VIIème Concile oecuménique 2

Darras tome 17 p. 601

 

   95. Deux jours après, le 26 septembre, eut lieu la seconde session, qui offrit au début un incident non moins dramatique. Parmi les évêques incriminés dans les intrigues iconoclastes, le plus compromis était Grégoire de Néocésarée, lequel avait été jusque-là retenu en prison par ordre de l’empereur. «Quand les pères furent en

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1.        Labbe, Concil., tom. VII. col. 54.

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séance, disent les actes, le diacre Nicéphore, archiviste du vénérable patriarcat, monta à l’ambon et dit : Un officier impérial se tient à la porte de la basilique, et demande à être introduit. Il amène l’évêque de Néocésarée. — Qu’on les fasse entrer, dit Taraise. — Le clarissime délégué fut donc introduit, et s’adressant aux pères il dit : Nos augustes maîtres m’ont donné ordre de déférer le révérendissime évêque de Néocésarée au jugement du saint et œcuménique concile : je remplis ma mission en vous le présentant. — Que Dieu conserve nos pieux empereurs ! dirent les pères. — Taraise s’adressant alors à l’évêque de Néocésarée : Avez-vous jusqu’ici vécu dans l’ignorance de la vérité, ou bien ne rougissez-vous pas d’outrager la vérité connue? Si vous avez péché par ignorance, n’hésitez point à embrasser aujourd’hui la vraie doctrine, vous qui n’avez pas craint de propager et de soutenir l’erreur. —Seigneur, répondit Grégoire, j’ignorais la vérité, je demande à l’apprendre selon votre désir et celui du saint synode. — Que souhaitez-vous apprendre? demanda Taraise. — En effet, dit Grégoire, l’unanimité de cette œcuménique assemblée suffit à me donner une certitude absolue. Je sais maintenant de quel côté se trouve la vérité catholique. Je demande seulement pardon pour mes fautes passées ; elles sont immenses : je me soumets à votre jugement et à celui du saint concile. — Est-ce encore là un des subterfuges qui vous sont familiers? dit Taraise; prétendez-vous dissimuler sous des paroles de soumission de nouveaux projets de révolte? — A Dieu ne plaise! s’écria l’évêque. Je confesse purement et simplement la vérité, je ne mens point, et ne trahirai pas la parole que j’engage solennellement aujourd’hui devant vous. — Vous auriez dû, reprit Taraise, en agir ainsi toujours. Dès vos plus jeunes années n’avez-vous pas, ainsi que nous, entendu lire et commenter les textes de l’apôtre saint Paul : « Gardez fidèlement les traditions que vous avez reçues soit de vive voix, soit par nos épîtres 1; » et encore : « Évitez les profanes nouveautés de paroles 2 ? » N’é-

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1    Tenete traditiones quas accepistis sive per sermonem, sive per epistoïam nos-
tram.
(I
Thess., m, 14.)

2    Profanas vocum noviiates devitans. (I lim., VI, 20.)

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tait-ce pas de toutes les nouveautés la plus profane que celle d’appeler les chrétiens des idolâtres? — C’était un crime, dit Grégoire, je le confesse ; mais il a été commis, ou plutôt j’ai eu le malheur de le commettre ; voilà pourquoi j’implore pour moi et mes complices votre miséricorde. Oui, seigneur patriarche, je le confesse devant vous, en présence de tous mes frères, dans cette vénérable assemblée : nous avons péché, nous avons commis l’iniquité, nous avons fait le mal, et maintenant nous demandons humblement pardon.» — Sur cet aveu réitéré, le concile prit la résolution suivante : «L’évêque de Néocésarée comparaîtra de nouveau à la prochaine session avec une profession de foi écrite, et il sera ultérieurement statué sur son sort1 . » — Leontius, l’un des secrétaires impériaux, fit alors une motion d’ordre ainsi conçue : « Le très-saint concile se rappelle que, dans leur message lu à la dernière séance, les augustes empereurs se référaient à la lettre synodique qu’ils ont reçue du très-saint et très-bienheureux pape de l’antique Rome. Ce document est contenu en deux quaternions de parchemin. Nous demandons qu'il en soit fait lecture.—Qu’on lise la lettre du très-saint et très-bienheureux pape Adrien, dirent les pères. — Le diacre Nicéphore montant à l’ambon donna lecture de la lettre pontificale 2. » — La suscription était ainsi conçue : « Aux empereurs sérénissimes, très-pieux, victorieux et triomphateurs, nos fils bien-aimés en Notre-Seigneur Jésus-Christ Constantin et Irène augustes, Adrien serviteur des serviteurs de Dieu. » Au nom de l’église catholique, le pape félicitait les empereurs de leur zèle pour l’extinction du schisme et le rétablissement des saintes images. Nouveau Constantin, nouvelle Hélène, ils laisseraient une mémoire immortelle. Reprenant ensuite la tradition apostolique, Adrien montrait que le culte des saintes images avait toujours été autorisé et pratiqué par l’Église. Il citait les textes de l’ancien Testament relatifs aux chérubins de l’arche, au serpent d’airain dans le désert; puis entrant dans l’histoire évangélique, il rappelait les images traditionnelles de Jésus-Christ, de Marie, des apôtres et des saints, toujours honorées au sein du catholicisme.

