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123. Maître de Nicosie, Mustapha tint parole à Piali, il lui renvoya ses troupes avec des renforts. Une médiocre garnison, fut laissée pour veiller sur les débris de la capitale, et dès le 16 septembre, les deux armées prenaient Famagouste. Mustapha estimait que ce spectacle instruirait suffisamment les assiégés du sort qui les attendait, se fit précéder par un esclave, chargé de présenter, devant la place, la tête de Dandolo, sans y joindre ni message, ni menace. Les défenseurs de Famagouste, en tirèrent une induction différente : ils donnèrent, à la tête de Dandolo, la sépulture militaire qu'eussent pu lui rendre des compagnons victorieux ; puis jurèrent à l'envie de venger sa mort ou d'imiter sa constance. L'armée navale des Turcs ayant combiné ses opérations avec l'armée de terre, les sommations commencèrent et furent suivies des plus formidables décharges d'artillerie ; les unes ne réussirent pas mieux que les autres ; les généraux de Sélim reconnurent avec étonnement qu'il fallait poursuivre un siège contre une poignée de héros. Bragadino défendait cette seconde capitale de l'île : « il portait dans son cœur, dit un noble historien, le courage désespéré de tout un peuple, et, dans son intrépidité, le salut de Chypre, si le Sénat de Venise eut pu le seconder. La puissance des moyens d'attaque dont disposaient contre lui Mustapha et Piali, ne firent qu'exalter son héroïsme. L'automne et l'hiver tout entier virent les inutiles assauts de l'ennemi échouer contre les remparts, sans cesse démantelés, mais toujours relevés, de Famagoreste. L'attaque ne dura pas moins de onze mois, de septembr 1570 au 1er août 1571. Quand Bragadino fut réduit à son dernier biscuit, à son dernier baril de poudre, quand il fut sur le point de dispa-
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(1) Feillet. Histoire de S. Pie V. P. Gratiani. Histoire de la guerre de Chypre et Hammer, Histoire de la Turquie, t. VI, p. 406. Hammer estime à mille le nombre des jeunes filles qui périrent dans cette circonstance.
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raître dans le sépulcre creusé par l'explosion des mines, quand il n'eut à rendre que des décombres détrempés dans le sang, il demanda à capituler. Le jour même il lui fut répondu qu'on accordait, à tant d'héroïsme, non seulement la vie pour lui et ses compagnons, mais encore les honneurs de la guerre. Ainsi libre à eux de se retirer ou de rester: sécurité entière pour leurs biens, leur vie et leur honneur. Quarante vaisseaux de transport devaient prendre les émigrants. Le 5 août, Bragadino avec une escorte d'élite, accompagné de quelques nobles vénitiens et de ses lieutenants Baglioni et Martinengo, se rendit aux tentes du séraskier; monté sur le dernier cheval qui restait, vêtu de la robe rouge du Sénat de Venise, il s'avançait avec confiance, entouré du respect des Ottomans eux-mêmes. La réception de Lala-Mustapha fut digne, l'entretien amical : c'était un piège. Le vainqeur ne pardonnait pas au vaincu d'avoir retardé de quinze mois son triomphe. «Quelques historiens de la catastrophe de Chypre donnent pour motif de la perfidie subite de Mustapha, l'infâme passion qui venait de naître dans son âme à l'aspect du jeune Antonio Quirini, bel adolescent d'une figure féminine, qui accompagnait Bragadino dans cet audience. Les vices odieux empruntés par les Turcs à la civilisation grecque, ne justifient que trop cette supposition ». (1) Quoi qu'il en soit, devant les propositions étranges et inattendues du séraskier, Bragadino se releva de toute sa hauteur. Les paroles se croisent, les récriminations s'enveniment : Mustapha ne fait qu'un signe au bourreau et les trois têtes de Quirini, de Baglioni et de Martinengo roulent à ses pieds. Quant à Bragadino, son héroïsme exigeait de plus féroces et plus lâches représailles. On lui fit porter, sur les épaules, de la terre et des pierres, pour travailler aux remparts qu'il avait si bien défendus. Traîné ensuite devant son propre palais et attaché au poteau sur lequel on fouettait les esclaves, il fut écorché vif. « Où est ton Christ? lui disaient en raillant les bourreaux. Pourquoi ne l'appelles-tu pas à ton aide ? » C'était l'écho du Calvaire. De siècle en siècle, les bourreaux le répètent ; les victimes y répondent par le silence, par l'effusion du
