FOI CHRÉTIENNE
hier et aujourd'hui
p. 86
Face à cette conception mesquine, il faut évoquer l'épigraphe, placée par Hölderlin en tête de son Hyperion et qui pourrait nous rappeler l'image chrétienne de la vraie grandeur de Dieu: « Non
=================================
p87 LE DIEU DE LA FOI ET LE DIEU DES PHILOSOPHES
coerceri maximo, contineri tamen a minimo, divinum est ‑ ne pas être enfermé par ce qu'il y a de plus grand, se laisser enfermer par ce qu'il y a de plus petit, voilà qui est divin. »
L'Esprit infini qui porte en Lui la totalité de l'être, dépasse ce qu'il y a de plus grand, car le plus grand est peu de chose pour Lui; Il pénètre dans ce qu'il y a de plus petit, car rien n'est trop petit pour Lui. Dépasser le plus grand et pénétrer au coeur du plus petit, voilà précisément la véritable essence de l'Esprit absolu.
En même temps apparaît ici un renversement des valeurs de maximum et de minimum, de plus grand et de plus petit, qui est caractéristique de la conception chrétienne du réel.
Pour l'Esprit qui porte et embrasse tout l'univers, un esprit, un coeur d'homme capable d'aimer, dépasse en grandeur tous les systèmes de voies lactées. Les critères quantitatifs sont dépassés, un nouvel ordre de grandeurs apparaît, suivant lequel l'infinie petitesse est la véritable grandeur 16.
Un autre préjugé peut ici encore être démasqué. Il nous paraît tout naturel, en fin de compte, que l'infiniment grand, l'Esprit absolu soit exempt de sensibilité et de passion et qu'il ne soit en fait que pure mathématique de l'univers.
Spontanément, nous insinuons par là que penser est supérieur à aimer, alors que le message de l'Évangile et l'image chrétienne de Dieu corrigent en cela la philosophie, en nous apprenant que l'amour dépasse la pensée pure. La Pensée absolue est amour et non pas une Pensée indifférente; elle est créatrice parce qu'elle est amour.
En résumé, nous dirions que la foi, en se rattachant sciemment au Dieu des philosophes, a opéré deux corrections essentielles de la pensée philosophique:
a) Le Dieu des philosophes est essentiellement ordonné à lui‑même, il est pure Pensée, se contemplant elle‑même. Le Dieu de la foi, au contraire, est défini fondamentalement par la catégorie de la relation. Il est l'immensité créatrice qui embrasse la totalité.
Ainsi
=================================
p88 DIEU
se dessine une nouvelle image du monde, un ordre du monde tout nouveau: la perfection de l'être n'est plus dans l'indépendance de celui qui se suffit à lui‑même et qui subsiste en lui‑même. La réalisation suprême de l'être inclut au contraire l'élément relationnel.
Est‑il besoin de souligner quelle révolution cela doit représenter pour l'orientation existentielle de l'homme, si la grandeur suprême n'est plus constituée par l'autarcie absolue, fermée sur elle‑même, si cette grandeur est au contraire aussi relation, puissance créatrice, qui crée, porte et aime d'autres êtres...
b) Le Dieu des philosophes est Pensée pure; cela suppose à la base, la conception que la pensée, la pensée seule, est divine. Le Dieu de la foi est Amour. Pour Lui, penser, c'est aimer. Cette conception repose sur la conviction qu'aimer est divin.
Le logos de l'univers, la Pensée créatrice originelle est en même temps Amour; cette Pensée est créatrice, parce que, comme Pensée, elle est amour, et comme amour, pensée.
Il y a identité originelle entre vérité et amour; réalisées en perfection, ce ne sont pas deux réalités juxtaposées ni surtout opposées, mais elles forment un seul et même être, l'unique Absolu. Ici apparaît également le point d'attache pour la confession du Dieu un et trine, dont nous aurons à reparler.