Baius 1

Darras tome 35 p. 294

 

VII. AFFAIRE DE BAIUS.

 

   141.  Les Pays-Bas  étaient riches en universités ; celle de Louvain tenait le premier rang. Cette université avait été fondée par Jean IV, duc de Brabant, le 9 décembre 1423, approuvée par le Pape Martin V et inaugurée le 7 septembre 1426. Le temps l'enri­chit de nombreuses fondations ; lors de son abolition, elle comp­tera quarante-deux collèges, la plupart richement dotés; l'un des collèges de théologiens, par exemple, n'avait pas moins de 36,000 florins de revenus. On acceptait des élèves sans avoir égard au rang ni à la nation. Au XVIe siècle, elle comptait six mille étu­diants, chiffre à noter pour ceux qui attribuent, à notre siècle, l'in­vention de l'instruction publique. Parmi ses professeurs brillaient des hommes illustres, telle que Juste-Lipse, l'une des gloires de l'érudition, et Adrien Florent qui monta sur le siège de saint Pierre. La faculté de théologie surtout avait grande réputation ; elle se recommandait spécialement par sa dévotion à la sainte Vierge, et sa piété envers le siège apostolique. L'intégrité, non pas de sa foi, mais de la réputation, subit malheureusement une atteinte par les controverses de Baïus. Michel de Bay, né à Melin en 1513, vint de bonne heure à Louvin, pour se préparer à l'état ecclésiastique. Après avoir parcouru les classes du gymnase, il commença, en 1333, ses études de philosophie à la pédagogie de Porc, ainsi nommé d'une enseigne de l'hôtel en face, gîte ordinaire de beaucoup d'écoliers ; il les termina heureusement en 1333, année où il fut promu au grade de maître ès-arts. L'aptitude et les succès de Baïus dans ses thèses de philosophie, lui valurent une bourse au collège du pape Adrien ; il y fit, pendant cinq ans, ses études théologiques et s'at­tira, autant par sa conduite sage et digne que par ses talents et ses connaissances, une telle considération, qu'il fut, en 1541, mis à la tète du collège de Slandenk. Pendant trois années il remplit cette fonction, puis de 1544 à 1550, enseigna la philosophie, avec un

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grand succès. Dans l'intervalle, il s'était fait recevoir licencié et docteur en théologie ; en 1551, il était nommé dans la même fa­culté, professeur d'Ecriture Sainte. A cette date, l'université de Louvain venait de se couvrir de gloire, d'abord par la condamna­tion des écrits de Luther, ensuite par les réfutations savantes des erreurs du protestantisme. Aussitôt après avoir reçu la prêtrise, Baïus se livra donc avec ardeur aux études scriptuaires, il lut avec avidité les livres luthériens où l'on s'efforçait,  par des textes mal compris, de déroger à la tradition ; peu à peu il prit goût à la con­troverse et se laissa entraîner. Dans ces pugilats sur la doctrine, il y a toujours quelque chose d'un peu confus ; la confusion des idées engendre l'obscurité dans les esprits; cette obscurité se concilie très bien avec les passions et il faut une rare mérite dans ces ren­contres pour ne pas succomber. Le chancelier de l'université, Ruard Tapper, personne fort prudente, crut distinguer dans les leçons, je ne sais quels symptômes d'erreur: il donna des avis. Ces avis furent d'autant moins goûtés qu'ils étaient plus sages ; Baïus préféra les encouragements de son collègue Jean Hessels, licencié comme lui, professeur de théologie à l'abbaye du Parc, de l'ordre des Prémon­trés. Plus jeune que Baïus, plus hardi, Hessels s'était fait connaître sous le nom de Jean de Louvain. Leur liaison devint bientôt une absolue communauté de pensées et d'études. Ces deux amis rédi­gèrent  ensemble un plan de doctrine qu'ils résolurent d'émettre et de propager par tous les moyens en leur pouvoir.

