Hagiographie des Gaules 7

Darras tome 14 p. 600

 

   19. Dans le même temps, un autre saint pontife illustrait le siège épiscopal des Parisii. Comme le thaumaturge d'Auxerre, il se nom­mait Germanus (Germain), et en faisait revivre les vertus et la gloire. Fortunat, qui nous a laissé les actes de saint Germain de Paris, semblera peut-être fort étrange à la délicatesse de notre siècle. Nous n'hésitons cependant pas à reproduire son récit. Les enseignements qui en ressortent n'ont jamais été plus nécessaires. « Le bienheureux Germain, dit-il, naquit au territoire d'Augustodunum (Autun), vers l'an 500. Son père se nommait Eleutherius et sa mère Eusebia. Tous deux étaient de noble race et honorés dans le pays. Eusebia relevait à peine de couches, lorsqu'une nouvelle grossesse se déclara, à son grand désespoir. Elle essaya de faire mourir, à l'aide du poison, l'enfant qu'elle portait dans son sein. Le poison n'eut point d'effet; elle chercha à étouffer ce que le poison ne tuait pas. Ces tentatives monstrueuses furent vaines, et

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1 Fortunat. et Radbod., Vit. S. Medard., loc. cit.

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Germain vit le jour. Dieu voulait que la mère fût sauvée par le fils que cette mère répudiait. De bonne heure, Germain fut éloigné de la maison paternelle. On le confia à des parents qui habitaient le Castrum Avallonis (Avallon). Germain fréquentait les écoles en compagnie du jeune Stratidius son cousin. La mère de ce dernier reprit l'œuvre manquée d'Eusebia. Un jour, elle remit à la ser­vante deux fioles d'eau rougie que celle-ci devait donner aux en­fants à leur départ pour l'école. Dans l'une se trouvait un poison violent destiné à Germain. La servante se trompa et remit à Stra­tidius la fiole empoisonnée. L'effet ne tarda point à se produire. Stratidius se débattit dans des convulsions effroyables. Sa mère fondant en larmes reprochait à la servante sa méprise. A force de soins, l'enfant fut sauvé, mais le poison laissa sur son visage des plaques blanchâtres qui ne s'effacèrent jamais. A la suite de cet incident, Germain quitta Avallon et se rendit à Lausia (Luzy)1, où il fut recueilli par un saint anachorète, nommé Scopilio. Celui-ci éleva l'enfant dans des sentiments de foi vive et de fervente piété. Sa cellule était à un mille de distance du cicus, ce qui ne l'empê­chait pas, durant les plus rudes chaleurs de l'été ou les froids les plus rigoureux de l'hiver, de venir avec son jeune pupille assister aux offices du jour et de la nuit dans l'église. Après quinze années de séjour à Lausia, Germain fut ordonné diacre par le bienheureux Agrippinus, évêque d'Autun2, et trois ans après élevé au sacer­doce. Plus tard, le pontife Nectaire, successeur d'Agrippinus, plaça Germain à la tête du monastère de Saint-Symphorien d'Autun. Le nouvel abbé se distingua par son abstinence, ses veilles, ses aumônes. Un jour qu'il avait distribué aux pauvres toutes les pro­visions, il ne resta pas un seul pain pour le repas des religieux. Ceux-ci se révoltèrent contre Germain, qui fut obligé de se ren­fermer dans sa cellule. Là, pleurant amèrement, il adressa sa prière au Seigneur. En ce moment, arrivait à la porte du monastère une pieuse matrone, nommée Anna; elle s'était fait suivre de deux

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1. Luzy est actuellement un chef-lieu de canton du département de la Nièvre, à sept lieues de Château-Chinon. — 2. Agrippinus monta sur le siège d'Autun vers l'an 525. Nectaire lui succéda vere l'an 540.

