Darras tome 41 p. 211
VII. LA BÉPUBLIQUE ROMAINE
64. Que devenait Rome après le départ de Pie IX ?
Rome sans le Pape est un corps sans âme. Rome
constitutionselle, après l'assassinat de Rossi,
avec un ministère imposé par l'émeute, sans intervention des députés, avec des
Chambres qui avaient violé toutes les conditions
du statut pontifical, le Pape disparu, n'était
plus qu'un club à la merci de fous furieux et de vils
scélérats. «Les députés étaient sur un volcan, dit Rusconi ; le départ du prince avait bouleversé toutes leurs idées politiques, renversé tous leurs plans, et ne voyant plus
dans l'avenir que des abîmes et des catastrophes, ils venaient de moins en
moins nombreux à la Chambre ; à la fin, l'Assemblée
ne se trouva plus en nombre ». Le ministère de
l'émeute prorogea ce parlement que le
départ des députés avait réduit à l'état de
chambre vide. Puis, sans poser aucune
condition morale d'éligibilité, sans s'astreindre aux conditions élémentaires
de la probité dans l'émission des sufrages,
ils convoquèrent une constituante. Là, au milieu des blasphèmes des Sterbini, des Gabuzzi, des Savini, on déclara la papauté déchue au temporel, Rome devenue une démocratie pure sous le nom glorieux
de République.
La Constituante romaine nomma un nouveau ministère ; puis, comme les affaires n'allaient pas à son gré, elle préposa, au ministère, un triumvirat. Nommer des triumvirs, à Rome, puis des consuls, des dictateurs, c'est une maladie locale ; qui détermine des éruptions. Parmi les difformités les plus monstrueuses que mit en relief cette nouvelle crise, on n'a guère à citer, après le traître Armellini, que l'assassin Mazzini. Là ou Pie IX bénissait la ville et le monde, la Révolution, plus satanique à Rome que partout aiileurs, inaugurait Mazzini avec un poignard.
65. ??? Lord Palmerston, le Centaure politique à la tête de tory et à la queue de wigh, affligé de voir, en 1856, l'Italie renaître, se mit en menace de rallumer le feu par un discours. Je vais citer un
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passage : « Quels que soient les abus de l'administration intérieure des États romains, dit-il, aucun de ceux qui connaissent les qualités personnelles du Pape ne peut supposer que Sa Sainteté ait manqué de douceur. Mais ceux qui gouvernent réellement au nom du souverain pontife, se sont rendus coupables d'excès de tyrannie et d'oppression tels qu'il est à peine possible d'en exagérer l'énormité. Quand lord Minto se rendit en Italie avec une mission du cabinet anglais, il donna, aux gouvernements de la Péninsule, des conseils pleins de sagesse et de modération, et quelques-uns de ces gouvernements avaient commencé à les suivre lorsqu'éclata la révolution de Paris. Sous l'impulsion de cet événement, les esprits ardents de l'Italie se soulevèrent contre tout ce qui ressemblait à un ordre établi quel qu'il fut, et ils se livrèrent à de tels excès que le Pape fut obligé d'abandonner sa capitale. Il y eut bien alors quelques atrocités de commises, on doit s'y attendre dans ces temps de commotions populaires ; mais le gouvernement provisoire de Rome fit tout ce qu'il put pour les réparer, et la cité sainte ne fut jamais mieux gouvernée qu'en l'absence du Pape ».
66. Précédemment, pour éviter tout soupçon de partialité, nous avons cité à différentes reprises, l'histoire de la révolution romaine par son ministre Rusconi ; ici, pour nous tenir dans les mêmes conditions d'intégrité, nous opposons au lord Brulot, comme l'appelait Roebuck, le livre de Farini sur l'État Romain. Libéral comme Palmerston, eunemi du Pape comme Palmerston, jaloux comme Palmerston de précipiter le Pape de son trône, ayant sur Palmerston l'avantage d'être un Italien instruit des affaires de l'Italie, Farini fera connaître exactement ce que l'on doit entendre par les quelques atrocités du gouvernement mazzinien.
