Grégoire VII 1

Darras tome 21 p. 272


POXTIFICAT D'ÉTIENNE X (2 août 1057. — 29 mars 1058).

 

 

   15. La nouvelle si imprévue  de la  mort du  pape, dit Léon d'Ostie,  consterna Frédéric de Lorraine, qui dut à la suite de cet événement prolonger son séjour à Rome. Il demeurait au monastère de Saint-Sébastien ad Pallariam, près la basilique  Sainte-Croix-en-Jérusalem donnée par Léon IX à l'abbaye du Mont-Cassin4. Tous les clercs, tous les principaux  citoyens accoururent pour lui de­mander conseil. Le jour entier et toute la nuit suivante, sa demeure

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1 Léo Ostiens. Chronic. Cassin. loe. cit. col. 702.

2. Anonym. Haserens. "Watterich. p. 183.

3. Cf. Chapitre H de ce présent volume, n» 17.

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p273 CHAP.   IV. — PONTIFICAT  D'ETIENNE  X. 

 

fut assiégée par une foule innombrable. « Que faut-il faire? lui disait-on. Que devons-nous élire pour souverain pontife? » Frédéric leur désigna cinq personnages qu'il croyait également dignes de cet honneur; c'étaient l'évêque de Sainte-Rufine (Silva Candide) Humbert, Jean évêque de Velletri, l'évêque de Pérouse, celui de Tusculum et le sous-diacre de l'église romaine Hildebrand. Aucun d'eux ne fut agréé par les Romains, qui avaient déjà résolu de por­ter leurs suffrages sur Frédéric lui-même. Mais à la première ou­verture qu'ils lui firent à ce sujet : « Moi! s'écria-t-il. Vous ne pouvez rien sur ma personne. Je suis abbé du Mont-Cassin; ce n'est pas vous qui m'avez donné ce titre et vous n'avez pas davan­tage le droit de me l'enlever. » Cette résistance énergique fut suivie de délibérations nouvelles. Un certain nombre d'électeurs di­saient qu'il fallait attendre le retour du sous-diacre Hildebrand le­quel était resté en Toscane près du pape défunt. Mais la majorité repoussa tout délai; on se rangea à son sentiment et le lendemain matin d'un concert unanime, faisant violence à Frédéric, les Ro­mains l'enlevèrent de son abbaye de Pallaria et le portèrent à l'église de Saint-Pierre ad vincula pour procéder à l'élection en la forme canonique (2 août 1057). Or, ce jour-là on célébrait la fête du pape martyr saint Etienne I, mort pour la foi de Jésus-Christ durant la huitième persécution générale 1. Toute la ville accourue pour acclamer Frédéric, lui donna le nom pontifical d'Etienne et le conduisit en triomphe au palais patriarcal de Latran. Le 3 août fête de saint Étienne premier martyr, les cardinaux, le clergé et le peuple romain, dans une allégresse qui se manifestait par des transports d'enthousiasme, escortèrent le nouveau pontife à la ba­silique vaticane où il reçut la consécration solennelle 2. »


   10. Bonizo de Sutri, les annales romaines,  les divers catalogues pontificaux s'accordent tous avec Léon d'Ostie dans le récit de cette élection qui combla de joie les Romains. C'était la première  

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1  Cf. Tom. VIII de cette Histoire, p. 308. Comme la veille, 1er août, était la fête de Saint-Pierre-ès-Liens, on s'explique pourquoi l'église consacrée sous ce vocable fut de préférence choisie pour le lieu de la réunion électorale.

2 Léo Ostiens. Chrome. Cassin. Pair. Lat. Tom. CLXXUJ, col. 703.

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p274  pontificat d'étiekke x (1057-1058).