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chevaux chargés de pain. Le lendemain elle renouvela cette lar­gesse et envoya un chariot rempli de blé. A partir de ce jour, les moines respectèrent leur abbé comme un thaumaturge. A quelque temps de là, un frère nommé Amandus, s'étant rendu au grenier à foin avec une lampe allumée, y mit le feu par mégarde. En un instant la flamme s'éleva jusqu'au ciel. Or, le bienheureux Germain prenait alors son repas du soir. Il saisit au foyer de la cuisine une marmite pleine d'eau, monta au grenier en chantant l’Alléluia, puis, traçant le signe de la croix, il versa quelques gouttes d'eau sur la masse embrasée. Elles suffirent pour éteindre subitement un incendie, qui aurait demandé en toute autre circonstance un fleuve tout entier. Le bienheureux Agricola, évêque de Cabillonum (Châ-lons-sur-Saône) 1, avait un cubicularius (valet de chambre) qui tomba gravement malade et bientôt fut à toute extrémité. L'évêque fit partir aussitôt un messager à Autun, priant le bienheureux Germain d'intercéder près du Seigneur en faveur du moribond. Germain se prosterna près du tombeau de saint Svmphorien et pria. Or, quand le messager rentra à Cabillonum, il vit accourir à sa rencontre le cubicularius parfaitement guéri. Il arriva que Ger­main fut obligé de se rendre à Châlons pour y entretenir le roi Théodebert de certaines villas appartenant à l'église d'Autun, dont la libre jouissance était disputée par quelques spoliateurs. En po­sant le pied dans le palais, l'abbé s'inspira de son amour pour saint Symphorien. L'Esprit de Dieu répandit sur son visage une telle majesté que, sans même attendre la fin de la requête, le roi accorda au bienheureux abbé tout ce qu'il demandait. Il prit ses conseils pour ce qui regardait le salut de son âme. Germain, doué d'un esprit prophétique, avertit le roi de se préparer à paraître bientôt devant Dieu, parce que sa fin était proche. Théodebert reçut cette communication de la bouche du saint, comme si elle lui fût venue d'un un ange du ciel. Il fit pieusement ses dernières dispositions et mourut quelque temps après (548). Un miracle non moins si-

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1 L'épiscopat de siint Agricol de Chalon-sur-Saône dura depuis l'an 532 jusqu'à l'an 580.

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gnalé eut lieu au pagm Alisiensis (Alise). L'épouse du noble Vulfarius, nommée Destasia, était à l'agonie. Depuis deux jours, elle avait perdu la parole et la connaissance. On n'attendait que son dernier soupir. En ce moment, un prêtre, qui était allé chercher des eulogies près du bienheureux Germain, ouvrit de force les dents serrées de la malade et y introduisit quelques gouttes de la liqueur bénite. Aussitôt la respiration se rétablit, les yeux se rou­vrirent, le visage se colora, et la moribonde rendue à la vie se leva sur son séant, et devant les assistants étonnés rendit grâces au bienheureux Germain de saguérison. Depuis lors, ajoute Fortunat, cette femme n'a jamais manqué à pareil jour d'offrir au tombeau de saint Symphorien un tribut annuel pour la rançon de sa vie. C'était près de ce saint tombeau que Germain passait toutes les nuits en prières, et que Dieu se communiquait à son serviteur par des révé­lations prophétiques. Dans une vision, un vieillard vénérable lui ap­parut et lui présenta les clefs de la ville des Parisii. —Que signifie ce présent? demanda Germain. — Je vous apporte, répondit le vieil­lard, les clefs d'une ville dont vous serez le protecteur et le père. — Quatre ans après, l'évêque de Paris étant venu à mourir, le clergé et le peuple élurent unanimement Germain pour son successeur. Le roi Childebert joignit ses instances aux leurs pour vaincre la résistance du pieux abbé. L'ordination pontificale eut lieu; mais, ce que fut le nouvel évêque, quelle charité, quel zèle infatigable il déploya dans sa charge pastorale, les grandes choses qu'il accomplit, nulle langue humaine ne saurait le redire, car toutes ses œuvres furent au-dessus de la nature humaine. Pontife par les fonctions, il resta moine par le genre de vie. Ses absti­nences, ses veilles, ses macérations redoublèrent. Vieillard, il passait en prières et sans feu les nuits de l'hiver, affrontant les glaces de l'âge et celles de la saison. La plus robuste jeunesse n'aurait pu résister à cette fatigue. Germain s'oubliait lui-même dans la victoire qu'il voulait remporter sur son corps: on eût dit qu'avec la dignité épiscopale lui était survenue une indigence plus grande. Dieu seul, qui les a comptées, sait le chiffre des aumônes qui passèrent par ses mains dans celles des pauvres, et qui prove-

