime mourront donc dans cette malheureuse Italie ! Mon petit-fils et seigneur l'empereur Othon y finira lui-même ses jours. 0 mon Dieu, je vous en supplie, faites que mon exil sur la terre ne se prolonge pas jusque-là; ne permettez pas que, veuve et aïeule désolée, je survive seule à toute ma famille. — Ses vœux devaient être exaucés. D'Agaune elle se rendit à Genève, pour prier dans l'église du très-glorieux martyr Victor, et de là à Lausanne au temple de la bienheureuse mère de Dieu. Le roi de Bourgogne, les princes et les évêques de celte contrée, l'accompagnaient dans ce pieux voyage. Elle tint à Urbe une diète où elle régla pacifiquement les intérêts politiques de la province, et multiplia ses largesses impériales. Miraculeusement avertie de sa fin prochaine, elle fit partir des messagers chargés de remettre en son nom de magnifiques présents à Saint-Benoit-sur-Loire, à Saint-Martin-de-Tours et au monastère de Cluny qu'elle avait tant de fois visité à l'époque du bienheureux Maïeul. Le monastère de Saint-Martin-de-Tours avait peu de temps auparavant été ruiné par un incendie. Adélaïde lui destina une somme énorme pour la reconstruction des bâtiments; elle envoyait en même temps un manteau impérial pour orner le tombeau du
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saint confesseur. Elle dit au messager chargé de porter ces offrandes : Je vous prie, très-cher fils, quand vous les déposerez au tombeau du glorieux confesseur Martin, de vous exprimer en ces termes : Évêque de Dieu, recevez ces humbles présents que vous offre par mes mains Adélaïde, servante des serviteurs de Dieu, pécheresse par nature, impératrice par la grâce du Seigneur. Recevez ce manteau de son unique fils, l'auguste Othon, et priez pour lui, vous qui avez eu la gloire de revêtir de votre propre manteau le Christ lui-même en la personne d'un pauvre mendiant. » — Or, le jour même où partit le message qu'elle envoyait à Tours, saint Odilon, venait la visiter pour la dernière fois sur la terre. Voici avec quelle modestie, parlant de lui-même à la troisième personne et sans se nommer, le vénérable abbé raconte cette entrevue. « Parmi la foule qui se pressait autour de la bienheureuse impératrice, se trouvait un religieux, indigne sans aucun doute du titre d'abbé qu'on lui décernait, et pour lequel cependant Adélaïde daignait avoir quelque estime. Ils se regardèrent l'un et l'autre et versèrent des larmes. Puis l'impératrice prenant le bord de la robe du moine, étoffe vile et grossière, le baisa pieusement, le porta à ses yeux et à ses lèvres, en disant : Mon fils, souvenez-vous de moi près du Seigneur. Sachez qu'ici bas je ne reverrai plus votre face. Quand j'aurai émigré de ce monde, je recommande le salut de mon âme aux prières de vos saints religieux. — Adélaïde reprit la route de Germanie, et arriva au monastère de Seltz. où elle avait choisi le lieu de sa sépulture près du tombeau d'Othon le Grand, son époux. Malgré les fatigues du voyage et sa faiblesse toujours croissante, elle voulut faire de ses mains une distribution d'aumônes à la foule des pauvres que la nouvelle de son retour avait fait accourir des provinces les plus éloignées ; ensuite elle fit célébrer par Willigise, archevêque de Mayence, une messe pour le repos de l'âme de son fils Othon II. La nuit suivante, la fièvre la saisit, et en quelques jours s'aggrava tellement que l'auguste malade fut réduite à l'extrémité. Son âme, cependant, recueillie en Dieu s'absorbait dans la prière ; ses yeux sans cesse levés vers le ciel cherchaient le Christ, unique objet de ses désirs. Un inter-
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valle d'apaisement dans ses douleurs lui permit de demander les sacrements. Elle reçut l'onction de l'huile sainte et, dans une adoration extatique elle participa au sacrement du corps du Seigneur, s'unissant au Dieu en qui elle avait cru et espéré. Fortifiée et nourrie de ce mets céleste, elle demanda aux clercs qui l’entouraient de chanter les psaumes de la pénitence et les litanies des saints. Comme jadis la sœur de Moïse, l'auguste impératrice mêla sa voix à celle des assistants et ce fut ainsi qu'elle alla en toute joie rejoindre les chœurs angéliques qui suivent l'agneau divin. Or, on était au seizième jour de décembre de l'an 999, à la veille du millénaire écoulé depuis l'Incarnation du Sauveur, lorsque sainte Adélaïde émigra vers les tabernacles éternels pour y voir le jour qui ne connaît pas de soir 1. »