Darras tome 41 p. 20
On ne pourrait même pas considérer la Déclaration des droits de l'homme comme une simple hypothèse, comme une théorie plausible de l'ordre social. La Déclaration, et la Révolution qui essaie de l'appliquer, sont une hérésie, même aux yeux de l'École ; elles ont été d'ailleurs maintes fois frappées par la Sainte Église ; et l'on ne peut, sans déroger aux enseignements du Saint-Siège, accepter l'esprit de la Révolution.
On ne peut accepter davantage l'affirmation de deux sociétés parallèles, réciproquement indépendantes, cheminant séparées par la ligne des asymptotes, se rapprochant ou s'éloignant au gré des parties, pleinement maîtresses sur leur terrain et ne résolvant le problème d'un parallélisme harmonieux que par la liberté. Affirmation que couronne cette phrase creuse, si elle n'est pas un contre-sens. « La liberté, c'est la paix ».
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La liberté, c'est la paix, lorsque la liberté est enfermée dans un cercle défini par un droit souverain ou dans deux cercles ayant un même centre ; mais lorsque la liberté s'exerce dans deux cercles qui ne se touchent que par un point de leur circonférence, la liberté c'est la discorde, c'est la guerre, c'est l'anarchie, c'est le monde livré à la contention des passions souveraines et réalisant le mot du poète latin : Quidquid délirant reges, plectuntur Achivi,
Les deux sociétés spirituelle et temporelle sont certainement distinctes par leur origine, leur objet et leur but ; mais elles doivent être nécessairement unies et unies par un lien de subordination.
L'État dans le droit catholique ne peut être ni séparé, ni indépendant , il est soumis à Dieu qui lui impose sa loi dogmatique et morale; il est soumis à Jésus-Christ qui lui impose l'obligation de respecter son Évangile et son Église ; par suite, il est soumis à l'Église et à l'Évangile, et cette double soumission à l'Évangile et à l'Église n'est que la forme sociale de sa soumission à Jésus-Christ et à Dieu.
L'État soustrait à l'Évangile est un état de pure nature ou plutôt de nature impure, un état hérétique, tombé bientôt dans la dissolution du paganisme.
L'État soustrait à l'action morale de l'Église n'est plus qu'un état étranger à la religion révélée, un état schismatique, bientôt, par la force des choses, un état persécuteur.
L'État laïque, comme on l'appelle par un euphémisme trompeur, l'État jouissant de sa liberté dans une indépendance absolue, ne pratiquant l'union avec l'Église qu'au gré de ses fantaisies, de ses passions, de ses illusions ou de son despotisme, c'est peut-être l'État catholique libéral, mais ce n'est pas l'État chrétien et c'est, tôt ou tard, l'État athée.
Parler de juxtaposer l'Église et l'État, c'est oublier les principes du Christianisme, réduire à la condition naturelle la société civile,
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exclure l'ordre de grâce et entrer dans la grande conspiration ourdie, depuis trois siècles, contre l'Eglise de Dieu. Mais comment des catholiques, des prêtres et des évêques peuvent-ils s'abuser à ce point? Tant qu'il y aura une religion constituée, parlant au nom de Dieu et enseignant qu'il y a pour l'homme une autre vie, une autre patrie, d'autres biens que les biens, la patrie et la vie de l'état présent, les intérêts matériels seront forcément subordonnés à ceux de la vie à venir; et la recherche, la poursuite, la jouissance des choses terrestres devra être réglée, modérée, arrêtée plus ou moins, en mille circonstances, par les exigences absolues de la vie religieuse. Parler autrement, c'est porter préjudice à l'ordre civil lui-même. Aussi est-il remarquable que la société politique est agitée par toutes les passions et à la merci de toutes les aventures, depuis qu'en se séparant de l'Église, elle a voulu pourvoir à la solidité des trônes et à l'indépendance des citoyens. Ce qu'elle a fait n'a qu'un nom possible, c'est le gâchis, et qui sait si ce gâchis n'est pas le prélude des dernières catastrophes?
En séparant l'État de l'Église, on attribue à l'État, ici-bas, un droit constituant, certain et souverain. La mijorité des électeurs élit le député, la majorité des députés fait la loi ; la loi fait la justice ; et le pouvoir exécutif, émanation de la Chambre des représentants, n'a, pour faire justice, qu'à appliquer la loi. La force prime le droit, le nombre prime la vérité. Ne parlez plus ni de Dieu, ni de Jésus-Christ, ni de l'Église ; ne parlez plus ni de vérité, ni de vertu, ni de justice, ni de conscience, ni d'honneur. Des votants, une boite à scrutins répétés : voilà la solution du problème social, le Thabor moderne, le Sinaï du nouveau monde.
Dans l'ordre politique, cette théorie, qui dispense le député de raison et le pouvoir de conscience, peut aboutir également à la république, à la monarchie constitutionnelle ou à l'empire
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césarien. La république est sa forme la plus naturelle; la monarchie constitutionnelle est une garantie contre l'instabilité des institutions républicaines; l'empire avec sa trique, est la frein nécessaire des passions qu'attise la république et que la monarchie parlementaire ne sait pas dompter. Mais, du moment qu'on admet cette souveraineté absolue du peuple parlant par le suffrage universel, se rallier à la république, à la monarchie constitutionnelle ou à l'empire, ce n'est qu'une affaire de circonstance. Ce sont trois formes du même principe, trois effets de la même cause, trois applications de la même loi. Il n'y a, à rencontre, que le pouvoir chrétien.
Dans l'ordre social, cette théorie de l'État, souverain absolu, proclame les libertés de pensée, de conscience, de presse et de culte, mais elle les proclame plus qu'elle ne les respecte. Car la pratique de ces libertés, anti-sociale au premier chef, ferait de la société civile, un pandemonium ; aussi, le pouvoir, qui les proclame en principe, les restreint toujours en fait, et plus il leur accorde de latitudes licencieuses, plus il doit par après les restreindre avec vigueur. Les gouvernements les plus libéraux ont toujours abouti aux pires despotismes.
Cet aboutissement est sensible surtout à l'égard de l'Église. Les gouvernements libéraux posent, comme un Islam indiscutable, les libertés de pensée, de conscience, de presse et de culte, libertés que la religion contredit et que l'Église repousse. Une fois établi cet ordre de libertés anti-chrétiennes, le pouvoir doit le faire respecter ; et comme l'Église repousse ces libertés qui sont la négation de son magistère, le pouvoir, pour défendre l'ordre libéral, persécute l'Église. Au nom de la liberté, on tient le Pape et les évêques en prison; au nom de la liberté, on ôte, à l'Église, ses séminaires, ses écoles, ses églises et ses couvents ; au nom de la liberté, on tue. Les libertés parlementaires et le régalisme libérâtre disent comme Mahomet: « Crois ou meurs. »
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Dans la pensée des législateurs libéraux, il ne s'agit pas de rendre les hommes ni plus libres, ni entièrement libres ; il s'agit simplement de leur accorder les libertés qui favorisent les passions et de leur refuser les libertés qui mèneraient à la vertu. Et si vous me dites qu'un libéral peut être catholique, je dirai que c'est un fou qu'il faut plaindre ou un coupable qu'il faut punir. Non, non, un libéral n'est pas et ne peut pas être un catholique ; c'est un athée, honteux de ses doctrines, qui marche à ses fins par l'hypocrisie. Un libéral, même se disant catholique, c'est par la force des choses et la nécessité de son principe, un ennemi de Dieu et de Jésus-Christ, de l'Église et du Souverain-Pontife.
A ces idées sur la révolution française, sur les rapports de l'Église et de l'État, sur l'organisation autonome de la société civile et politique, les catholiques libéraux joignaient autrefois leurs idées sur la constitution de l'Église. Ces quatre séries d'idées étaient comme les quatre articles de leur Credo, les quatres chapitres fondamentaux du libéralisme catholique, le Schibbolet de la secte. On a vu, au concile du Vatican, par l'introduction proposée de 89 dans l'Église, par la revendication de l'aphorisme : L'Église libre dans l’État libre, par le vœu de la décennalité des conciles, surtout par la guerre acharnée, illicite et indécente qu'ils firent au projet de définition de l'infaillibilité, combien ces grands esprits ignoraient la constitution divine de la Sainte-Église. Le concile a défini l'infaillibilité du pape parlant Ex cathedra ; il a frappé d'a-nathèmes les erreurs contraires, et écarté, par voie de prétention, toutes les innovations irréfléchies que voulaient introduire dans l'Église les catholiques libéraux. Les catholiques libéraux de France se sont soumis, comme ils le devaient, à peine d'hérésie, mais, des trois autres erreurs, ils n'ont rien rétracté ; et comme si la définition de l'infaillibilité n'avait été pour eux qu'une défaite personnelle, ils n'ont soutenu qu'avec plus d'ardeur leurs idées révolutionnaires et se sont ainsi dérobés, sur le terrain de
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la science sociale, aux conséquences obligatoires de la définition dogmatique.
Nous en sommes là. Des erreurs pleines de malices, enveloppées d'hypocrisie, travaillent à pervertir le peu de bons chrétiens qui nous restent ; cela se fait, au vu et su de tout le monde, avec une habileté perfide ; et, quoique Pie IX ne laisse pas échapper la moindre occasion de flétrir ces erreurs, les catholiques libéraux de France ne laissent pas passer la moindre occasion de les professer.
En apparence, pour expliquer, dans la réalité, pour embrouiller les choses, les escamoteurs du parti ont fait force passes avec les mots de thèse, d'antithèse, d'hypothèse et de synthèse.
La thèse, c'est la vérité absolue, c'est le droit absolu, exclusif, inéluctable de la vérité révélée de Dieu, par Jésus-Christ, à son Église.
L'antithèse, c'est la vérité égale du pour et du contre, le droit égal de toutes les opinions à s'exprimer, de tous les cultes à se professer au plein soleil de la vie sociale, sous l'égale protection de l'État
L'hypothèse, c'est le fait, provisoirement réputé nécessaire, d'une société constituée sur le principe de l'indifférentisme, l'État salariant ou ne salariant pas les cultes mais atteignant toujours par sa police leur soi-disant libre et publique profession.
Enfin la synthèse, ce serait la mise en application de la thèse orthodoxe, par conséquent l'élimination de l'antithèse et la disparition de l'hypothèse.
Les catholiques libéraux ne l'entendent pas ainsi. Dans une sagesse qu'ils ne se lassent pas d'admirer, ils tiennent la thèse pour vraie, mais impossible ; l'antithèse pour fausse, mais socialement admissible ; l'hypothèse pour nécessaire, comme conséquence de faits inéluctables; et la synthèse comme une chose désirable sans doute, mais pour le