Anglicans 2

Darras tome 34 p.379

 

73. L'apostat Hooper prêchait un jour devant la cour assemblée. Au lieu de faire retentir, aux oreilles de ces voleurs, les menaces de la justice divine, il proposa tout simplement de changer les au­tels et les tables. Cette mesure devait guérir le peuple de la fausse persuasion qu'en offrait encore le sacrifice. Cette proposition fut bien reçue, mais pas dans un intérêt religieux. « Que l'intérêt, dit Collier, fût le mobile principal des courtisans, la chose ne parait pas improbable, quand on considère la recherche qu'on fit bientôt des joyaux, des vaisselles d'or et d'argent, et des autres riches or­nements ou meubles, appartenant aux églises cathédrales, avec ordre de n'y laisser que très peu d'objets2. » La plume de l'historien ne trouve pas d'expressions assez énergiques pour flétrir ces actes odieux; et, comme s'il craignait que le récit de tant de turpitudes ne parût exagéré, il en appelle sans cesse au témoignage du doc­teur Heylin, l'écrivain le plus accrédité de la réforme à son origine. Cette transformation des autels en table ne fut donc qu'une occasion de faire table-rase. «Il n'y a point en Angleterre, dit le prési­dent Hénault, d'exemple de despotisme, si outré, ni d'un abandon si lâche des parlements, aux bizarreries d'un prince qui, à force d'autorité, ne savait plus que faire de son autorité. » Ces paroles,

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1 Dif.DAU, Monttïticon, t. II!, p. 337. *Coli.ieii, Eccl. llist. I. II, liv. iv, p. 301.

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dites de Henri VIII sont encore plus justifiées pour Edouard VI. Après la tranformation des autels, on prépara de nouveaux bills. Par un reste de pudeur qui ajoute encore à la bassesse de ces calculs égoïstes, on faisait toujours figurer, en tête de ses actes, les im­menses besoins du roi et le profit qui devait en résulter pour le trésor. Un premier bill livrait à Edouard toutes les terres des chan-tries non confisquées sous Henri VIII. Collier porte leur nombre, en comprenant les chapelles libres, à 2314. On lui abandonne éga­lement les collèges, dont les richesses surpassaient les précédentes, dit le même historien, tant à cause de la beauté de leurs construc­tions que de l'abondance de leurs revenus. Tous les biens mobiliers et autres, tous les joyaux, argenteries, ornements étant les biens communs de ces collèges sont transportés au roi, qui n'en reçoit pas une obole. Ce n'est pas tout : puisqu'on a supprimé le purga­toire, on confisque les fondations pour obits, anniversaires ou en­tretien de luminaire dans les églises. Les terres des confréries sont également dévolues à la couronne. « L'argent, disait-on, devait être consacré à l'entretien des écoles de grammaire ; mais les avi­des courtisans le partagèrent entre eux, dit Néal. C'est toujours, dans l'anglicanisme, comme dans la chanson : « Eteignons les lu­mières et rallumons le feu. »

 

   76. Après tant de rapines, il restait encore à dérober les biens des évêques. Le frère du duc de Somerset représenta au jeune roi Edouard, que les prélats ne devaient pas être distraits par les sou­cis temporels, du service de l'Eglise ; il serait juste et digne, pour les rendre pieux, de les dépouiller. Edouard comprit à demi mot ; il avait tant habitude de ne voir plus que des voleurs, qu'on ne pouvait plus lui parler d'autre chose que de vol. Sa candeur, cette fois, se révolta : « Comment, dit-il, vous vous êtes partagé les biens des abbayes et vous les avez consumés, les uns dans un luxe su­perflu, les autres dans des jeux de dés, de cartes et autres sem­blables, et maintenant vous voudriez avoir les terres et les revenus des évêques pour en abuser de la même façon. Comptez qu'il n'en sera rien tant que je vivrai. » L'interdiction était formelle ; la bande voleuse passa outre. La cupidité l'emporta sur la volonté du

