Grégoire VII 17

Darras tome 21 p. 561

 

17. Nous en avons la preuve dans la lettre qu'il adressait le 30 mai à l'évêque de Pavie Guillaume, l'un des prélats Lombards qui avaient par ordre de Henri IV sacré à Novare le simomaque Golbfred. En apprenant que le jeune roi par un revirement inat­tendu se disposait à ratifier l'élection pontificale, Guillaume de Pa-

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1. Cf. Chap. précédent, § H.

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vie s'était empressé de faire parvenir à Grégoire ses protestations de dévouement, accompagnées, chose assez étrange mais qui peint au naturel le caractère des simoniaques, d'offres de subsides. Voici la réponse qu'il en reçut : «  Ce que nous avions appris de vous en ces derniers temps avait à juste titre affligé notre âme, mais votre lettre nous console par les expressions de fidélité au siège apostolique qu'elle renferme. Et maintenant nous attendons avec une confiance pleine de joie que les actes répondent à vos promesses. Les cir­constances sont telles que vous avez sous la main l'occasion de ma­nifester votre amour pour la sainte église romaine et celui que vous nous témoignez fraternellement à nous même. Vous ne sau­riez mieux prouver votre résolution de combattre avec nous pour la liberté de la sainte Eglise, qu'en rompant avec le parti qui cherche à renverser la foi catholique et les règles de notre divine religion, pour soutenir de vos conseils et de votre appui la pieuse ligue qui travaille dans vos provinces à rétablir l'autorité du siège apostoli­que, la pureté de la foi et l'intégrité du culte. Si donc les catholi­ques de Milan peuvent un jour nous attester que vous résistez dans la mesure de la prudence, prudenter obsistas, à l'excommunié Gothfred ainsi qu'aux évêques qui ont à son sujet encouru le péril de l'excommunication, et que vous prêtez une fidèle assistance à ceux qui combattent en ce moment les combats du Christ, tenez pour indubitable que ni or ni argent, ni services matériels ne sau­raient vous donner plus de titres à notre reconnaissance person­nelle et à l'affection de l'église romaine. C'est en effet par votre zèle à embrasser et à défendre les décrets apostoliques de cette sainte Eglise que vous vous montrerez son fils dévoué et son coopéateur fidèle. Il vous appartient d'ailleurs entre tous les évêques lombards de prendre cette initiative, puisque l'église à laquelle vous présidez a été comblée entre toutes les autres des grâces et des faveurs du saint-siége. Lorsqu'une mère réclame le secours de tous ses fils elle a droit de compter plus spécialement sur ceux qu'elle a plus tendrement chéris 1. » Guillaume de Pavie se montra d'abord

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1. S. 'jreg. Vil. Epist. iil,'L<&. I, toc. cit. col. 23i,

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disposé à suivre des avis qui lui étaient exprimés avec une telle mansuétude. Quelque mois après, Grégoire VII l'en félicitait en ces termes : « Les lettres que nous recevons de votre fraternité s'accor­dent avec celles qu'Herlembald nous écrit de Milan pour attester votre sincère attachement au siège apostolique et la docilité filiale avec laquelle vous avez, selon votre devoir, accueilli nos exhorta­tions. Il ne nous reste plus qu'à vous féliciter de cette conduite, re­commandant par dessus tout à votre vigilance pastorale d'éloigner de l'église qui vous est confiée la contagion de l'erreur et de s'ar­mer de l'autorité des saints pères pour sévir contre l'incontinence cléricale et rétablir partout l'honneur du célibat ecclésiastique 1. » L'évêque de Pavie ne persévéra pas longtemps dans ces heureuses dispositions; nous le verrons bientôt pour une cause ignomineuse encourir les censures du synode romain de l'an 1075.