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(1) Lamartine. Hist. de la Turquie, t. v. p. 57,
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sang et par les retours victorieux que préparent ces deux héroïsme. Le martyr demeura impassible : les yeux au ciel, il récitait à voix basse le Miserere : c'était son chant de triomphe ; il expira en disant : Cor mundum crea in me Deus. La férocité de Mustapha n'était pas assouvi: il fit écarteler son corps et clouer les membre aux quatres bastions de Famagouste. Cet infâme barbare traitait les défenseurs de la patrie absolument comme Elisabeth, reine d'Angleterre, traitait les défenseurs de l’Eglise: il y ajouta quelques inventions. La peau de Bragadino, bourrée de foin, fut promenée dans la ville sur le dos d'une vache, puis envoyée au Sultan avec les têtes des trois principaux défenseurs de Famagouste. Cette peau, exposée à Constantinople dans le bagne des esclaves chrétiens fut dérobée par la pitié de quelques citoyens de Venise. Depuis, enfermée, avec les ossements du martyr, dans une urne de marbre noir, elle repose dans l'Église de St-Jean et St-Paul, à côté de Morosini, Mocenigo et Loredano. Ainsi tomba, sous les coups des Turcs, ce délicieux jardin de l'Orient, que les chrétiens, après les Romains et les Grecs, avaient su rendre si riche et si prospère. Selon leur usage, ces barbares ne surent que le stériliser et y tarir les sources du travail. Entre leurs mains, l'île de Chypre devint la ferme des visirs jusqu'au jour ou l'Angleterre sut en faire l'entrepôt et le boulevard de l'Inde dans la Méditerranée (1).
124. Aux vertus d'un saint, Pie V joignait l'ardeur d'un héros, le feu sacré des grandes entreprises. On peut aisément juger quelle amertume inonda le cœur de pontife, à la réception de ces désastreuses nouvelles. Les chrétiens étaient tombés sous le cimeterre ; les forces de l'Italie paraissaient épuisées avant le combat ; l'Europe pouvait ne voir, dans la retraite de la flotte confédérée, que le signal d'une incorrigible division et l'aveu d'une solennelle impuissance. Cependant les gémissements superflus, les récriminations inutiles n'usurpèrent point, dans son âme, la place d'une piété intelligente et d'une confiance invincible. Le Pontife croyait lire, dans
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(1) Falloux. Hist. de S. Pie V, t. II, p. 231-965 ; Julien. Papes et Sultans, p. 214. —Rio, dans les quatre martyrs, a raconté avec éloquence la belle défense de Famagouste : Bragadino est un de ces quatre martyrs de Jésus-Christ.
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les traits multipliés de l'héroïsme chrétien, les miséricordieux conseils de Dieu ; il voyait, dans la mort volontaire des captives de Nicosie l'effet de l'inspiration divine ; il comptait, pour une éclatante victoire, un martyr de plus au ciel et de glorieux modèles offerts aux soldats de la croix. Le jeûne et la prière furent son premier refuge ensuite; et plus que jamais, il se consacra à poursuivre l'affranchissement de la société chrétienne. De nouveaux envoyés furent expédiés à travers toute l'Europe, de nouvelles instructions atteignirent partout les légats partis pour les précédentes missions. Torrês qui avait passé de Madrid à Lisbonne, fut promptement suivi du cardinal d'Alexandrie. Sébastien leur répondit qu'il rendait grâce à Dieu d'avoir donné, à l'Église, un si saint pontife ; qu'il n'avait rien plus à cœur que de coopérer à une si sainte entreprise, que