Carloman et Pépin le Bref 5

Darras tome 17 p. 245

 

8. « Libre dès lors, le pape choisit, parmi le clergé romain qui l'avait accompagné jusque-là, les évêques Georges d'Ostie et Villarius de Numentum 1 (aujourd'hui Lamentana) ; les prêtres Léon, Philippe, Georges et Etienne ; l'archidiacre Théophylacte, les deux diacres    

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1 La ville de Numentum, dans la Sabine, sur l'Allia, a donné son nom. à l'une des portes  de Home et à la voie Nomentane, qui allait se joindre à la vote Salaria.

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p246 PONTIFICAT D'ETIENNE III  ("u2-7o").

 

Pardus et Gemmulus 1 ; le primicier Ambroise; les diacres régionnaires Boniface, Léon et Christophe. Avec eux et les autres per­sonnes de service, il quitta Pavie le 10 novembre, indiction VIIe (733) et prit la route de France. Astolphe essaya encore de le faire revenir sur ses pas. Les messages multipliés du roi lombard en ce sens n'eurent d'autre résultat que de hâter la marche du pontife. Etienne voyagea avec une incroyable célérité jusqu'à Cluses, sur la frontière des Francs. En mettant le pied sur leur territoire, le pape et tous ceux qui l'accompagnaient rendirent grâces au Dieu tout-puissant. Il était convenu qu'une ambassade solennelle du roi Pépin vien­drait attendre le pape au monastère de Saint-Maurice (Agaune). Etienne, grâce à la rapidité de sa marche, y arriva le premier : les ambassadeurs francs, Fulrad abbé de Saint-Denis et le duc Rothald, l'y rejoignirent avec une somptueuse escorte ; ils rendirent les plus magnifiques honneurs au pontife et traversèrent avec lui la France pour le conduire à leur roi. Pépin était alors dans un de ses palais, nommé Pons Ygonis (Ponthion 2). Il envoya son fils aîné, Charles, avec une escorte d'optimates, à la rencontre du pontife jusqu'à une distance de cent milles. Lui-même, ainsi que la reine Berthe, ses enfants et toute la cour, il s'avança à environ trois milles. En abordant le pape, il descendit de cheval, se pros­terna à terre en grande humilité, ainsi que sa femme, ses fils et les optimates, et reçut ainsi la bénédiction pontificale. Il voulut en­suite se placer à côté de l'écuyer du pape, comme pour faire fonction de strator (courrier). Le très-bienheureux Etienne com­mença alors le chant d'action de grâces 3, que toutes les voix con­tinuèrent, et ce fut ainsi qu'au chant des hymnes et des cantiques spirituels on arriva au palais, le 6 janvier 754, fête de l'apparition

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1 Le diacre Gemmulus était en correspondance suivie avec saint Boniface de Mayence. Il était, si l'on peut parler ainsi, son agent habituel à Rome. (CL S. Bouifac.j Epist. lvjii, lu, lsxkvi; Patr. lat., toux. LXXX1I, col. 753, 754, 785.)

2. Aujourd'hui village de 335 habitants, à dix kilomètres E.-N.-E. de Vitry-le-François (Marne).

3 Celte parole semble indiquer le Te Deum, sans toutefois que ce chant soit spécifié d'une manière formelle.

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p247 CHAP.   III.   — NOTICE  DU  LIBER  FONTIFICALIS.

 

de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ (Epiphanie). Parvenus à l'oratoire, le pape et le roi prirent place chacun sur un trône. Le très-bienheureux pontife, s'adressant au roi très-chrétien, le supplia avec larmes de prendre en main la cause du saint-siége et de la République romaine, en faisant exécuter par Astolphe les traités de paix précédemment conclus. Pépin accueillit cette requête : il fit serment d'aider de tout son pouvoir le très-bienheureux pape, et de faire restituer par les Lombards l'exarchat de Ravenne, ainsi que toutes les provinces et cités usurpées par eux sur la république des Romains. »

 