 

   18. Prompt  à  accueillir et à encourager les moindres signes de conversion donnés par les coupables, Grégoire VII n'était pas moins     attentif à prévenir les écarts des plus fidèles amis de l'Eglise. Alexandre II avait conservé jusqu'à sa mort l'évêché de Lucques dont il était titulaire avant sa promotion au souverain pontificat. Il  laissait un neveu appelé comme lui Anselme, nom qui devait être un jour inscrit au catalogue des saints. «Le jeune Anselme se fit de bonne heure remarquer, dit l'hagiographe, par son zèle pour l'étude ; ses progrès furent rapides, et comme son oncle, il devint l'un des plus savants docteurs de son temps. Sa vertu, sa science et la ferveur de sa vie sacerdotale déterminèrent le révérendissime pape Alexandre à résigner entre ses mains l'évêché de Lucques. Dans cette intention il l'envoya en Germanie et le fit présenter par Méginard cardinal de Sainte-Rufine au roi Henri IV, pour en rece­voir l'investiture. Mais Anselme commençait dès lors à prendre en horreur l'abus des investitures ; il estimait à juste titre que la puis­sance séculière ne pouvait en aucune sorte conférer les charges ec­clésiastiques; il revint donc d'Allemagne sans avoir rien voulu ac­cepter du roi. A la mort d'Alexandre II, pendant que les Romains

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1 Epiit. xxvm. col. 311.

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lui choisissaient un successeur en la personne d'Hildebrand, le clergé et le peuple de Lucques élisaient à l'unanimité des suffrages Anselme pour évêque 1. » Les perplexités de l'élu du peuple de Lucques ne furent pas moins grandes que celles de Grégoire à Rome. L'élection canonique conférait légitimement à Anselme la charge épiscopale, mais les biens temporels de l'évêché relevaient en fief de la couronne de Germanie et les fonctionnaires royaux re­fusaient de l'en mettre en possession tant qu'il n'aurait pas reçu l'investiture des mains de Henri IV. S'il ne se fût agi que de l'investiture féodale, telle qu'elle se pratiquait pour les fiefs purement séculiers, la conscience du nouvel élu aurait éprouvé moins de scrupules. Mais la forme de l'investiture par la crosse et l'anneau, c'est-à-dire par les deux symboles de la juridiction spirituelle, blessait profondé­ment sa foi catholique. Il avait refusé absolument de s'y soumettre alors que, sans élection préalable, on eût pu croire qu'il consentait à tenir son évêché du bon plaisir d'Henri lV. Pouvait-il, maintenant qu'une élection particulière l'avait appelé au siège épiscopal de Lucques, se prêter dans l'intérêt de sa nouvelle église à une dé­marche qui lui répugnait tant? On le lui conseillait de toutes parts. La duchesse de Toscane Béatrix et la comtesse Mathilde dont il di­rigea plus tard la conscience l'en pressaient vivement. Elles con­sultèrent à ce sujet Grégoire VII qui, à la date du VIII des calendes de juin (2b mai 1073) répondit en ces termes : « Je ne puis, en ce qui concerne l'évêque nommé de Lucques, vous dire autre chose sinon que chez lui la science des divines Écritures et le discerne­ment sont tels qu'il sait mieux que personne distinguer entre la gauche et la droite. S'il incline à droite, nous en aurons une joie extrême ; s'il lui arrivait, ce qu'à Dieu ne plaise, de prendre la gauche, nous en serions désolé, mais aucune anxiété personnelle, aucune considération humaine ne nous fera jamais pactiser avec l'impiété 2. » Sous cette formule qui évitait de heurter le senti­ment contraire des deux princes, la pensée de Grégoire VII se lais-

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1. Vit. S. Ansehn. Lucens;Patr. Lut. Tom. CXLVI1I, col. 907,