 

142. La controverse à laquelle donnèrent lieu les deux professeurs prit sa source dans l'emploi d'une nouvelle méthode et sa matière dans la doctrine qui ressortit, bientôt de cette méthode. La méthode scolastique, du moins telle qu'on l'employait de leur temps et dans leur pays, négligeait trop, à leur avis, les Saintes Ecritures, même à une époque ou l'outrecuidance avec laquelle les réformateurs protestants se prévalaient de l'autorité de la Bible, devait plus que jamais en rendre l'étude importante aux yeux des catholiques. L'étude des Pères de l'Église ne leur parut point, non plus, faite avec assez de largeur. En place de tous les matériaux logiques, arguments de métaphysique,   déductions  dialectiques,

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textes réduits à leur plus courte citation, ils demandaient qu'on produisit avec plus d'abondance les textes sacrés, avec plus de dé­veloppement les citations des Pères, précisément parce que les seuls réformateurs en appelaient plus souvent aux Pères et se targuaient faussement de tout prouver par les Écritures. En cela, les deux théologiens avaient parfaitement raison ; ils faisaient toucher du doigt un des défauts de la scolastique, défaut généralement senti, difficile à guérir et dont le traitement n'était pas sans danger. Ainsi s'explique la grande faveur qui accueillit d'abord les deux théologiens. Lorsqu'on les vit réclamer des améliorations dans l'é­tude de la théologie, on crut qu'il s'agissait uniquement d'en forti­fier les bases. Mais de l'insuffisance du fondement patristique et scriptuaire, il vinrent tout doucement à mettre en cause sa soli­dité; il ne s'agissait plus de méthode, mais d'interprétation. Baius en particulier se croyait appelé à découvrir ce qu'il y avait d'enfoui dans les écrits des Pères et ce que les théologiens scolastiques n'a­vaient pas aperçu : In lucem proferre quœ in ilis videbantur ab-dita contineri : comme il le dit dans sa lettre au cardinal Simoneta. Par là, il entendait l'anthropologie chrétienne, que, dans la con­viction de Baïus, beaucoup de théologiens n'interprétaient plus dans sa rigueur antique. En ce point encore, Baïus ne s'abusait pas. Quelques théologiens avaient abandonné la stricte doctrine de saint Augustin, sous ce prétexte, qu'en se tenant au strict augustinisme, on ne pouvait combattre que très difficilement les réfor­mateurs. Pour se forger des armes de circonstances, ils déclinaient à gauche, et loin de détruire l'erreur, la faisaient naître. D'autres virent les dangers de cette tactique ; les docteurs de Louvain furent du nombre et avec eux Baronius: « Qu'ils prennent garde, dit-il ; à quel péril s'exposent quelques récents théologiens qui s'élevaient contre les novateurs, pour les réfuter, et s'éloignent du sentiment de saint Augustin sur la prédestination. » (1)

 

   143. C'est sur ce point que devait choper Baïus. Exact dans ses observations sur l'insuffisance de la méthode et sur certaines déviations dogmatiques, il devait se tromper sur la manière de comprendre

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(1) Eau. Opéra, t. II, p. 135 et 192.

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la condition de l'homme et son rapport normal avec le gouverne­ment de la Providence. Il y avait à cette époque, dans la manière de concevoir les rapports de la grâce divine avec la liberté humaine, deux directions tout à fait indépendantes et généralement opposées. Parmi les scolastiques Duns Scott avait soutenu un sentiment contraire à la doctrine strictement augustinienne de saint Thomas ; les Franciscains l'avaient adoptée ; les Jésuites l'avaient défendue. Baïus, croyant suivre la doctrine de l'ange de l'Ecole, se trouvait dans le camp op­posé, mais ce qu'il prêtait à l'ange de l'École, n'était qu'une conceptions à lui, exacte peut-être dans son intelligence, défectueuse dans son expression. Au moment où il l'exposait en chaire, ses collègues, Ruard Tapper, Josse Ravesleyn, Tileto, Léonard Hessels, partaient au concile de Trente. A leur retour, les deux premiers entendant parler de la nouvelle méthode de Baïus, se crurent, en qualité de représentants de l'ancienne doctrine, blessés par l'ensei­gnement nouveau et se déclarèrent contre avec plus ou moins de mauvais vouloir ; Ruard Tapper, alors que Baïus et Jean Hessels étaient ses auditeurs, avait remarqué en eux un esprit hardi, ama­teur de nouveauté et avait exprimé hautement son inquiétude à cet égard (1) ; il était mort en 1559 et ce fut Ravosteyn, adversaire de Baïus, qui prit sa place à la faculté. La cause avait d'abord été déférée à l'examen du docteur Vigilius, président du conseil privé de Bruxelles, et à Granvelle, premier ministre de Marguerite de Parme. Les docteurs de Louvain relevaient, en qualité d'ecclésiatiques, de l'autorité spirituelle de Granvelle, archevêque de Malines, et, en qualité de professeurs, de l'autorité royale. Cette première intervention de l'autorité fit apprécier les scandales de l'enseigne­ment nouveau et amena l'ordre de ne plus s'écarter ni des termes, ni du programme de l'enseignement officiel. Il résulte, de cette défense, une courte accalmie.

