Darras tome 27 p. 357
§ II. BATAILLE DE LEGNANO.
9. N’espérant plus vaincre sa résistance, persuadés qu’il ne cherchait qu’à gagner du temps pour attendre les secours d’Allemagne, ne voulant pas consentir à seconder ses manœuvres, ils secouèrent la poussière de leurs pieds et revinrent à la cour pontificale. Où la raison perdait tous ses droits, le glaive de l’indépendance nationale allait revendiquer les siens. Le Pape devait une récompense aux habitants d’Alexandrie ; il érigea leur ville en siège épiscopal1. « A cette même époque, dit le manuscrit du Vatican, sur la demande expresse de l’archevêque de Milan et de tous les évêques de la province, appuyés par les chefs des cités, le Souverain Pontife fonda l’évêché d’Alexandrie et procura l’élection d’Adrien, sous-diacre de l’Eglise Romaine, qu’il envoya se faire sacrer par son futur métropolitain. A ce nouveau siège sera joint celui de la ville d’Acqui, dont l’importance est éclipsée par sa puissante voisine. Pour punir, au contraire, la ville de Pavie, longtemps favorable à l’antipape et toujours prête à rappeler les envahisseurs étrangers, il amoindrit l’autorité de son évêque, en lui retirant la croix et le pallium. Le métropolitain était saint Galdin, qui confondait dans un méme dévouement l’Eglise et la patrie. Mais il touchait à la fin de son pèlerinage terrestre ; Algise allait lui succéder sur le siège de Milan. Réduit momentanément à l’impuissance vis-à-vis des Lombards et désespérant de tromper le Pape Frédéric ne restait pas néanmoins dans l’inaction ; ce roi de Sicile qu’il voulait auparavant dépouiller de ses états, il résolut de le gagner à sa cause ; ce qui serait enlever au Pontife Romain son appui le plus immédiat et son plus puissant auxiliaire. Le jeune Guillaume n’étant pas encore marié, l’héritier des Césars lui fit proposer sa fille. Instruit de ces visées, dont le succès aurait eu de si funestes résultats pour l’Eglise, Alexandre intervint et ne dissimula pas le mécontentement que lui causerait une telle alliance. C’en fut assez pour un prince sincèrement chrétien; il n’hésita pas à
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1 Ughel. ltaliœ sacrx, loin. îv,
col. 440.
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refuser un mariage qui sous tant de rapports semblait exceptionnellement avantageux pour lui-même et son royaume. Il n’iguorait pas cependant qu’en repoussant la main de la fille, il ajoutait le ressentiment à la vieille inimitié du père1.
10. Il ne s’en tint pas là; sur le conseil d’Alexandre, il envoya des ambassadeurs en Normandie pour demander au roi d’Angleterre sa seconde fille nommée Jeanne. Celte proposition fut agréée, avec l'assentiment des évêques et des barons réunis pour cet objet à Londres; et, sans perdre de temps, Henri fit accompagner la princesse Jeanne par les plus hauts seigneurs anglais jusqu’aux bouches du Rhône, où vinrent la recevoir, à la tête de vingt-cinq galères splendidement équipées, Alphan archevêque de Capoue, Richard évêque de Syracuse et le comte Robert de Caserte2. La cérémonie du couronnement et celle du mariage n’eurent lieu que l’année suivante 1177, le jour des ides de février, dimanche avant la Septuagésime. Henri II, observe l’historien d’Angleterre Hoveden, à l’exemple des anciens patriarches, aima mieux s’allier avec un prince de sa nation, un Normand comme lui, que contracter de nouveaux liens avec la race allemande, après ceux que la mort avait rompus pour l’impératrice sa mère. Le même historien nous apprend que le cardinal Vivian revint alors dans les Iles britanniques, et ne fut pas accepté sans difficulté par le roi, à qui sa présence seule rappelait d’humiliants souvenirs. Dans le mois de juin 1176, Frédéric attendait avec impatience l’armée qui lui venait de la Germanie. S’étant concerté secrètement avec ses partisans italiens, il se rendit à Cöme, sans donner l’éveil, suivi d’une troupe peu considérable. C’est là que la jonction eut lieu. Dès qu’il se vit à la tête d’une armée non moins puissante que la première et renforcée par les débris de celle-ci, Barberousse entra dans le territoire de Milan, qu’il se mit à ravager avec sa fureur ordinaire. Sous ses drapaux marchaient les habitants de Côme, qui s’étaient retirés de la ligue nationale, en même temps que de l’unité catholique, pour embrasser le parti des schismatiques et des étrangers. Ceux de Pavie devaient,
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1. Hcgo Facakdüs, de Calamit.Sicil. ad annum p. 1176.