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1.        Labbe, Concil., torn. VU, col. 98. — 2 Ibid., col. 99-

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il expliquait la différence essentielle entre le culte de latrie, c’est-à-dire l’adoration réservée à Dieu seul, et celui d’honneur et de vénération rendu aux saints et à leurs images. Les textes des principaux docteurs et pères de l’église grecque et latine étaient reproduits à l’appui de cette doctrine. Enfin le pape annonçait l’envoi des légats apostoliques chargés de le représenter au concile. — Après la lettre d’Adrien aux empereurs, on lut celle qu’il avait adressée directement au patriarche Taraise. Le pape y témoignait son étonnement qu’on eût élevé un laïque à l’épiscopat, mais il ajoutait que Taraise se montrait digne de la mesure exceptionnelle dont il avait été l’objet par l’orthodoxie de sa profession de foi, par le zèle qu’il témoignait pour le rétablissement des saintes images. En conséquence il le recevait à la communion du siège apostolique et l’exhortait à seconder le désir des empereurs pour la réunion d’un concile qui rétablirait l’unité au sein de l’Église. — Cette lecture achevée, tout les pères dirent unanimement : « La foi d’Adrien, son jugement, sa doctrine, sont la foi, le jugement, la doctrine du saint et œcuménique concile. » Après cette acclamation, les légats apostoliques demandèrent qu’on interrogeât nominativement chacun des pères, pour savoir s’il admettait la doctrine contenue dans les lettres du pape. On recueillit donc les votes: ils furent tous affirmatifs et s’élevèrent au chiffre de deux cent soixante-trois 1.

   96. L’unanimité des sentiments dans le retour à la foi orthodoxe avait disposé les esprits à l’indulgence. Aussi dans la troisième session, tenue le 28 septembre, Grégoire de Néocésarée et les dix autres évêques inculpés furent admis au pardon qu’ils sollicitaient et réintégrés sur leurs sièges. On donna ensuite lecture des lettres synodiques adressées par les patriarches et métropolitains des provinces occupées par les musulmans. Elles étaient conformes à la doctrine apostolique, telle que le pape Adrien l’avait formulée. L’évêque de Chypre, Constantin, dont les paroles furent sanctionnées par tout le concile, y donna son adhésion en ces termes : «Je professe

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1. Labbe, Concil., tom. VU, col. 127-154.

