CHAPITRE XII
1. Scandale causé à Hippone par le prêtre Boniface et Spès. - 2. Lettre d'Augustin à ce sujet pour affermir les habitants d'Hippone. - 3. Il convainc le manichéen Félix et le tire de l'erreur. - 4. Il écrit un livre sur la nature du bien contre l'hérésie des manichéens. - 5. Il détruit entièrement cette hérésie par un livre publié principalement contre Secondin. - 6. Il apaise par son humilité l'aigreur de Jérôme. - 7. Ils s'écrivent l'un à l'autre.
1. C'est à peu près à l'époque du concile de Carthage, dons nous parlons, qu'Augustin écrivit aux habitants d'Hippone, au sujet de l'affaire de Boniface et de Spès. Sa lettre est certainement postérieure au décret du concile de Carthage, de 401, concernant la réception des clercs donatistes dans leurs charges, mais antérieure à la mort de Proculéien. Il y avait parmi les frères d'Augustin un prêtre nommé Boniface, et un laïque nommé Spès. Boniface dénonça ce dernier à Augustin comme l'ayant sollicité à une action honteuse, à laquelle il n'avait pas voulu consentir, non plus qu'il ne voulait la taire. Spès, au contraire, prétendait que c'était Boniface qui l'avait sollicité à une action impure, et que c'est parce qu'il n'avait pu se décider à commettre un tel crime, qu'il s'était résolu à l'en accuser. Augustin était fort affligé en voyant que, de ces deux hommes qui habitaient et vivaient avec lui, nécessairement l'un devait être un homme de mauvaise vie, tandis que l'autre, quoique innocent, ne pouvait manquer d'être regardé comme coupable par les uns, ou soupçonné de l'être par les autres. Quant à lui, il était convaincu que Boniface était innocent, car il avait une mauvaise opinion de Spès. D'ailleurs, la conduite de ces deux hommes confirmait Augustin dans l'opinion qu'il avait conçue. Cependant, comme il manquait de preuves pour convaincre le coupable, il examina et pesa longtemps les choses, et résolut de remettre l'affaire entre les mains de la justice divine, jusqu'à ce qu'une raison juste et évidente lui permît d'expulser celui qu'il soupçonnait. Cependant, Augustin n'était pas disposé à garder dans son clergé un homme placé sous le poids d'une accusation aussi grave. Mais, soit pour connaître l'opinion d'Augustin à son égard, soit en cédant à son ambition naturelle, Spès eut recours à tous les moyens possibles pour se faire admettre dans le clergé par le saint évêque, ou du moins pour obtenir de lui des lettres de recommandation qui lui permissent de se faire ordonner ailleurs. Augustin se montra inflexible dans le refus de lui imposer les mains et de le recommander à ses collègues. À ce refus, Spès se mit à faire du bruit et à répéter partout que si on l'empêchait ce recevoir les ordres, on devait aussi priver Boniface de sa charge. Rien n'était plus injuste que cette prétention. Cependant, Boniface répondit qu'il y consentait, parce qu'il aimait mieux être privé devant les hommes de son titre de prêtre, que de donner à Spès le moindre prétexte de troubler l'Église. Dans cette conjoncture, Augustin crut qu'il devait prendre un moyen terme, et il leur proposa de promettre librement et par écrit, qu'ils se rendraient dans un lieu célèbre par les miracles qui s'y opéraient, où la crainte de la vengeance divine forcerait le coupable à avouer sa faute. Augustin les envoya donc à Nole, au tombeau de saint Félix, parce que là il pourrait savoir plus sûrement qu'ailleurs, par Paulin, ce qui serait arrivé à ces deux hommes. Boniface se montra d'une si grande modestie qu'il ne demanda pas même une lettre pour certifier sa dignité de prêtre de l'Église; ne refusant point de passer pour l'égal de Spès
------------------
(1) Contre Cre~c: ir, id.
=================================
p254 VIE DE SAINT AUGUSTIN
dans un lieu où ils étaient tous les deux inconnus.