 

144. La lutte ne commença formellement qu'en 1560. Les Franciscains s'occupaient, dans leurs couvents, des opinions qu'ils avaient entendu développer par Baïus dans ses cours.  Les partisans de Baïus, de leur côté, reprenaient les hostilités  à front découvert.

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(1). Pali.avic.ini. Hist. Conc. T,id. Lib. XV. Cap. 7. N. 9.

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   Deux couvents des frères mineurs, celui d'Ath en Hainaut et celui de Nivelle en Brabant, s'engagèrent dans la mêlée. La voix des supérieurs de ces deux maisons n'obtenait plus la même déférence; ils se concertèrent sur le remède à opposer au désordre et s'accordèrent pour recourir au jugement de la Sorbonne de Paris. Remarquons que l'opiniâtreté des baïanistes s'appuyait prin­cipalement sur l'habileté et la science apparente de leurs chefs; ils pensèrent que rien ne serait plus propre à désabuser les disci­ples qu'un arrêt émané d'une faculté aussi universellement estimée que l'était la Sorbonne de Paris. En conséquence, les diverses pro­positions de Baïus furent recueillies et expédiées en France, sous le sceau des deux monastères, avec prière instante de procéder au plus sérieux examen ; l'assemblée des docteurs parisiens fut aussitôt convoquée, et en juin 1560, elle émit une censure motivée sur chacune des propositions séparément: de dix-huit, quinze furent qualifiées hérétiques, et les trois autres, simplement fausses. La faculté de théologie envoya de Paris en Hainaut et en Brabant deux copies de son jugement qui fut aussitôt répandu dans toute l'étendue des Pays-Bas. Les partisans du baïanisme furent ébranlés à la voix d'une compagnie aussi distinguée; Baïus en fut visiblement alarmé. Bientôt pourtant il se décida à la réplique par voie détournée. Écrivant à son ami Sablonius, il se plaignit de la rigueur avec laquelle il avait été censuré, maintint contre la Sorbonne le sens de quelques-unes de ses propositions, éluda la discussion sur quelques autres et subtilisa sur certains mots, prétendant que la censure portait sur des expressions déna­turées ou mal comprises. Il louvoyait enfin entre la rétractation et l'aveu de ses erreurs, en disant assez pour rallier les disciples incertains, pas assez pour être taxé de révolte ouverte à Bruxelles et à Malines. Cet écrit du maître releva le courage des disciples ; ils travaillèrent de leur côté à l'apologie de leur sentiment, et à se justifier, non en le désavouant, mais en s'efforçant de l'appuyer de l'autorité des Pères de l'Église.

 

    145. Les Franciscains firent, en 1561, une nouvelle collection de propositions suspectes, qu'ils soumirent au cardinal Granvelle. Le

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prélat les communiqua à Baïus; le professeur y répondit par une lettre qu'on n'a pu retrouver. Dans sa lettre au cardinal Simoneta, Baïus dit, au sujet de ces propositions, que les unes s'éloignent beau­coup de sa manière de voir; que d'autres n'ont jamais été ensei­gnées par lui ni dans un sens, ni dans un autre ; que toutes, ou du moins la plupart, étaient conçues avec une telle perfidie, que leur réel énoncé devait les rendre suspectes, surtout de la part de ceux qui n'étaient pas familiarisés avec ces questions si délicates. Granvelle crut pouvoir flatter l'amour-propre des professeurs en leur offrant, dans son conseil, des places honorifiques et des pensions qu'ils voulurent bien accepter. Lorsque le cardinal les eût assurés de sa bonne volonté à leur égard, il leur montra un bref de Pie IV, qui l'autorisait à user des pouvoirs ecclésiastiques, pour imposer silence à toute discussion doctrinale dans les Pays-Bas. Les professeurs se soumirent, à condition qu'on imposerait le même silence aux adversaires qui avaient battu en brèche leur enseignement. Granvelle fit accepter, aux Cordeliers, cette pacifi­cation ; il fut convenu qu'on ensevelirait dans l'oubli tous les anciens sujets de discorde. Mais cette paix ne devait pas durer. Au commencement de 1563, Baïus publia ses premiers traités : De libero arbitrio ; De justitia ; De justifîcatione et sacrificio; puis il partit au nom du roi d'Espagne, pour assister au concile de Trente avec Hessels et Jansénius, depuis évêque de Gand. A son retour en 1564, Baïus fit paraître ses autres traités ; de Meritis operum ; de Prima hominis justitia et de Virtutibus impiorum ; de Sacramentis in genere ; de Forma Baptismi ; deux ans après il fit imprimer de nouveau les premiers traits et y ajouta : de Peccato originis ; de Charitate ; de Indulgentia: de Oratione pro defunctis. Pendant que Baïus publiait ses écrits, ses adversaires n'étaient pas restés inactifs; Ravesteyn mettait les facultés espagnoles en mou­vement contre lui ; il envoyait aussi, par un franciscain, plusieurs propositions extraites des écrits de Baïus à Rome, pour en obtenir le rejet. Les Franciscains, parmi lesquels s'étaient de nouveau élevées plusieurs controverses très vives, dans lesquelles les écrits et les doctrines de Baïus jouaient un rôle, s'agitaient de  leur côté.