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la même croyance; j’honore et baise respectueusement les saintes et vénérables images. Quant à l’adoration de latrie, je la réserve exclusivement pour la Trinité supersubstantielle et vivifiante 1. » Rien de plus complètement orthodoxe que ces paroles, mais une infidélité dans la traduction latine des actes en transforma le sens de façon à faire dire à l’évêque de Chypre précisément le contraire, savoir qu’il rendait aux saints et à leurs images la même adoration de latrie qu’à la Trinité elle-même. Nous verrons bientôt les controverses auxquelles donna lieu dans les Gaules ce malentendu. Les sessions quatrième et cinquième, tenues le 1er et le 4 octobre, furent exclusivement occupées par la lecture de tous les textes des livres saints, de la tradition ecclésiastique et des pères confirmant le culte des saintes images. Taraise en avait fait soigneusement préparer la collection2. II importait en effet de réhabiliter dans l’esprit des évêques d’Orient une tradition que la plupart d’entre eux avaientoubliée. La facilité avec laquelle ils s’étaient faits iconoclastes sous Léon l’Isaurien et Copronyme, l’empressement avec lequel ils se déclaraient orthodoxes et professaient le culte des saintes images sous Irène et Constantin VI, donnent, il faut en convenir, une triste idée de leur caractère. Taraise avait grandement raison de se précautionner contre un tel servilisme et une telle versatilité. L’absence de tout principe théologique dans l’erreur iconoclaste, son absurdité notoire, ne prêtaient à aucune controverse dogmatique tant soit peu sérieuse. Aussi n'y en eut-il pas au sein du concile. Mais il restait un monument d’hérésie et de schisme, dressé par le conciliabule de 754 dont Copronyme avait prétendu faire le concile universel du vandalisme iconoclaste. Ce document, sous le titre d’opos (décret de foi), avait été revêtu alors des signatures de tout l’épiscopat d'Orient. Taraise en composa une réfutation complète, paragraphe par paragraphe, on pourrait dire ligne par ligne. Cette réfutation, qui n’occupe pas moins de cent cinquante pages in-folio de la col-

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1 To'jtoi; <n>VTt9r,}U, xaî é|iôçopwv Y'v°!*»li Se^ô^evo; y.ai àa7:oiîôu.£vo; tijiiijtixwc làç âyi'a; zai seTTTÔc; eîxôvaç xal tt,v v.xii. J.otTpîtœv 7ïpo<yxuv:rç'îtv (iivij tS) ûîUpaVjtw xai ÇuiïpytxTJ TpiccSi àv«îié|ji7:w. (Labbe, col. 188.)

2.Labbe, Concil., toiu. Vil, col. 193-390.

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p606   PONTIFICAT DE SAINT ADHIEN I (772-793).

 

lection de Labbe, fut lue intégralement le 6 octobre dans la sixième session, et la remplit tout entière1.

 

   97. Enfin, le 13 octobre, eut lieu la septième session, la dernière de celles qui se tinrent à Nicée. Théodore évêque de Taurianum, aujourd’hui Seminara en Calabre, lut la définition de foi dont le texts avait encore été rédigé par le patriarche Taraise. Elle commence par une parole de Jérémie qui trouvait là une application frappante : « Les pasteurs ont dévasté ma vigne, ils ont souillé mon héritage 2. » « Aujourd'hui dans la métropole de Nicée, si glorieuse d’avoir vu dans ses murs le premier des conciles œcuméniques, ajoutait Taraise, la vérité orthodoxe dans un VIIe concile général va resplendir à tous les regards. » Suit alors l’antique symbole de Nicée avec cette particularité que la tradition latine des actes porte l’adjonction Filioque, tandis que ce mot est omis ou plus vraisemblablement supprimé dans le texte grec tel qu’il nous est parvenu. Vient ensuite l’énumération des six précédents conciles œcuméniques et la reproduction des anathèmes prononcés successivement par eux contre les divers hérétiques jusqu’à Sergius, Cyrus, Pyrrhus, Macaire d'Antioche et Honorius inclusivement. Le lecteur se rappelle qu’en effet Honorius avait été condamné dans les sessions acéphales du VIe concile général3. Enfin, la définition de foi relative au culte des images était conçue en ces termes : « Les croix, les images saintes, peintes, sculptées ou ciselées, doivent être exposées à la vénération des chrétiens. Par images saintes nous entendons celles de Jésus-Christ, de la sainte Vierge sa mère immaculée, des anges, des apôtres et de tous les sainis. Leur vue rappelle à qui les contemple le souvenir de celui qu’elles représenten ; on doit leur rendre un hommage de respect et de vénération:i ' x-.-*™* ica! x-.ixvixf.v jrpoffy.-jvr.ffiv), mais non le culte de latrie proprement dit (oj n*;; ir.v à>r,0ivrv J.xTpda-/), lequel n’appartient qu’à Dieu seul. Il est permis en signe de vénération de brûler de l'encens ou d’entretenir des lampes allumées devant elles, comme on le fait pour le

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1. Labbe, Conçu., to ni. VJ J, col. 390-ü'iU.