toutefois, il s'en rapportait au jugement de Sa Sainteté pour déclarer si une guerre qu'il soutenait chaque jour en Afrique, et d'une expédition projetée en Ethiopie, ne rendraient pas autant de services à l'Église, que pourrait le faire, au milieu des confédérés, la présence de quelques bataillons. Du reste, il prenait pour l'année suivante, des engagements sérieux et négociait son mariage avec la sœur de Charles IX ; il ne demandait, pour dot, que l'accession de ce prince à la ligue. Le cardinal Alexandrin fut moins heureux encore dans ces tentatives pour amener Catherine de Médicis à ne point marier sa fille avec un hérétique, et Charles IX à marcher contre les Turcs. Au fils aîné de l'Église, qui avait allégué son alliance avec l'empereur des Ottomans, Pie V répondit : «Nous mettons dans nos plaintes la liberté qui convient au caractère sacré dont nous sommes revêtu. Votre Majesté désigne sous le nom d'empereur des Turcs, le tyran le plus inhumain qui est en même temps l'ennemi le plus acharné de la religion chrétienne, comme si celui qui ne connaît pas le vrai Dieu pouvait jamais être empereur. Très-cher fils en Jésus-Christ, donner le nom d'empereur à un tyran et à un infidèle, ce n'est pas autre chose que d'appeler le mal, bien, et le bien, mal. Votre Majesté ignore-t-elle qu'en décorant de ce nom l'ennemi de Dieu, elle scandalise les fidèles adorateurs de Jésus-Christ et leur est une pierre
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d'achoppement ? Quant à cette amitié formée par les rois ses ancêtres et que Votre Majesté nous écrit vouloir conserver dans l'intérêt même des chrétiens en général, nous pensons qu'elle se trompe grandement. Il ne faut jamais faire le mal pour qu'il en résulte du bien. Votre Majesté ne peut s'exempter de reproches, si, en vue d'un avantage qui lui est personnel, elle pense pouvoir continuer, avec les infidèles, des relations amicales. Pourquoi lier amitié avec ceux qui haïssent le Seigneur ? Pourquoi placer sa confiance dans un homme et encore dans un homme infidèle, au lieu de s'en remettre à la providence de notre Rédempteur. Dieu exerce quelquefois sur les fils les châtiments dûs aux parents ; combien plus accomplira-t-il sa justice sur ceux qui croient devoir imiter les errements de leur père. » (1) — A Vienne, le cardinal Commendon poursuit une négociation semblable. « Le Pape alarmé des malheurs de l'Église, écrivait le cardinal, avait prodigué jusque là de vaines exhortations pour éteindre les haines parmi les princes et rétablir entre les couronnes la paix de Jésus-Christ. De son avènement au pontificat, il adressait de ferventes supplications à Dieu pour le maintien de la religion et la défaite de son plus cruel ennemi ; et ses vœux auraient apparemment été exaucés si les chrétiens ne travaillaient pas eux-mêmes à leur propre ruine ; quant aux conjonctures présentes, elles sont de nature à perdre sans retour ceux qui s'endormiraient ou qui se détourneraient à la vue du péril, tandis que le salut commun est assuré, pourvu qu’on agisse de concert après avoir envisagé la situation sans faiblesse. » Maximilien résista longtemps, il s'engagea enfin à attaquer les Turcs par terre, aussitôt que la Diète allemande aurait grossi ses troupes d'un contingent fixé à vingt mille hommes. De Vienne, Commendon se rendit à Varsovie où il trouva Sigismond au lit de mort. De Varsovie, il faisait passer des dépêches à Iwan pour le presser de s'adjoindre à la Ligue dans l'intérêt de ses États et l'assurer de la bienveillance avec laquelle l'Église l'accueillerait, lorsqu'il voudrait revenir dans
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1. (1) Les documents diplomatiques se trouvent dans Brovius et Laderehi, en abrégé dans Sponde, sub annis propriis.
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ses bras. L'Eglise est une mère qui attend, appelle et espère toujours la conversion de ses enfants.