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   On compléta le recueil des propositions dénoncées à Rome en se servant des derniers ouvrages de Baïus, et l'on poursuivit auprès de Pie V, successeur de Pie IV, la condamnation de ces proposi­tions, qui s'élevaient à soixante-seize. Pour arriver plus sûrement et plus rapidement au but, les Franciscains envoyèrent sous la protection du duc d'Albe, une députation au roi d'Espagne, qui, de son coté, insista à Rome pour qu'on mit fin à ces discussions.

 

   146. Le pape ordonna l'examen des doctrines dénoncées à son tribunal. Afin que les examinateurs ne fussent pas suspects à Rome, le Pape les choisit parmi les docteurs de plusieurs nations, et assista lui-même comme il le déclare dans la bulle, à plusieurs séances d'examen. Le premier octobre 1367, son jugement définitif fut promulgué d'après le vœu unanime des commissaires délégués à cet effet. — La constitution de Pie V, commençait par ces mots : « Entre toutes les afflictions que le malheur des temps nous suscite dans la place où nous avons été élevé par le Seigneur, il n'y en a point qui nous ait frappé si vivement, que celle de voir que la religion chrétienne, après avoir été agitée depuis longtemps en tant de manières différentes, soit encore troublée tous les jours par de nouvelles opinions ; et que le peuple de Jésus-Christ, divisé par les suggestions de l'ancien ennemi, soit entraîné indifféremment dans toutes sortes d'erreurs. En ce qui nous regarde, nous employons tous nos efforts pour étouffer ces opinions dans leur naissance ; car nous sommes saisi d'une douleur très sensible en voyant plusieurs personnes d'une probité et d'une capacité d'ailleurs reconnues, répandre, de vive voix et par écrits, diverses opinions dangereuses et très scandaleuses, et en faire la matière de leurs disputes dans les écoles. Telles sont les propositions suivantes :

Les mérites ni de l'ange, de l'homme encore entier ne sont justement appelés grâce ;

 

Comme l'œuvre mauvaise de sa nature est méritoire de sa mort éternelle, de même la bonne œuvre de sa nature est méritoire de sa vie éternelle ;

 

La félicité serait une récompense et non une grâce, et pour les bons

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anges et pour le premier homme, s'il avait persévéré dans son état jusqu'à la fin ;

 

La vie éternelle a été promise à l'homme entier, et à l'ange en prévision des bonnes œuvres et les bonnes œuvres, d'après la loi de nature, suffisent par elle-mêmes, pour acquérir cette vie :

 

Dans la promesse faite à l'ange et au premier homme est contenue la constitution de la justice naturelle, par laquelle, à raison des bonnes œuvres, et sans aucune autre considération, est promise aux justes la vie éternelle ;

 

Il a été établi pour l'homme par la loi naturelle, que, s'il persé­vérait dans l'obéissance, il passerait à cette vie où, il ne pourrait plus mourir ;

 

Les mérites du premier homme entier furent des dons de création première, mais d'après la manière de parler des Saintes Écritures, on ne peut pas les appeler justement des grâces, mais on doit les appeler seulement des mérites, et non des grâces ;

 

Dans ceux qui sont rachetés par la grâce du Christ, on ne peut trouver aucun bon mérite, qui n'ait été conféré gratuitement à un indigne ;