Pastores multi corruperunt vincam rneam, conîammavervnt portionem erem., su, tû.) — 3 Cf. tom. XVI de cette Histoire, pag. 344-392.

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livre des évangiles. Telle fut de temps immémorial la coutume sainte et vénérable de nos pères dans la foi. Les honneurs ainsi rendus s’adressent à celui que l’image représente, et quiconque la vénère (prosxunè) vénère le saint ou la sainte qui y est figuré. Si quelqu’un croit ou enseigne le contraire, qu’il soit anathème 3. » Ce décret fut signé par trois-cent-huit évêques, puis dans une longue série d’acclamations le concile s’écria : «Telle est la foi des apôtres, la foi de nos pères, la foi des orthodoxes! Anathème à quiconque accuse la sainte Église catholique d’idolâtrie. Longues années à l’empereur auguste et à l’impératrice sa mère ! Gloire éternelle au nouveau Constantin et à la nouvelle Irène ! Anathème aux patriarches iconoclastes Anastase, Constantin, Nicétas! Gloire, honneur, louanges immortelles à Germain de Constantinople et à Jean Damascene » A la nouvelle de cette heureuse conclusion, l’impératrice Irène fit inviter les pères à se rendre à Constantinople pour y promulguer la sentence dogmatique. Le 23 octobre 787, au palais de Magnaura, cette imposante assemblée se réunit donc une dernière fois. Le patriarche Taraise, dans un discours que les larmes interrompirent plus d’une fois, rendit compte des travaux du concile. La définition de foi fut de nouveau promulguée. L’impératrice et son jeune fils Constantin Porphyrogénète y apposèrent leur signature, et la communion fut rétablie entre l’église-grecque et latine

 

   98. Les germes de dissentiment un instant étouffés ne devaient cependant point tardé à renaître. On se rappelle que la première idée de convoquer un concile œcuménique, dans le but de mettre fin au schisme iconoclaste, s’était fait jour à Rome durant les négociations entamées entre l’impératrice Irène et Charlemagne pour le futur mariage de la princesse Rotrude avec Constantin Porphyrogénète. Or, en 788, un an après le concile de Nicée, par un brusque revirement dont les historiens ne nous font pas connaître le motif, Irène rompit le projet d’alliance, au grand regret

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i  Labbe,   Concil.,  tara.   Vif,  col.  350.   —   2. Ibid.,  col.  57U.  — 3. Wrf. col. 590-5SH.

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de Porphyrogénète, qui dut se marier avec une jeune arménienne de naissance obscure, mais d’une rare beauté, nommée Marie. Il est assez vraisemblable qu’une intrigue lombarde, soigneusement dissimulée et discrètement conduite, intervint dans ce changement de politique. On serait en droit de le soupçonner par la suite des événements. Le duc de Bénévent, Arigise, après sa défaite par Charlemagne, avait député à Byzance des émissaires chargés de faire reprendre et de pousser plus activement que jamais le dessein si longtemps stérile d’une restauration de la monarchie lombarde en faveur du prétendant Adalgise, fils de Didier. L’empire avait un bénéfice incontestable dans cette expédition, qui devait faire rentrer sous son pouvoir l’exarchat de Ravenne. Arigise sollicitait pour lui-même le titre de patrice de Naples, offrant de reconnaître la suzeraineté d’Irène, et d’aider puissamment la flotte grecque chargée de rétablir Adalgise à Pavie et un exarque impérial à Ravenne. Ses offres furent agréées. Deux chambellans impériaux furent expédiés à Cons- tantinople porteurs d’un diplôme de patrice à l’adresse du duc, d’une robe de pourpre insigne de sa nouvelle dignité. Ils devaient annoncer en outre la prochaine descente en Italie d’une flotte considérable sous les ordres d’Adalgise. Mais à leur arrivée le duc de Bénévent était mort. Ce prince venait de perdre subitement, le 21 juillet 789, son fils aîné Romuald : il ne put survivre à cette douleur et mourut lui-même le 16 août suivant. Son second fils Grimoald était alors à Aix-la-Chapelle, retenu en otage par Charlemagne. « Vous n’avez plus de père en ce monde, lui dit le roi quand il eut appris l’événement. — Grand prince, répondit Grimoald, j’ai reçu il y a peu de jours d’excellentes nouvelles de mon père. Sa santé ne fut jamais meilleure, ni sa gloire plus éclatante. Puissent-elles l’une et l’autre durer longtemps!-Vous me pardonnerez cette expression d’amour filial. — Charlemagne d’un ton attendri dit au jeune homme : Il n’est que trop vrai, votre père est mort. — A ces mots, Grimoald resta un instant comme absorbé, puis il s’écria, les yeux baignés de larmes : Depuis le jour où je