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monarque que l'on trompa et sur l'indignation du peuple qu'on parvint à séduire ou à intimider. « Rien de ce que ces pillards pu­rent découvrir n'échappa à leur rapacité. Les tombeaux même fu­rent dépouilles du bronze qui les couvrait et les églises de leur plomb. Une si grande quantité de cloches fut livrée pour être fon­due en canons qu'à la fin il fallut défendre leur exportation, de peur que le métal destiné à cet usage, ne vint à manquer en An­gleterre1. » Ainsi le pillage, inauguré sous le dernier roi, était de­venu général sous Édouard. Cobbett affirme qu'on vola même les biens des hôpitaux, propriétés certainement aussi sacrées, dit-il, que peuvent l'être aujourd'hui celles d'une société philanthropique plus ou moins quelconque. La Grande Bretagne était tombée sous la coupe d'une bande de brigands; leurs brigandages, contre les églises, les bibliothèques, les autels, les men-ses épisropales, les chanteries, confréries, hôpitaux : voilà, jusqu'ici, le bilan de la ré­forme sous Édouard VI.

 

77. Cependant Édouard, au nom de qui s'exercent toutes ces spoliations, songe à doter la nation d'un nouveau service liturgi­que. Dogme, morale, discipline, culte, Écriture, tout était discuté, contesté, critiqué ; tout devenait l'objet des votes du parlement, des railleries des non-conformistes et des blasphèmes des libertins. Pour remédier à ces maux qui sont en partie son ouvrage, le pou­voir multiplie les ordonnances. Sous peine de châtiment corporel, il défend de parler avec irrévérence du corps et du sang du Christ et commande d'administrer au peuple la communion sous les deux espèces; il déclare nuls les canons qui interdisent le mariage aux personnes ecclésiastiques et décide que les évêques à l'avenir ne seront plus élus que par le roi. Toutes ces mesures cependant n'é­taient que des préliminaire. De son côte, le primat Cranmer, avec le secours de quelques apostats venus de l’étranger, complétait la vraie réforme. L’oeuvre comprend un recueil officiel d'homélies et de paraphrases, un nouveau catéchisme, un livre de prières com-munes : le tout pour insinuer l’hérésie  des sacramentaires et s’é-

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1 Sorrurr, Livre 'le rFijHte, l. Il, ch. un.

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loigner graduellement de l'ancienne religion. Le roi recommanda la nouvelle liturgie à l'approbation du parlement ; car Dieu n'écou­tait plus les prières anglaises, à moins qu'elles ne fussent revêtues de l’exequatur parlementaire. On disait dans le préambule du bill approbatif que les commissaires royaux avaient achevé cet ouvrage d'un consentement unanime, avec l'assistance du Saint-Esprit. Ces derniers mots soulevèrent des réclamations ; il fut répondu qu'il ne s'agissait point d'une assistance divine, autrement il n'eût plus été permis d'y pratiquer des changements. Du reste, l'adoption de cette liturgie, comme tout ce qui venait de la même officine, était obligatoire sous peine de prison. Toutefois, quand cette élucubration parut, il s'en fallut beaucoup qu'elle répondit aux vœux des protestants  allemands, français et suisses. Calvin en particulier, qui se croyait plus sage que l'ancienne église et capable de pres­crire une religion à tous les pays de la chrétienté, se plaignit de l'insuffisance des réformes. « Il y reste toujours, disait-il, tant de papisme et de choses intolérables, que la pure adoration de Dieu en est non-seulement affaiblie, mais en quelque sorte étouffée et écrasée. «Les théologiens de Cranmer, naguère si unanimes à adop­ter le nouveau service, durent le remanier, autrement le roi l'eût soumis aux manipulations des chambres. On retranche donc,  du livre de Cranmer, et avec sa pleine adhésion, l'usage du chrême et du signe de la croix pour le sacrement de confirmation ; on retran­cha l'Extrême Onction qu'il ne fut plus permis de donner aux ma­lades ; on retrancha les prières pour les morts, soit dans le service de la communion, soit dans celui de la sépulture, ainsi que quel­ques passages très significatifs dans la consécration de l'Eucharis­tie. Cette seconde réforme n'enlevait pas encore toutes les diffi­cultés ; Edouard fit rédiger le symbole en quarante-deux articles ; son père l'avait réduit à six ; sa sœur Elisabeth devait le réduire à trente-neuf. Avec le libre-examen,  le nombre des dogmes varie suivant les goûts et les caprices. Pour souligner davantage la pré­rogative royale, les articles furent publiés sans approbation  du parlement ou d'aucun corps ecclésiastique. Sur la présentation de Cranmer, la sanction du roi suffit pour les revêtir de l'infaillibilité.