2. Tant que la chose demeura secrète, Augustin usa de tous les moyens possibles pour que ce dont son cœur était affligé, ne parvînt point à la connaissance des fidèles, car il craignait que les plus forts ne s'en tourmentassent pour eux, et que les faibles n'en fussent dangereusement troublés. Il appréhendait aussi que les donatistes n'en prissent occasion de se moquer des chrétiens. Néanmoins, quoi qu'il fit, le bruit s'en répandit et occasionna le trouble qu'il avait prévu, et qui fut d'autant plus violent, qu'on avait, peu de temps auparavant, dit bien haut que les prêtres d'Augustin n'avaient jamais été sous le coup d'aucune accusation de crime comme ceux à qui Proculéien avait imposé les mains. Il y en eut même qui allèrent jusqu'à demander que le nom de Boniface fût effacé de la liste des prêtres, qu'on avait coutume de lire à l'autel. C'était, disaient-ils, pour ne pas donner aux donatistes l'occasion de crier que les crimes restaient impunis chez les catholiques. Mais Augustin ne voulut pas le faire de peur d'aller contre le jugement de Dieu, au tribunal de qui il avait remis cette affaire et aussi pour ne point aller contre un décret du concile qui défend de retrancher de la communion un prêtre non convaincu de crime, à moins qu'il ne refuse d'être jugé (1). Cependant, il remit l'affaire au jugement du clergé et du peuple, dans la crainte que ceux qui ne voulaient pas revenir à l'Église et cherchaient pour cela toute espèce de prétextes, n'en trouvassent un assez plausible dans cette affaire ; car leur conduite ne leur eût pas été imputable, elle ne l'eût été qu'à ceux qui étaient la cause de tout cela; mais, d'un autre côté, il ne devait point en arriver de mal à cet homme, si sa conscience elle-même ne l'effaçait point du livre des vivants. Pendant que tout cela se passait, Augustin était éloigné d'Hippone. Il écrivit donc une lettre à son clergé, aux anciens et à toute l'Église d'Hippone. Quoique leur douleur fût moins grande que la sienne, il essaye, dans sa lettre, de consoler ceux qui souffraient avec lui de ce fâcheux événement. Il leur dit que Notre-Seigneur avait prédit ces sortes de scandales, et qu'ils devaient se tenir sur leurs gardes, de peur qu'en portant sur leur frère un jugement téméraire, ils ne tombassent eux-mêmes dans les piéges du démon, ce qu'il disait en faveur de Boniface. Il les prie de ne point ajouter de nouvelles blessures à celles qu'il a déjà reçues, de ne pas augmenter ses tourments, de ne point ajouter de nouvelles douleurs à sa douleur, en tombant eux-mêmes dans de faux soupçons, ou dans les péchés d'autrui, puisqu'ils ont en Dieu quelque espérance, et qu'il s'expose chaque jour à des dangers incessants pour eux. Quant aux schismatiques, que le démon porte à se réjouir de ce malheur et à rechercher, parmi les membres de l'Église, des vices qu'ils puissent tourner à la honte du corps entier, ce qui lui semble plus simple est de les mépriser et de les considérer comme les chiens qui venaient lécher les plaies de Lazare. Il dit aux habitants d'Hippone que si Dieu n'a pas permis que ce scandale demeurât secret, c'était pour qu'ils se livrassent plus entièrement à la prière avec lui, et pour que la vérité quelle qu'elle fût, fût manifestée par la révélation divine. Joignant ensuite la douceur à la sévérité, il leur reproche d'avoir rapporté la gloire de sa victoire contre Pétilien, à lui plutôt qu'à Dieu, et il les engage à n'avoir point une moindre estime pour son monastère parce qu'il s'y trouve des moines coupables. Félix et Hilaire lui ayant écrit à ce sujet, il leur répondit qu'il ne fallait pas s'étonner qu'il surgît dans l'Église de pareilles difficultés ou qu'on répandit dans le peuple des bruits calomnieux contre les ministres du Seigneur. Il ajoute qu'il n'a jamais ni remarqué ni cru qu'il existât chez Boniface le moindre vice. Aussi n'a-t-il pas fait rayer son nom de la liste des prêtres, ne voulant pas devancer le jugement de Dieu à qui il avait remis l'affaire de Boniface. À l’époque où le saint évêque écrivait ces lettres, Spès et Boniface étaient
-----------
Concile de Carthage. 3, ann. 397, can., LXGVI11.
=================================
p255 VIE DE SAINT AUGUSTIN
partis ou allaient partir pour Nole. On ne sait quelle fut l'issue de cette affaire, mais nous aurons à parler plus loin d'un certain Boniface, homme très vertueux et intimement lié avec le saint évêque, qui devint évêque de Catagne vers 408. Au reste, eu égard à l'humilité de Boniface, il n'y a pas de témérité à penser que Dieu fit briller son innocence et qu'après avoir éprouvé sa foi et sa patience, il l'éleva à la dignité épiscopale : Cependant, aucun indice certain ne prouve que ce soit le même Boniface.