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me suis vu en votre puissance, je n’ai eu qu’une pensée, c’est que vous me tiendriez lieu de père, de mère, de famille, de tout ce que j’aime en ce monde. » Charlemagne l’embrassa, le nomma sur l’heure duc de Bénévent, et le fit partir pour prendre possession de l’héritage paternel. Il n’eut point d’abord à s’en repentir. Grimoald, en effet, aussitôt son arrivée en Italie, ayant appris que la flotte grecque commandée par Adalgise venait de débarquer en Sicile, joignit ses troupes à celles d’Hildebrand duc de Spolète et de Vinigise gouverneur de Pavie : ensemble ils marchèrent à la rencontre du prétendant. L’action s’engagea près de Capoue, en un lieu dont les chroniqueurs n’ont point enregistré le nom. Les grecs furent taillés en pièces. Quelques auteurs disent qu’Adalgise fut du nombre des morts, d’autres assurent qu’il put s’échapper et retourner à Constantinople où il aurait terminé, obscurément ses aventures et sa vie. Après un tel éclat, Charlemagne ne ménagea plus les byzantins ; il leur enleva le reste de leurs possessions sur les côtes de l‘lstrie et de la Liburnie, et fit établir sur tout le littoral une croisière rigoureuse pour donner la chasse à leurs navires.

 

   90. En de telles circonstances, on ne devait pas être dans les Gaules très-favorablement disposé à recevoir les décrets du nouveau concile grec tenu à Nicée. Aussitôt que les actes de cette assemblée parvinrent à Rome, le pape Adrien en fit faire une traduction latine dont il adressa un exemplaire à Charlemagne. «Malheureusement, dit Anastase le Bibliothécaire, le traducteur avait méconnu aussi bien le génie de la langue grecque que celui de la langue latine, au point que presque nulle part, aut vix aut nunquam, on ne sait ce qu’il veut dire. » Ce fut sur cette traduction défec- tueuse que Charlemagne et les évêques francs durent se faire une idée du VIIe concile œcuménique. Ils y trouvaient à chaque page l’affirmation que les évêques orientaux étaient passés tout à coup du vandalisme iconoclaste le plus brutal à l’adoration latreutique des images. Nous avons cité plus haut un des textes grecs mal interprétés qui les confirmèrent dans cette pensée. L’histoire d’ailleurs n’a qu’à se féliciter de ce malentendu, puisqu’il nous a valu le monu-

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p610 PONTIFICAT DE SAINT Al) 111 EN I (772-70“)).

 

ment de science théologique connu sous le nom de Livres Carotins 1. Charlemagne travailla à leur rédaction et s’il ne les composa point en entier, du moins il en écrivit quelques parties. La doctrine qu’il cherchait à y établir était orthodoxe, mais sa conclusion n’en était pas moins fausse, puisqu’elle tendait à rejeter comme hérétique le concile de Nicée. Lorsqu’en 794 l’archi-chapelain Angilbert offrit les Libri Carolini au pape saint Adrien I de la part de leur auguste auteur, l’embarras du pontife ne fut pas médiocre. Il lui fallait tout à la fois reconnaître le zèle de Charlemagne et cependant le tirer de son erreur. Adrien ne recula point devant cette tâche. Dans une lettre presque aussi longue que le traité impérial, il redressa les erreurs de traduction, rétablit le sens véritable des expressions grecques, reprit même plusieurs exagérations dans lesquelles l’auteur des Libri Carolini s’était laissé entraîner. Ainsi Charlemagne prétendait qu’il était insensé d'offrir de l’encens ou de faire brûler des lampes devant les saintes images. Selon lui, c’était là un culte latreutique. D’un autre côté, par un sentiment de vénération pour les images, il ne voulait point qu’on les exposât dans les rues, à l’intempérie des saisons, à la poussière des chemins. Adrien redressait les inexactitudes et répondait aux scrupules du roi très-chrétien; il terminait son exposition doctrinale par ces paroles, les dernières qu’il ait adressées à Charlemagne : «Votre excellence bénie de Dieu restera ferme dans la foi orthodoxe, dans la tradition de la sainte Église catholique et romaine dont vous êtes l’illustre défenseur. Jusqu’à la fin des âges on redira votre amour et votre dévouement pour le bienheureux Pierre prince des apôtre, de même que par son intercession votre puissance royale ne trouvera sur son chemin que des victoires. Que le bras tout-puissant du Seigneur vous protège contre tous les ennemis, qu’il prolonge votre règne et votre vie en ce monde, qu’il vous conserve vous et la reine notre fille spirituelle, qu’il maintienne d’âge en âge le sceptre royal à votre noble postérité, et que tous après le règne de la terre vous puissiez régner sans fin dans les cieux 2. »

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1. Libri Carolini; Pair, lat., tom. XCVIII, col. 999-1247.

2. Adrian.. Epist. nd Carol. Magn.t Pair. lat.. tom. XCVIII. col. 1202.

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p611 CHAP. VI. — IDÉE GÉNÉRALE DE LA TROISIÈME ÉPOQUE.

 

   Quelques semaines après, Adrien I mourut le 25 décembre 795. Cette nouvelle arriva presque en même temps que sa lettre à Francfort où se trouvait Charlemagne. Son pontificat de vingt-trois ans fut l’un des plus glorieux et des plus prospères. Le grand roi consacra à sa mémoire une épitaphe où se révèle la tendre affection qui unissait les deux âmes du monarque et du pontife. Les vers de Charlemagne envoyés à Rome furent gravés sur la tombe d’Adrien; en voici la traduction : « Ici repose le père de l’Église, la gloire de Rome, le grand docteur, le bienheureux Adrien. Pasteur apostolique, cœur voué au bien, Dieu lui-même était sa vie, la piété sa loi, sa gloire le Christ. Issu d'une longue suite de nobles aïeux, l’éclat de ses vertus dépassa celui de sa naissance. Zélé pour la gloire de Dieu, il élevait partout des temples, mais s’il enrichissait les églises matérielles, il ornait par sa doctrine les temples vivants de l’Esprit-Saint, il ouvrait à tous la route du ciel. Prodigue envers les pauvres, plein de charité et de miséricorde, il passait les nuits à prier pour le peuple et les jours à l’instruire. Rome, ville sainte, tête du monde, orgueil de l’univers, c’est lui qui a redressé tes superbes murailles. O mort, toi que le Christ a vaincue par sa mort, tu n’as pu atteindre ce pontife, tu n’as fait que lui ouvrir la porte d’une meilleure vie! C’est ainsi qu’en pleurant ce tendre père, moi Charles, j’essaie de tromper ma douleur. O père, mon doux amour, je le pleure. Souviens- toi de ton fils, ma pensée ne se sépare plus de toi. Règne maintenant avec le Christ dans les royaumes bienheureux du ciel. De quel amour ne t’aimaient pas, toi le meilleur des pontifes, ton clergé et ton peuple ! Je veux joindre sur ta tombe nos deux noms Adrien et Charles, toi le père, moi le roi. Qui que tu sois qui lis ces vers, qu’un sentiment pieux s’échappe de ton cœur, prie Dieu de faire miséricorde au pontife, et au roi, et que le fils aille retrouver son père 1. » Sainte et noble amitié qui fondait ensemble le cœur d’un grand pape et celui d’un grand roi, pour le bonheur du monde et la gloire de leur siècle! Le nom de saint Adrien I, le

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p612   PONTIFiCAT DE SAINT ADRIEN 1 (772-793),

 

quatre-vingt-dix-huitième de la liste pontificale, ferme la troisième époque de l’histoire de l’Église.

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