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48. L'empereur Maximilien manifesta d'autres sentiments. Dans l'intérêt de sa tranquillité personnelle, a-t-on dit, pour la paix et le bien de son empire, dirons-nous, il se hâta de dénoncer au Pape les dangereux ferments qui menaçaient la Germanie, et qui s'étendraient sans doute au reste de la chrétienté. Il se soumettait d'avance aux décisions du Saint-Siège, promettant d'employer tout son pouvoir à les faire accepter dans tous les états de sa dépen-
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dance1. Il conjura seulement le Vicaire de Jésus-Christ, le représentant de Dieu sur la terre, d'user de son autorité pour arrêter dans les écoles et les couvents ces joutes puériles, ces vaines argumentations, vraies disputes de mots, sur les vérités primordiales et nécessaires, dont le résultat le plus clair est d'ébranler l'unité de l'Eglise et d'altérer l'intégrité de la foi, le sophisme ayant toujours été le meilleur moyen de mener les esprits au scepticisme. Léon X n'avait pas attendu pour agir la lettre de Maximilien. Eclairé par les sinistres lueurs qui sillonnaient le ciel germanique, sérieusement alarmé par les bruits avant-coureurs de la tempête, il avait imposé silence à son cœur, il était sorti de sa quiétude et de son optimisme, pour exercer ses devoirs de pasteur. Par l'intermédiaire de l'évêque d'Ascoli, son premier agent en Allemagne, il venait de mander Luther à Rome, par devant un tribunal ayant mission d'examiner les enseignements du docteur et de juger la conduite du moine. Il lui donnait un délai de soixante jours. Passé ce terme, on aurait recours à la force armée. Le Pape instruisait par une seconde lettre le cardinal Cajetan, son légat à la cour impériale, des mesures adoptées, en le chargeant d'en assurer l'exécution. Si l'accusé refusait de comparaître, il serait dès lors traité comme hérétique et placé sous le coup de l'excommunication. Quiconque lui donnerait asile après un tel éclat, et tâcherait de le soustraire à la justice pontificale, serait noté d'infamie, frappé de déchéance, qu'il fût prince ou sujet, clerc ou laïque. La citation est datée du 7 août 1518. Le 23 partait un Bref spécial à l'adresse de l'électeur de Saxe, pour réclamer son concours actif dans une aussi grave conjoncture. Le premier mouvement de Luther, en recevant la citation pontificale, fut d'obéir sans résistance et sans délai. « Mon âme est tranquille ; je ne crains pas la mort,» sent-il le besoin d'écrire à son ami Wenceslas Linck. S'il était réellement sans agitation et sans crainte, pourquoi l'affirmer avec exaltation ? Vient ensuite un dithyrambe en l'honneur de la mort, « l'auxiliaire obligée de la parole divine. »
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1 SleidaN, Hist. de la Réforme, tom. I ; — Loescher, Reformât. Acta, tom. II, pag. 370.
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49. Il voit partout les plus terribles dangers sur le chemin de Rome. Sa conviction et celle de ses partisans est qu'il n'arrivera pas au terme du voyage : il périra par le fer ou le poison ; il sera noyé peut-être, ou bien «rebaptisé, » comme il s'exprime lui-même. A chacun de ses pas surgit une lugubre apparition. Aussi ne persiste-t-il pas longtemps dans son projet d'obéissance ; il ne cherche qu'un moyen de se dérober, et ne trouve qu'un misérable subterfuge. C'est encore lui qui l'expose à Georges Spalatin, en le rejetant sur les autres. « Nos doctes amis, nos meilleurs conseillers pensent que je dois écrire au prince électeur pour lui demander un sauf-conduit. S'il me le refuse, et je sais qu'il me le refusera, j'aurai la plus légitime excuse : me voilà dispensé de partir et de comparaître à Rome1. » Bientôt il rougit de cet expédient, ou craint de réussir dans sa demande ; il prend la résolution de désobéir et prononce le mot de la révolte antique : Non serviam. Une révolution s'opère dans son âme, ou plutôt une évolution dans sa vie. La peur de l'excommunication le cède à celle de la mort ; mais elle subsiste. Il a beau protester dans une lettre à Staupitz ; il se raidit en vain sous la menace. « Je déclare n'avoir enseigné que la vérité, pas de rétractation possible. Nulle excommunication ne pourrait m'émouvoir, si ce n'est la vôtre. Il y a trop longtemps après tout que ces Romanistes nous traitent en esclaves, ou nous prennent pour des niais. Devons-nous subir encore leurs tyranniques
exigences et leurs superbes dédains ? Je suis sur les épine………. » Luther ne se trompe pas. Une chose le tourmente, la pensée que ses ennemis regarderont ou donneront comme une faiblesse, et dès lors comme un déshonneur, son refus de comparaître à Rome. Le voilà donc hésitant de nouveau, recourant à la prière, au lieu d'arborer l'étendard de la rébellion : il demande des juges, il rendra compte de sa foi, mais dans une ville allemande, Wittemberg, Augsbourg, Dresde, Leipzig, ou toute autre. Quant à se rendre en
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1 « Id visum est aniieis nostris, turu doctis, tum bene coDsulentibus, ut ego apud principem nostrum Fridericum postulera salvutn (utvocaDt) conductum. Quod ubi mihi negaverit, sicut scio mihi negaturum, justissima mihi fuerit, exceptio et excusatio... »
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Italie, ni la longueur du voyage, ni la rigueur de la saison, ni les périls qui le menacent, ni l'état de sa santé ne le lui permettent. Nous ne saurions avoir oublié que, dans une même situation, vingt ans auparavant, Savonarole prétextait les mêmes obstacles ; ajoutons cependant que le célèbre Dominicain ne manifesta jamais les craintes pusillanismes et ne joua pas le double rôle du frère Augustin. Les sollicitations de ce dernier furent d'abord stériles comme celles du premier. Les jours fixés par le Pape s'écoulaient rapidement, au milieu de ces fluctuations ; on approchait du terme, et l'accusé, s'il ne se rendait pas à l'appel, serait tenu pour contumace, ce qui n'allégerait nullement sa position.