   9.« Comme l'hiver sévissait avec rigueur, Pépin voulut accompagner le très-bienheureux pape au monastère de Saint-Denys, près la cité des Parisii, où toute la cours séjourna. Le roi très-chrétien et ses deux fils Charles et Carloman reçurent l'onction du sacre des mains du pontife, et furent solennellement couronnés rois des Francs. Quelques jours après, par suite des longues fatigues du voyage et de l'âpreté du climat, Etienne fut saisi d'une ma­ladie tellement violente que ses clercs et tous les Francs déses­péraient de le sauver. Mais l'ineffable clémence de Dieu Notre-Seigneur, qui n'abandonne jamais ceux qui placent en lui seul leur confiance, rendit miraculeusement la santé au pontife. Le jour même où tous s'attendaient à le voir mourir, il se trouva complètement guéri, et put reprendre avec Pépin des conférences où il savait faire goûter au roi, par la douceur et la grâce de son langage, des avertissements salutaires1. Au printemps, le roi se rendit à la villa Carisiacum (Quierzy-sur-Oise) pour présider l'assemblée nationale des Francs. Il exposa à ses leudes les justes griefs du pontife contre Astolphe, et, d'une commune voix, tous s'engagèrent à défendre les droits du saint-siége. »

    10. « Cependant l'impie Astolphe, avec une ruse diabolique, s'était adresse au prince Carloman, retiré depuis quelques années au monastère du bienheureux Benoit (Mont-Cassin), qu'il édifiait par

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1 Nous aurons plus loin l'occasion de faire connaître la nature des « avertissements salutaires, » sur lesquels, par discrétion, le rédacteur de la notice pontificale glisse si rapidement.

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p248 PONTiriCAT d'étieUke iii (755-757).

 

sa sainteté. Il le détermina à se rendre en France, pour engager le roi Pépin son frère à maintenir la paix avec les Lombards. Carloman s'acquitta de ce message. Pépin, qui connaissait la fourberie habituelle d'Astolphe et qui en voyait une nouvelle preuve dans cette ambassade extraordinaire, persista dans sa résolution. D'un commun accord, le pape et le roi décidèrent que Carloman ne retournerait point près d'Astolpho. Le prince-moine continua donc en France à mener la vie sainte et retirée du cloître. Du­rant son voyage, il ne voulut résider que dans les monastères, et ce fut ainsi que, rappelé à Dieu, il émigra de cette vie, l'an du Seigneur 755. Dans l'intervalle, le roi très-chrétien avait ex­pédié une ambassade à Astolphe pour le prier de rendre à la sainte Eglise et à la république des Romains toutes les provinces et villes usurpées. A cette condition, Pépin se déclarait prêt à mainte­nir les traités d'alliance précédemment conclus entre les Francs et les Lombards ; il offrait même des présents magnifiques, pourvu qu'Astolphe consentît à la restitution demandée. Ces propositions furent rejetées avec hauteur; le cœur d'Astolphe, aussi dur qu'un rocher, les repoussa à trois reprises différentes. Pépin publia alors le ban de guerre; l'armée des Francs se mit en marche, et déjà elle approchait des Alpes, lorsque le très-saint pape, dans le but d'éviter l'effusion du sung, supplia le roi très-chrétien d'en­voyer une nouvelle ambassade à Astolphe. Il espérait qu'au der­nier moment le prince lombard, comprenant le danger de sa position, reviendrait enfin à des sentiments de modération et de justice. Des envoyés francs partirent donc. Le pape, vraiment père et bon pasteur, leur remit pour Astolphe des lettres aposto­liques où il conjurait ce prince, au nom de tout ce qu'il avait de plus cher et de plus sacré, au nom de son salut éternel, de ne point assumer par son obstination la responsabilité d'une si ter­rible guerre et du sang chrétien qui allait couler à grands flots. Astolphe ne répondit que par des injures et des menaces. »

   11. « Pépin, confiant dans la protection divine, reprit aussitôt sa marche. Il envoya des avant-gardes occuper les défilés des Alpes; lui-même, accompagné du pontife, suivait avec le gros de l'ar-

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p249 CHAP.   III.   — NOTICE DU  UBER rOSTlFICAUS.'