 

fois depuis vingt ans que le clergé et le peuple de la ville éternelle pouvaient, sans recourir à l'empereur, porter sur le trône de saint Pierre un pontife librement acclamé par eux. L'empire était vacant; le jeune roi Henri IV de Germanie, enfant de cinq ans et pupille du saint-siége, n'avait aucune espèce de droit à intervenir dans l'élection pontificale. Le nouveau pape réunissait toutes les qualités et toutes les vertus. Par son père Gothelon duc de Lorraine il appartenait aux familles royales de France et d'Allemague. Par sa mère Junia il était petit-fils de Bérenger dernier roi d'Italie; le mariage de son frère Godefroi avec Béatrix de Toscane lui créait dans la Péninsule une prépondérance politique qui devait rehausser encore la dignité ponti­ficale 1. « Aussi, dit Lambert d'Hersfeld, jamais depuis bien des an­nées aucun avènement pontifical n'avait été salué par un applaudis­sement plus joyeux ni plus universel. La promotion de Frédéric fut un véritable triomphe ; elle promettait de longs jours de gloire et de splendeur pour l'Église. Hélas ! tant d'espérances ne devaient que trop tôt s'évanouir 2. » Ces paroles de l'annaliste allemand, très-dévoué d'ailleurs au jeune Henri IV et parfaitement renseigné sur les véritables sentiments de la cour d'Allemagne qu'il ne quitta que l'année suivante pour se faire moine à l'abbaye bénédictine d'Hers­feld, suffisent à établir que l'élection d'Etienne X ne souleva pas la moindre difficulté de la part de l'impératrice Agnès et du conseil de régence. C'est donc fort gratuitement que certains auteurs modernes ont imaginé après coup une opposition de ce genre. «Grande fut l'émotion de la cour d'Allemagne à la nouvelle de cette élection, disent-ils ; c'était un attentat à l'autorité impériale, une révolte, une félo­nie 3. » Il n'y eut aucune trace de ces prétendues récriminations à la cour de Germanie. L'empire était vacant; le roi germanique n'avait pas plus à intervenir dans une élection pontificale que ceux de France, d'Angleterre ou d'Espagne : chacun le comprenait ainsi. Les préoccupations du conseil de régence étaient alors bien diffé-

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1. Novaês. Tom. II, p. 253. Stephanus X papa 160.

2 Lambert. Hersfeld. Annales. Patr. Lut. Tom. CXLYI. col. 1064.

3  Cf. Cours complet d'hist. ecclés., contin. par M. l'abbé Vervorst, Tom. XIX,
toi. 743.

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p275 CHAP.   III. — PONTIFICAT   D'ÉltEXKC   X. 

 

rentes. L'annaliste d'Hersfeld nous les fait connaître. Une conspira­tion formidable venait d'éclater dans le but de détrôner le roi mi­neur. Othon de Saxe, frère du margrave Guillaume tué récemment dans la dernière révolte des Luitizes, se fit proclamer roi et à la tête d'une armée formidable se dirigea sur Aix-la-Chapelle. Les troupes restées fidèles à Henri IV étaient inférieures en nombre, elles mar­chèrent cependant à l'ennemi. La rencontre eut lieu près de Mersebourg (juin 1037), la victoire se déclarait pour Othon lorsqu'il vint à rencontrer dans la mêlée un de ses ennemis personnels, le comte Brun, oncle maternel du roi mineur. Un combat singulier s'engagea entre les deux adversaires; ils se précipitèrent l'un sur l'autre avec une telle furie que du premier choc ils s'entretuèrent. Privés de leur chef les Saxons se retirèrent; mais en conservant l'espoir de re­prendre bientôt l'offensive. Un esprit de révolte agitait toute la Germanie. Dans cette situation le conseil de régence avait plus que jamais besoin de l'appui du saint-siége. Il dut le réclamer, et au mois d'octobre suivant le pape Etienne X députa Hildebrand en Al­lemagne avec le titre et les pouvoirs de légat apostolique. Lambert d'Hersfeld mentionne en ces termes l'arrivée du légat en Germanie : « Le roi Henri IV célébra la fête de Noël à Mersebourg (23 décem­bre 1037), au milieu d'une affluence considérable de princes. Il avait à ses côtés l'abbé de Saint-Paul Hildebrand, cet homme ad­mirable par l'éloquence et la doctrine, qui venait apporter les rescrits du siège apostolique, mandata deferens ab sede apostolica. Trois mois plus tard, ajoute Lambert, moi indigne, touché de la grâce, je renonçai au monde, j'abandonnai comme un fardeau qui pouvait me précipiter dans l'abîme le soin des choses temporelles. Le jour des ides de mars (13 mars 1038), je me consacrai à la mi­lice du Seigneur et reçus l'habit monastique des mains du vénérable Méginher abbé d'Hersfeld 1. » Dans ce témoignage du chroniqueur, dont les souvenirs personnels se liaient si étroitement à celui de l'ambassade de l'illustre sous-diacre de l'église romaine, il est im­possible de trouver l'apparence d'un  désaccord quelconque entre