3. Avant la fin de la même année, une discussion eut lieu entre Augustin et Félix, élu des manichéens (1), et un de leurs docteurs ; il était toutefois peu instruit dans les belles-lettres ; cependant il était beaucoup plus habile que Fortunat, qu'Augustin avait confondu dans une discussion publique, en 390. Il était venu à Hippone pour y semer ses erreurs. On n'est pas sûr que ce Félix soit le même que celui à qui Augustin a écrit une lettre qui existe encore (2), car elle est seulement adressée à un prêtre manichéen. On comprend, par ce qu'elle contient, que cet homme cherchait à dissimuler ce qu'il était, et que ce n'est qu'après avoir eu quelques entretiens avec des catholiques qu'il avait été démasqué par eux et dénoncé à Augustin. Il disait qu'il méprisait la mort, et qu'il était en grand renom auprès d'Augustin, puisque celui-ci s'occupait de paralyser ses efforts. Augustin lui adressa donc une lettre courte mais véhémente, dans laquelle il se rit de son ostentation et lui propose un syllogisme dont Fortunat, son prédécesseur, n'avait pu se tirer, en lui annonçant qu'il doit y répondre ou quitter le pays. Si ce prêtre manichéen est le même que Félix, voici ce qui lui arriva : on lui présenta les écrits qu'il avait apportés avec lui, c'est-à-dire, probablement, cinq volumes de la doctrine manichéenne qui étaient gardés sous le sceau public (3). Le 6 décembre, il alla trouver le curateur ou maire de la ville et lui offrit un libelle de suppliant, en disant publiquement qu'il était prêt à se laisser brûler avec ses livres, si on trouvait quelque chose de mal en eux (4). Peut-être eut-il ce jour-là un entretien avec Augustin; car Possidius dit qu'ils ont eu ensemble deux ou trois entretiens (5), bien que, dans les actes écrits à ce sujet, on dise qu'ils n'en eurent que deux : la première dans l'église d'Hippone, le 7 décembre 404, un mardi (6). Le peuple se tenait à la grille, écoutant avec recueillement et en silence. Il y avait des notaires, pour recueillir ce que disaient les deux interlocuteurs (7). Telle fut la fin de cette conférence : Augustin fit à Félix la même objection qu'à Fortunat, c'est-à-dire, il lui demanda comment, si la nature de Dieu est incorruptible, la nation des ténèbres pouvait lui nuire, et, si elle ne le pouvait, pourquoi avait-il combattu contre elle, et permis qu'une portion de sa nature fût envoyée ici-bas mêlée à la nation des ténèbres et souillée par elle (8) ? Félix demanda jusqu'au lundi suivant pour répondre, c'est-à-dire jusqu'au 12 du même mois (9). Ces dates précises écartent tout soupçon d'erreur pour l'époque de la conférence. Félix promit de rester, pendant tout ce temps, avec un chrétien, qu'il choisit parmi les assistants, ou s'il prenait la fuite, car il n'était pas retenu en prison, il consentait non seulement à passer pour avoir anathématisé Manès, mais encore à être regardé comme s'avouant lui-même vaincu et comme un prévaricateur de sa loi, comme un coupable, dans toute la ville d'Hippone (10). Il vint, en effet, au jour dit, dans l'église de la paix, où eut lieu la seconde conférence, en présence du peuple (11). Augustin reprit son syllogisme ; mais, comme Félix voulait éviter de répondre, en alléguant pour raison qu'on ne lui avait pas rendu ses manuscrits, et demandait un second délai de deux jours, le saint docteur lui dit que s'il avait cru que ses manuscrits lui fussent nécessaires, il les aurait réclamés en même temps qu'il avait demandé un premier délai. La discussion recommença et roula sur le « libre-arbitre, » par lequel on fait
--------------
(1) POSSID., vie d'August, eh. Xvi. (2) Letfi~e LXXIX. (3) Des act. ad Pelie. I, eh. 1. (4) Idem. eh. xii. (5) PosSID,, vie £FAugust. ch,~ xvi. (6) Des actes ad Felic. 1, eh. 1. (7) Ib,d., eh. XII. (8) Ibid., eh. xii. (9) Ibid., Il, ch. 1, (10 Ibid., 1, eh. Xx. ~11) IbA., Il, eh. i.
=================================
p256 VIE DE SAINT AUGUSTIN.
le bien ou le mal: cependant on ne parla pas de la grâce, dont nous usons librement, car cette question n'a point de rapports avec l'hérésie des manichéens (1). Félix accorda d'abord qu'on devait anathématiser quiconque dirait que Dieu peut être souillé (2). Mais, Augustin lui ayant prouvé que Manès avait enseigné cette fausse doctrine, il amena Félix, non sans peine, à se déclarer prêt à faire ce qu'on exigerait de lui (3). Le saint évêque répondit qu'il devait anathématiser Manès du fond de l'âme, puisque personne ne le contraignait à le faire. Félix prit Dieu à témoin qu'il était prêt à le faire du fond du cœur, et il pria même Augustin de lui donner l'exemple, pour le confirmer davantage, et d'anathématiser le premier Manès et l'esprit qui avait parlé par sa bouche. Aussitôt le saint évêque prit un papier et écrivit l'anathème de sa main. Félix fit de même, mais en termes propres à montrer qu'il reconnaissait l'abomination de ses blasphèmes qui ne lui inspirait que de l'horreur. Ensuite ils signèrent tous deux les actes de la conférence, qui ont été placés, à juste titre, parmi les ouvrages d'Augustin, puisqu'ils attestent la victoire qu'Augustin a remportée sur l'hérésie en combattant et détruisant l'erreur, non seulement par ses armes, mais aussi par celles de ceux qui luttaient et combattaient contre lui, et qu'il ramena à la vraie foi (4).
4. Après cet entretien avec Félix, Augustin place son livre de la Nature du Bien (5). Il montre, contre les manichéens, dans ce livre, que Dieu est une nature immuable, qu'il est le souverain bien et l'auteur de toutes les natures corporelles et spirituelles, qui sont toutes bonnes en elles-mêmes. Il fait voir, en même temps, ce qu'est le mal, d'où il vient, les biens qui se trouvent jusque dans la nature du mal, de même que le mal qui se rencontre dans celle du bien, telle qu'il se la représente. Il rappelle les turpitudes et les horreurs qui avaient été découvertes chez beaucoup de gens de cette secte, tant en Paphlagonie qu'en Gaule (6). Il passe cependant sous silence celles non moins odieuses qui se sont accomplies en Afrique, parce qu'elles n'eurent pas lieu avant l'an 421. Mais il montre que ces abominations sont la conséquence des doctrines de Manès (7). Il finit son ouvrage en priant la bonté divine de vouloir bien augmenter encore, par son ministère, le nombre déjà grand de ceux qu'il a arrachés aux filets de l'erreur (8).