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   Après que la comédie fût complète, on les publia comme l'œuvre des évêques. Et dire que ces gens-là s'étaient fait protestants pour se soustraire à l'autocratie des Papes !

 

78. En Angleterre, comme en Allemagne, la réforme ne tarda pas à produire des sectaires. Parmi les nouveaux prédicants, il s'en trouva pour préconiser la polygamie ; d'autres soutenaient que c'était rejeter le gouvernement de Dieu que de se soumettre à un roi ; qu'il n'était pas permis d'obéir à des lois humaines ni de remplir une fonction dans l'état ; que les serments étaient illégitimes : qu'il fallait rebaptiser ceux qui avaient été baptisés dans leur première enfance : que Jésus-Christ n'avait pas pris un corps véritable dans le sein d'une vierge; que le repentir ne pouvait pas effacer les péchés ; que les biens devaient être communs à tous et que les élus avaient le droit de prendre tout ce qui leur était nécessaire ; que bien que l'homme extérieur puisse pécher, l'homme est toujours sans péché ; enfin que le salut est obtenu par la foi seule et que la voie la plus infaillible pour arriver à la perdition est la confiance dans les bonnes œuvres. Ces erreurs grossières, professées par une tourbe d'aventuriers, attirèrent l'attention du gouvernement. On leur imposa un silence qu'ils ne gardèrent pas; bientôt il fallut exercer des rigueurs contre les sujets anglais qui avaient adopté ces extravagances. Cranmer se fit inquisiteur; lui que le bûcher réclamait, il se fit pourvoyeur du bûcher et brûleur d'hérétiques. Parmi ses victimes, on remarqua surtout, une certaine Jeanne Botche. Cette dame, du pays de Kent, avait reçu une belle éduca­tion ; elle descendait d'une famille honorable et tenait, dans la so­ciété, un rang de choix. Accusée de soutenir une opinion bizarre, savoir, que Notre Seigneur, quoique né de la Vierge, ne partici­pait point à l'humanité, et n'avait qu'un corps fantastique, elle fut condamnée à mort. « Vous avez bien sujet d'admirer votre igno­rance, dit à ses juges cette femme intrépide. Il n'y a pas longtemps, vous avez brûlé Anne Ashew pour un morceau de pain, et bientôt après vous en êtes venus à professer la doctrine pour laquelle vous l'avez brûlée. Et maintenant, vous voulez me brûler, moi, pour un morceau de chair, et à la fin vous viendrez  à croire comme

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moi, quand vous aurez compris les Ecritures.» Ces reproches de­vaient frapper Cranmer. Sous Henri VIII, il avait eu la crimi­nelle lâcheté de poursuivre des victimes dont il partageait intérieu­rement les erreurs. Maintenant qu'il était soustrait à la sujétion du tyran redoutable, qu'allait-il faire. Cranmer opina pour la mort. Une année entière, l'exécution fut refusée par Edouard ; mais le primat ne cessa de l'obséder en lui montrant, dans l'Ancien Testa­ment, comment Dieu traite les blasphémateurs. « Que le prince ne s'y méprenne pas, dit l'hérésiarque; grande est la différence entre les erreurs sur quelque point de théologie et celles qui s'attaquent au symbole des Apôtres. Ces dernières sont des impiétés que le prince, comme représentant de Dieu, doit punir. » Edouard signa les larmes aux yeux et Jeanne Botché fut brûlée vive. Non, « dans toute notre histoire, il n'y a pas de circonstance plus pénible et plus humiliante1,» dit en gémissant l'un des admirateurs outrés de cet étrange réformateur.