A la fin de l'année 1848, raconte Farini, le Pape étant parti, le champ resta libre pour ceux qui voulaient établir à Rome le siège de la Constituante italienne et y faire l'essai de leur hasardeuse entreprise. Les clubs ou cercles, répandus sur tout l'État, constituaient la véritable force publique. Leur œuvre caritale était d'assurer l'élection des hommes résolus aux mesures les plus extrê-
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mes. « Ils recommandaient ou les jeunes gens enthousiastes, ou des charlatans à qui leur ignorance donnait la hardiesse de parler de tout et sur tout, ou les vétérans des sociétés secrètes, ou les républicains, les pauvres plutôt que les riches, les ignorants plutôt que les hommes éclairés, car la richesse et la science étaient suspectes et l'on répétait partout qu'il fallait se défier des savants et des riches»(1). Dans les villes, dans les campagnes et à Rome, c'étaient ceux qui exerçaient la bruyante profession de défenseur de la liberté qui donnaient le ton ; ils imposaient leurs habitudes et leur grossière insolence, et tous leurs efforts tendaient à rendre les honnêtes citoyens suspects aux assemblées tumultueuses et criminelles qu'ils dominaient. « Les honnêtes gens, qui, n'ayant pas oublié les bienfaits du pontife exilé ou les honneurs qu'ils avaient reçu de lui, et qui, voyant les maux qu'on accumulait avec tant d'aveuglement et d'impudence sur l'État et sur l'Italie, essayaient de modérer les passions et d'éclaircir les esprits, étaient désignés comme des traîtres sur les places publiques et dans les clubs, et on les rendait suspects à force de calomnies » (2). Les principaux fonctionnaires de l'État, ou donnèrent leur démission, ou refusèrent de mettre la main à l'exécution du décret électoral : cet accomplissement du devoir fut proclamé trahison. C'est ainsi que les actes les plus honorables étaient payés par ces hommes qui prétendaient inaugurer le règne de la pure liberté et de la justice absolue.
Pendant que l'on contenait à grand'peine les anciennes associations de bandits dont les troubles politiques avaient accru l'audace, les nouveaux gouvernants, par un décret du 19 février, firent remise de deux ans de leur peine à tous les condamnés aux travaux publics, à l'exception des récidivistes, de ceux qui avaient été condamnés pour homicide prémédité, pour crime de faux ou pour vol qualifié, et ils mirent en liberté tous ceux à qui il ne restait pas plus de deux ans de peine à subir. Le même décret
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(1)Farini, L'État Romain de 1815 à 1850, t. III, p. 118 de la S- édition italienne, Florence, 1851.
(2)L'État Romain, Liv. IV, chap. VIII.
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établissait à Rome et dans toutes les provinces, un tribunal d'inquisition, sous le nom de junte de la sûreté publique, lequel décret assurait la rigoureuse exécution des lois. La commission provisoire avait déjà décrété, le 13 du même mois, que quiconque, simple citoyen ou fonctionnaire public, tenterait par des moyens directs ou indirects d'empêcher la convocation des collectes électoraux, serait déclaré pertubateur de l'ordre public, ennemi de la patrie, puni comme tel avec sévérité et promptitude. Le même jour, Armellini adressa au peuple une proclamation qui célébrait le suffrage universel, consécration de tout les droits, disait-il, et qui se terminait par ces paroles insensées : « Ceux qui s'insurgent contre ce principe, qui en entravent l'application par la violence et par l'intrigue, sont des factieux, parce-qu'ils se mettent hors du droit commun... Les époques de régénération s'annoncent, comme la loi sur le mont Sinaï, par le tonnerre et les tempêtes ». Et l'ancien avocat consistorial gratinait l'État romain de commissions d'inquisiteurs. On qualifiait de conspiration la fidélité du soldat à son serment, les murmures de quelques partisans de la constitution, l'indifférence universelle. Les clubs étaient et donnaient à entendre que, si les élections ne tournaient pas selon leurs désirs, ils y pourvoiraient par la force, et que si l’assemblée ne proclamait pas la république, ils la proclameraient sur la place publique et feraient justice des tièdet (1).
Alors toutes les présomptions, toutes les cupidités, toutes les ambitions avaient le dessus; le moindre village produisait son philosophe, qui prétendait disputer le prix; la prudence et la science étaient maudites comme trop aristocratiques ; l'âge mûr était suspect ; c'était une course, le prix était pour les casse-cou ; on voulait des hommes nouveaux et on les eut (2). C’était, du reste, aux dépens du trésor publie qu'on réchauffait l'ardeur du zélés pour les élections; il y eut des fraudes en plus d'un endroit dans le scrutin, et tout réussit au gré des clubs. Cependant les gouvernants agissaient en dictateurs. Le 20 février, ils institué-
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(1)L'État Romain, Liv. IV ch. IX.