 

mée. Astolphe, averti que les délilés n'étaient occupés que par un petit nombre de soldats francs, fondit sur eux à l'improviste, comptant sur un facile succès. Mais le juste juge, notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ, protégeait les Francs : il donna à cette poi­gnée d'hommes la victoire. Les nombreux bataillons lombards furent taillés en pièces ; Astolphe lui-même n'échappa qu'à grand'peine à la poursuite des Francs, et courut se renfermer dans Pavie sa capitale. Tout son camp tomba au pouvoir des vainqueurs. Pépin arriva bientôt, et avec toutes ses forces vint mettre le siège devant Pavie. Durant quelques jours, on combattit héroïquement de part et d'autre. Alors le très-bienheureux et angélique pape supplia encore Pépin de mettre un terme à ces batailles meur­trières, et d'épargner le sang des chrétiens. Il offrit son inter­vention près du roi lombard pour le décider à la paix. Astolphe céda enfin, et la paix si chère à Dieu fut solennellement conclue entre les Romains, les Francs et les Lombards. Astolphe avec tous ses ducs jura, sous la foi des serments les plus terribles, de restituer l'exarchat de Ravenne et les autres villes usurpées. Il apposa sa signature à la page du traité qui énumérait toutes les conventions en détail. Pépin reçut de lui des otages et retourna dans ses états (754). [Le pape de son côté revint à Rome, escorté par le prince Hiéronyme, frère du roi très-chrétien, et par une nombreuse suite d'optimales francs. Aux portes de la ville, dans le champ dit de Néron, le très-bienheureux pontife vit venir à sa ren­contre le clergé de Rome, précédé des croix paroissiales et chan­tant les hymnes sacrés. Une multitude immense de peuple faisait retentir l'air d'acclamations triomphales. Il revient notre pasteur et notre père! disaient toutes les voix. Après Dieu, c'est lui qui nous a sauvés1. ] »

 

   12. « Mais Astolphe n'avait jamais eu l'intention de tenir des promesses que la force seule lui avait arrachées. Ce roi parjure différa     

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1 Ce passage ne se trouve point dans le texte officiel du Liber Pontificalis : nous l’empruntons au manuscrit de Marquard Frelier, cité dans les variantes. Cf. i» Lib. Pontifie.; noi. 2Ï0; Po.tr. la*.., toru. CXXV111 , col. 1107.

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p250 pontificat d'étienne iii (752-757),

 

d'abord, sous divers prétextes, d'exécuter la restitution convenue. Enfin, ne prenant plus la peine de dissimuler ses fureurs et sa soif de vengeance, il publia le ban de guerre, réunit toutes les armées lombardes et parut sous les murs de Rome. Durant trois mois, il maintint le siège, livrant chaque jour des assauts, détruisant par le fer et le feu tout ce qui était en dehors des remparts. Il se promettait de faire subir le même sort à la ville elle-même, quand il la tien­drait en son pouvoir. Dans sa rage, on le vit porter une main sacrilège sur les tombeaux des catacombes, et jeter au vent la cendre des martyrs. Pépin ne tarda guère à être informé de ces événements. Le très-bienheureux pape réussit à lui faire tenir, par la voie de mer, un message dont se chargea un religieux franc, Warnerius, envoyé de Pépin à Rome. Dans sa lettre, le pape racontait la nouvelle entreprise d'Astolphe; il adjurait Pépin de tenir le serment prêté par lui au bienheureux Pierre et de délivrer l'église romaine des poursuites d'un ennemi acharné. Le roi très-chrétien n'hésita pas un instant. Il franchit de nouveau les Alpes avec son armée, et détruisit sur son passage les forteresses élevées par les Lombards dans les défilés des montagnes. Sur les entre­faites, deux ambassadeurs byzanlins, le protosyncelle Grégoire et le silentiaire Jean, arrivèrent à Rome, chargés d'une mission de l'empereur Constantin pour le roi des Francs 1. Le très-bienheu­reux pape leur fit connaître sa négociation avec Pépin et la pro­chaine arrivée de ce prince. Les messagers impériaux parurent aussi surpris que troublés de cette nouvelle; ils refusaient même d'y ajouter foi. Etienne leur offrit le moyen de s'en convaincre; il mit à leur disposition un navire, leur adjoignit un légat du siège apostolique et les fit embarquer pour Marseille, où ils arrivèrent le plus promptement qu'il leur fut possible. Là, ils apprirent que

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1 Nous verrons plus loin, n° 39 de ce présent chapitre, qu'au moment où les ambassadeurs grecs arrivèrent à Rome, Astolpbe venait de lever le siège de cette ville et de se porter en toute hâte au pied des Alpes, pour en disputer le passage au roi des Francs. Cette circonstance explique la facilité avec laquelle les négociateurs byzantins pénétrèrent près du pape, et purent ensuite continuer leur voyage.

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p251 CHAP.   III.     NOTICE  DU  LIBER   FO.NTIFICALIS.