5. Il y avait, parmi les auditeurs des manichéens, un homme nommé Sécondin (9), romain d'origine, ce qui explique pourquoi il fait mention des marbres de la maison d'Anicia et est renvoyé par Augustin à Paulin (10). Ce Sécondin ayant parcouru quelques ouvrages de notre saint, contre les manichéens, reconnait en lui, comme il dit, un orateur parfait en tous points, presque le dieu de l'éloquence. Mais, comme il était rempli, imbu des erreurs de Manès, il ne put jamais trouver la vérité dans ses livres (11). Aussi résolut-il d'écrire, à ce sujet, à Augustin, comme à un ami, quoiqu'il ne fût pas connu de lui. Il le dit cependant de manière à mêler à la politesse et à l'urbanité de ses paroles, quelques reproches assez vifs de ce qu'il attaquait, dans ses écrits, la doctrine de Manès. Il l'engageait à cesser ses attaques et même à revenir à cette secte (12). Il lui disait que c'était dans ce but qu'il s'efforçait d'asseoir solidement les principes de la doctrine de Manès et de détruire toute l'autorité de la doctrine catholique, autant qu'il le pouvait. Augustin répondit à Sécondin une lettre plus longue que la sienne, et qui a été mise au nombre de ses ouvrages, parce qu'elle parut sans titre et qu'elle avait seulement en tête : lettre de Sécondin, qu'on y voit encore maintenant. Dans cette réponse, Augustin renverse une à une les accusations dirigées contre lui par Secondin, en peu de mots et en termes pleins de modération (13). Mais, quand il s'agit de la défense de l'Église, il s'étend davantage et montre plus de véhémence. Il renverse et brise si bien les principes de l'hérésie manichéenne, qu’il
-------------
(1) Rétract., 11, ch vin, des acte. ad Félie. ch. ii, iii, iv. (2) Des acteq ad Félie. 11, ch. xiv. (3) Ibid., ch. xxii. (4) Poss., vie d'August. ch. xvi. (5) Retract., II, ch~ lx. (6) De la nat. du bien. ch. XLVIL (7) Idem., ch. XLVL (8) Idem., ch. XLVIII. (9) Retrari., 11, ch. x. (10) Cont-e Secoîèd. cli. xi. (11) Leltre de Secondin. il . 3. (12) Retractë~ II, ch. x. (13) Contre Serond. ch. i, il. =================================
p257 VIE DE SAINT AUGUSTIN.
dit lui-même que, de tous ses écrits contre cette secte, c'est celui qu'il préfère (1).
6. Le sous-diacre Astère, à qui Jérôme avait remis une lettre pour Augustin, en même temps que sa seconde apologie contre Rufin, n'arriva, à ce qu'il parait, en Afrique que vers la fin de l'année 403, et fut élevé, peu de temps après, à l'épiscopat (2). Ce fut alors qu'Augustin comprit, à la lecture de la lettre de Jérôme, qu'il s'était aliéné son amitié par celle de ses lettres qui commence ainsi: « J'ai la grâce (3). Aussi, à la première occasion qui se présenta, lui écrivit-il, pour l'adoucir, une lettre pleine de soumission et de déférence, qu'il lui fit parvenir par quelques-uns de ses amis qui allaient en Palestine, en 404 (4). Il parle, dans cette lettre, d'une manière admirable, de la brouille survenue entre Jérôme et Rufin, sans toutefois se permettre de porter son jugement ni sur l'un ni sur l'autre; il soupire après le bonheur de les voir, et il leur dit ce qu'il pourrait faire et dire pour les réconcilier, s'il pouvait les voir en personne (5). Il lut cependant ce que Jérôme lui avait écrit sur ce sujet. Quant aux écrits de Rufin contre Jérôme, quoiqu'ils eussent été apportés en Afrique, il fait assez comprendre qu'il ne les a jamais lus, ni même connus. Il chargea de vive voix l'évêque Présidius, que Jérôme lui avait recommandé comme son ami (6), de lui remettre sa lettre (7), et d'en ajouter lui-même une autre, puis le prie d'agréer ses excuses. Ensuite il envoya à ce Présidius la lettre de Jérôme avec une copie de la sienne, pour qu'il lui fût plus facile de savoir de quelle façon il devait écrire à ce saint prêtre : il le prie ensuite, s'il trouve quelque chose à redire dans sa lettre à Jérôme, de lui en donner avis, afin qu'il le corrige.