(2)Famni, Liv. IV. ch. IX, II, 161.
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rent une commission militaire avec plein pouvoir de prononcer des sentences sans appel, et qu'on devait exécuter dans les vingt-quatre heures, contre tout attentat séditieux (ce sont les termes du décret) même non suivi d'effet, dirigé contre la vie ou la propriété des citoyens, ou tendant en quelque façon que ce fut, à renverser l'ordre public actuellement établi. Ainsi, remarque Farini, sons prétexte de donner la liberté illimitée, on mettait en jugement la tendance à renverser le pouvoir de ceux qui avaient tout renversé.
On poursuivait d'accusations insidieuses et sans fondement les députés qui avaient voté dans un sens contraire à la republique; on avait posé le bonnet phrygien sur la croix qui surmonte l’obélisque de la place du peuple ; les domestiques en livrée étaient injuriés et frappés sur les voitures dans le Corso ; les journaux satiriques ne respectaient plus rien, ni les personnes, ni les choses les plus sacrées. Qu'était-ce que le Parlement? Une assemblée d'hommes pervers et perdus de réputation, troupe confuse qui montrait beaucoup d'enthousiasme, beaucoup de sottise et peu de connaissance des affaires.
67. Le 18 février, Charles Rusconi lut, à la chambre, la peotestation de Pie IX. Quand la lecture fut finie, Campello se leva et dit que l'enceinte sacrée du parlement avait été souillée par cette lecture, il proposait de requérir, pour le service de l'artillerie, tous les chevaux des soi-disant palais apostoliques et des soi-disant sgrdes-nobles. Le gouvernement de la République, ajouta-t-il, pourvoira à ce qui sera nécessaire pour le service convenable du pontife. Ignoble dérision ! et la loi (ils appelaient cela une loi), la loi fut votée, sans délibération, au milieu des hurlements du patriotisme républicain.
Une loi violente et cupide imposa un emprunt forcé. Le député Grabuzzi voulait que cet emprunt pesât seulement « sur le riche, qui a le superflu, et qui est le plus grand ennemi des principes démocratiques. Celui qui n'a pas le superflu, criait-il, ne doit pas être soumis à l'emprunt ; nous sommes en révolution, on ne doit point procéder d'après les principes de le justice ordinaire. » Sterbini parla ensuite : « Que faisons-nous donc ici? Nous faisons des
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lois révolutionnaires, parce que nous voulons soutenir la république, par tous les moyens, à tout prix. Je ne ferai jamais de distinction entre la foi politique et la loi de finances. La République doit frapper par tous les moyens, soit par une loi pénale, soit par une loi de finance, tout ceux qui ont ourdi des trames contre la République (même avant son existence !) Savez-vous ce qu'ont fait ces bourgeois, ces nobles qui ont abandonné le pays quand il était en danger? Ils ont protesté contre notre révolution ; ils ont mis en danger cette cité ; ils ont poussé à s'armer contre nous le peuple soulevé par la faim et par la misère. L'État a dû faire de grandes dépenses pour maintenir le calme dans la population en lui donnant du travail, parce que ces nobles, parce que ces riches avaient cessé de faire travailler, afin d'exciter la population contre nous, qu'ils paient donc aujourd'hui la peine de leurs trahisons.
Les révolutionnaires s'irritaient de plus en plus contre les prêtres et les religieux, ils les poursuivaient d'injures et d'outrages dans les rues, de sorte qu'un grand nombre d'ecclésiastiques, pour éviter celle persécution, quittèrent la soutane et se revêtirent d'habits laïques. Les bandes féroces des sicaires politiques remplissaient de larmes et de sang les villes d'Imola, de Sinigaglia, d'Ancône ; les Montagnards de France envoyaient des félicitations à l'Assemblée romaine et celle-ci leur répondait : « Ayez confiance en nous comme nous avons confiance en vous. »
On créa pour 251,595 écus de bons du trésor, on imposa une augmentation de taxe de 25 pour cent sur tous ceux qui n'auraient pas, dans le délai de sept jours, payé le premier dividende de l'emprunt forcé. L'impudence croissait avec les maux de la patrie. On alla jusqu'à l'outrage envers le Christ et l'Évangile (1).