      79. Quels effets moraux produisait cette étrange réforme ? Les passions séculières pleinement satisfaites par le pillage des biens ecclésiastiques, l'orgueil satisfait par l'octroi du libre examen et la dispense des bonnes œuvres, cette réforme devait aboutir là où vont toutes les réformes semblables, à la fange. L'historien d'Ox­ford, dès les premières années d'Edouard, déplore avec amertume la conduite des théologiens qui poussent, jusqu'aux dernières li­mites, l'indiscrétion et le scandale. Calvin écrit à Somerset pour «dénoncer les énormes impiétés et les vices devenus si communs en Angleterre, le jurement, l'ivrognerie, l'impudicité. Il est temps, s'écrie-t-il, de porter remède à tous ces maux. Bucer se désole : « Les églises, dit-il, sont devenues des lieux de commerce et de di­vertissements. La crainte de Dieu, le respect de la religion ne font plus qu'une impression faible ; et c'est pour cela, qu'on se plaint tant aujourd'hui des mensonges, des fourberies, des vols, des par­jures et des impudicités. » Cranmer, le principal auteur de tous ces maux, tonne contre « la vie mauvaise, les blasphèmes, les adultè-

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1 Southey, Livre de l'Eglise, t. II, p. 135.

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res, les haines mutuelles, les oppressions et le mépris de l'Évan­gile. » La voix de Latimer s'exhale en gémissements : « Les An­glais, dit-il, sont devenus infâmes par leur impudicité au delà de tout ce qui existe dans le monde. Ils se glorifient de ce qui fait leur honte et se font un jeu de leur perversité. » Puis, en présence du roi et de la cour, « il déclare qu'il n'y a de remède à ces maux que dans le rétablissement de l'ancienne discipline du Christ et du pou­voir d'excommunier. » C'est à ce moment que Ridley, évêque in­trus de Londres, fait entendre sa Lamentation sur l’Angleterre; il confesse avec douleur que l'impudicité, l'orgueil, l'homicide, la cupidité, la haine, le mépris de la religion sont répandus dans le peuple et surtout dans la haute classe1. Les vices sont à la mode ; l'égoïsme sensuel a tout envahi. Les Jérémies anglais réclament le pouvoir d'excommunier ; le parlement s'y refuse ; les nobles lords n'entendent pas s'obliger à la correction de leurs vices. Comme une réforme religieuse doit se justifier surtout par la pureté des mœurs et l'éminence des vertus, il est prouvé, par les faits, que la réforme anglican est une réforme à rebours, une déformation.

 

 80. Pendant que des chefs de l'hérésie rallumaient des bûchers et que les Anglais se vautraient dans tous les vices, que devenait le pauvre peuple. Le bien-être du peuple se fait avec les sacrifices des grands ; dès que les grands dévorent leurs revenus dans les volup­tés, il n'y a plus, pour les classes laborieuses, que la misère; leurs propres vices les frustrent des fruits de leurs travaux : les vices des autres leur enlèvent tous les bénéfices de la charité. La misère du peuple anglais croissait, en effet, de jour en jour. Outre le dé-sordre apporté dans les affaires, par des altérations ou des modi­fications réitérées dans les monnaies, la location des terres était devenue beaucoup plus élevée entre les mains des ravisseurs sacri­lèges. Au régime doux et paternel, qui, de tout temps, distinguait les propriétaires ecclésiastiques, avait succédé la froide et impitoyable rigueur des procureurs et des hommes de loi. Les petite fermiers, autrefois heureux, se voyaient peu à peu réduits à l'indi-

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1 Cf. [)• tjhb <.  '.n ptr*i:utivPt retig'euse et Ânjt terre, nitroil. pinim .