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1 Lambert Ilersfeld., Annal. Pair. Lat. Toin. CXLVI. col. 1005.

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p276    pontificat d'étienne x (1037-1058).

 

la cour de Germanie et le légat du pape Etienne X. Les conjonc­tures malveillantes qu'on a échafaudées depuis à ce sujet n'ont donc aucune valeur historique 1.


Darras tome 21 p. 295


INTRUSION DE BEXOIT X

(5 avril 105S. — 24 janvier   1059).

 

    20. « A la nouvelle de la mort du pape, dit Bonizo de Sutri, le comte de Tusculum Grégoire, fils d'Albéric, faisant revivre le vain titre de patrice toujours revendiqué par sa famille, se ligua avec les autres capitanei, s'empara de la ville de Rome et installa sur la chaire de saint Pierre l'évêque cardinal de Velletri, lequel au mépris du serment prêté par lui entre les mains du défunt pontife accepta cette intrusion et prit le nom de Benoit X2.» Léon d'Ostie raconte le fait avec plus de détails. « Grégoire de Tusculum, dit-il, s'as­socia Girard comte de Galeria (forteresse située au nord de Rome) et d'autres puissants seigneurs du voisinage. Les conjurés pénétrèrent de nuit dans la ville de Rome, qui se vit tout à coup en proie à leur fureur. Au milieu d'une effroyable tumulte, ils envahirent la basilique constantinienne de Latran et proclamèrent pape l'évêque Jean de Velletri sous le nom de Benoît X. Pierre Damien, ce héros de la foi et de la discipline ecclésiastique qui venait d'être promu au siège d'Ostie, accourut avec les cardinaux; ensemble ils protestèrent contre cette horrible violence et prononcèrent contre les conjurés et leur indigne

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1   La chronique du Mont-Cassin dit formellement que Dieu manifesta la sainteté d'Etienne X par de nombreux miracles : Ad cujus sacratissimum cor­pus, meritis ejus intervenientibus, plurima Christus signa ostendit. (Léo Ostiens. loc. cit. col. 706). L'inscription gravée par Godefroi de Lorraine sur la tombe de son illustre frère porte également ce témoignage. Elle est conçue en ces termes : Stephano papse X olim Juniano Frederico Gozelonis Lotharingie ducis filio, apostolicœ sedis cancellario, monacho et abbati Cassinensi, cardinali tituli
sancti Chrysogoni,pontifia optimo, maximo, pio, felici,sanctitate et miraculorum ijloria illustri, Gothifredus Hetruscorum dux, ut defuncto fratri domi suie et
inter proprios amplexus quas potest ckaritatis suœ vices rependat, non sine la- crymis parentat. Monachi abbatiie Florentins in mdibus dim Joannis [linptista
offerunt et justa solvunt, IV Katendas Aprilis MLVIII.
(Watterich. Toui. I, p. 202).

2. Loniz. Ad amie. Lib. VI. Pair. Lut. Tom. CL, col. 828.

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p296    INTRUSION   DE  BENOIT  X   (1038-1050).