68. El comme ils savent (je continue de citer textuellement Farini) que les masses adorent Dieu et sont dévouées à la religion de leurs pères, ils font ostentation de zèle religieux ; ils cherchent à faire servir à leur pouvoir les sentiments de religion, comme ils ont fait servir les sentiments de liberté, imitant ainsi les empereurs et les tyrans qui se font inquisiteurs, prophètes et pontifes,
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(I) Farini, L'état romain, Liv. V, eh. II.
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quand les sicaires ne suffisent pas, ou qui, sous prétexte de protéger la religion, l'oppriment et la déshonorent. Ce ne sont point là des déclamations, je ne fais que rappeler l'hypocrisie et les profanations de ce temps ; je raconte.
« On avait eu longtemps l'usage, à Rome, le soir du vendredi saint, de suspendre dans la coupole de Saint-Pierre une grande croix illuminée qui répandait une lumière incertaine sous les voûtes obscures du temple. Cet usage fut aboli en 1824 sous le pontificat de Léon XII à cause des scandales arrivés à cette occasion. Les triumvirs n'eurent rien de plus pressé que de le rétablir. On dit que l'idée en vint d'abord à Armellini, qui connaissait bien l'instinct et les désirs de la populace romaine ; avocat des saints, homme de robe, il savait combien elle est avide de spectacles et aime les plaisirs assaisonnés par la religion. On fit donc l'illumination : la lumière qui éclairait le tombeau des apôtres en ce jour qui rappelle aux chrétiens la passion du Christ, attira les curieux à ce spectacle et fut une occasion d'orgies pour les débauchés. On tira un feu d'artifice tricolore, pour mêler les symboles politiques aux symboles religieux: double hypocrisie et double profanation. Et l'on s'en vanta : le Moniteur romain annonça « que la concorde morale et patriotique avait relevé un spectacle qui autrefois n'était qu'un vain divertissement et qui éblouissait les yeux sans laisser aucune trace dans l'âme. » Le jour de Pâques, les triumvirs ordonnèrent aux chanoines de Saint-Pierre de préparer la fête avec la même pompe que lorsque le vicaire du Christ devait la célébrer : ceux-ci ayant refusé, comme c'était leur devoir, de se changer en entrepreneurs de fêtes politiques, on trouva un prêtre, aumônier militaire, interdit peut-être, qui consentit à célébrer la messe à l'un des quatre autels de Saint-Pierre où le Pape seul, ou le doyen du Sacré Collège, en vertu d'une bulle spéciale, ont le droit de la dire. Le temple était magnifiquement décoré, les triumvirs étaient présents et avec eux un grand nombre de députés, d'officiers publics, de représentants des clubs et les consuls de Toscane, de Suisse, des États-Unis et d'Angleterre. On exécuta des fanfares militaires. Quand la messe fut achevée, le prêtre se
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rendit en procession à la grande loge de la basilique, d'où le Pape a coutume de donner sa bénédiction au peuple catholique. Il portait le Saint-Sacrement escorté par les bannières républicaines, et il bénit la multitude agenouillée sur la grande place de Saint Pierre, pendant que les canons retentissaient et que les cloches sonnaient à toute volée. Mazzini parut, et l'on acclama la république. Quiconque a vu ce spectacle (et je l'ai vu) a fait de tristes réflexions sur l'hypocrisie, et déploré la facilité avec laquelle un peuple devient victime des hypocrites de toute sorte, lorsqu'il n'a pas une religion sincère et forte. Le prêtre dall'Ongaro donna à cette fête dans le Moniteur romain le nom de Novum Pascha. Dans son article il exaltait la République qui avait fait bénir le peuple libre par le Christ dans le Sacrement, et il finissait ainsi : Le vicaire du Christ manquait, non par notre faute ; lui parti, il restait le peuple et Dieu. »
Les triumvirs condamnèrent les chanoines de
Saint-Pierre à payer une amende de cent vingt
écus chacun pour avoir refusé de chanter
le Te Deum en l'honneur de la république, et n'avoir pas voulu célébrer le Novum Pascha du
prêtre dall'Ongaro. Le motif donnée cette condamnation
fut que les chanoines avaient gravement
offensé la dignité de la religion, et excité du scandale, et qu'il était du devoir du gouvernement de ne pas laisser outrager la religion.
On peut juger par là de la liberté accordée
à Rome par les dictateurs, et se demander quelle
était la religion qu'ils voulaient préserver
de tout outrage ! II est bon d'ajouter, à propos de liberté, que le Constitutionnel romain ayant parlé des scandales
arrivés le jour du Vendredi-Saint dans l'Église de Saint-Pierre, le cercle
populaire demanda instamment la punition du journal: Sterbini lui-même signa la
plainte et le Moniteur l'imprima. Telle était
la liberté de la presse ! la condamnation des chanoines montre où en était
la liberté de conscience !