 

le roi des Francs, à la requête du pontife, avait déjà pénétré sur le territoire lombard. Dissimulant de leur mieux le chagrin que leur causait cet événement, ils s'efforcèrent de retenir quelques jours le légat à Marseille, où le silentiaire Jean resta lui-même, pendant que son collègue, le protosyncelle Grégoire, se dirigeait en toute, hâte vers la Lombardie pour s'y aboucher avec Pépin. Il rejoignit le prince sous les murs de Pavie, et se félicitait d'avoir pu de la sorte prévenir l'arrivée du légat; mais ce fut son seul succès. Vainement il essaya d'arracher au roi très-chrétien la promesse de rétablir l'exarchat de Ravenne sous la domination de l'empereur; vainement il offrit de la part de son maître les récompenses les plus magnifiques. Aucune raison, répondit Pépin, ne sera capable de me faire enlever de nouveau ces provinces au pouvoir du bien­heureux Pierre, à la juridiction de l'église romaine et du pontife assis sur le siège apostolique. Je l'affirme par serment, si je me suis tant de fois exposé au hasard des batailles, dans cette lutte contre Astolphe, ce n'est point par des considérations humaines, mais uniquement par amour envers le bienheureux Pierre, et pour obtenir le pardon de mes péchés. Tous les trésors du monde ne me feraient point retirer au prince des apôtres ce que je lui ai une fois offert: — L'envoyé impérial prit congé sur cette réponse, et retourna à Rome. »

 

   13. «Astolphe, en apprenant que Pépin avait mis le siège devant Pavie, se hâta de lui envoyer des ambassadeurs pour implorer sa clémence et l'assurer qu'enfin il allait exécuter les clauses du traité, et faire la restitution convenue. Il la fit réellement, et y ajouta,       comme donation-personnelle et volontaire, le castrum Comiaclum, (Comacchio),  qui avait jusque-là fait partie du domaine des rois lombards. Un acte authentique, encore aujourd'hui conservé dans les archives de la sainte église romaine, faisait abandon de tontes ces provinces au bienheureux Pierre et à tous les pontifes du siège apostolique à perpétuité:  Pépin délégua son conseiller, le véné­rable abbé et prêtre Fulrad, pour recevoir d'Astolpbe les territoires concédés et les remettre aux mains du pape Etienne. Ayant ainsi terminé le débat, le roi très-chrétien reprit la route de France.

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p252 PONTincAT d'ltienne in (752-757).

 

    Fulrad, escorté des plénipotentiaires d'Astolphe, parcourut la pro­vince de Ravenne, reçut la soumission des cités de la Pentapole et de l'Emilie, prenant partout des otages, et se rendit à Rome, accompa­gné des principaux citoyens de chaque ville, pour en offrir les clefs au pape. Ce fut un spectacle solennel quand l'envoyé franc déposa sur la confession de saint Pierre la donation souscrite par le roi Pépin en faveur du prince des apôtres, de son vicaire le très-saint pape Etienne et de tous les pontifes ses successeurs à perpétuité. A côté du diplôme étaient rangées les clefs de Ravenne, Rimini, Pesaro, Fano, Césène,  Sinigaglia, Iesi ,Forum Pompilii (Forlimpopoli),Forum Livii(Forji) et
le castrum Sussubio, Montemferetri (Montefeltro), Acerragio, Monte di Lucaro, Serra, le castellum Sancti Mariani (Saint-Marin), Bobro, Urbino, Cagli, Luceoli, Eugubium (Gubbio), Comacchio et Narni1,
cette cité que depuis tant d'années les ducs de Spolète avaient usurpée sur le duché romain. Pendant que s'accomplissait à Rome Cette investiture, Astolphe mourait prématurément à Pavie. Dans une chasse au sanglier, il fut frappé d'un coup de boutoir par l'animal furieux2, et quelques heures plus tard il expirait (756). »

   14. « A cette nouvelle, un duc lombard, Desiderius (Didier), auquel Astolphc avait confié le gouvernement de la Toscane, ras- sembla toutes les troupes de cette province et voulut se faire pro­clamer roi. Mais un parti, composé des principaux optimales, ayant offert la couronne au vieux roi Ratchis, frère d'Astolphe, détermina ce prince à quitter le Mont-Cassin et l'habit religieux pour reprendre les rênes du gouvernement. Une armée lombarde, renforcée par des auxiliaires recrutés au delà des Alpes, se rangea sous les drapeaux de Ratchis, et la guerre civile allait commencer. Didier s'adressa au très-bienheureux pape, et le supplia de confirmer son élection par l'autorité apostolique, lui jurant pour l'avenir une fidélité invio­lable, ratifiant les concessions faites par Astoiphe et en promettant

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1 Nous empruntons a Muratori (Annal, liai.) l'identification des localités énumérées par le Liber pontificalis.