2. S. Greg. VII. Epist. vu, Lib. J; Patr. Lat. Tom. GXLVIII, col. 293.

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sait facilement deviner. Evidemment le pontife élu souhaitait que l'évêque nommé de Lucques s'abstint de toute démarche ayant pour but d'obtenir l'investiture royale. Toutefois comme il ne le disait point positivement, Anselme demanda une décision plus catégori­que. Il la reçut par une lettre pontificale datée du 1er septembre 1073, et conçue en ces termes : « La sincère affection que nous avons toujours eue pour votre fraternité vous portera sans nul doute à acquiescer à notre avis. Vous nous demandez de vous tra­cer la voie que vous avez à suivre ; nous n'en connaissons aucune autre à la fois plus droite et plus sûre que celle déjà indiquée dans nos précédentes lettres, c'est-à-dire de ne recourir point à l'investi­ture jusqu'à ce que le roi de Germanie, satisfaisant à ses obliga­tions les plus sacrées, ait rompu avec les excommuniés et que ré­parant ses scandales il ait conclu avec le siège apostolique une paix définitive. Des personnages illustres travaillent à ce rapproche­ment: notre très-chère fille l'impératrice Agnès, la glorieuse Béatrix et sa fille Mathilde, le duc de Souabe Rodolphe. Nous ne pou­vons ni ne devons rejeter leurs pieux conseils. S'il arrivait cepen­dant que le résultat qu'ils poursuivent se fit trop longtemps at­tendre, venez à Rome, acceptez mon hospitalité et partagez avec moi la bonne ou la mauvaise fortune que Dieu nous ré­serve 1. »

   19. Anselme obéit. Le palais pontifical où se trouvait déjà l'archevêque proscrit de Milan ouvrit sa porte hospitalière à l'évêque

nommé de Lucques. « Admis dans l'intimité du très-saint pape, Anselme fut vivement touché, dit l'hagiographe, du spectacle de ses héroïques vertus. Il le voyait à chaque instant du jour entouré de consultants venus à son audience de tous les points du monde ; Grégoire réglait tout avec une merveilleuse rectitude; la vérité et la justice inspiraient chacune de ses paroles. Malgré le tumulte des affaires extérieures, son âme planait dans la contemplation des choses divines, au point qu'il paraissait souvent comme en extase. Dans les intervalles de liberté que lui laissaient les visiteurs, ses

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1. Epist. xxi, Lit. I, col. 304.

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communications avec le ciel prenaient un caractère plus visible et il était fréquemment favorisé de révélations surnaturelles. Témoin de cette vie merveilleusement ineffable et ineffablement merveil­leuse, Anselme sentit redoubler sa propre ferveur : il fut épris d'un ardent désir d'imiter ce glorieux modèle, de se détacher comme lui de toutes les pensées de la terre pour s'unir à Dieu de toutes les forces de l'âme et du corps, passant les jours et les nuits dans la lecture des saints livres, dans la méditation et une prière toujours accompagnée de larmes. » Ce don des larmes, privilège des pré­destinés, Grégoire VII le possédait à un degré éminent ; il faisait sa joie et sa force spirituelle. « Durant une grave maladie qui mit ses jours en danger 1, dit Paul Bernried, une de ses nièces vint le visiter. Comme elle ne pouvait dissimuler sa profonde tristesse, le saint pontife voulut dissiper son chagrin, et portant la main à un collier dont s'était parée la jeune fille, il lui demanda si elle voulait se marier. Cette innocente plaisanterie fit rire la visiteuse. Or à quelque temps de là, Grégoire ayant recouvré la santé, reprit ses oraisons accoutumées, mais il avait perdu le don des larmes ; ni le souvenir des maux passés ni la contemplation des biens futurs ne put lui en arracher une seule. Dans une désolation profonde il chercha longtemps en lui-même ce qu'il avait pu faire pour offen­ser Dieu et par quelle faute il avait perdu la grâce de la componc­tion. Enfin il révéla sa peine à quelques hommes pieux qu'il asso­cia à ses jeûnes et à ses prières, suppliant le Seigneur de lui faire connaître pourquoi le don qu'il possédait auparavant lui était maintenant retiré. Après deux semaines de veilles, de jeunes et de discipline corporelle, Grégoire reçut un premier avis. La bienheureuse mère de Dieu apparut à l'un des serviteurs, et lui dit: « Va et dis à Gré­goire qu'élu par moi pour prendre rang dans le chœur des vierges,

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1 Cette maladie eut lieu durant l'automne de l'an 1074, ainsi que le constate une lettre adressée durant sa convalescence à la duchesse Béatrix et à la com­tesse Mathilde par l'auguste pontife. Il s'y plaint « d'avoir échappé à la mort qu’il appelait de tous ses vœux et d'avoir à porter encore le fardeau du gou­vernement de l'Eglise si cruellement menacée par la tempête. » (Epist. ix. Lia. (I.)