2. Radi lph. a diceto, de Imag.
hist. 594.
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sur un signal convenu, quand la lutte serait engagée, prendre à revers les ennemis. Mais les cités lombardes se hâtaient d’organiser leurs milices, connaissant les projets et l’activité du barbare Teuton.
11. Leur intervention ne fut pas cependant assez prompte ; et les Milanais, assaillis tout à coup par un aussi redoutable adversaire, ne les attendirent pas : ils s’avancèrent résolument à sa rencontre, aidés seulement par quelques troupes choisies, venues de Plaisance, de Novare, de Brescia, de Vérone et de Verceil. Ils allèrent occuper une forte position à douze mille environ près d’un bourg nommé Legnano sur le cours et en amont de l’Olona, puis envoyèrent sept cents hommes en avant dans la direction de Côme, pour observer les approches de l’ennemi. A trois milles environ de distance, les explorateurs se trouvèrent en face de trois cents allemands, qui formaient l’avant-garde de Frédéric. Sans hésitation, les deux corps se précipitent l’un contre l’autre et le sang coule à flots. Emportés par leur courage, les Lombards vont se heurter contre les bataillons germains, qui suivent de près leur avant-garde. Obligés de se retirer non sans pertes, ils se replient sur les lignes des Milanais, qui se tenaient là comme une vivante muraille, recommandant à Dieu, à l’apôtre Pierre, à saint Ambroise, le glorieux patron de leur cité, l’issue de la bataille. Il s’ébranlent alors, enseignes déployées. Dès le premier choc, le porte-étendard de Barberoussc tomba le corps traversé par une lance et fut broyé sous les pieds des chevaux. L’empereur lui-même, dès qu’on le reconnaît à l’éclat de ses armes, au milieu des chevaliers revêtus de cuirasses, est attaqué par les plus vaillants lombards, renversé de sa selle, et disparaît aux yeux de tous. Sa chute exalte le courage des uns et jette l'épouvante dans le rang des autres. Les Teutons lâchent pied, ils sont bientôt en déroute, serrés de près par les vainqueurs. De cette vaste multitude, bien peu parviennent à se sauver; beaucoup meurent par le glaive, beaucoup vont se noyer dans le
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1 Qu'il ne faut pas confondre avec une autre ville du même nom, beaucoup plus populeuse, mais incomparablement moins célèbre, située daus la Vénétie, sur l'Adige, au sud-est de Vérone.
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Tessin. Les Cômans sont enveloppés dans ce désastre, et la plupart restaient prisonniers de leurs anciens confédérés. Ce que les vainqueurs trouvèrent de richesses dans le camp des Allemands dépassa toutes leurs espérances 1.