7. Jérôme n'avait pas encore reçu la lettre d'Augustin qui commence ainsi : « Quoique je pense (8), » lorsqu'il lui en écrivit une autre qui commençait ainsi : « Trois lettres à la fois ; » Chrysostome alors était déjà chassé de son siège, c'était probablement vers la fin de 404. Dans cette lettre, Jérôme répond aux diverses questions d'Augustin et principalement à celle sur le mensonge officieux, et il s'efforce de résoudre son objection sur la controverse de Pierre et de Paul. Ce n'est que plus tard qu'on lui remit la lettre d'Augustin citée plus haut (9). Il apaisa certainement l'irritation de son esprit, quoiqu'il n'eût pas cru devoir lui récrire à ce sujet. Mais en guise de réponse, il lui envoya une lettre par l'entremise de Firmus, ami d'Augustin, bien que celui-ci, qui n'avait pas certainement eu connaissance de son départ pour la Palestine, ne lui avait pas remis de lettre pour lui (l0). Dans cette lettre, il prodigue à Augustin les plus grands témoignages d'affection et de bienveillance, le prie d'excuser sa dernière lettre (11) en lui disant que, désormais, il voulait s'abstenir de pareilles questions. Il y saluait aussi Alype. Ce qui s'était passé n'empêcha pas Augustin, cependant, d'adresser à Jérôme une nouvelle et longue lettre par certains de ses amis (12). Dans cette lettre, il discute encore au long la controverse entre Pierre et Paul ; mais en prenant garde de ne pas exaspérer Jérôme, sans blesser toutefois la vérité pour laquelle il disputait. Il lui envoya en même temps son travail contre Fauste. Cette lettre finit la brouille célèbre survenue entre Augustin et Jérôme. Ce dernier se rangea à l'opinion d'Augustin, lorsqu'il fallut combattre les pélagiens, en 415.
------
(1) Retract., II, eh. x. (2) Lettre 257 txxxv. n. 1. (3) Lettre XL. (4) Lettre LXXIII. (5) jérome à. Augustin. lettre xxxii. n - 1. (6) Lettre LXXIV, (7) Idern., (8) Lettre LXXV. (9) Lritre LXXIII. (10) à August. Letir6 LXXX" (11) Lettl*-e LXXV' (12) Lettre LXXXII.
=================================
p258 VIE DE SAINT AUGUSTIN
LIVRE SIXIÈME
CE QUE FIT AUGUSTIN DEPUIS LES NOUVELLES LOIS PORTÉES EN L'AN 405 CONTRE LES DONATISTES,
JUSQU'A LA CONFÉRENCE DE CARTHAGE AVEC CES SCHISMATIQUES
CHAPITRE PREMIER
1. Loi sévère d'Honorius contre les donatistes. - 2. Autres lois Contre les mêmes hérétiques. - 3. Lettre d'Augustin à Paulin. - 4. L'Eglise recueille les plus grands fruits des lois d'Honorius. - 5. Un concile se tient à Carthage après qu'on eut recommencé à revenir à l'unité dans cette ville.
1 - Je me suis un peu écarté de la cause des donatistes, mais nous allons revenir à la question par l'ordre même de notre écrit. Quand les évêques envoyés à la cour y arrivèrent pour traiter de l'affaire que le concile de Carthage leur avait confiée, ils trouvèrent qu'ils n'avaient plus rien à faire alors auprès de l'empereur (4) ; une loi avait été portée, avant leur arrivée, contre les donatistes, et était déjà promulguée. Toutes les plaintes que tant d'hommes maltraités par eux et qui n'osaient retourner dans leur pays, et surtout la vue des cicatrices terribles affreuses et toutes récentes des blessures qu'avait reçues l'évêque de Bagaï avaient ému l'empereur : « Et comme dit Augustin, la fureur terrible des circoncellions qui donnait à leurs clercs une odieuse et redoutable escorte était connue partout, elle avait allumé contre eux une haine qui fit remettre en vigueur toutes les lois portées antérieurement contre eux et en fit même porter de nouvelles (2). Car l'empereur, plein de religion et de piété, ayant appris tout ce qui s'était passé, aima mieux réprimer entièrement cette erreur impie par de très saintes lois et ramener par la terreur et la force à l'unité catholique ceux qui combattaient le Christ en portant ses livrées, que de leur retirer seulement la liberté de nuire aux autres en leur laissant celle d'aller périr ou ils voudraient. On promulgua donc une loi qui défendait à l'hérésie des donatistes, hérésie d'une violence inouïe qu'on ne pouvait épargner sans se montrer plus cruel qu'eux-mêmes, non seulement d'exercer aucune violence, mais même d'exister impunément. Cependant l'empereur ne les condamne pas à la peine capitale, afin de garder la charité chrétienne, même envers ceux qui en sont indignes; mais il condamne les simples sectaires à des amendes pécuniaires et leurs évêques et leurs ministres à l'exil. Nous avons donc un édit d'Honorius, du 12 février 405, par lequel il déclare ne vouloir pas tolérer plus longtemps les erreurs de ceux qui réitéreraient le baptême ni entendre désormais le nom des donatistes. Il ordonne que désormais tous embrassent l'unité catholique. Ceux qui continueront à faire des choses défendues seront punis d'après les anciennes lois et d'après la nouvelle, probablement celle contre Crispin. Quant à ceux qui oseront se rendre à leurs assemblées séditieuses, ils seront punis plus rigoureusement et plus sévèrement encore. Telles sont les dispositions qu'on peut voir en deux endroits du code dans cet édit, divisé maintenant en deux parties au moins. L'une a pour titre contre la réitération du saint baptême (1); l'autre contre les hérétiques (2). Il y en a qui pensent (3), qu'on doit rapporter à cet édit ces belles paroles tirées d'une loi d'Honorius et citées par Augustin environ en l'an 409 : « Car si on pense que le baptême administré pour la première fois n'est
----------
(1) Lettre GLXXXv, n. 26. (2) Con tre Ci,ege.,III,n. 47, (3) Loi 3. (4) Lo! 38. (5) Dans le cod. de rheod. vi. pag. 196.