2. Le Liber Pontificalis se contente de dire : Aistulfus in venationem pergens, iclu divino percussus, defunctus est. Nous complétons son récit par les détails que fournissent à ce sujet les chroniqueurs contemporains.

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p253 CHAP.   III.      NOTICE   DU   LIBER   PONTIFICALIS.

 

même de nouvelles. Par le conseil du vénérable abbé Fulrad, Etienne, en sa qualité de père et de pasteur des chrétiens, accueil­lit cette proposition. Il fit partir son frère l'archidiacre Paul et le conseiller Christophore en Toscane, pour s'entendre avec Didier. Celui-ci renouvela aux légats apostoliques les promesses faites au pape : elles furent rédigées par écrit; le duc les signa de sa main, et les confirma par un serment solennel. Après cette assurance, le pape adressa à Ratchis et à toute la nation des Lombards, par l'in­termédiaire du vénérable prêtre Etienne 1, une lettre apostolique où il exhortait le vieux roi à rentrer dans son monastère et la na­tion à reconnaître l'autorité de Didier. En même temps, le véné­rable Fulrad se rendait avec les seigneurs francs de sa suite au camp du duc de Toscane. Là, il déclara solennellement que Pépin reconnaissait Didier pour roi légitime des Lombards et l'admettait dans son alliance. Dieu permit que toutes ces mesures fussent couronnées d'un plein succès. Les ducs se soumirent à la voix du pontife, et Didier fut proclamé roi, sans que son élévation eût fait couler une goutte de sang. »

 

15. « Didier exécuta sa promesse, il fit remettre au pape la cité de Faenza, le castrum Tiberiacum et tout le duché de Ferrare. C'est ainsi que la miséricordieuse Providence dilatait la répu­blique romaine, multipliant le troupeau sous la main d'un pas­teur qui savait exposer sa vie et se sacrifier lui-même pour le salut de son peuple. Le bienheureux Etienne fut alors rappelé à Dieu : il termina sa vie mortelle, et émigra au repos de l'éternité. En une ordination au mois de mars, il avait consacré onze prêtres, deux diacres, et vingt évêques destinés à diverses églises. [Durant son séjour en France, il avait conféré le pallium et le titre d'ar­chevêque au très-bienheureux Chrodegang 2]. Après lui, la vacance du siège dura trente-cinq jours. Il fut enseveli dans la basilique du

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1. Le même que nous verrons succéder à Paul Ier sur le siège aposto­lique.

2. Ce passage, qui manque au texte officiel du Liber Pontificalis, est extrait d'un manuscrit de cet ouvrage provenant de la bibliothèque de l'historien De Thou. (Cf. Not. 256 in Lib. Pontifie, tom. cit., col. 11H.|

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p254  PONTIficat d'Etienne m (752-757).

 

bienheureux Pierre prince des apôtres, le VI des calendes de mai, indiction Xe (26 avril 757 1). »

 

16. Le pontificat d'Etienne III inaugura la souveraineté tempo­relle des papes. Nous n'avons plus le texte de la donation déposée au nom de Pépin le Bref par Fulrad sur la confession de Saint-Pierre ; celui de l'assemblée nationale de Quierzy-sur-Oise, où d'avance le roi très-chrétien et ses leudes s'engageaient à donner au saint-siége les provinces qu'ils allaient conquérir sur les Lombards, est resté inconnu jusqu'à ces dernières années, en sorte que la notice du Liber Pontificalis, telle qu'elle vient de passer sous les yeux du lecteur, semblait constituer à elle seule la charte d'investiture de la royauté des papes. On conçoit dès lors l'importance exceptionnelle de ce monument. Les plus hautes intelligences de notre siècle, hommes d'État, législateurs, philosophes, historiens2, adversaires ou défen­seurs de l'Église, ont étudié cette notice avec un égal intérêt, les uns pour la dénigrer et en amoindrir la signification, les autres

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1. lib. Pontifie; Patr. lai., tom. CXXVIII, col. 1083-1102.