12. Les Milanais écrivaient le même jour aux Bolonais : « Nous ne voulons pas tarder a vous apprendre que nous venons de remporter sur nos communs ennemis le plus magnifique triomphe. Le nombre des tués, des noyés et des captifs est incalculable. Nous avons en nos mains le bouclier de l’empereur, son étendard, sa croix et sa lance. Les riches dépouilles dont nous sommes restés possesseurs, nous ne les regardons pas comme nous appartenant en propre ; nous désirons les partager avec tous les peuples italiens, après en avoir fait hommage au Pape. Dans la mêlée sont tombés en notre pouvoir le duc Berthold, neveu de l'impératrice, et parmi d’autres puissants seigueurs le frère de l’archevêque de Cologne ; tous sont détenus à Milan. Quant à Barberousse, avait-il échappé, gisait-il sur le champ de bataille, on l’ignorait d’abord. L’impératrice, plongée dans la désolation, ne gardant plus aucune espérance, avait déjà revêtu le deuil, lorsqu’il reparut tout à coup dans Pavie, comme sortant du tombeau, survivant à sa puissance. Il s’était tenu caché sous les cadavres pour se dérober aux recherches des ennemis. Depuis le commencement de sa révolte contre l’Église, son règne n’avait guère été qu’un tissu d’humiliations et de revers; mais rien n’avait pu le détourner de ses tyranniques et sacrilèges entreprises, il s’était constamment raidi contre les coups du ciel et les foudres de Rome. Maintenant il courbait le front; au comble de l’infortune; il implora sincèrement la paix2, que dans les circonstances antérieures, il n’avait jamais demandée qu’avec duplicité, pour tromper la religion de ses adversaires. Tous ses partisans, dignitaires ecclésiastiques, ou princes séculiers, lui déclarèrent qu’il n’avait plus à compter sur
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1. Galvaxcus Plasma, ilagn. ckron. cap. 29o; — Tristan. Chalcus et Flos Flo-rum, ad annnm 1176.
2 O.fCPHBius, Antiquit. lib. vu; — Sigoxius, de Reg. Italiœ, lib. xiv ; Radulph. a Diceto, Citron, p.391.
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eux, s’il ne se réconciliait avec le Souverain Pontife. Il envoya donc sans retard vers Alexandre l’archevêque de Magdebourg, l’archevêque de Mayence et l’élu de Worms, protonotaire de l’empire, avec pleins pouvoirs, pour traiter et résoudre la question de la paix.
13. Arrivés à Tibur, les ambassadeurs firent annoncer au Pape, qui résidait alors dans sa ville d’Anagni, le but de leur voyage ; ils demandèrent un sauf-conduit, et deux cardinaux les reçurent honorablement aux portes de la ville, accompagnés de deux capitaines campaniens. Alexandre tenant le lendemain un grand consistoire, les délégués impériaux y furent admis, et voici comment ils parlèrent devant l’imposante assemblée : « L’empereur notre maître a désiré d’un ardent désir et désiré plus que jamais rentrer en paix avec Rome et l’Église. Il nous a donc envoyés auprès de vous pour demander avec instance que le traité commencé l’année dernière et qui malheureusement n’aboutit pas, soit maintenant repris dans de meilleures conditions, et daigne la bonté divine nous donner de l’établir sur des bases inébranlables pour le bien général de la chrétienté ! L’expérience est faite, le doute n’est plus permis; si la concorde cesse d’exister entre les deux puissances fondées par le Très-Haut à l’origine des sociétés humaines, le monde entier s’agite dans de stériles et fatales convulsions. Mettons un terme à ces malheurs, rendons la paix à toutes les Églises; que les deux princes de l’univers s’unissent et se concertent pour son bonheur ! » Le visage d’Alexandre était épanoui par la bienveillance et la joie. « Votre arrivée, leur répondit le Pontife, dont nous étions instruit déjà par la rumeur publique, nous a fait la plus douce impression, et nous en rendons grâce au Tout-Puisssant. Il n’est pas une chose au monde qui flatte aussi délicieusement nos oreilles que le désir dont l'empereur est animé, lui que nous tenons pour le plus grand des princes. S’il veut cependant accorder une véritable paix à l’Eglise Romaine, il faut qu’il l'accorde en même temps à tous ceux qui se sont déclarés pour notre cause, qui nous ont défendus contre lui, notamment au roi de Sicile, à la confédération des Lombards, à
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l’empereur de Constantinople. » Les ambassadeurs, quoique louant sans restriction ces paroles, demandèrent une audience privée, à laquelle les cardinaux seuls auraient part. « Nous avons ordre, dirent-ils, de vous présenter cette requête, dans l’intérêt même de nos délibérations. Nul n'ignore que dans votre pays comme dans le nôtre, il y a des exaltés qui repoussent l’union et s’efforcent de prolonger la guerre. Il n’est pas bon qu’ils soient initiés à nos débats, de peur qu'ils ne les entravent ou ne les irritent. C'est la paix conclue qu’il faut uniquement présenter à de tels hommes1 . »
14. La proposition fut agréée, l’assemblée se retira, le Pontife resta seul avec le sacré collège. Pendant plus de quinze jours eurent lieu de longues séances, où tous les points furent mûrement examinés et discutés. A force de modération et de sagesse, d’un côté, de mécomptes et de déceptions, d’un autre, on finit par s’accorder. Les conditions essentielles furent arrêtées entre l’Église et l’empire ; mais les Lombards restèrent en l’état jusqu’à leur participation au colloque, rien n’y pouvant être changé sans le consentement exprès de villes libres. En attendant, voici dans leur teneur authentique les engagements contractés par les représentants de Barberousse : «Nous promettons et jurons que l’empereur et les siens raconnaîtront le pape Alexandre, lui rendront hommage, vivront en paix avec lui et ses successeurs, ainsi qu’avec toute l’Eglise Romaine ; qu’ils remettront à son autorité la préfecture de Rome et lui restitueront l’héritage complet de la comtesse Mathilde. L’empereur observera fidèlement tout ce que nous avons consigné par écrit d’un consentement réciproque, et tout ce qui pourrait être ajouté plus tard dans les mêmes conditions. Cette promesse s’étend au roi de Sicile aussi bien qu’aux Lombards, quand ils auront adopté le traité de paix. Nous jurons en outre que si l’empereur, ce qu’à Dieu ne plaise, venait à mourir avant la conclusion de ce traité, l’impératrice sa femme et son fils Henri l’exécuteraient sans aucune réserve, avec tous les princes Allemands. Comme il importe que le seigneur Alexandre
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1 Codex Vatic. Actasum. Pont. Alexand. III, ad annurn 1176.
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se
transporte au plus tôt en Lombardie, nous lui donnons l’assurance qu’il peut
aller et venir en toute sécurité, soit que la paix s’accomplisse, soit qu’elle échoue,
ce qui nous parait impossible; et dans ce dernier cas, l’empereur accorde au
souverain Pontife, comme à tous ses partisans, une trêve absolue de cent jours1.»
Pendant que ses mandataires exprimaient en son nom de si nobles sentiments et
faisaient de si belles promesses, Frédéric tentait d’enlever aux Orientaux par
voie diplomatique l’ile de Corfou, ainsi que d’autres leur ont soustrait plus
tard celle de Chypre; mais il fut habilement éconduit par le métropolitain
Georges, qui répondit à ses propositions par un refus catégorique, accompagné
des compliments les plus flatteurs; car il l’appelle dans sa lettre « le roi
des rois, l'empereur des empereurs, le nouveau Salomon couronné par Dieu même2.»
15. Accablé de revers en Italie, Barberousse ne perdait pas de vue l’empire de Constantinople, sur lequel s’était constamment portée son ambition et dont il méditait secrètement la conquête. En ce moment, il voulait profiler selon toute apparence des embarras où Manuel se trouvait, par suite d’une malheureuse expédition dirigée contre le sultan d’iconium, qui s’était terminée par une sanglante défaite. Ce malheur devait conduire au tombeau l’empereur d'Orient; à celui d’Occident n’était pas destiné l’héritage. En attendant son départ pour la Lombardie, sur le point de toucher une question d’où dépendait le triomphe de l’Église, le pape Alexandre n’oubliait pas les intérêts spirituels des nations confiées à sa sollicitude : il approuvait les ordres militaires et religieux récemment fondés en Espagne pour la défense de la chrétienté ; il rappelait au devoir de la résidence les évêques anglais, que la faveur royale retenait loin de leurs troupeaux3 ; il
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1 La teneur de ce traité préliminaire ne se trouve pas dans les Actes du pontificat d'Alexandre, et Baronius n'a pu la donner. C'est plus tard, qu'on a découvert cette pièce en fouillant dans les Archives du château saint Ange. Au jugement des érudits, elle est empreinte de tels caractères qu'on n'en saurait révoquer en doute l'authenticité.
2. Nicetas, Citron, in Emmanuel, lih.vu.
3. Petu. Ules. Epist. lxxxiv.
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secondait eu France les progrès de la religion et le zèle d’un roi digne de commander à la nation de Clovis et de Charlemagne. L’archevêque de Rheims, frère de Louis VII, mourut cette même année; il eut pour successeur le frère de la reine, Guillaume aux blanches mains, archevêque de Sens1. L’Église de Chartres élut en même temps pour son évêque Jean de Salisbury2, recommandé par ce même Guillaume, et surtout par l’amitié constante dont l’avait honoré le martyr de Cantorbéry.
§ III. TRAITÉ DE PAIX DE VENISE.
16. Tous les historiens catholiques, ou simplement amis de la justice et de la vérité, Baronius à leur tête, saluent l’année 1177, dans laquelle nons entrons, comme l’une des plus glorieuses et des plus fortunées dans la suite des âges chrétiens ; mais ils s’accordent peu sur le détail des événements qui la rendent telle. De l’opposition des documents contemporains naît cette divergence, et la nécessité par là même de les comparer en les consultant. Voici ce que les uns racontent : pour aller conférer avec l’empereur selon les conventions d’Anagni, le Pape devait se transporter à Bologne, tandis que Frédéric s’en rapprocherait en se rendant à Modène. Avant son départ, Alexandre eut la précaution de laisser un cardinal-vicaire à Rome, ne fut-ce que pour tenir en respect les schismatiques obstinés, dont la misérable idole trônait alors à Viterbe, séchant de dépit et de douleur, à la vue d’une réconciliation imminente. Passant ensuite par Bénévent et Troja, le Souverain Pontife, accompagné du Sacré-Collége, vint au pied du mont Gorgano, sur les bords de l’Adriatique, où l’attendaient, comme autrefois au mont Circé, des galères siciliennes, magnifiquement équipées et largement pourvues. Elles étaient sous les ordres du comte Roger, le plus grand personnage du royaume, et de Romuald, archevêque de Salerne, qui devaient se joindre
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1 Nangius, Chron. ad annurn 1176; — Raduplh. de diceto, de Imag.hist.p.5SS.
2 II fut sacré par l'évêque de Paris, Maurice, le hardi constructeur de Notre-Dame.
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au cortège pontifical. Par la voie de terre avaieut pris les devants les cardinaux Humbald, évêque d’Ostie, et Rainier, diacre de Saint-Georges, pour aller demander à l'empereur de renouveler lui- même, et sous la foi du serment, les assurances données en son nom par les archevêques de Magdebourg, de Worms et de Cologne. Frédéric qu’ils trouvèrent à Modène, se prêta d’assez bonne grâce à ce qu’on demandait de lui. Pour mieux affirmer ses intentions, il obligea le fils du marquis de Montferrat et tous les seigneurs allemands de sa suite à jurer sur les saints Évangiles que les engagements contractés seraient fidèlement tenus. Deux défections jetèrent cependant une ombre sur ces brillants préliminaires de paix : Crémone, malgré ses récentes calamités, et Tortone, oubliant ses anciens revers, dénonçaient leur adhésion à la ligue lombarde et se rangeaient au parti des étrangers.
17. Ce n’est pas sans surprise, ni peut-être sans soupçon, que le Pape apprit cela durant sa navigation ; mais, ne pouvant douter de la fidélité des autres villes, il continua résolument son chemin. A travers quelques incidents sans importance et des dangers réels, le voyage se termina de la manière la plus heureuse. Donc la dix-huitième année de son pontificat, le XI des calendes d’avril, 22 mars, il était reçu dans le port de Venise avec les plus grands honneurs. Le doge Sébastien Zani, le patriarche, plusieurs évêques, une foule de seigneurs s’étaient portés à sa rencontre sur des vaisseaux splendidement décorés. La reine de l’Adriatique avait déployé toutes ses grandeurs et toutes ses richesses pour accueillir le Pontife Romain, le remplaçant de Jésus-Christ sur la terre. Il fut solennellement conduit au palais du patriarche situé sur le Rialto. Là vinrent le trouver les premiers ambassadeurs de Barberousse, ceux qui avaient entamé les négociations, pour lui dire que l’empereur avait changé d’avis touchant le lieu de leur prochaine conférence, que Bologne était suspecte aux seigneurs allemands et que lui-même répugnait à s’y rendre, qu’il le priait donc de fixer un autre rendez-vous, de choisir par exemple entre Ravenne et Venise. Alexandre leur répondit immédiatement et sans hésitation qu’il ne
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pouvait pas de lui-même revenir sur les engagements pris par ses plénipotentiaires de concert avec l’empereur et les chefs des cités Lombardes. Ne voulant pas néanmoins entraver le bien que tout le monde se proposait dans une aussi grave conjoncture, il leur annonça qu’il serait à Ferrare le dimanche de la Passion, pour y concerter avec ses amis et ses frères le parti qu’il conviendrait d’adopter. La proposition est agréée par les prélats allemands; et dans la semaine qui suit le Dimanche Lætare, où le Pape bénit la rose d’or qu’il destine à quelque prince ayant bien mérité de la religion, et qu’il remet cette fois au doge de Venise, il s’embarque avec les cardinaux sur une élégante flottille montée par les Vénitiens, et remonte le Pô jusqu’à la hauteur de Ferrare1.
18. Dès le jour suivant, se réunissent en sa présence pour délibérer sur les intérêts communs les personnages accrédités par les diverses puissances : au nom des Lombards, le patriarche d’Aquilée, les archevêques de Ravenne et de Milan, plusieurs évêques et les consuls ou comtes des principales cités ; au nom du roi de Sicile, l’archevêque Romuald et le comte Roger; au nom de l’empereur, les archevêques de Mayence, de Worms, de Cologue, de Trêves et de Besançon, avec quelques-uns de leurs suffragants. La délibération ne fut pas sans orage ; les Lombards demandaient pour lieu de réunion Bologne, Plaisance, Ferrare même ou Padoue; les Allemands préféraient Ravenne, Pavie ou Venise. D’accord avec les Siciliens, le Pape opta pour cette dernière ville et se hâta d’y rentrer. C’est donc là qu’allait être fixé le sort de l’Eglise et de l’empire. Avant de poursuivre cette narration, résumons celle des historiens opposés2. Barberousse, d’après eux, serait descendu dans l’Ausonie, marchant sur Rome à la tête d’une grande armée. Le Pontife alors, saisi de crainte et ne voulant pas tomber aux mains de son ennemi, s’enfuit à Venise, sous le vêtement d’un frère cuisinier. Il fut reçu dans un monastère, celui de Notre-Dame de
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1 Codex Vatic. Acta sum. Pontif. Alexand. Ill ad aunurn 1177.
2. Le cardinal Bessarion avait soigneusement recueilli les documents de l'époque; il en fit une collection qui fut déposée dans la Bibliothèque de Venise. Hiebem Babd. in Vict. Xaval. p. 110, lit.
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p367 CHAP. VII. — TRAITÉ DE PAIX DE VENISE.
Charité, et préposé par les moines à la culture d’un jardin. Plusieurs mois après, un habitant de Spolète nommé Commode, car on va jusqu’à ce degré de précision, le reconnaît par hasard sous cet humble déguisement, et s’empresse d’en informer le doge. Celui-ci convoque aussitôt le sénat. La nouvelle se répand dans le peuple, une immense procession guidée par les bannières et les croix se porte vers le monastère, et l’hôte mystérieux est amené triomphalement à Saint-Marc, où le Pontife donne sa bénédiction à la multitude assemblée. Or, l’empereur ayant appris que le Souverain Pontife était à Venise envoya son fils le réclamer à la tête d’une puissante flotte. Celle des Vénitiens, commandée par le doge, prend aussitôt la mer, et, quoique de beaucoup moins nombreuse, engage résolument le combat, remporte une complète victoire, fait Otton prisonnier. Conduit au Pape, le prince allemand saisit cette occasion pour traiter de la paix. Elle est conclue; Frédéric averti se rend lui-même à Venise, accepte toutes les conditions qui lui sont imposées, ne recule devant aucun abaissement pour rentrer en grâce avec l’Eglise.