 

créature une sentence d'anathème. Mais les soldats se précipitèrent sur eux l'épée à la main, prêts à les massacrer. Les cardinaux furent assez heureux pour échapper à la mort. Protégés par quelques ser­viteurs fidèles, ils sortirent de la basilique par une porte dérobée et quittèrent Rome. Les satellites de Satan, maîtres de la ville, amenèrent à la basilique un prêtre d'Ostie aussi ignorant des saintes lettres que des lois canoniques, à défaut de l'évêque à qui seul appartenait le droit d'introniser les papes, ils s'en servirent pour faire asseoir leur intrus sur la chaire profanée de saint Pierre. D'ailleurs Benoît X n'était pas moins ignorant, ainsi que le témoi­gne le surnom de Mincius (en italien Balordo) dont le gratifièrent publiquement les Romains 1. » A défaut de science et de vertu, l'in­trus avait aux yeux de Grégoire de Tusculum une qualité inap­préciable : il était son cousin. Il appartenait à cette lignée des comtes de Frascati qui comptait déjà sept papes. Son père Wido avait porté lui aussi le titre de comte de Tusculum, sa mère qui vi­vait encore appartenait à la famille des comtes de Galeria 2. Les in­térêts des deux tyrans féodaux, chefs de la conjuration, se réunis­saient donc pour qu'un antipape du nom de Benoît X fit revivre la triste mémoire de l'antipape Benoît IX. Autour du nouvel intrus se groupèrent tous les clercs simoniaques, tous les prêtres scandaleux de l'église romaine; et le règne des odieuses concubines recom­mença.


   27. La simonie et l'incontinence cléricale furent avec la tyrannie du comte de Tusculum les appuis officiels de  l'intrus. Dans toute l'Italie, l'usurpation de Benoit trouva des complices dévoués parmi les adversaires de la discipline et du célibat ecclésiastique. Leur efforts pour égarer l'opinion publique et faire accepter comme pape légitime la créature du comte de Tusculum nous sont attestés par la lettre que Pierre Damien adressait alors à l'archevêque Henri de

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1. Léo Ostiens. Chrome. Cassin. Patr. Lat. Tora. CLXXIII, col. 707.

2. Novaës donne à la mère de Benoît X le nom d'Emilia et la fait descendre de la famille romaine des Conti. (Cf. Vit. Somm. Pontif. 161, Benedict. X. Tom. II, p. 257). Ciaconius dit simplement que Benoît X appartenait par sa naissance aux deux familles de Tusculum et de Galeria.

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p297 CHAP. III. — INTHUSION  DE   BENOIT  X. 

 

Ravenne. « Vous me demandez, dit Pierre Damien, ce qu'il faut penser du personnage qui détient en ce moment le siège apostoli­que, et vous me priez de répondre par lettre non signée de peur que la moindre indiscrétion ne compromette ma sûreté per­sonnelle. Je retrouve dans la précaution que vous m'indiquez une nouvelle preuve de votre paternelle affection à mon égard. Mais grâce à Dieu, je suis prêt à affronter tous les périls et la mort même pour le droit et la vérité. Un fils de la sainte église romaine ne se cache point pour combattre les sacrilèges profanateurs qui outra­gent sa mère. Il se lève pour la défendre et meurt s'il le faut pour la venger. Publiez donc, je vous prie, cette réponse que je signe de mon nom. Plût à Dieu qu'elle fût connue de l'univers entier pour éclairer la conscience des fidèles dans ce commun péril de l'Église catholique. Le titulaire actuel est évidemment, je n'hésite point à le dire, un simoniaque; sa promotion est absolument injustifiable. Nous tous, les évêques cardinaux de Rome, au bruit de la sédition nocturne qui venait d'éclater dans la ville, nous nous sommes ren­dus à la basilique de Latran où la soldatesque acclamait l'intrus. Mal­gré nos protestations, malgré l'anathème lancé contre lui, les furieux l'intronisèrent. L'argent fut ensuite distribué à pleines mains pour faire accepter l'intrusion. Ce fut une véritable foire de Simon le Mage. Vainement l'antipape prétendrait qu'il a cédé à la force et qu'on lui a fait violence. C'est très-librement qu'il a distribué les deniers de saint Pierre pour acheter les consciences. Du reste, sa capacité personnelle est tellement nulle qu'à la rigueur il aurait pu être le jouet inconscient d'une faction séditieuse. Mais sa culpa­bilité n'en serait pas moins grande, puisque loin de réagir contre la prétendue violence qui lui aurait été faite de prime-abord, il a de­puis continué spontanément à se vautrer dans la fange d'une pro­motion adultère et sacrilége. Y aura-t-il jamais assez de larmes pour effacer le scandale de cette horrible intrusion? Quand nous tous, les évêques cardinaux de la sainte église romaine, traqués comme des bêtes fauves, menacés de mort, nous dûmes quitter la basilique, les forcenés y amenèrent un prêtre de la ville d'Ostie. Quel prêtre ! et plût à Dieu qu'il fut en état de lire couramment une page des