 

Les dons accordés à l'homme entier et à l'ange, par une raison qui n'est peut-être pas blâmable, peuvent être appelés des grâces ; mais parce que, selon l'usage de la Sainte Écriture, on entend seulement les dons conférés au nom du Christ à des indignes et à des gens qui ne les méritent pas, par ce motif, on ne peut appeler grâce, ni les mérites, ni la récompense qui leur est décernée ;

 

La solde de la peine temporelle, qui reste toujours après la rémission du péché et la résurrection du corps ne peuvent être attribués qu'aux mérites du Christ ;

 

Pour avoir vécu jusqu'à la fin pieusement et justement dans cette vie mortelle, si nous acquérons la vie éternelle, cela doit être attribué, par un juste jugement de Dieu, non pas proprement à la grâce de Dieu, mais par une disposition naturelle, réglée ainsi dès le commencement.

 

Dans cette récompense des bons on ne regarde pas aux mérites du Christ, mais seulement à la première institution du genre humain

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dans laquelle, il est établi par la loi naturelle, que par un juste jugement de Dieu, la vie éternelle soit accordée à l'obéissance aux commandements (1).

 

Il y a soixante dix-neuf propositions de Baïus, analogues aux précédentes, condamnées par la même bulle. Les examinateurs avaient négligé de synthétiser ces propositions, de les présenter en corps de doctrine, ils s'étaient borné à les relever successivement telles qu'ils les trouvaient dans les opuscules de Baïus. « Les Baïanistes, dit un professeur de Louvain, se trompaient au sujet de la grâce des anges et du premier homme, au sujet du mérite des œuvres tant dans l'état d'innocence que dans un autre état, au sujet du libre arbitre et de ses forces, au sujet du péché tant personnel qu'originel, au sujet de la charité et de l'accomplissement de la loi au sujet de la justification et de l'effet des sacrements, enfin au sujet de la soulte de la peine temporelle. (2) » Ainsi parle un professeur de Louvain, un titulaire de la chaire même occupée ci-devant par Baïus. Après avoir énuméré ces propositions, la consti­tution se terminait ainsi : « Après avoir pesé toutes ces propositions dans l'examen exact qui s'en est fait en notre présence, quoique quelques-unes puissent en quelque sorte être soutenues, en les prenant à la rigueur et dans le sens propre des mots que ceux qui les ont avancées ont eu en vue, nous les condamnons par l'autorité des présentes, comme hérétiques, erronnées, suspectes, téméraires, scandaleuses et offensives des oreilles pieuses le tout respectivement ; aussi bien que tout ce qui s'est dit ou écrit sur leur sujet. Et nous défendons à toutes sortes de personnes de parler à l'avenir, d'écrire ou de disputer en aucune manière sur ces articles et sur tous autres semblables. »

 

   147. Granvelle était à Rome lorsque cette sentence fut rendue. Aussitôt que la constitution fut portée, on ne songea plus qu'à la mettre à exécution avec indulgence. L'archevêque de Malines en reçut mandat ; il délégua, à cette fin, son vicaire général, Morillon, que son mérite plaça plus tard sur le siège de Tournay. Voici quel-

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(1) Annales ecclesiastici, t. XXXV, p. 291. (2) Haine. Principiaet errores, p. 79.