69. Mazzini demandait de l'énergie, une énergie doublée, triplée, et pour montrer de l'énergie, il annula, par un caprice dictatorial le contrat qui affermait le produit du sel. Armellini promettait une loi qui ferait un très-grand effet sur les masses ; il
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demandait que les biens domaniaux furent consacrés au peuple, divisés en portions suffisantes consacrès à l'industrie agricole, et les Mazziniens firent une loi par laquelle tous les biens en terres des corporations religieuses devaient être pour la culture et réparties entre les familles du peuple dépourvues d'autres moyens d'existence. « L'histoire devra flétrir, ajoute Farini, la mémoire de ceux de ces hommes qui employèrent pour leurs intérêts particuliers, l'argent destiné à l'utilité publique et ceux qui se livrèrent aux violences et aux rapines sans avoir eu à subir la juste peine de leurs crimes. (1).
Farini dit encore que les chefs du gouvernement étaient de complicité dans ces infamies et qu'on voyait le maître lui-même dans la compagnie de ces scélérats, dont la familiarité enleva au gouvernement toute autorité pour réprimer leurs déportements. Trois malheureux iésuites furent arrêtés et conduits à Rome au milieu des imprécations d'une foule furieuse, et on les mit en pièces au pont Saint-Ange. On dévastait les maisons de campagne, on entrait dans les maisons et l'on ne respectait ni les biens ni les personnes. On menaçait sourdement les couvents du pillage, car il fallait à cas appétits insatiables l'argenterie des églises et des monastères. On prenait tout, chevaux, meubles et vêtements, pour le service de l'armée ; c'était le prétexte. A Ancône, il y eut des meurtres commis en plein midi, sur les places, dans les maisons particulières, dans les lieux publics, en présence des milices qui laissaient faire. Il y eut des officiera de police qui remplis-sant en même temps le rôle d'assassins, de juges et de bourreaux, tuaient les citoyens que leur devoir était de protéger contre toute violence. Heureux celui qui pouvait racheter sa vie avec de l'or ou la sauver par la fuite, tant était grande la terreur qui dominait las esprits, tant l'autorité était avilie et la tyrannie triomphante ! L'impunité atteignit un tel degré à Ancône que les consuls étrangers s’en plaignirent au gouvernement et en firent connaître au dehors les horribles suites. On frappa d'une contribution de trente mille écue le patrimoine de la maison de Lorette, et c’est par la
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(1) Farini, L'État Romain, t. ffl, p. 386.
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vertu des poignards qu'on voulait fonder une république. On et moquait des pompes de la cour papale, on faisait des feux de joie, des voitures.des cardinaux et des confessionnaux qu'on tirait des églises pour les brûler sur la place du Peuple (1). « Zambianchi, qui gardait la frontière napolitaine avec set finamieri, avait envoyé prisonniers à Rome des prêtres et des citoyens signalés comme ennemis de la république, et, comme le gouvernement les avait renvoyés libres quelque temps après, il avait juré, comme il le fit savoir plus tard, d'ajouter à son métier de bandit celui de juge et de bourreau. Il tint son serment. De retour à Rome, il rencontra sur la voie de Honte Mario le cari Sgbirla, dominicain ; il le tua, et se vanta de cette action. S'é-tant logé àSanta-lïaria, dans le Transievère, soit qu'il soupçonnit, soit qu'il feignit de croire que les prêtres et les religieux conspiraient la ruine de la république, il alla à la chasse des prêtres et des religieux, les enferma dans Salnt-Caliste et commença le massacre. On ne saurait dire quel fut le nombre des victimes; lui-même écrivit dans la suite qu'elles étaient nombreuses. Hais disait-il la vérité ou cherchait-il & se vanter ? Je n'ai pas le nom des victimes, excepté celui du curé de Sainte-Marie de la Minerve, le P. Pelliciaio, qui était aussi un dominicain. Quatorze cadavres, dit-on furent trouvés à demi-enterrés dans le jardin du couvent. Mazzini voulut célébrer la fête du Corpus Domini, comme il avait fait célébrer celle de Pâques. Pendant qu'on solennisait ces fêtes, objet d'horreur pour les fidèles a cause de leur impiété, et pour tous & cause de l'hypocrisie qui les ordonnait, les révolutionnaires, libres de tout faire et mattres de la rue, accablaient les prêtres de toutes sortes d'injures, et pendant qu'on chantait les hymnes de la liberté et qu'on annonçait l'avènement de la fraternité, les domiciles étaient violés, les propriétés étaient pillées ; tel citoyen souftrait dans sa personne, tel autre dans ses biens, et les réquisitions de métaux précieux faits au nom du gouvernement devenaient un appât pour le brigandage et un prétexte pour
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(1)Famw, t.IV, p.ttf.