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il s'est conduit autrement qu'il ne devait le faire. » Grégoire trou­blé de ce reproche, ne comprit pas encore et redoubla de prières pour obtenir que la miséricorde de Dieu s'expliquât plus clairement. La même vision apparut de nouveau au même intermédiaire et la très-sainte vierge Marie s'exprima en ces termes : « Tu diras à Gré­goire, qu'en touchant le collier de sa nièce, il a péché contre la gra­vité de notre institution 1. C'est pour cela que la faveur dont il jouissait lui a été retirée. Mais aujourd'hui comme il a fait péni­tence, il recouvrera le don des larmes 2. « Le lecteur rira de cette légende, » dit M. Villemain, dont le rationalisme était peu familia­risé avec les règles de la perfection ascétique. Mais il n'y a là au­cune légende. Paul de Bernried, clerc régulier du monastère de ce nom, était contemporain de Grégoire VII. Exilé de Germanie par Henri IV durant la persécution que ce prince fit subir au clergé catholique, il vint à Rome où il recueillit avec une scrupuleuse exac­titude les matériaux qui lui servirent à composer la biographie du grand pape. Les faits surnaturels qu'il y a insérés n'étaient nulle­ment des récits d'imagination, mais des réalités dont les témoins vivaient encore. C'est ainsi qu'il nomme un des officiers de la com­tesse Mathilde, lequel retenu au lit par une grave maladie fut subi- temenl guéri par la bénédiction du saint pape. Un autre dans les mêmes conditions, recouvra instantanément la santé en buvant quelques gouttes de l'eau dont Grégoire s'était servi pour l'ablution des mains à la messe pontificale. La ville de Rome tout entière fut témoin d'une autre guérison miraculeuse dont le pape lui-même fut l'objet. « Durant un été où les chaleurs si malsaines dans cette

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1. Ces Paroles donnent à croire que la nièce du pape était entrée dans une des congrégations religieuses fondées par Grégoire sous le patronage de la Sainte Vierge, et dont nous signalons plus loin d'après Paul de Bernried la pieuse institution.

2 Paul Bernried. Vita Greg. Vil, Pair. Lat. Tom. CXLVII1, col. 53. « Cette légende dont le lecteur rira, dit M. Villemain, est-elle une réponse à quelque calomnie ou même un pieux déguisement de quelque faiblesse? N'est-elle pas plutôt un trait de vérité selon les mœurs du temps et la foi sincère du pon­tife? Au reste les détracteurs contemporains, qui lui reprochèrent avec tant d'amertume l'amitié de Mathilde, n'ont jamais désigné cette nièce, ni fait d'allusion suspecte à aucune femme. » (Hist. de Greg. VII. Tom. I. p. 442.)

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ville, dit Paul de Bernried, avaient été plus fortes que de coutume, l'homme de Dieu atteint de la fièvre fut, après quinze jours de souffrances, réduit à un tel état de faiblesse qu'on n'attendait plus que son dernier soupir. Or, on était à la sixième heure du jour (trois heures de l'après-midi). L'auguste malade étendu sur son lit, et prêt à rendre l'âme vit apparaître la vierge Marie qui lui demanda s'il avait assez souffert.—«Glorieuse dame, répondit-il, c'est à vous d'en juger.» La vierge le toucha légèrement de la main et disparut. Aucun des assistants n'avait vu l'apparition céleste. Gré­goire commanda aussitôt de préparer ses ornements pontificaux parce qu'il voulait se rendre à l'église. On crut d'abord qu'il avait le délire. Mais se levant : «Je suis guéri, » dit-il, et après qu'on l'eût revêtu des ornements sacrés, il se fit conduire à l'église. La guérison était complète et le lendemain il célébra en présence de tout le peuple la messe pontificale dans la basilique du Latran. » Les miracles dans la vie de saint Grégoire VII prirent une place tellement considérable, que ses ennemis les plus archarnés furent coutraints d'en reconnaître l'existence. Quelques jours après son sacre, comme il officiait pontificalement à l'église du Sauveur, on vit une colombe planer sur sa tête durant la consécration. Le car­dinal schismatique Benno consacre la moitié de son pamphlet à expliquer ces faits surnaturels par l'intervention du démon et la puissance de la magie 1. Il lui aurait été plus facile de s'en tirer