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ques extraits de la lettre du cardinal au prévôt de Malines : « Sa Sainteté se souvient fort bien de ce qui se passa lorsque feu son prédécesseur me commit cette affaire, car Sa Sainteté avoit pour lors la charge de l'Inquisition. Je luy ay ramanteu la qualité du dit docteur le Bay (Baïus) et le fruit qu'il peut faire de l'Église de Dieu, la suppliant que tenant respect à ce et à la vertu et bon zèle du dit docteur, il luy plût traiter cette affaire, de sorte que ce fût avec le moindre scandale du dit sieur le Bay que faire se pourroit ; par quoi Sa Sainteté se condescendit avec une piété et une charité vrayment chrétiennes : et ayant compassion au dit le Bay, présup­posant qu'il fût tombé en cecy stymulé de la contention de ses émulateurs, et comme il est advenu souventes fois, que pour soute­nir une proposition qui est échappée, quand l'on prend le chemin du monde, l'on tombe nécessairement à être forcé à concéder et affermer autres plus absurdes et plus éloignées de la religion. — Et me concède Sa Sainteté que l'on feroit pour le dit Bay, tout ce que la vérité et la foy sauve, et sans faire préjudice à la dignité et autorité d'icelle, se pourroit, pourvu que le dit docteur se voulut soumettre à ce que la raison veut, et à la censure de Sa Sainteté : et pour y procéder en cette sorte, et avec la charité acquise, l'on fit ôter le premier feuillet, afin que l'on ne connût ni l'auteur du livre ni le lieu où il est imprimé, et s'est examiné l'œuvre par gens savants de plusieurs nations, lesquels uniformément ont censuré plusieurs des propositions trouvées dedans le livre en la forme que vous verrez par la bulle de N. S. P. le Pape que je vous envoyé avec celle-ci, déclarant lesdites propositions annotées, aucunes erronées, aucunes suspectes, autres scandaleuses, autres, jaçoit se puissent en rigueur interpréter en quelques sens pour les excuser, donnent toutefois offensions à gens pieux qui les lisent. — Et s'est fait cette condamnation ainsi générale, avec l'adjonction du mot respective pour plus de douceur. Et comme vous verrez, Sa Sain­teté me commet d'y faire ou par moy, en y employant d'autres, ce que je trouverai convenir pour, la dignité de la religion sauve, pourvoir doucement au mal qui de cecy pourroit succéder. Et il m'a semblé que je n'y pouvais entremettre personne, qui, avec

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p304   PONTIFICAT   DE   SAINT   PIE  Y  (io6G-lû72).

 

meilleur zèle et discrétion, s'y pût satisfaire que vous. Et tant plus pour l'affection que je sçais que vous portez audit docteur Bay, lequel je tiens pour si homme de bien et catholique, que voyant censure, et détermination de Sa Sainteté, il n'y voudra aucunement répugner. — Autrement il me ferojt perdre la bonne opinion que j'ai de lui, me retireroit de sa protection, laquelle comme vous sçavez j'ai tenu et tiens comme d'un personnage si vertueux et qualifié, et du conseil duquel j'espère tous les jours me valoir de mieux en mieux. — Ce qu'il convient de faire est, à mon avis, que vous l'appelliez et qu'amplement vous lui faites entendre de ma part ce que dessus, lui communiquant la bulle originale par laquelle il verra l'intention de Sa Sainteté et que, pour non faillir à mon devoir, je ne puis délaisser de la faire exécuter, mais que je désire bien que ce soit avec le moindre scandale que faire se pourra. Il verra que par la bulle il n'est nommé, ni son livre, si bien icelle sans dire lequel. Mais toutefois s'étant publié iceluy, il faut regarder par quel moyen on pourra remédier à ce point ; car je ne vois qu'il se puisse délaisser de le défendre, afin que les exemplaires sortent hors des mains. — Et il sera besoin que au doyen et aux principaux de la faculté, vous faites ostentation de ladite bulle après toutes fois avoir parlé audit docteur, afin que voyant la censure de Sa Sainteté, ils ne comportent que telles pro­positions se soutiennent, quelque interprétation on glose que l'on y veille donner ; car je puis vous assurer que pour les sauver l'on a fait tout ce qui a esté possible, et qu'en cette affaire Sa Sainteté a usé d'une telle intelligence, que si ce fut esté pour gaigner tout le monde, l'on n'eust sçeu faire plus. — Et ceci est de telle qualité et importance, et l'a Sa Sainteté tant à cœur, pour la crainte qu'elle a que sans y remédier promptement, inconvénient plus grand en puisse advenir, que j'attendrai avec bien grand désir, nouvelles de vous pour sçavoir et lui faire entendre ce qui s'y sera fait. Et je désire sincèrement que le dit docteur prenne la chose par le bon chemin pour éviter tous les inconvénients auxquels en usant autrement il pourroit tomber. Et pourtant vous prie, autant affectueusement que je puis, d'y user toute diligence, vous servant

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p305 CHAP.   XV.   —  AFFAIRE  DE   BAIUS.  

 

du conseil de ceux que vous verrez convenir ; mais ayant grand égard de fuir ceux qui se pourroient montrer passionez contre le dit docteur ; car ce que l'on prétend est de remédier au mal, comme j'ai dit, évitant, tant que faire se pourra, le scandale du dit doc­teur, sans toutefois rien délaisser, suivant l'intention de Sa Sain­teté, qui doive servir pour conserver la pureté de la doctrine. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon