La descente de Jésus dans les eaux du Jourdain, anticipation de sa mort

La descente de Jésus dans les eaux du Jourdain, anticipation de sa mort

L’évangéliste Marc relate que tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se faisaient baptiser par Jean Baptiste dans les eaux du Jourdain en confessant leurs péchés (Cf. Mc 1, 5). Cela signifie que ceux qui descendaient dans les eaux, reconnaissaient et confessaient leurs péchés. Le judaïsme de l’époque connaissait plutôt des confessions formelles et générales, mais il n’ignorait pas la confession tout à fait personnelle, dans laquelle il fallait énumérer un par un les actes fautifs[1]. Dans cet acte de pénitence et de conversion, ceux qui recevaient le baptême de Jean, reconnaissaient leurs péchés en descendant dans l’eau et cherchaient à être délivrés du fardeau de leur chute dans le péché[2]. Qu’est-ce que Jésus a donc fait ? Avant de descendre dans l’eau, il a pris sur lui le péché du monde. Autrement dit, il a porté le fardeau de nos péchés après être compté parmi les pécheurs. Il a pris sur ses épaules le fardeau de la faute de l’humanité entière et l’a porté en descendant le Jourdain. Cela nous renvoie sur la croix où, après être compté parmi les pécheurs, il a porté le fardeau des péchés de l’humanité entière en intercédant pour tous les pécheurs. Jésus avait anticipé cette intercession sur la croix pour tous les pécheurs lorsqu’il a prié après avoir reçu le baptême (Cf. Lc 3, 21).

En dépit de différentes interprétations exégétiques au sujet de cette prière de Jésus au moment de son baptême, c’est uniquement en partant de la croix que nous pouvons comprendre ce qui s’est passé. En soutenant cette affirmation nous ne prétendons pas être exhaustifs, mais nous nous appuyons sur cette vérité selon laquelle « Le mystère pascal dévoile le sens des Écritures, qui demeurait jusqu’alors« obscur » (Cf. Lc 24, 26-27) »[3]. Cette relation entre le mystère pascal et les Saintes Écritures est bien explicitée dans le Catéchisme de l’Église Catholique avec ce très beau passage de Saint Thomas d’Aquin : « Le cœur du Christ (Cf. Ps 22, 15) désigne la Sainte Écriture qui fait connaître le cœur du Christ. Ce cœur était fermé avant la Passion car l’Écriture était obscure. Mais l’Écriture a été ouverte après la Passion, car ceux qui désormais en ont l’intelligence considèrent et discernent de quelle manière les prophéties doivent être interprétées »[4]. C’est dans cette perspective que nous avons souligné dans l’introduction de cet article que nous ne pouvons pas comprendre toute la signification du baptême de Jésus en dehors du mystère pascal.

Aux yeux de la pensée antique, l’océan était une menace permanente pour le cosmos, pour la terre, le flot originaire capable d’ensevelir toute vie[5]. Cela s’explique par le fait qu’il y avait dans l’océan des monstres féroces, des gaz mortels, des forces sataniques, des vents très dangereux et ipso facto beaucoup de risques de tempêtes violentes, des ouragans, des tourbillons, de naufrage, des séismes, et des accidents de nage. Ces dangers étaient menaçants non seulement pour les personnes qui voyageaient par voie aquatique et celles qui nageaient mais aussi et surtout pour la terre et les hommes qui habitaient aux alentours de l’océan. De plus, ces menaces étaient dangereuses pour le cosmos car elles provoquent parfois des changements climatiques malheureux pour l’homme. Bref, l’océan était un flot originaire capable d’ensevelir toute vie. S’y immerger en pleine connaissance de tout cela était comme se livrer à la mort. C’est pourquoi « Par le biais de l’immersion, le fleuve intègre cette symbolique »[6] de la mort. En descendant dans les eaux du Jourdain, Jésus a donc inauguré sa vie publique en anticipant sa mort sur la croix. Son « baptême est l’acceptation de la mort pour les péchés de l’humanité »[7].

De là nous pouvons comprendre que Jésus est descendu dans les eaux du Jourdain pour que nous soyons sauvés de nos péchés et des conséquences relatives. Dans ce sens, « il est en quelque sorte le véritable Jonas, lequel avait dit aux matelots : « Prenez-moi et jetez-moi à la mer » (Jon 1, 12) »[8]. Plus que le prophète Jonas qui a demandé à être jeté dans la mer pour le salut temporel des voyageurs qui étaient dans le navire, Jésus s’est jeté dans les eaux du Jourdain pour le salut éternel des hommes qui sommes en voyage sur la route de la vie vers notre patrie céleste. Cette conception du baptême de Jésus comme une anticipation de sa mort a été développé et approfondi par l’Église d’Orient dans sa liturgie et sa théologie des icônes[9]. Dans cette théologie, « L’icône du baptême de Jésus représente l’eau comme un tombeau liquide ayant une forme d’une grotte sombre, qui est elle-même le signe iconographique représentant l’Hadès, le monde souterrain, l’enfer. La descente de Jésus dans ce tombeau liquide, dans cet enfer qui l’enserre complètement, est ainsi l’accomplissement avant l’heure de la descente dans le monde des morts »[10]. Le baptême de Jésus comme l’accomplissement avant l’heure de sa mort et de sa descente aux enfers est aussi compréhensible, « dans les discours de Jésus lui-même, où le mot baptême désigne sa mort (Cf. Mc 10, 38 ; Lc 12, 50) »[11]. « Selon la force première du terme grec « baptiser », Jésus sera plongé dans un abîme de souffrances »[12] mortelles. Quand nous lisons, par exemple, ces paroles que Jésus a prononcé un jour : « Je dois être baptisé d’un baptême, et qu’elle n’est pas mon angoisse jusqu’à ce qu’il soit consommé » (Lc 12, 50), « Nous comprenons ainsi que le baptême que Jésus reçut de Jean Baptiste n’était pas le baptême définitif, mais le symbole de ce qu’il aurait accompli lui-même dans le baptême de son agonie et de sa mort sur la croix »[13]. Voilà bien le baptême qu’il anticipe en se plongeant dans les eaux du Jourdain.

Abbé Gratien KWIHANGANA


[1] Cf. J. Gnilka, Das Matthäusevangelium. Erster Teil, HThKNT I/1, Fribourg-Bâle-Vienne 1986, p. 68. Cité par J. Ratzinger (BenoÎt XVI), Jésus de Nazareth,  p. 37.

[2] Cf. J. Ratzinger (BenoÎt XVI), Jésus de Nazareth,  p. 37.

[3] CongrÉgation Pour Le Culte Divin Et La Discipline Des Sacrements, Directoire sur l’homélie, n. 18.

[4] Cf. Thomas D’Aquin, Expositio in Psalmos 21, 11 : Catéchisme de l’Église Catholique, n. 112.

[5] J. Ratzinger (BenoÎt XVI), Jésus de Nazareth,  p. 35.

[6] Ibid.

[7] Ibid., 38.

[8] Ibid.

[9] Cf. P. Evdokimov – P. Nicolasevci, L’art de l’icône. Théologie de la beauté, Desclée, Paris 1970, pp. 239-247.

[10] J. Ratzinger (BenoÎt XVI), Jésus de Nazareth,  p. 39.

[11] Ibid., 38.

[12] La Bible de Jérusalem, Cerf, Verbum Bible, Paris 2001, note infrapaginale, p. 1502.

[13] CongrÉgation Pour Le Culte Divin Et La Discipline Des Sacrements, Directoire sur l’homélie, n. 136.

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