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gence et grossissait le nombre des mendiants que la réforme ne pouvait contenir. « Jamais, dit Dugdale, aussi longtemps que les monastères avaient été debout, il n'y avait eu doute dans les par­lements, pour aider les pauvres. Ces monastères leur portaient d'abondants secours dans leurs besoins. «Maisons de bon accueil pour les ouvriers, grands hôpitaux pour tous, comme les appelle Cobbett, » « là, ajoute Higgens, les affamés étaient nourris, ceux qui étaient nus recevaient des vêtements ; on donnait la sépulture aux morts, on accomplissait tous les devoirs de la charité, qui pa­raissent si essentiels à l'esprit du christianisme. » Ces biens que la piété des générations passées et une sage administration avaient amassés pour le soulagement de toutes les misères humaines étaient perdus sans retour. Hume, après avoir loué le régime mo­nastique, montre ensuite que, quand les biens du clergé devinrent des propriétés particulières, les fermages augmentèrent de prix et qu'en même temps on alla en dépenser au loin les revenus. De là des fermiers exposés à la rapacité d'un intendant impitoyable, des métayers expulsés de leur demeure, des villageois dépouillés des terres où ils avaient le droit de faire paître leurs troupeaux. « La population du royaume diminua sensiblement sur tous les points et son ancienne prospérité déchut. La grande masse du peuple perdit une partie de ce qu'elle avait acquis par son travail et son indus­trie ; et l'explosion des plaintes retentit dans tout le royaume1. » Chose plus horrible, mais que confesse Burnet aussi bien que Lingard; on alla jusqu'au rétablissement de l'esclavage. «Les men­diants qui avaient autrefois des secours aux portes des monastères et des couvents, erraient alors par bandes dans la contrée, et sou­vent par leur nombre et leurs importunités extorquaient des au­mônes aux voyageurs intimidés. Pour arrêter ce désordre, on fit un statut qui rappellera au lecteur les barbares coutumes de nos ancêtres païens. Quiconque vivait oisif et sans occupation pendant l'espace de trois jours était classé parmi les vagabonds et passible du châtiment suivant : Deux juges de paix lui faisaient imprimer

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1 Hume, Hist. of England, Edward vi.

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avec une fer chaud, sur la poitrine, la lettre V et le livraient à son dénonciateur qu'il devait servir comme esclave pendant deux ans. Ce nouveau maitre était obligé de lui fournir le pain et l'eau et de lui refuser tout autre nourriture. Il pouvait lui fixer un anneau de fer au cou, au bras ou à la jambe et il était autorisé à le forcer à toute espèce de travail, quelque avilissant qu'il fut, en le frappant, l'enchainant ou autrement. Si l'esclave s'absentait pendant quinze jours, on lui imprimait la lettre S sur le front et il devenait esclave pour la vie, et s'il retombait dans la même faute, sa fuite le soumettait au châtiment de la félonie1. » Que deviennent, en présence de ce rétablissement officiel de l'esclavage, les déclamations en fa­veur de la réforme?

 

81. « Les onze douzièmes de la nation, dit Cobbett, conservaient un vif attachement à la croyance de leurs pères, et l'on n'obéissait qu'à regret ou avec négligence à l'ordre qui prescrivait l'introduc­tion de la nouvelle liturgie. Le clergé, généralement contraire à cette cause, ne cherchait qu'à se soustraire à la pénalité dont le menaçaient les statuts. La noblesse et la classe des propriétaires aisés dissimulaient leurs véritables sentiments, dans l'intention connue d'obtenir des faveurs de la cour ou du moins d'échapper à son ressentiment2. » Au moment où le nouveau statut imaginé par Cranmer et imposé par le Parlement, allait être mis en usage, éclatèrent, de tous côtés, les insurrections. Le peuple fidèle répu­diait cette liturgie hérétique et sans prestige. Quinze comtés parurent en armes, presque en même temps. Quatre autres, ceux d'Oxford. Norfolk, Devon et Cornwall s'organisèrent pour ré­sister aux injonctions de la cour et aux changements qu'elle opérait, non d'après le libre examen, mais de vive force, dans les croyances. Les habitants du Devonshire exprimèrent hautement leurs griefs : ils se plaignaient des altérations subies par la reli-gion, de l’oppression à laquelle plusieurs membres de la noblesse entendaient soumettre le Tiers-Etat, de l'abolition de la sainte  li-

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1. Lim.ihi», Ni*t.   d'Angleterre, t. VII, Mi-çn* d'F. loiianl ; —   lkvn.r,   Ht,t. d-ta Ih'fnriiinii'ti, t. Il, pn^. 45.