2. On se rappelle les ardentes discussions soulevées dans les chambres françaises, à l'époque où se préparait, au rebours de la politique de Quierzy-sur-Oise, l'expédition qui devait avoir pour conséquence dernière la spolia­tion dont le saint-siége est victime aujourd'hui. M. Bonjean, dont la coura­geuse mort a depuis effacé glorieusement les regrettables erreurs, reproduisait la these de M. Dupin; il soutenait que les donations de Pépin et de Charlemagne étaient fort problématiques. «La cour de Rome, disait-il n'en a jamais pu produire ni des originaux, ni des copies authentiques. On ne saurait nier que ces deux rois n'aient fait quelque chose en faveur des évêques de Rome; mais on ignorerait quelles furent l'étendue du territoire donné et la nature du droit concédé au pape, si les faits ne prouvaient que ces dona­tions ne constituèrent aucun droit de souveraineté, mais seulement un do­maine utile. Anastase, qui a parlé de ces donations devait être assez mal informé; enfin Eginhard, qui devait l'être mieux, n'en dit pas un mot. » (M. Bonjean, Du pouvoir temporel de la papauté', pag. 112 et 114.) Dans ces pa­roles, le lecteur entend le sommaire de la thèse soutenue par tous les historiens hostiles à l'Eglise. Nous en démontrerons la fausseté par des textes authentiques. La liste des écrivains qui ont, de nos jours, réfuté ces asser­tions erronées est aussi nombreuse que brillante. Nous nous bornerons à indiquer les principaux : Cal Matthieu, Le pouvoir temporel des papes justifié par l'histoire, Paris, Adrien Leclère, 1863; Observations du cardinal Matthieu sur l'ouvrage intitulé, Du pouvoir temporel de la papauté, par M. Bonjean, 1862. — Çal Grassellini, Tableau historique du domaine temporel des papes, 1863. —

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p255 CHAPITRE   III.     NOTICE   DU  LIBER  PONTIFICALIS.


pour en soutenir l'intégrale authenticité. Les plus hostiles d'ailleurs sont forcés de convenir que Pépin le Bref a réellement, de la même main qui venait de contresigner la victoire, souscrit une donation en faveur des papes ; ils se bornent à contester l'étendue et le royal caractère de cette investiture. Ne pouvant, nier la concession, ils essayent de la réduire aux limites d'une donation particulière, n'emportant aucun droit de souveraineté. Le fait en lui-même est le plus considérable de l'histoire ; il a créé la royauté temporelle du saint-siége, et celle-ci est encore, à l'heure présente, la clef de voûte des états européens. Ébranlée, elle fait crouler le monde. L'acte de piété de Pépin le Bref, complétant celui du grand Constantin et préparant celui de Charlemagne, a posé un principe contre lequel l'impiété de tous les persécuteurs subséquents a vainement tenté de réagir. «Voulant choisir le prince des apôtres pour interces­seur auprès de Dieu, avait dit Constantin le Grand, il me paraît convenable d'investir d'un pouvoir terrestre les évêques de Rome, successeurs de saint Pierre 1. » Pépin le Bref tint exactement, le même langage. « Je l'affirme par serment, disait-il, j'agis unique­ment par amour envers le bienheureux Pierre et pour obtenir le pardon de mes péchés. » L'acte de foi du prince carlovingien, qui éleva si haut la France et le monde catholique, mérite tous nos hommages, en un temps où l'incrédulité moderne a si profondé­ment abaissé et la France et le monde. Nous avons donc le devoir de mettre ce grand fait en pleine lumière.

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Mgr Pavy, évêque d'Alger, Esquisse d'un traité sur la souveraineté temporelle des papes. 1860. — John Miley, Histoire des états du pape, trad. de l'anglais, par Ch. Ouin-Lacroix, 1851. — M. de L'Épinois, Le gouvernement des papes et les révolutions dans les états de l'Église, d'après les documents authentiques extraits des archives secrètes du Vatican et autres sources italiennes, 1866. — Ce dernier ouvrage présente un résumé sérieux et approfondi des matériaux considé­rables réunis dans le Codex diplomaticus dominii temporalis sanctœ-sedis, publié par ordre de Pie IX à l'imprimerie du Vatican 3 vol. ia-fol.. 1861-1862.

1. Cf. tom. IX de cette Histoire, pag. 164.

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