125. Pie V n'attendait pas le résultat de toutes ces négociations, pour décider ceux dont l'apathie ne pourrait être vaincue que par une sorte de violence morale. D'un côté, il soutenait le courage des Vénitiens ; de l'autre, il reprochait à Philippe II son inertie. Philippe était sensible aux reproches du Pape, mais son bon vouloir était, en quelque sorte, débordé par la gravité des affaires qui l'assiégeaient et par l'opposition des pensées qui agitaient ses conseils. Après mûre délibération, il écrivit au Pape qu'il préférait la cause de la chrétienté à la sienne et se reposait du salut, sur la protection de Dieu. Le Pape réjoui mit l'affaire en délibération. Dès le début, les négociations furent à la veille de se rompre, lors qu'on vint à régler sur quel pied, chaque partie entrerait dans la confédération ; le Pape trancha la difficulté en se présentant comme promoteur de l'entreprise et donnant, à ces coopérateurs, le titre d'alliés. Il fallut ensuite approfondir l'examen des intérêts privés et déterminer les participations respectives. Les Vénitiens visaient à sauver et à étendre leurs conquêtes. Les Espagnols n'avaient d'autre but que d'arrêter les Turcs, et redoutaient la prépondérance de Venise, soit dans les mers de Grèce, soit sur les côtes d'Italie. La guerre qu'on méditait devait avoir le caractère d'une lutte générale contre l'Islam ; le but à poursuivre c'était l'affranchissement de la Méditerranée. Il fallut l'intervention personnelle de Philippe II pour arrêter encore une fois l'animosité des parties contractantes. Tout obstacle fut surmonté par la persévérance du Saint-Siège que ne rebutèrent ni la hauteur, ni l'astuce, ni les prétentions, ni les arrières-pensées, ni les refus ouverts, ni les délais habiles. Un seul point restait à régler : le choix du chef. Pour réparer l'échec de la dernière campagne et en prévenir le retour, Venise et l'Espagne déférèrent la nomination au Pape. Pie V arrêta un instant sa pensée sur le duc d'Anjou et sur Emmanuel-Philibert de Savoie que recommandaient leurs succès militaires. Mais Pie V, que ne guidait aucune susceptibilité humaine et qui ne voyait dans l'étendue de ces privilèges que l'immensité de ses devoirs, mettait
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souvent autant de magnanimité à modifier ses vues qu'à les défendre. Trop récemment averti que les transactions, en apparence conciliatrices, sont d'infaillibles éléments de discorde, il rejeta toute proposition de partage et nomma don Juan d’Autriche seul et unique général des armées de terre et de mer. Marc-Antoine Colonna, lieutenant-général sous ses ordres, fut investi du commandement en son absence, afin de hâter les préparatifs de l'expédition. Le 11 juillet 1571, fête de la St-Barnabé, patron de l'île de Chypre, il reçut, à Saint-Pierre, le pavillon pontifical. Sébastien Véniéro commandait les Vénitiens ; Requesens, les troupes espagnoles ; derrière lui, Alvarez de Baçan, le marquis de Santa-Cruz et Doria servaient aux premiers grades.
126. En vue de nouvelles dépenses, Pie V pourvut, en outre à quelques mesures de bonne gestion. Voici, en pareille circonstance, comment les souverains pontifes trouvaient moyen, sans surcharger leur peuple, d'acquitter les intérêts du capital emprunté. On constituait un impôt modique sur quelque produit nouveau ou sur le débit de quelque marchandise non encore taxée et l'on affectait cet impôt uniquement au service des prêteurs. Ces prêteurs formaient un collège sous le titre de Mont, et administraient, avec l'État, le gage de leur créance. Les actions de ces Monts étaient viagères ou perpétuelles, leur cours était public, comme dans nos bourses d'aujourd'hui. Le dernier emprunt avait été puisé tout entier dans les États romains ; pour le présent, Pie V imposa d'un quatrin la livre de viande et ce Mont, reçut le nom de Monte lega, Mont de la Ligue. En même temps, Antonio Salviati et Paolo Odescalchi parcouraient les différentes cours de l'Italie pour les rallier à la cause de l'Église. Leur tâche s'accomplit facilement. Le duc d'Urbino équipa mille fantassins, le duc de Perrare, autant d'hommes de pied et trois cents hommes de cavalerie ; le duc de Mantoue, mille fantassins et deux cents chevaux; le duc de Savoie, le double en infanterie et en cavalerie. Les Républiques de Gênes et de Lucques fournirent deux mille hommes et deux cents chevaux. Le grand duc Cosme de Médicis, qui voulait témoigner au Saint-Siège, un dévouement particulier, offrit d'abondantes
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contributions en argent, plus quatre mille fantassins et mille cavaliers dans le plus bel ordre. La chute de Chypre, le long martyre de ses défenseurs avaient redoublé la terreur et la haine qu'inspirait la supériorité maritime des Turcs ; supériorité factice si souvent, mais malheureusement trop établie depuis un demi-siècle par la déroute de la Prevera, le désastre d'Alger, la destruction de la flotte espagnole à Djerba et l'inaction des flottes alliées dans la dernière campagne. Enfin l'Occident se levait : «Le peuple, dit Lamartine, n'écoutait que la voix du pontife qui prêchait la croisade. » Pour la treizième fois, les soldats du Christ allaient se mesurer avec les fanatiques de l'islam.