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naient des revenus ecclésiastiques, des oblations du peuple des largesses royales. Un jour, le roi Childebert lui envoya six mille solidi d'or. Germain alla immédiatement au palais pour remercier le prince, et durant le trajet il en distribua trois mille aux pauvres qui se présentèrent à lui. Vous reste-t-il encore de l'argent? demanda le roi. — J'ai encore la moitié de ce que vous venez de m'envoyer, répondit Germain. Il ne s'est point trouvé assez de pauvres sur ma route pour épuiser la somme entière. — Seigneur, reprit le roi, distribuez tout ce qui reste. Avec la faveur du Christ, nous aurons toujours de quoi donner. — Et brisant les vases d'or et d'argent qu'il trouva sous sa main, Childebert en remit les précieux fragments à l'évoque 1. » L'aumône par excel­lence, à cette époque de guerres fréquentes et de servitude légale, était, nous l'avons vu, le rachat des captifs, la rançon des prison­niers faits les armes à la main, la mise en liberté des esclaves. «Jusqu'où le bienheureux Germain étendait cette œuvre de ré­demption, continue Fortunat, je ne saurais mieux le dire qu'en faisant appel au témoignage de toutes les nations voisines. Les Espagnols, les Scots, les Bretons, les Burgondes, les Saxons, ac­couraient près du saint, afin d'en obtenir le bienfait de la déli­vrance. Quand il manquait d'argent pour les racheter, on le voyait s'asseoir triste et désolé, le front pensif, la parole brève et con­trainte. Si dans ces circonstances il était invité à quelque festin, il faisait une collecte parmi les convives, et quand les sommes re­cueillies lui permettaient de racheter au moins un captif, on voyait la sérénité reparaître sur son visage. Parfois le Seigneur lui ménageait un secours inattendu de la part de quelque bienfaiteur ignoré. D'ordinaire, le saint en avait d'avance la révélation, et il disait : Rendons grâces à la clémence divine. Le prix de votre rançon sera bientôt entre mes mains. — La prédiction ne tardait pas à se réaliser; le saint vieillard, souriant avec une angélique bonté, retrouvait toute l'ardeur et la vivacité de la jeunesse pour

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1 Fortunat., Vit. S. German. Paris, episc, cap. I-xill; Patr. lat., t. LXXXVIII, col. 453-459.