2. Couuftt, "i*'. «/ lifform. Lettre VII.

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turgie observée par leurs pères et de l'établissement d'un nouveau culte étranger à leurs mœurs. Le Dr Heylin, qui rapporte ces dé­tails, ajoute que l'on demandait à grands cris le rétablissement de la messe et des couvents, et le  célibat pour les prêtres, comme dans les temps anciens. « Le mécontentement régnait dans tout le royaume, ajoute Southey. La réformation   était odieuse à l'im­mense multitude, tant à cause des sentiments religieux des popu­lations, que parce qu'elles croyaient que cette réformation était la source de tous les maux qui étaient survenus. »  A la honte éter­nelle de la réforme et des scélérats qui la propageaient par la force, le droit et la justice succombèrent sous la violence et ce fut grâce à une intervention étrangère que l'on parvint à éteindre dans le sang les gémissements et les plaintes du peuple opprimé.  L'hé­résie fut sans pitié, comme elle était sans principe  et sans règle. Des bandes  d'aventuriers allemands,  espagnols,  italiens que le protecteur avait appelés pour une expédition contre l'Ecosse, sau­vèrent l'anglicanisme et l'empêchèrent de tomber sous le mépris et la fureur du peuple. La répression fut implacable : on appliqua la loi martiale dans toute sa rigueur et des  exécutions multipliées vinrent encore décimer les populations que la tyrannie, la misère et le désespoir poussaient à la révolte.

 

   82. Il y a une justice éternelle, et si le châtiment vient d'un pied boiteux, il vient toujours. La révolution religieuse, surtout, ressemble à Saturne, dévore ses propres enfants. Pendant que le sang coule à flots sur les échafauds et sur les champs de ba­taille, les gros prébendiers du schisme, pour se maintenir à tout prix en possession de leurs rapines, jettent à leurs malheureuses victimes l'injure et l'anathème. Implacable et ignoble vengeance de l'hérésie qui refusait de reconnaître son crime ; ces tempêtes, dont l'Angleterre était agitée, venaient plus de la faute des gou­vernants que de l'impatience du peuple à vivre dans la soumission. Cranmer, plus que tout autre, refusait d'en reconnaître la vérita­ble origine. Soit orgueil de sectaire, soit aveuglement, il semblait n'avoir d'yeux que pour surveiller et dompter les mouvements de l'opinion publique. Malgré tout, son œuvre impie n'avançait pas

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selon ses désirs et ses espérances.  Si peu de  succès après tant de mesures pour faire fleurir son Eglise établie par la loi.   Aussi crut-il nécessaire de frapper quelques nouveaux coups; il fit des­cendre de leurs sièges, Umstal  de Durham, Heat de Rochester, Bonner de Londres et Gardiner de Winchester. Ces deux derniers, déjà enfermés à la Tour de Londres, furent remplacés par Kidky et Poynet, créatures du métropolitain. L'audace de ces sectaire5, qui prêchaient partout, en tyrans, la liberté évangélique, alla jus­qu'à poursuivre de ses clameurs et de  ses menaces,  la  princesse Marie, fille de Catherine d'Aragon et de Henri VIII. Pour les  faire renoncer à la violence, il ne fallut rien moins que  la fermeté iné­branlable de cette princesse et la menace d'une guerre de la  part de Charles-Quint. Le fanatisme des sectaires et des intrigants était parvenu à persuader à Edouard qu'il ne pouvait  plus, en conscience, tolérer la liberté religieuse de  sa  sœur aînée. Édouard consulta ses évêques; ils lui répondirent que permettre le  péché était un péché, et qu'il ne pouvait être permis de conniver au pé­ché, que dans le cas où le délai ne serait ni long, ni sans espoir de résipiscence. « Cette distinction, dit le protestant Collier était trop délicate pour la  conscience du roi. Lui-même s'en  exprima avec une inquiétude bien marquée, fondant en larmes et déclarant qu'il courrait les plus  grands hasards plutôt que d’accorder une si  étrange permission 1 de persécuter sa sœur Marie.

 

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