=================================
p259 VIE DE SAINT AUGUSTIN.
pas valide, parce que ceux de qui on le reçoit sont crus pécheurs, il faudra donc réitérer ce sacrement autant de fois qu'on trouvera le ministre de ce sacrement indigne de le conférer, et alors notre foi ne dépendra pas de notre libre volonté, ni de la grâce divine; mais bien des mérites et de la vertu des prêtres. » Après la sentence de l'empereur, le saint évêque ajoute: "Que vos évêques fassent mille conciles et répondent à cette objection, nous serons alors d'accord avec vous en tout ce que vous voudrez (1). » On a souvent appelé cet édit, édit d'union ou hénotique; le concile de Carthage de l'année 407 l'appelle loi de l'unité. Honorius atteste lui-même qu'il a envoyé en Afrique un décret sur l'unité pour signifier à tous de tenir l'unique et vraie foi de l'Église catholique (2).
2. Le même jour, c'est-à-dire le 12 février, Honorius adressa une loi au préfet du prétoire Adrien, pour l'anéantissement complet de l'hérésie des donatistes, à cause de la réitération sacrilège du baptême, à laquelle ils contraignaient leurs esclaves et leurs inférieurs (3). On pense que cette mesure avait été prise surtout à cause de l'attentat de Crispin. Honorius condamne donc ceux qui depuis la promulgation de cette loi seraient surpris réitérant le baptême, à être dépouillés de leurs biens, qui toutefois seront rendus à leurs enfants, s'ils reviennent à l'Église; les domaines où ils se réuniront seront confisqués au profit du trésor publie, si le maître était leur complice; sinon ceux qui tiendront des réunions de ce genre, seront fouettés avec des fouets garnis de plomb et condamnés à un exil perpétuel; leurs clients et leurs esclaves qu'ils auront voulu rebaptiser, pourront se réfugier dans les Églises catholiques et en sortir affranchis ;ceux qui réitéreront ou feront réitérer le baptême seront incapables de tester et privés de recevoir par testament ou donation, et incapables de faire aucun contrat jusqu'à ce qu'ils aient abjuré leur hérésie; ceux qui leur porteront secours, seront soumis aux mêmes peines; les préfets des provinces qui partageront leurs idées et les favoriseront seront condamnés à une amende de vingt livres d'or; leurs officiers, c'est-à-dire les magistrats publics, à la même amende; enfin, les magistrats et les administrateurs des villes, s'ils négligent de suivre ces prescriptions, ou permettent que les Églises soient souillées en leur présence par les pratiques des donatistes, seront condamnés à la même peine. Cette dernière disposition fut prise sans doute à la sollicitation du concile de Carthage, qui demandait que les villes fussent chargées de la tutelle des églises. Cette loi n'atteint pas les donatistes en masse et ne condamne point, d'une manière générale, tous leurs clercs à l'exil, comme saint Augustin prétend que l'empereur Honorius l'a fait. Mais on ne sait pas s'il n'y eût pas une disposition semblable dans un autre édit, ou si la loi qui est parvenue jusqu'à nous a été tronquée. Outre les lois du 12 février de l'année 405, auxquelles Honorius faisait clairement allusion quand il disait, deux ans après, qu'il avait montré récemment ce qu'il pensait de la secte de Donat (4), il en fit une autre le ler mars 405, qu'il envoya à Diotimius proconsul d'Afrique, pour lui ordonner de faire afficher en divers endroit l'édit d'unité qu'il avait envoyé en Afrique, afin qu'il fût connu de tous (5). Le même empereur, le 8 décembre suivant, annonce à Diotimius qu'il doit exiger sans délai de tous ceux qu'on surprendra dans l'hérésie des donatistes, l'amende à laquelle ils ont été précédemment condamnés (6).
3. On comptait déjà sur le retour prochain d'Évode et de Théase que le concile de Carthage avait envoyés, l'année précédente, à Honorius contre la secte des donatistes, quand Augustin écrivit à Paulin par l'entremise de Celse (7). Il lui avait déjà écrit un peu auparavant au sujet d'une question que Paulin résolut un peu à la hâte, il est vrai, et en quelques mots mais avec un esprit éminemment chrétien et pieux. Paulin disait dans sa réponse, qu'il avait l'intention de rester à Nole où il vi-
---------------
(1) Lettre cv, n Cod. de Theod. de la Relï'qz'o~î. Il. (3) Idem Contre le renouv. du S. Bapt. lois 3-4.
(4) Idem des hér. Ideîn-, de la refigion. loi 2. (6) Idew., loi 39. (7) Lettre Lxxx,
============================
p260 VIE DE SAINT AUGUSTIN.
vait alors, jusqu'à ce que Dieu lui demandât autre chose, car il était prêt à sacrifier sa volonté à la sienne. Il semble que Paulin avait confié cette courte réponse à un certain Celse; Augustin ne l'avait pas encore reçue lorsqu'il lui en adressa une seconde par l'entremise de Fortunatien, prêtre d'Hippone, qui se rendait à Rome. Ces trois lettres, dont une de Paulin et deux d'Augustin, sont perdues. Celse était venu à Hippone dans l'intention d'y passer quelques jours avec Augustin ; mais, voulant profiter de l'occasion que lui offrait le départ d'un vaisseau, il avertit un peu tard le saint évêque, qu'il devait mettre à la voile le lendemain et lui demanda sa réponse pour Paulin. Augustin écrivit donc, à la hâte, une lettre dans laquelle il prie Paulin de lui apprendre par quel moyen nous pouvons reconnaître la volonté de Dieu, pour nous déterminer, entre plusieurs manières d'agir, également bonnes, pour celle que Dieu demande de nous et par conséquent celle que nous devons préférer aux autres pour faire sa volonté ; et il lui dit qu'il est difficile de ne pas se tromper et de ne pas tomber en quelque faute sur ce point, sans le savoir. Il lui promet de lui écrire plus longuement quand Évode et Théase, dont on attendait chaque jour le retour, seraient arrivés, et qu'il aurait pu le reconnaître lui-même dans les sentiments et les paroles de ces évêques. Ils revinrent probablement au mois de mars ou d'avril, puisque les lois contre les donatistes avaient été signées et promulguées le 12 février.
4. « À peine ces lois furent-elles parvenues en Afrique, dit saint Augustin, que ceux qui cherchaient une occasion, qui craignaient la colère des fanatiques ou appréhendaient de déplaire à leurs proches, revinrent à l'Eglise. Beaucoup même de ceux qui étaient restés dans l'hérésie parce qu'ils y avaient été élevés par leurs parents, sans avoir jamais connu auparavant la cause de l'hérésie ni cherché à la connaître, se mirent à l'examiner, et, n'y trouvant rien qui valût la peine d'endurer de si grands dommages, se firent catholiques sans difficulté. L'appréhension leur fit ouvrir les yeux que la sécurité leur avait fait tenir fermés. Ensuite l'autorité et le crédit de ces hommes en attirèrent beaucoup d'autres qui étaient moins en état par eux-mêmes de comprendre la différence qui existait entre l'erreur des donatistes et la vérité des catholiques. Mais pendant que l'Église, notre vraie mère, se réjouissait de recevoir cette multitude d'enfants dans son sein, une foule d'autres restèrent insensibles et demeurèrent dans la peste de l'hérésie avec un malheureux entêtement. Parmi ces derniers, il y en eut beaucoup qui feignirent de rentrer dans la communion de l'Église, quelques-uns demeurèrent cachés. Mais ceux qui agissaient par feinte s'accoutumèrent peu à peu, et, en entendant la prédication de la vérité, ils se corrigèrent en grande partie, surtout après la conférence et la discussion qui eurent lieu à Carthage entre nos évêques et les leurs. Dans plusieurs endroits, où la multitude plus tenace et plus turbulente l'emportait sur le nombre de ceux qui tenaient pour la bonne communion de l'Église catholique, la foule obéit pour le mal à l'autorité de quelques puissants, et la lutte dura plus longtemps dans ce pays (1).» Dans une lettre à Vincent, qui parait antérieure à la conférence, le saint évêque explique plus longuement les avantages que l'Église retira de la sévérité de ces lois, il nous suffira d'en citer quelques lignes : «Déjà, dit saint Augustin, nous nous réjouissions de la conversion de plusieurs qui tiennent et défendent si bien l'unité catholique, et se réjouissent tellement d'être délivrés de leurs anciennes erreurs, que nous les admirons et les félicitons. » Un peu plus loin, il dit : « Oh ! si je pouvais vous montrer combien de circoncellions même sont devenus des catholiques avoués, comment ils condamnent leur vie passée et cette misérable erreur qu'ils défendaient en croyant défendre l'Église de Dieu, quand ils ont fait tout ce qu'ils ont fait (2). » Beaucoup de ceux dont nous admirons la pieuse ferveur et la charité ardente dans la foi en l'unité de Jésus-Christ, rendent grâces
------
(1) Lettre cixxxv, n. 27-M. (2) Lettre laili, n. 1-2.