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courir annoncer la bonne nouvelle à ses protégés. On eût dit que pour les délivrer il s'était fait leur propre esclave1. — Un jour, le roi Childebert lui fit présent d'un cheval de selle, dont le bienheu­reux avait besoin pour ses courses apostoliques, et le pria de le garder en mémoire de lui et de ne le donner à personne. Mais le saint évêque ayant rencontré un captif dont il ne pouvait payer autrement la rançon, vendit le cheval et délivra l'esclave. La prière d'un pauvre l'avait emporté dans son cœur sur celle du roi lui-même2. » On voit que, sous l'influence du saint pontife, le roi Franc, dans la dernière partie de sa vie, cherchait à expier par des œuvres de miséricorde les crimes de sa jeunesse. Ultrogotha, sa femme, le secondait par des exemples de vertu qui devaient lui mériter l'auréole des saints. Tous deux construisirent une magni­fique église en l'honneur de saint Vincent, dont Childebert, au re­tour d'une expédition contre les Visigoths d'Espagne, avait rap­porté une relique insigne. A cette église, qui devait plus tard porter le nom de saint Germain lui-même, les royaux fondateurs adjoignirent un monastère dont l'illustre évêque confia la direction à Droctoveus (saint Droctovée), l'un des religieux qu'il avait formés lui-même à la discipline monastique à Saint-Symphorien d'Autun. Quelque temps après, Childebert étant tombé malade dans sa villa de Calœ (Chelles), Germain alla le visiter. L'indisposition du prince avait pris un tel caractère de gravité, que les médecins désespé­raient de le rappeler à la vie. Germain passa la nuit en prières, agenouillé près du lit. Au matin, il se leva et imposa les mains au malade. En ce moment, le roi se sentit complètement guéri. Il se leva, et fit aussitôt rédiger un acte par lequel il donnait à l'église de Paris et à l'évêque Germain la terre et le domaine royal de Calœ, où il venait d'être l'objet de cette guérison miraculeuse. Childebert mourut le 13 décembre 558, et demanda par son testa­ment à être enterré dans la basilique de Saint-Vincent, dédiée par Germain. Ultrogotha, qui survécut quelques années à son royal

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1 Vit. S. German., cap. lxxiv; ibid., col. 476. —2. Vit. S. German., cap. xxil ; ibid., col. 462.

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époux, y choisit également sa sépulture. Clotaire I, devenu maître de toute la monarchie de Glovis, quitta Soissons et vint fixer sa ré­sidence à Paris. Il ne parut point d'abord favorablement disposé pour le saint évêque. « Suivant la coutume observée vis-à-vis des rois, dit Fortunat, Germain se rendit au palais pour y rendre sa première visite à Clotaire. Mais, soit que les serviteurs royaux n'eussent pas prévenu leur maître, soit que celui-ci voulût afficher ostensiblement son dédain, l'évêque ne fut pas introduit. Il resta longtemps sous le vestibule; enfin il prit le parti de se retirer. La nuit suivante, pendant que le saint priait à son ordinaire, renfermé dans son oratoire, le roi fut saisi d'une violente fièvre, accompa­gnée de vives et poignantes douleurs. Dès l'aube, les grands et les officiers du palais accoururent à l'église où se trouvait Germain, le suppliant de venir par sa présence guérir le roi. Germain, sans même parler de ce qui était arrivé la veille, les suivit et entra avec une escorte d'honneur dans ce palais où quelques heures aupara­vant on n'avait pas daigné l'admettre. A sa vue, le roi fit effort pour sortir de son lit de douleur. La justice divine me punit! dit-il. — Et se traînant à genoux, il baisa le bord du manteau du saint évêque, l'appliqua sur le côté où il ressentait la douleur. Cepen­dant il confessait sa faute et demandait pardon. En cet instant, il fut guéri, et le repentir de l'outrage fait à l'homme de Dieu devint son remède1. » Les miracles opérés par l'intercession de saint Germain s'opéraient au grand jour, et s'imposaient d'eux-mêmes à la foi reconnaissante des populations. « Ulfus, officier de la reine Chlodosinthe, fille de Clotaire et plus tard épouse du roi des Lom­bards, Àlboin, fut saisi d'une fièvre chaude accompagnée de con­vulsions terribles. Il courut près du bienheureux pontife, qui le reçut dans le baptistère de l'église, et se mit aussitôt en prières. Mais le malade, au lieu de sentir du soulagement, éprouvait une soif ardente et demandait à grands cris un peu d'eau pour éteindre l'incendie intérieur qui le dévorait. Nul ne lui en donna. Détachant alors son baudrier (balteum), il le jeta aux pieds du saint, en criant :

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1 Fortunat., Vit, S. German., cap. xxm; Pair, lat., tom. cit.. col. 162.

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