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1. Benno fait remonter la puissance surnaturelle de Grégoire Vil aux tradi­tions magiques de Gerbert (Sylvestre II) «lesquelles, dit-il, furent transmises d'abord directement par ce dernier à ses disciples immédiats et par ceux-ci à l'archiprêtre de Saint-Jean Porte Latine (Grégoire VI) et à Laurent évêque d'Amalfi, qui à leur tour initièrent leur disciple Hildebrand dans cet art démo­niaque.» Cette stupide accusation n'a pas besoin d'être réfutée. L'évêque d'Amalfi Laurent, dont il est ici question, est un pieux ami de saint Odilon de Cluny dont nous avons fait connaître précédemment le mérite et les vertus. (Cf. Chap. I du présent volume, No 35 et 37). Benno prétend qu'il possé­dait à fond l'art des augures; qu'il entendait le langage des oiseaux et se ser­vait de leur intermédiaire pour être instruit subitement des faits qui se pas­saient au loin. Ainsi s'expliquaient les apparitions de colombes mystérieuses arec lesquelles Grégoire VII paraissait s'entretenir. « Instruit à l'école de ces docteurs de maléfices, dit Benno, Hildebrand devint bientôt un maître con­sommé dans la science démoniaque. Quand il le voulait, en agitant les man-

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par un sourire rationaliste, si ces miracles n'eussent pas été con­stants et de notoriété publique. Nous avons déjà entendu le simo-niaque évêque d'Albe reprocher à l'archidiacre Hildebrand ses prestiges de nécromancien, ses communications avec les esprits in­fernaux 1. La seule magie de Grégoire VII était son admirable sainteté. « Il fut, dit Paul de Bernried, uu nouvel Élie et comme le prophète d'Israël, il trouva un Elisée digne de lui dans la personne d'Anselme évêque de Lucques. Toutes les vertus de l'un furent re­produites par l'autre. Grégoire était la source, Anselme le ruisseau; celui-ci le chef dirigeant tout, celui là la main qui exécutait tous les ordres ; celui-ci le soleil, celui-là le rayon 2. »

 

20. Nous avons déjà dit quelques mots des saintes austérités et des héroïques mortifications d'Hildebrand 3. Voici racontées par un témoin oculaire, Wido évêque de Ferrare, les merveilles de sa vie pontificale. «Devenu pape, il continua ses jeûnes perpétuels, ses oraisons ininterrompues, ses veilles studieuses: son corps était vrai­ment le temple du Christ. Avare de chacun de ses instants, il re­poussait énergiquement le sommeil; au milieu de l'abondance qui régnait autour de lui, il se condamnait à souffrir la faim, la soif et tous les genres d'incommodité corporelle. Les ermites vont cher­cher dans les grottes des montagnes la solitude, l'abstinence forcée; il eut le mérite incomparablement supérieur de se créer celle soli­tude, de pratiquer celle abstinence parmi les enfants du siècle au milieu desquels il était forcé de vivre. Il les voyait s'absorber dans les préoccupations matérielles, courir aux vanités du monde, au plaisir et au lucre; mais lui, planant par la sublimité de la vertu dans les régions surnaturelles, il considérait la vie terrestre comme

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ches de sa robe monacale, il en faisait jaillir des étincelles, et iis miraculi: ocvlos shnplicium velut signo sanctitatis ludificabat. Et quia diabolus wr pa-ganos Christum publics prosequi non poterat, per falsum monachum sud habitu momslico, sub specie religionis nomen Christi fraudulenter subvei'tere dispo-nebat. (Benno, Vita et Gcst. Hildebrand. ap. Ostiuin. Gratium. Fascicul. rer. expetend. et fugiendurum. fol. xlu)

