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Mais en même temps, il est tout à fait clair que l'enracinement immédiat des récits néo‑testamentaires concernant la naissance de Jésus à partir de la Vierge Marie, se trouve, non pas dans le domaine de l'histoire des religions, mais dans l'Ancien Testament.
Les récits extra‑bibliques de cette espèce se distinguent très nettement, par leur vocabulaire et leurs conceptions, de l'histoire de la naissance de Jésus. La principale différence consiste en ce que, dans les récits païens, la divinité apparaît presque toujours comme une puissance fécondante et procréante, et donc sous un aspect plus ou moins sexuel; elle est ainsi «père» de l'enfant‑sauveur au sens physique.
Rien de tel, nous l'avons vu, dans le Nouveau Testament. La conception de Jésus est une nouvelle création, et non procréation par Dieu. Dieu ne devient pas le père de Jésus au sens biologique; le Nouveau Testament ainsi que la théologie chrétienne n'ont jamais vu dans ce récit, dans l'événement qui y est relaté, le fonde-
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ment de la véritable divinité de Jésus, de sa «filiation divine».
Car celle‑ci ne signifie pas que Jésus soit moitié Dieu, moitié homme; pour la foi, il a toujours été fondamental que Jésus soit Dieu tout entier et homme tout entier. Sa divinité ne signifie pas une diminution de son humanité; ce fut là le chemin suivi par Arius et Apollinaire, les grands hérésiarques de l'Église ancienne.
Contre eux, l'Église défendit avec vigueur l'intégrité totale de l'être humain de Jésus, et proscrivit ainsi toute transformation du récit évangélique en mythe païen de procréation divine d'un demi‑dieu.
La filiation divine de Jésus ne repose pas, d'après la foi de l'Église, sur le fait que Jésus n'a pas eu de père humain; la doctrine de la divinité de Jésus ne serait pas mise en cause, si Jésus était issu d'un mariage normal.
Car la filiation divine dont parle la foi n'est pas un fait biologique, mais ontologique; elle n'est pas un événement dans le temps, elle se situe dans l'éternité de Dieu: Dieu est toujours Père, Fils et Esprit; la conception de Jésus ne signifie pas la naissance d'un nouveau Dieu‑fils, elle signifie que Dieu comme Fils assume dans l'homme Jésus la créature homme, de sorte qu'il « est » lui-même homme.
Tout cela n'est pas mis en cause par deux expressions, qui pourraient facilement induire en erreur un non‑initié. Ne dit‑on pas dans le récit de Luc, en liaison avec la promesse de la conception miraculeuse, que l'enfant « sera appelé saint, Fils de Dieu » (Lc 1, 35) ?
La filiation divine n'est‑elle pas mise en relation ici avec la naissance virginale et ne prend‑on pas ainsi le chemin du mythe? Et pour ce qui est de la théologie chrétienne, ne parle‑t‑elle pas continuellement de la filiation divine « physique » de Jésus, et ne dévoile‑t‑elle pas malgré tout par là son arrière‑plan mythique?
Commençons par cette dernière façon de parler: sans aucun doute, l'expression de filiation divine «physique» de Jésus est tout à fait malheureuse et prête à malentendu; elle prouve que la théologie n'a pas encore réussi, en près de deux millénaires, à libérer son langage conceptuel des moules de son origine hellénistique.
Le mot « physique » est pris ici dans le sens du concept antique de la «physis », donc de la « nature » ou mieux de l' « essence ». Il signifie: ce qui appartient à l'essence.
La « filiation physique » veut dire que Jésus est Fils de Dieu par son être et pas seulement par sa conscience; le mot exprime ainsi l'opposition à l'idée de la simple adoption de Jésus par Dieu.
Il est clair que cet «être‑à‑partir‑de Dieu », évoqué
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p193 LES ARTICLES CHRISTOLOGIQUES DE LA PROFESSION DE FOI
par le mot « physique » n'est pas à entendre au plan biologique de la génération, mais au plan de l'être divin et de son éternité.
Cela revient à dire qu'en Jésus, celui‑là a pris la nature humaine qui appartient “physiquement” (= réellement, au niveau de l'être), de toute éternité, à la relation triple et une de l'amour divin.