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p298   INTRUSION   DE   BENOIT  X  (1038-1039).

 

saints livres! Ce fut lui pourtant qui prit l'intrus par la main et le fit asseoir sur le siège apostolique. Vous connaissez aussi bien que moi les règles canoniques. Ce seul fait doit suffire pour vous convaincre de l'illégitimité d'une pareille promotion. Inutile donc de rappeler que le pape Etienne X de pieuse mémoire, avant de quitter Rome, avait sous peine d'anathème défendu au clergé et au peuple, dans le cas où il viendrait à mourir durant son voyage, de procéder à aucune élection nouvelle avant le retour du sous-diacre Hildebrand, alors en mission près de l'impératrice d'Alle­magne. Tous les cardinaux souscrivirent à cette mesure et jurèrent entre les mains d'Etienne X de l'observer. L'intrus prêta comme les autres un serment qu'il a depuis si honteusement violé. Ce sont là des considérations qui, j'espère, suffiront à déterminer votre ligne de conduite. Je n'ajoute plus qu'un trait qui a bien aussi sa valeur. Si l'intrus est capable de m'expliquer à livre ouvert un seul verset je ne dis pas d'un psaume, mais d'une homélie quelconque, je ne fais plus difficulté de le reconnaître, je lui baise les pieds, je le pro­clame apostolique, et si vous le voulez même je le déclare apôtre 1. »

 

   28. Jusqu'ici l'histoire ne connaissait pas d'autres détails sur l'intrusion de Benoit X. Mais aujourd'hui le Codex Regius d'une part et de l'autre les « Annales Romaines » publiées par Watterich nous apportent quelques particularités intéressantes. Les « Annales Romaines » sont favorables à l'intrus ; le passage relatif à Benoit X dut être rédigé après la déchéance de l'antipape par un des officiers de sa cour. A ce point de vue le récit est d'autant plus précieux qu'il peut servir à contrôler celui des autres chroniqueurs et à nous livrer tous les secrets de la faction schismatique. Les « Annales Ro-

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   1.« S. Petr. Damtan. Epistol. IV. Lib. III; Patr. Lat. Tom. CXLIV, col. 290. — Par une erreur facile du reste à réparer les éditeurs ont attribué cette lettre de saint Pierre Damien à l'époque du schisme de Cadaloüs qui n'eut lieu que sous le pontificat d'Alexandre II. Une lecture plus attentive leur eût épargné cette méprise. L'allusion du saint docteur à la récente ordonnance d'Etienne X qui avait prescrit, en cas de vacance du saint-siége, d'attendre le retour d'Hildebrand démontre péremptoirement que cette lettre visait l'intrusion de Benoit X.

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p299 CHAP. III. — ISTBUSION DE BENOIT x. 