127. Le 23 mai 1571, Pie V, versant des larmes de joie, apposait sa signature au traité dont voici les stipulations principales :
Art. I. Le pape Pie V, Philippe II, roi d'Espagne et la république de Venise, déclareront la guerre offensive et défensive aux Turcs, pour recouvrer toutes les places qu'ils ont usurpées sur les chrétiens, même celles de Tripoli, Tunis et Alger.
Art. III. Les préparatifs de l'armement se feront tous les ans, aux mois de mars ou d'avril au plus tard, dans quelque port de la Méditerranée, afin que les généraux puissent s'en servir plus commodément pour le secours et la nécessité des confédérés.
Art. V. Les députés et ambassadeurs des princes ligués s'assembleront à Rome tous les ans vers l'automne, pour conférer avec Sa Sainteté des entreprises qu'il faudra faire à la campagne suivante, et des soldats qu'il faudra lever pour fortifier l'armée.
Art. VI. Sa Sainteté fournira douze galères munies des choses nécessaires, trois mille hommes de pied et deux cent soixante-dix chevaux.
Art. VII. Sa Sainteté fournira la sixième partie des frais de la guerre et des dépenses qu'il faudra faire pour l'entretien de l'armée, le roi d'Espagne la moitié, et la république de Venise un tiers.
Art. VIII. Le roi catholique et la république suppléeront à ce que Sa Sainteté ne pourra fournir, en sorte néanmoins que si le Sénat avance plus que sa portion, le roi sera obligé de lui en tenir compte.
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Art. IX. Les Vénitiens prêteront au pape les douze galères armées qu'il est obligé de fournir, que Sa Sainteté remplira de soldats et de munitions, et qu'elle lui rendra après la guerre, excepté celles qui auraient péri dans le combat.
Art. XIV. Si le roi d'Espagne assiège Tunis, Alger ou Tripoli, lorsque l'armée confédérée ne sera pas occupée à quelque expédition, et qu'il n'y aura aucun danger que les Turcs attaquent les Vénitiens, ceux-ci enverront cinquante galères armées et munies de toutes choses, au secours du roi, et Sa Majesté catholique fournira le même nombre de galères aux Vénitiens, si les Turcs viennent leur faire la guerre dans le golfe Adriatique, depuis la ville de Vellone jusqu'à Venise.
Art. XVIII. Dans les expéditions communes, le généralissime n'aura point d'autre étendard que celui de la ligue ; mais, dans les entreprises particulières, celui qui les fera, pourra arborer son pavillon.
Art. XXI. Les places prises sur les Turcs seront partagées entre les confédérés, comme on fit en l'année 1537, excepté les villes de Tripoli, d'Alger et de Tunis, qui seront livrées au roi d'Espagne. Quant aux canons, galères, esclaves et autres dépouilles prises sur les ennemis, ils seront distribués aux confédérés, à proportion de ce que chacun aura contribué pour les frais de la guerre.
Art. XXIV. Aucun des confédérés ne pourra faire paix ou trêve, par soi où par personne interposée sans la participation des autres ». (1)
On avait réservé des places honorables pour les signatures de l'empereur, des rois de France et de Portugal ; elles ne vinrent pas les occuper. L'émotion, assez rare, d'une pieuse allégresse, ne pouvait monter à l'âme du pontife, sans exciter la reconnaissance. A Dieu seul, Pie V rapportait ses vœux les plus chers. Le jour de la ratification du traité, il dit la messe au Vatican devant les ambassadeurs; du haut de l'autel, il annonça au peuple romain, la conclusion de la ligue ; il ordonna les prières des quarante heures dans la ville sainte ; il assista trois jours de suite aux processions
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(I)Feillet. Tiède S. PU V, liv. IV. chap. VII.
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des basiliques et publia un jubilé universel, pour attirer sur les soldats chrétiens, la protection du Dieu des armées.
128. Don Juan quitta rapidement l'Espagne, fit un court séjour à Gênes et à Naples et envoya le comte de Cariglio présenter ses hommages au chef de l'Église. Pie V embrassa le messager et ne le congédia pas sans recommander au prince une extrême diligence. « Que son Altesse se souvienne perpétuellement, dit-il, de la cause qu'elle est chargée de défendre, et qu'elle se tienne ensuite assurée de la victoire ; je la lui promets de la part de Dieu ». Marc-Antoine Colonna reçut la même assurance : « Allez, dit Pie V à haute voix en le bénissant ; allez au nom du Christ, combattez son ennemi, vous vaincrez». Le cardinal Granvelle, vice-roi de Naples par intérim, remit à Don Juan, au milieu d'une messe solennelle, le bâton de commandement et l'étendard envoyé par le souverain pontife. Pie V avait fait représenter sur le drapeau de l'armée confédérée, d'un côté, Jésus en croix, généralissime divin de la croisade, de l'autre, entre les armes du roi d'Espagne et les armes de Venise, l'écu de l'Église romaine et du pontife, promoteur de la confédération ; au dessous des clefs pontificales, l'écusson du général en chef. De Naples, Don Juan gagna Venise où les flottes et les armées l'accueillirent par d'unanimes acclamations. Toutes les grandes maisons d'Espagne et d'Italie avaient fourni des volontaires ; leur présence prêtait au cortège du jeune capitaine, un éclat considérable et redoublait l'ardeur des soldats. Alexandre Farnèse, le duc d'Urbin, le duc de Laragola, Jean, Paul, Horace et Virgile Orsini, Antonio Caraffa, le comte de Lannoy, le marquis de Carrare, les Sforza qui avaient récemment quitté la France, Honoré Caëtani, petit-neveu de Boniface VIII, Marie de la Rovère, petit-neveu de Jules II, un Borelli, frère du cardinal Alexandrin, neveu de Pie V, ne se distinguaient dans l'armée par aucun grade et ne voulaient y être distingués que par la piété de leur dévouement. D'autre part, dans les délibérations des conseils de guerre sur la galère amirale, on sentit sourdement percer l'ac-
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(1) Guglielmotti. Eist. de Marc-Antoine Colonna et de la bataille de Lépante,p. 189.
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tion de la cour de Madrid, la politique des atermoiements et des faux-fuyants. Par ses courtisans et ses influences occultes, Philippe II entendait rester maître, non-seulement des actes, mais encore des préférences et des pensées de Don Juan d'Autriche. Les familiers de l'Escurial penchaient donc pour la réserve. A leurs yeux, la retraite devant les Turcs ne serait que prudence; en termes déguisés, ils conseillaient la fuite. La saison avançait et l'on délibérait toujours. Don Juan hésitait. Le 10 septembre, il leva brusquement la séance ; son parti était pris. L'amiral venait de recevoir une lettre du Pape. Plus de doute, plus d'hésitation, son plan est arrêté. «Disposant à mon gré, dit-il, de toutes les forces maritimes que les princes chrétiens mettent entre mes mains, je serais le dernier des hommes, si dans l'intérêt des confédérés, je n'écoutais la voix du Pape et celle de Venise. C'est la voix de l'honneur, c'est la voix de la conscience ; elle nous crie à tous d'aller sans retard affronter l'ennemi. » En s'affranchissant ainsi d'une politique égoïste et tortueuse, Don Juan agissait non pas seulement d'après l'élan de sa chevaleresque nature, mais avec la décision intrépide qui fait les héros. Quoique fort jeune encore, ses aventures et son héroïsme dans la guerre des Maures, l'avaient fait rayonnant de poésie ; cela avait amené le Pape à le choisir comme le Godefroi de Bouillon de la dernière croisade : Don Juan allait en cueillir les lauriers.