p210
--------------
Essayons encore une autre piste de réflexion pour pénétrer plus avant dans ce mystère très complexe, qu'un point de vue unique ne suffit pas à éclairer. A cet effet, prenons tout d'abord connaissance, une fois encore, d'une donnée d'exégèse.
On nous dit que dans notre article de foi, le mot «enfers » n'est qu'une mauvaise traduction du mot shéol (en grec Hades), dont l'hébreu se sert pour désigner l'état au‑delà de la mort, que l'on se représentait très vaguement comme une ombre d'existence plus proche du néant que de l'être.
De ce fait, la phrase aurait tout simplement signifié à l'origine que Jésus est entré dans le shéol, c'est‑à‑dire qu'il est mort. Cela est fort possible. Mais la question est de savoir si de cette façon le problème est devenu plus simple et moins mystérieux.
Il me semble que c'est là seulement que se pose le véritable problème qui est de savoir ce qu'est en fait la mort et ce qui se passe quand un homme meurt, quand il entre dans le destin de la mort.
Nous serons sans doute tous obligés d'avouer notre embarras devant cette question. Personne ne le sait réellement, car nous vivons tous en deçà de la mort et nous n'avons pas fait l'expérience de la mort.
Mais peut‑être pouvons‑nous trouver une voie d'ap‑
=================================
p211 LES ARTICLES CHRISTOLOGIQUES DE LA PROFESSION DE FOI
proche en partant une fois encore du cri de Jésus sur la croix, dans lequel nous avons reconnu l'expression de ce que signifie essentiellement la descente de Jésus, sa participation au destin de la mort de l'homme.
Dans cette dernière prière de Jésus, comme d'ailleurs dans la scène du Mont des Oliviers, il apparaît que l'essentiel de sa passion n'est pas une quelconque souffrance physique, mais la solitude radicale, le délaissement total.
Or c'est finalement l'abîme de la solitude de l'homme tout court qui se révèle ici, de l'homme qui, au plus intime de lui‑même, est seul. Cette solitude qui se dissimule habituellement sous toutes sortes de masques, mais qui est pourtant la vraie situation de l'homme, représente en même temps la contradiction la plus profonde avec l'être de l'homme; celui‑ci ne peut rester seul, il a besoin d'être avec quelqu'un.
Aussi la solitude est‑elle le domaine de l'angoisse, qui a sa racine dans la précarité de l'être de l'homme, être menacé, exposé, parce qu'il doit être et qu'il est pourtant projeté vers ce qui lui est impossible.
Essayons de préciser cela par un exemple. Voici un enfant qui doit passer tout seul dans la nuit par une forêt obscure; il a peur même si on lui a démontré de la façon la plus convaincante qu'il n'y avait absolument rien à craindre.
Au moment où il est tout seul dans l'obscurité et qu'il expérimente de façon radicale la solitude, la peur se déclare, la vraie peur de l'homme, qui n'est pas peur de quelque chose, mais peur en soi. La peur devant un objet déterminé est au fond anodine, elle peut être bannie, il suffit de faire disparaître l'objet qui la provoque.
Si, par exemple, quelqu'un a peur d'un chien méchant, il est facile d'arranger l'affaire, en attachant le chien à la chaîne. Mais ici, il s'agit d'un phénomène bien plus profond: l'homme livré à la solitude extrême a peur, non pas de quelque chose de déterminé, susceptible d'être neutralisé par des arguments; il expérimente la peur de la solitude, l'insécurité et la précarité de son être, qu'il est impossible de surmonter par la raison.
Prenons encore un autre exemple: si quelqu'un doit veiller la nuit tout seul avec un mort, il se sentira toujours quelque peu inquiet, pas rassuré, même s'il ne veut pas en convenir, même s'il arrive à se convaincre rationnellement qu'il n'y a vraiment pas lieu de s'effrayer. Il sait très bien que le mort est inoffensif et que sa situation serait peut‑être plus dangereuse si le mort en question était encore vivant.
Ce qu'il éprouve est une peur toute différente, non pas la peur devant quelque chose; ce qu'il éprouve, étant tout
=================================
p212 JESUS‑CHRIST
seul avec la mort, c'est l'insécurité de la solitude en soi, la précarité de l'existence «exposée ».