 

maines » débutent par une inexactitude historique qui nous a tout l'air d'un mensonge prémédité. « Aussitôt après la mort d'Etienne X, écrit l'autour anonyme, ceux des romains, clercs et laïques, restés fidèles au parti impérial députèrent près de l'empereur Henri IV l'archidiacre Hildebrand afin de supplier le prince de donner à la sainte église un pieux et digne pasteur. Mais Hildebrand au lieu d'accomplir sa mission s'arrêta à Florence, où Étienne venait de mourir. Il s'aboucha avec l'archevêque de cette ville et lui promit s'il voulait l'accompagner à Rome de l'élever au souverain ponti­ficat.» Le lecteur a vu, d'après le témoignage formel de Lam­bert d'Hersfeld témoin oculaire, qu'Hildebrand était arrivé à la cour d'Allemagne pour les fêtes de Noël 1057. Il est certain de plus qu'Hildebrand n'était pas encore de retour à Rome au mois de mars 1058, puisqu'à cette date Etienne X sur le point de partir pour Florence faisait prêter aux cardinaux le serment solennel, en cas de vacance du siège, d'attendre la présence d'Hildebrand avant de procéder à une élection pontificale. Sur ce point donc l'auteur ano­nyme se laisse surprendre en flagrant délit de mensonge. Mais comme tous les mensonges intentionnels, celui-ci avait un but que nous ferons bientôt connaître. Une députation fut réellement en­voyée en Allemagne près du jeune roi mineur Henri IV enfant de huit ans; cette députation émanait réellement des « clercs et laïques de Rome restés fidèles au parti impérial, » c'est-à-dire de la faction schismatique et simoniaque; enfin cette députation était très-réelle­ment chargée de demander à l'enfant royal de choisir le pape qui lui plairait. Seulement Hildebrand n'en fit point partie et de plus l'envoi de cette députation ne précéda point l'intrusion de Be­noît X; elle n'eut lieu que plusieurs mois après, lorsque déjà un pape légitime avait pris la place de l'usurpateur. Laissons mainte­nant la parole à l'annaliste anonyme. « Hildebrand et l'archevêque de Florence, dit-il, bien munis d'argent s'acheminèrent sur Rome à la tête de cinq cents cavaliers. A cette nouvelle, les fidèles parti­sans de l'empereur frémirent d'indignation et de colère. Ils élurent pour pape l'évêque de Velletri, Benoit, qui habitait alors la région de Sainte-Marie-Majeure. Vainement Benoit fit résistance; bon gré

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p300   INTRUSION DE BENOIT X (10S8-1059).

 

mal gré on l'intronisa sur le siège de saint Pierre, et la majeure partie du peuple romain auquel on fit des distributions d'argent lui prêta serment de fidélité. Il en fut de même de Gérard fils de Rainier comte de Galeria, du comte de Tusculum Grégoire fils d'Albéric el de Crescentius seigneur de Mouticelli. Informé de cette préconisation, Hildebrand s'arrêta en chemin et dirigea sur Rome des émissaires chargés de répandre l'or à pleines mains pour détacher le peuple du parti de Benoît. La division éclata bientôt dans la ville et les deux factions rivales luttèrent avec acharne­ment. Les transtévérins se déclarèrent pour Hildebrand et lui man­dèrent de venir sans délai avec son pape élu. Tous deux vinrent donc s'établir au-delà du Tibre dans l’ile de Lycaonie (Saint-Barthé­lémy). La division continua avec des luttes quotidiennes. Les comtes eux-mêmes se désunirent. Hildebrand enleva la préfecture de Rome au comte Pierre et en investit un transtévérin nommé Jean Tiniosus. Enfin les partisans de Benoît X furent vaincus ; ce pontife quitta le palais patriarcal de Latran (24 janvier 1059), il se réfugia d'abord dans la forteresse de Passerano sous la protection du fils de Crescentius, puis à Galeria près du comte Gérard fils de Rainier. Hildebrand prit alors possession de la basilique constantinienne et fit proclamer le pape de son choix sous le nom de Nicolas II. On ne manqua pas de distribuer de l'argent au peuple : par ce moyen un certain nombre de personnes jurèrent fidélité au nouveau pontife. Nicolas lui-même parcourait les rues, cherchant à gagner à sa cause les partisans de Benoit X. Mais ceux-ci au lieu de mettre la main droite dans la sienne y plaçaient seulement la gauche en disant : « C'est de la main droite que nous avons engagé notre foi au pape Benoît X notre seigneur, nous ne pouvons vous donner que la main gauche1. » t

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