=================================
p261 VIE DE SAINT AUGUSTIN
à Dieu avec une grande joie, parce qu'ils sont sortis de cette erreur où ils voyaient du bien alors qu'il n'y avait que du mal. Ils ne rendraient pas aujourd'hui de plein gré des actions de grâces à Dieu, s'ils n'avaient pas été arrachés malgré eux à leur criminelle société . Que dirai-je de ceux qui nous avouent qu'il y a longtemps qu'ils voulaient être catholiques. Mais ils habitaient au milieu d'hommes avec qui la crainte ne leur permettait pas de faire ce qu'ils voulaient; car s'ils disaient un mot en faveur des catholiques, on abattait leur maison et on les maltraitait (1). Dans son livre contre Cresconius, Augustin dit que l'Eglise catholique se propage et s'étend partout, depuis qu'en Afrique les donatistes diminuent de jour en jour (2). « Car si vous pouviez voir, dit-il, comme cette erreur s'était répandue partout en Afrique et comme il en reste peu qui ne soient revenus à la paix catholique, vous ne penseriez pas que les instances des défenseurs de l'unité catholique ont été infructueuses et vaines (3). » Vers la fin de 408, il parle en ces termes : «Nous sommes très heureux de voir la foi de ces hommes persévérante et stable, il y en a beaucoup qui ont profité de la promulgation des lois pour revenir à la religion catholique, plusieurs d'entre eux supportent avec une admirable constance le choc le plus violent de l'inimitié d'hommes dont la perversion est plus profonde (4). La plupart avouaient qu'il avait été bienheureux pour eux d'être forcés de rentrer dans le sein de l'Église, sans donner par leur retour aucune prise aux vexations des circoncellions (5). Bien plus, parmi ceux qui paraissent abandonner le parti de Donat, non de leur plein gré, mais uniquement par crainte, il s'en trouve beaucoup qui, au milieu de la difficulté des temps qui suivirent, montrèrent plus de constance que ceux qui ne s'étaient jamais écartés de la vérité catholique (6). « Ainsi, dit saint Augustin, beaucoup se sont corrigés et se corrigeront encore par le moyen de ces lois et rendent à Dieu, des actions de grâce de leur conversion et de leur délivrance de cette funeste erreur. Ceux que la haine animait sont maintenant inspirés par la charité; autant ils maudissaient ces lois salutaires, mais pénibles pour eux, autant ils les approuvent depuis qu'ils sont redevenus sages, et ils sont enflammés envers ceux qui sont restés dans l'erreur et avec qui ils devaient périr, d'une charité pareille à celle qui nous fait insister pour qu'ils ne périssent pas (7). Il a été même utile à plusieurs d'avoir été forcés d'abord par les châtiments et par la crainte, ce dont nous avons fait et faisons encore tous les jours l'expérience, à s'instruire et à mettre enfin en pratique ce qu'ils avaient appris (8). » Tels sont les fruits de cette paternelle sévérité unie à l'instruction que l'Église donnait principalement par la bouche et la plume d'Augustin, à ceux qui revenaient dans son sein. « Car, dit le même saint, s'ils étaient effrayés au lien d'être instruits, cette manière d'agir à leur égard serait une indigne tyrannie. De même, s'ils étaient instruits et non effrayés, on les verrait, dans l'endurcissement de leurs vieilles habitudes, entrer plus lentement dans la voie du salut.
5. Ce n'est donc pas sans cause que les fastes d'Idacus font mention, cette année-là, de l'unité rétablie entre les catholiques et les donatistes. Elle commença à Carthage le 23 août, (9) non par la réunion entière des donatistes, puisque Primien s'arrogea toujours le titre d'évêque de Carthage, mais du moins par la conversion d'un grand nombre d'entre eux. On leur enleva ensuite les églises qu'ils possédaient, pour les donner aux catholiques, ou du moins pour les fermer, mesure qui avait déjà été adoptée précédemment dans le diocèse d'Hippone, ainsi que nous l'avons vu. Le concile de Carthage du 23 août, dans l'église du deuxième quartier, ne s'assembla qu'après le commencement et non après la consommation du retour à l'unité. La date de ce concile est plus que suffisante pour prouver que ce fut un concile de tous les évêques d'Afrique, ce qui ressort également de la mention de l'envoi de délégués de toutes les provinces, à ce concile. On trouva bon d'en-
------------
(1) Lettre CLXXXV, n. 13. (2) Contre Cresc. il', n. 71. (3) Idem., i, n. 7. (4) Leilre xxxvii, n. 24. (5) Lettre
n. 5. (6) Lettre LXxxix, n. 7. (7) Lettre CLXXXV, n. 7. (8) Ide?n., n. 21. (9) Cod. des Can. WAfrique. can. xciv. cv,
=================================
p262 VIE DE SAINT AUGUSTIN
voyer des lettres aux préfets des provinces pour les prier de travailler à établir dans toute l'Afrique la concorde qui, à cette époque, n'était rétablie qu'à Carthage. On écrivit à la cour, c'est-à-dire à l'empereur et à ses ministres, pour les remercier au nom de toute l'Afrique, de l'expulsion des donatistes (1). On fit choix, pour porter cette lettre, de deux messagers quin'étaient point évêques, mais simplement clercs; parce que le pape Innocent, dans une lettre que sans doute les légats du concile précédent avaient rapportée et lue à ce nouveau concile, engageait les évêques d'Afrique à ne pas laisser trop facilement partir les évêques pour l'Italie. Les évêques ou les légats du concile furent entièrement de l'avis d'Innocent sur ce point. D'où on peut conjecturer que, parmi les évêques qui avaient passé la mer pour se réfugier auprès de l'empereur, quoiqu'il y en ait qui y avaient été forcés par les persécutions des donatistes, ont été blâmés de ce qu'ils avaient fait. On ne peut douter qu'Augustin ait assisté à ce concile général, comme il avait assisté aux précédents.