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p221 §7. — LA RÉPUBLIQUE ROMAINE
le vol. L'eût-il voulu, l'eût-il essayé, le gouvernement n'y pouvait mettre ordre, car les voleurs étaient plus puissants que lui. J'en citerai un exemple. Un jour, dans la demeure même des triumvirs en présence de Valentini, administrateur intègre des finances, on scella une caisse pleine d'argenterie. Lorsque, le lendemain Valentini voulut la faire porter à la Monnaie, il se trouva qu'on l'avait ouverte et vidée en partie. Les vols, les rapines, les cruautés inaugurés en même temps que le gouvernement mazzinien, continuèrent jusqu'au jour de l'entrée des Français dans Rome. Ce jour là même, deux ou trois prêtres furent encore poignardés au milieu du tumulte; Pan-taléoni attaqué se défendit avec une épée et l'abbé Perfetti, qui raccompagnait, fut frappé d'un coup de couteau (1).
70. Si, après nous être appuyé sur l'autorité de Farini, dont l'ouvrage devait plutôt voiler que dénoncer les- infamies de la république, nous passions aux nombreux dossiers de procès qui suivirent la restauration pontificale, aux documents et aux révélations qu'ils renferment, nous verrions, plus clairement encore ce qu'était ce gouvernement qui put obtenir les éloges de lord Pal-merston. En 1853, on imprimait à Florence un livre intitulé: • Actes atroces de Tesprit démagogique dans les Étais Romains, récit tslrait des documents originaux » : c'est un ouvrage précieux ou sont rappelés tous les crimes commis sous la république. On y raconte les débauches, les adultères commis à Imola, les viols commis à Rome, les actions infâmes des ftnanzieri dans les hôpitaux qui étaient desservis par des prostituées sorties des prisons de Saint-Michel ; on y raconte les brigandages commis à Poggio-Hirlelto, dans le monastère de Farfa, à Civita.-Vecchia, à Orto ; la soustraction des dossiers criminels à Sinigaglia, l'incendie des actes publics dans d'autres lieux, les assassinats qui épouvantèrent Pésaro, Ancône et Lorette. On y décrit les œuvres de la Compagnie infernale à Sinigaglia et de la Ligue sanguinaire à Ancône. On y parle de l'impiété démagogique, delà persécution du clergé et l'on y rapporte les horribles massacres des prêtres,
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(I) Fajuîu, t. IV, p. 177 et x57.
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la manière merveilleuse dont l'évêque de Gubbio put s'échapper, les mauvais traitements qu'eurent à subir le cardinal Lambros-chini et le prélat Bocci, la tentative d'empoisonnement faite sur le cardinal de Fermo, l'assassinat du chanoine Specchietti à Siniga-glia, du P. Bonarelli à Ancône, et du P. Okeller, enfin les profanations commises à Civita-Vecchia et l'impiété des milices répu-blicainse. Aussi un écrivain a-t-il pu dire : « Nos Croates ne sont pas ceux de la Croatie ; ce sont les croisés venus de l'État Romain, et qui avaient & leur tète Gavazzi et Bassi. » (1) Et Ferdinand de Lesseps parlant de Mazzini a pu l'appeler justement le Néron moderne. Quant au gouvernement que présidait ce vieux delà montagne, ce n'était qu'un gouvernement de bandits.
Il est pénible d'insister sur des faits si honteux pour l'Italie ; nous omettons les détails. Ces quelques faits suffisent pour faire apprécier justement et la république romaine, et lord Palmerston, qui a osé préférer cette anarchie sanguinaire au gouvernement du Pape et dire que Rome n'avait jamais été mieux gouvernée. La vérité, confessée par Farini lui-même, c'est que, pour trouver des faits analogues a ceux de la république mazzinienne de 1849; il faut remonter jusqu'aux pins abominables scélérats du haut empire.