1. Cf. Chapitre précédent, N» 21.

2. Paul Bernried. Vit. S. Greg. VII; Pair. Lut. Tom. CXLVIII, col. 93.

3. Cf. Chapitre précédent, N» 31.

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un pèlerinage et plaçait plus haut la patrie. Et pourtant quelles n'étaient pas son affabilité pour tous, la simplicité de son accueil, la facilité de son abord ! Accessible aux serfs, aux seigneurs, aux princes et aux sujets, aux pères et aux enfants, aux hommes, et aux femmes, il rappelait à chacun dans un langage emprunté aux saintes Écritures les devoirs de sa condition et de son rang. Il ins­truisait tous les âges, édifiait tous les auditeurs, stimulait toutes les intelligences, réprimait les colères, calmait les impatiences, pré­venait toutes les agitations. Il poussait chacun dans la voie du bien, il exhortait à la vertu et jamais personne ne sortit de son audience sans avoir entendu une parole qui le rendît meilleur. Il avait ob­tenu du Seigneur le don des larmes, et tous nous en sommes té­moins. Durant le sacrifice de la messe qu'il célébrait chaque jour, en immolant le corps et le sang de la divine victime, il fondait en pleurs, arrosant ainsi des larmes de sa componction l'holocauste du Calvaire. Il ne mangeait qu'une fois par jour et prolongeait son jeûne jusqu'après vêpres. Sa table tenue avec l'apparat qui conve­nait à la dignité ponlificale, était couverte de mets succulents, cerfs, lièvres, sangliers, viandes, gibier, volailles de toute sorte, qu'il of­frait à ses convives; mais au milieu de tout ce luxe, il ne mangeait que des herbes sauvages, des pois chiches et des légumes cuits à l'eau 1. Telle fut la vie intime de Grégoire VII, telle que nous la révèle un ouvrage longtemps ignoré de Wido de Ferrare, retrouvé en ces derniers temps par M. Pertz. Il convenait d'en retracer le ta­bleau avant d'entrer dans le récit des luttes engagées par le grand pape contre les désordres, les vices, la corruption effrénée de son siècle. Entre le jeune roi Henri IV le type de la sensualité et de l'in­famie couronnées, et la grandeur morale de Grégoire VII, modèle de sainteté héroïque, le contraste est l'un des plus frappants dont l'histoire ait consacré le souvenir. Jusqu'au dernier jour de sa vie Henri IV traîna à travers le monde son cortège de hideuses passions et de caprices féroces ; Grégoire VII mourut pour arracher l'église et la république chrétienne à cette épouvantable tyrannie. Henri IV

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1. Wido Ferrar. ap. Watterich, Tom. 1, p. 350.

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s'appuyait sur la force brutale et la complicité de toute scéléra­tesse. : il voulait restaurer le césarisme païen avec le pontificat su­prême de l'empereur et un sacerdoce marié ; Grégoire VII n'eut d'autres armes que la prière, d'autre glaive que le glaive spirituel de la parole de Dieu et des promesses immortelles faites par Jésus-Christ à son Église. Pendant que des centaines de mille hommes marchaient sous les drapeaux de Henri IV pour anéantir l'autorité du siège apostolique et du successeur de saint Pierre, Grégoire VII organisait sous le titre de Religio quadrata l'immense associa­tion des soldats de la prière. « Cette association, dit Paul de Bernried, fut comme le quadrige victorieux dans les combats du Seigneur 1. Elle comprenait tous les âges, tous les rangs, toutes les conditions. Les hommes divisés en deux grandes classes, les re­ligieux et les laïques, s'engageaient sous le nom de Frères servants à vivre et à mourir fidèles à Jésus-Christ; les femmes étaient répar­ties dans une classification semblable, entre le cloître et la vie sécu­lière, rivalisant de ferveur dans le service de Dieu. Les quatre principaux chefs de cette organisation pieuse inspirée par la sainte Vierge à la grande âme de Grégoire VII furent saint Altmann évêque de Passaw, saint Hugues de Cluny, les vénérables Guil­laume abbé d'Hirsauge et Sigefrid abbé de la Celle Saint-Sau­veur, près de Schaffouse, au diocèse de Constance. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon