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26. « Cet homme de cour, riche, mondain, aimé du prince, ne voulut, dit son panégyriste, être ni un orateur, ni un philosophe, il se consacra au rude labeur de l'hagiographie. Il fallut d'abord, avec des peines infinies recueillir, acheter, emprunter ou faire
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transcrire les milliers de manuscrits qui dormaient dans les poudreuses bibliothèques des monastères d'Orient et d'Occident, de l'Asie et de la Grèce, de Constantinople et de Venise, du mont Athos et du Mont-Cassin, de l'Italie et de l'Egypte. Deux choses heureusement étaient grandes dans Siméon, dit encore le panégyriste : « la richesse et la volonté. » Le crédit dont il jouissait près de l'empereur lui fut aussi fort nécessaire dans ses relations avec toutes les provinces du monde chrétien. Pour traduire en grec des milliers d'actes écrits en cophte, syriaque, hébreu, armé-nien, arabe, latin, tudesque même, il fallait disposer de tout un personnel d'Erméneutai. « interprètes de toutes les nations, » tel que l'avait le logothète impérial. Quand toutes ces richesses furent rassemblées, il fallut, suivant l'expression de Nicéphore Calliste, « composer de ces aliments de toute espèce un merveilleux festin pour la chrétienté tout entière. » Jusqu'alors, dit le panégyriste, «les biographies des saints, ou ne présentaient pas un caractère satisfaisant d'authenticité, ou étaient rédigées dans un style qui ne répondait pas à la grandeur du sujet.» La tâche que se proposa Siméon fut immense; il dut comparer les textes et les manuscrits, supprimer les interpolations apocryphes, corriger la barbarie des vieux hagiographes, rétablir les récits primitifs dans leur pureté et donner à tout l'ensemble un style simple et uni-forme. Il fallait voir le Métaphraste siéger dans une grande salle du palais, entouré d'un cercle nombreux de copistes penchés sur leurs charta, laissant tomber de ses lèvres comme un flot toujours abondant et gracieux une prose que recueillait la plume des tachygraphes. Car les auteurs byzantins, Constantin VII tout le premier, écrivaient peu de leurs propres mains, ils préféraient dicter. D'ailleurs, il fallait un grand nombre de copistes pour qu'il y eut un grand nombre d'exemplaires. Après cette première classe de tachygraphes qui recueillaient la pensée du maître au moyen de signes abréviatifs, un second groupe déchiffrait ces notes et faisait la traduction sur parchemin avec tous les ornements et la perfection de la calligraphie byzantine. Enfin, des hommes parfaitement versés dans ces matières vérifiaient les ma-
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nuscrits et corrigeaient les fautes échappées aux copistes; « car il était impossible à Siméon de suffire seul à cet énorme travail. Mais si le labeur fut grand, ajoute le panégyriste, si la peine fut excessive, la récolte dépassa les espérances et l'on fit une moisson comme on n'en avait jamais vu jusqu'à ce jour. » Une grande partie de cette moisson a péri pour nous. De cette véritable encyclopédie hagiographique, il nous reste encore cent vingt-deux biographies qui forment trois volumes de la Patrologie grecque1. Les contemporains de Métaphraste reprochaient à son style une trop grande simplicité : c'est une recommandation auprès de nous. Ce biographe des saints, grand chancelier (logothète) de l'empire, était un saint lui-même. Ses derniers moments eurent tous les caractères de la mort des élus. « Il ne semblait pas, dit Psellus, arraché de la vie; mais délivré d'une lourde chaîne; il s'élançait d'un visage joyeux vers les anges, ses guides, pour se livrer entre leurs mains et sortir plus promptoment de sa prison terrestre. » Après sa mort, ce narrateur de miracles fit des miracles. Son corps répandait l'odeur d'un parfum exquis et l'église grecque célèbre sa mémoire le 7 novembre2. » La critique du XVIIe siècle, représentée par Adrien Baillet, s'est montrée souverainement injuste envers Siméon Métaphrasle3. Le recueil que nous devons au savant logothète est, sans contredit, l'un des plus précieux que nous ait laissés l'antiquité chrétienne. Quant à l'exactitude qu'il a mise dans l'exécution de cette œuvre gigantesque, le père Montfaucon l'a constatée. Cet illustre bénédictin cite un manuscrit grec du IXe siècle où se trouvent, pour les mois de mai, juin, juillet et août, des vies des saints telles qu'elles étaient avant que le
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1 Tora. CXIV, CXV, CXVI.
2. M. Rambaud. L'Empire grée au x' siècle, chap. v, p. 92-104.
3. On sait que le XVIIe siècle, imprégné presque sans le savoir, de l'esprit du jansénisme, avait une tendance prononcée à bannir de l'histoire ecclésiastique tous les faits qui s'écartent de l'ordre naturel. Sous prétexte de saine critique, on rejetait au fond le miracle. Or, le miracle est l'essence de l'Eglise, dont l'existence même est un miracle permanent. Dans le système de Baillet, les vies des saints n'étaient plus qu'un panégyrique de toutes les vertus, encadré entre deux dates de naissance et de mort.
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Métaphraste y mit la main. Le compilateur s'est contenté de retoucher le style en respectant les faits avec une attention scrupuleuse.
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§ II. Empire de Byzance.
5. Othon le Grand dut se préoccuper de ces intrigues lointaines, qui pouvaient amener de funestes complications. De concert avec le pape Jean XIII, il résolut d'envoyer une ambassade solennelle à Constantinople. Le choix du négociateur était chose importante. Il fallait un homme déjà familiarisé avec les mœurs et la langue byzantines, habitué au manège des cours, capable de pénétrer toutes les ruses de la diplomatie grecque et de les déjouer. Luitprand, le fameux évêque de Crémone, dont nous avons déjà tant de fois
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Luitpriand, Legat. Constantinopol.
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cité les ouvrages, fut désigné pour cette mission. Son enfance et sa jeunesse s'étaient écoulées à la cour du roi Hugues d'Italie, dans l'école du palais où il s'était distingué de bonne heure par son amour pour l'étude et la facilité de son génie. Son père qu'il perdit en p,,,,,et Antapodosisplus tard son beau-père avaient rempli tous deux des fonctions d'ambassadeurs à Constantinople. Luitprand, qui se loue du second presque à l'égal du premier, nous apprend qu'au retour de Byzance son beau-père l'engageait à cultiver la littérature et la langue grecques afin de pouvoir un jour continuer les traditions diplomatiques en honneur de la famille. L'adolescent prit ce conseil au sérieux; les ouvrages qu'il écrivit depuis, prouvent avec quelle souplesse et quelle érudition tout ensemble il maniait l'idiome d'Homère et celui de Cicéron. Cependant une vocation plus haute que celle de servir les rois de la terre sollicitait sa jeune imagination et éveillait ses espérances. Il aimait plus tard à décrire le charme qu'il avait éprouvé dans son enfance à mêler sa voix au chœur des chantres de la chapelle palatine ; il racontait même non sans un sentiment de naïve satisfaction que le roi Hugues prenait plaisir à l'entendre. En 931 l'ancien disciple de l'école palatine devint diacre de l'école de Pavie, et quatorze ans plus tard, en 943, le roi Bérenger II, après l'expulsion de Hugues, le choisit pour son chancelier. Luitprand était alors dans toute la maturité du talent et de l'âge; en 948, il fut chargé par Bérenger II d'une ambassade à Byzance près de Constantin VII. Sa mission avait pour but de rassurer l'empereur Porphyrogénète sur le sort que Bérenger II réservait au fils du roi Hugues, le jeune Lothaire, premier mari de sainte Adélaïde. Luitprand nous a conservé dans le sixième livre de son 1, le récit de cette première ambassade. Constantin Porphyrogénète se plut à étaler aux yeux de l'envoyé lombard les magnificences de la cour d'Orient. « Au milieu du palais des Césars, dans de vastes salles revêtues de marbre, décorées de porphyre, enrichies d'or et de pierreriee, les princes, les généraux, les patrices, les sénateurs couchés sur des lits d'or offraient au chancelier italien
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1. Luitprand, Anlupodos, Lib. VI, Pair. Lat., tom. CXXXVI, col. 893.
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des repas somptueux. Des vases précieux, suspendus au plafond par des chaînes d'or, descendaient doucement pour se placer avec symétrie devant les convives. Une musique harmonieuse, des chœurs de danse variaient et prolongeaient les plaisirs. La pompe des audiences impériales n'était pas moins fastueuse. En face du trône se dressait un grand arbre de cuivre doré, sur lequel des oiseaux de même métal imitaient, par une mécanique ingénieuse, leur ramage naturel. Par un procédé analogue, deux lions de bronze, semblant obéir aux ordres du maître des cérémonies, rugissaient à l'approche de l'ambassadeur. Au moment où Luitprand, soutenu sur les épaules de deux eunuques, se proternait aux pieds de l'empereur, le trône s'élevait rapidement et durant cette ascension instantanée le costume impérial, déjà éblouissant d'éclat se changeait en un autre plus magnifique encore 1. » Ces spectacles, d'une naïveté quelque peu puérile, dont Constantin Porphyrogénète aimait à rehausser la splendeur de sa cour, nous donnent l'idée de ce qu'étaient alors les arts en Orient. L'envoyé lombard ne paraît pas s'être laissé éblouir par ce faste artificiel, mais il se préoccupait singulièrement du rôle fort indigne que lui faisait jouer le roi Bérenger, son maître. « J'avais, dit-il, à remettre de sa part une lettre à l'empereur, mais cette lettre était un tissu de mensonges. Bérenger n'avait pas même accompagné cette missive hypocrite du moindre présent à offrir à l'empereur. Je fus contraint de puiser dans mes propres ressources et dans celles de mon escorte. Ce fut ainsi que je présentai au César neuf cuirasses excellentes, sept boucliers à bulles dorées, deux coupes (coppas) de vermeil, des épées, des lances, et enfin ce qui plut par dessus tout à l'empereur quatre carzimasia. Or, les Grecs donnent le nom de carzimazia (Verdunenses mercatores) à de jeunes eunuques dont les marchands de Verdun font trafic et qu'ils ont coutume de vendre en Espagne 2. »
6. Constantin Porphyrogénèle eût mieux fait de laisser aux Musulmans d'Espagne leur goût barbare ; mais il s'était montré fort
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1 Luitprand, Antapodns. Cf. Ségnr. Hisl. du Bns-Emp!>e, tom. II, p. 118» » Id. Ibid., Lib. VI, cap. vi , tom. cit. col. 806.
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supérieur à Bérenger en prenant vis-à-vis de ce roi italien l'initiative d'une chaleureuse recommandation en faveur du jeune Lothaire. Au retour de Luitprand à Pavie (950), Lothaire avait succombé au poison administré, comme nous l'avons dit, par Bérenger lui-même 1. Soit que le chancelier ambassadeur ait exprimé trop vivement l'indignation que lui causait un tel crime, soit que Bérenger, qui commençait dès lors à persécuter les gens de bien, voulût se débarrasser d'un censeur incommode, Luitprand fut disgracié et dépouillé de toutes ses richesses. La vengeance du tyran pouvait aller plus loin encore ; Luitprand se hâta d'aller chercher un refuge en Germanie, à la cour d'Othon le Grand. Il se fixa à Francfort-sur-le-Mein, et y écrivit sous le titre ironique d'Antapodosis (récompense), le détail des événements auxquels il avait pris part, des services qu'il avait rendus et de l'ingratitude royale qui en avait été le prix. En 961, lors de la chute de Bérenger, Luitprand accompagna Othon le Grand en Italie, et fut nommé par lui, en 963, évêque de Crémone.Tel était l'ambassadeur que Jean XIII et l'empereur choisirent pour l’envoyer de nouveau à Constantinople, afin d'y ménager une alliance entre les deux empires d'Orient et d'Occident.
7. Constantin Porphyrogénète avait alors cessé de vivre. Il était mort en 939, empoisonné par sa belle-fille, Théophanie, femme de Romain II dit le Jeune, Pressée de régner, cette mégère, qu'un caprice de Romain le Jeune avait arrachée à l'échoppe d'un cabaretier pour l'élever au trône, détermina son époux à un parricide. La coupe empoisonnée fut présentée à l'empereur qui la porta sans défiance à ses lèvres. Un accident la fit tomber, mais trop tard ; Constantin avait absorbé de ce fatal breuvage une quantité suffisante pour déterminer une maladie de langueur à laquelle il succomba dans le cours d'une année. Sa mort fut un deuil public. Lorsqu'on célébra ses obsèques, le clergé, les grands, les patrices, le sénat vinrent, suivant l'usage, baiser sa main inanimée. Au moment où le maître des cérémonies prononça la formule officielle
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1.Cf.. tom XIX de cette Histoire.
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« Sortez, empereur, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs vous appelle,» tous les assistants éclatèrent en sanglots, et les gémissements sincères du peuple, furent, pour ce prince modeste, pieux et chéri, la plus éloquente oraison funèbre 1. Romain II avait vingt et un ans, lorsque le crime le mit en possession du trône paternel. Son règne, ou plutôt celui de Théophanie, sa femme, fut celui du vice et de la débauche. Les hommes les plus diffamés se partagèrent toutes les charges. L'impératrice mère et les princesses, ses filles, furent reléguées dans un couvent. Un moine eunuque, jadis enfermé pour ses désordres, fut mis à la tête de l'administration impériale et avec le grand chambellan, Bringas, autre intrigant de bas étage, distribua les honneurs, les dignités et les trésors à des histrions ou à des courtisanes. En 963, Romain fit procéder au couronnement solennel de ses deux fils, Basile âgé de cinq ans, et Constantin de deux. Le patriarche Polyeucte dont les vertus faisaient oublier les scandales de son prédécesseur Théophylacte, posa le diadème sur la tête des deux enfants impériaux, dans la basilique constantinienne des Apôtres. Quelques mois après Romain II, l'empereur parricide mourait subitement, empoisonné, dit-on, par sa femme Théophanie, que l'espoir d'une régence et la perspective de régner sous le nom de ses deux fils mineurs poussa à ce nouveau crime (963). Les événements semblèrent d'abord se prêter à ses horribles calculs.
8. Aux frontières de l'empire, deux frères, les généraux Nicephore Phocas et Léon, soutenaient, par leurs victoires, l'honneur des armées byzantines. Depuis trente un ans, les Sarrasins étaient maîtres de l'île de Crète. Nicéphore en entreprit la conquête; il joignit à l'armée grecque des corps soldés de Russes et d'Esclavons, débarqua dans l'île, chargea les Musulmans, les mit en déroute et investit Candie. Ce siège fut mémorable; il fallait surmonter la difficulté des lieux, le fanatisme des assiégés, l'âpreté d'un hiver rigoureux et la privation de vivres. Après six mois d'efforts sanglants et répétés, lorsque la faim et la fatigue eurent épuisé les Arabes, Nicéphore prit la ville d'assaut, en rapporta un
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1 Ségur, Hist. des Bai-Empires, tom. II, p. 120.
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batin immense, emmena une foule de captifs et revint à Constantinople où il reçut dans l'hippodrome les honneurs éphémères du triomphe. Les acclamations populaires qui accueillirent le vainqueur, éveillèrent la jalousie de Romain II, et Nicéphore Phocas fut exilé, pendant que Léon, son frère, remportait en Galalie, sur l'émir Chabdan, une victoire signalée. La conquête de l'ile de Crète et les succès si mal récompensés de Nicéphore Phocas valurent à ce général toutes les sympathies de l'Orient. On racontait qu'après l'expulsion des Maures, il s'était préoccupé du soin de réorganiser dans l'île le culte chrétien proscrit depuis si longtemps. Il avait appelé saint Nicon, surnommé le Métanoïte (prédicateur de la pénitence) pour rappeler aux populations les vérités de la foi. Nicon, le Jean-Baptiste du dixième siècle, était né dans la province du Pont, d'une famille illustre, qu'il abandonna dans sa jeunesse pour se renfermer au monastère de la Pierre-d'Or, où il mena, durant douze années, une vie de silence, de mortification et d'austérités extraordinaires. Chargé ensuite d'évangéliser les peuples, il parcourut les montagnes d'Arménie, prêchant toujours le même texte : « Faites pénitence, » qu'il développait avec l'ardeur et l'éloquence des prophètes. Tel était l'homme que Nicéphore Phocas avait appelé en Crète pour y effacer les vestiges de la superstition musulmane et y faire refleurir les traditions chrétiennes. Les insulaires se montrèrent d'abord irrités du zèle apostolique de l'homme de Dieu. Sa douceur triompha de leurs préjugés hostiles. Un jour, il prit en particulier quelques-uns des principaux opposants et dans un entretien secret avec chacun d'eux, comme jadis Notre-Seigneur au puits de Jacob, il leur découvrit les fautes les plus cachées de leur vie. Cette preuve d'inspiration divine toucha leurs cœurs et fit tomber toutes les résistances. De tous les points de l'ile, on accourut aux pieds du thaumaturge et des populations entières reçurent le baptême.
9. Ces récits d'une double conquête matérielle et religieuse enflammaient tous les esprits à Constantinople et exaltaient les sym-
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1.Saint Nicon le Métauoïto est honoré te 26 novembre.
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pathies déjà si prunoncées eu faveur de Nicéphore. La régente Théophanie et son ministre Bringas, alarmés d'une telle popularité, rappelèrent Nicéphore d'exil, lui firent prêter serment de fidélité aux deux orphelins impériaux Basile et Constantin, et l’envoyèrent prendre le commandement de l'armée d'Asie. Mais en même temps un ordre secret expédié par Bringas enjoignait au général Jean Zimiscès de faire poignarder Nicéphore aussitôt son arrivée dans le camp. Zimiscès rassembla ses officiers, leur donna connaissance de l'infâme message, et, cette lettre à la main, se présentant devant Nicéphore, il le salua du titre d'empereur auguste. Les légions acclamèrent le nouveau césar et l'amenèrent en triomphe à Constantinople où cette révolution militaire fut ratifiée par les cris enthousiastes de la foule. Nicéphore Phocas reçut la couronne impériale des mains du patriarche Polyeucte. Son frère Léon fut nommé curopalate et Zimiscès promu au commandement suprême de l'armée d'Asie (963). Les deux jeunes princes mineurs Basile et Constantin conservèrent le titre d'empereurs ; Nicéphore devait être leur tuteur, comme Romain Lécapène l'avait été de Constantin Porphyrogénète. Le traître Bringas attendait la mort; il ne fut condamné qu'à l'exil. Restait Théophanie, cette parvenue dont les mains s'étaient souillées du meurtre de deux empereurs, l'un son beau-père, l'autre son époux. Nicéphore Phocas l'épousa. C'était, en quelque sorte, s'associer rétrospectivement à ses crimes. Une pareille détermination fut à la fois une surprise et un scandale. Le patriarche essaya de la combattre. Il fit valoir un motif canonique qui mettait un empêchement au mariage. Nicéphore avait levé des fonts baptismaux le jeune empereur Basile, il avait contracté ainsi un lien d'affinité spirituelle avec Théophanie leur mère. Le fait était constant ; il s'était passé sous les yeux de la ville entière qui avait assisté à la cérémonie du baptême impérial. En dépit de cette publicité, Nicéphore et Théophanie le nièrent par serment dansune déposition écrite et le patriarche dut bénir cette union qui commençait par un mensonge pour finir par une tragédie.
10. Élevé au trône par la fortune des armes, Nicéphore fut un empereur soldat. Dès l'an 964, il envoyait en Sicile une armée sous =======================================
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les ordres du général Manuel, avec ordre d'expulser les Musulmans. L’expédition débuta par quelques succès bientôt suivis d'un désastre immense où Manuel, tombé au pouvoir de l'ennemi, vit détruire sous ses yeux la flotte entière avant d'être décapité lui-même. Plus heureux en Cilicie, Zimiscès infligea aux Musulmans une sanglante défaite, leur enleva Antioche, pendant que Nicéphore en personne, poursuivant les Arabes depuis les côtes de la Phénicie jusqu'aux rives de l'Euphrate, entrait victorieux à Laodicée et Alep (964). Tant d'exploits en Asie ne consolaient pas l'empereur du cruel échec infligé en Sicile à ses armes partout ailleurs victorieuses. Reprenant le vaste programme inutilement poursuivi par un si grand nombre de ses prédécesseurs, il songeait non-seulement à venger son lieutenant Manuel et à chasser les Maures de la Sicile, mais à reconquérir l'Italie, ce fleuron détaché de la couronne constantinienne. Quand le fils de Bérenger II vint implorer son appui contre Othon le Grand, Nicéphore Phocas l'accueillit avec d'autant plus de faveur qu'il lui apportait un prétexte plausible pour engager les hostilités. Restait à préparer des ressources proportionnées à la grandeur de l'entreprise. Nicéphore, pour se créer des revenus, mit la main sur les biens des églises, des évêchés et des monastères, supprima toutes les pensions, vendit les charges, accabla le peuple d'impôts, et altéra les monnaies par un alliage exorbitant. Ce fut un cri de mécontentement dans tout l'empire. Sourd à ces réclamations, l'empereur se laissait accuser d'avarice et poursuivait son but. Il voulait des soldats, beaucoup de soldats, des approvisionnements, des magasins remplis, des arsenaux au complet. L'argent seul ne suffisait point à lui donner de vaillantes recrues. Il s'adressa au patriarche Polyeucte afin de faire déclarer par un concile que tout soldat-mort à l'ennemi devrait prendre rang parmi les martyrs. Cette fantaisie théologique échoua devant la résistance unanime des évêques ; l'historien est heureux de pouvoir relever le fait qui tranche sur le servilisme habituel du clergé de Byzance.