50. L'université de Wittemberg écrit en ce moment au Souverain Pontife pour appuyer la supplique de Luther, et Frédéric de Saxe au cardinal-légat Cajetan, qui consentit à se porter pour intermédiaire. Avec son concours les négociations aboutirent ; Léon X revint sur sa décision : le moine incriminé fut dispensé de venir à Rome et dut simplement comparaître devant le cardinal. C'était un triomphe, dira-t-on, pour la secte naissante. Les principaux meneurs y virent un échec. Par Hutten nous pouvons juger des autres. Eux étaient résignés à la persécution ; elle rentrait dans leur programme : ils l'appelaient de tous leurs vœux. Un dénouement tragique leur semblait garantir le succès définitif beaucoup mieux que toutes les déclamations et tous les sophismes. Que leur chef vînt à subir le sort de Jean Huss et de Jérôme de Prague, c'en était fait, son immolation consacrait leur victoire ; sur les cendres de son bûcher ils construisaient l'édifice de la Réforme. En théorie, Luther abondait dans leur sens ; autre chose était la pratique : il n'ambitionnait en aucune façon la palme du martyre. Cajetan n'avait pas non plus l'intention de la lui procurer. Il n'avait pas davantage à discuter avec lui. Il devait obtenir une rétractation, et non soutenir une thèse. Ainsi ne l'entendait pas Luther. Heureux d'une concession que ses partisans regardaient comme désastreuse, il avait plus que jamais résolu de ne rien rétracter. On le voit par sa correspondance de cette époque. La lecture de ces documents ôte tout intérêt au drame qui va suivre; le dénouement est
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connu. « Jamais il ne courbera la tête devant ces Italiens qui de l'Italie ont fait une seconde Egypte, en la plongeant dans les ténèbres de la nuit, devant ces implacables ennemis de la science et des lettres, qui ne se proposent d'autre but, qui n'ont d'autre étude que d'anéantir la religion, au profit de leurs instincts cupides. Les cardinaux ne sont plus les légats du Pontife Romain, mais bien ceux de l'avarice. » Son audace monte plus haut ; le Pape lui-même dont il prétend encore respecter le nom, n'est, à l'entendre, qu'un maheureux instrument exploité par les Florentins ses compatriotes. Dans ses divagations, il frappe au hasard sur les principes comme sur les personnes, sur l'Allemagne comme sur l'Italie. Voici comment il parle à l'inquisiteur Jacques d'Hochstract, le célèbre docteur de Cologne: « Avance donc, viens te mesurer avec moi, tête folle de moine, homme de sang! » Moine! ne l'était—il plus lui-même ? Homme de sang ! il ne tardera pas à l'être.
51. Enhardi par ses propres excès, enivré de sa rage, il dit ailleurs : « Si Rome enseigne et pense ces choses, au su du Pontife et des cardinaux, je le proclame ici sans crainte, l'Antéchrist, le véritable Antéchrist siège dans le temple de Dieu ; il règne à Babylone, dans cette Rome empourprée ; la cour romaine est la syna-nogue de Satan……… Si telle est la croyance établie dans l'ancienne capitale du monde chrétien, heureuse la Grèce, heureuse la Bohème, heureux tous ceux qui l'ont abandonnée, qui sont sortis de Babylone !... Et moi aussi, poursuit-il, je me déclare en désaccord avec l'Eglise Romaine, prêt à la renier, avec son Pape et ses cardinaux, à moins qu'elle ne ferme la bouche à cet organe de Satan.» C'est de Priérias qu'il parle. Le théologien pontifical, l'humaniste catholique lui causait donc plus de souci qu'il n'en laissait d'abord paraître. Voyons maintenant sa conclusion : « A mon avis, si les Romanistes s'opiniâtrent dans leur aveugle fureur, il n'y a plus qu'un remède : il faut que l'empereur et les rois prennent les armes pour exterminer ces ennemis du genre humain ; le glaive doit remplacer la parole. » Dans de telles dispositions, à quoi bon comparaître, ou même discuter? N'est-ce pas une indigne comédie que le Saxon fait jouer au légat et qu'il joue lui-même ? On n'a pas as-
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sez remarqué, on n'a pas assez mis en évidence la duplicité de Luther. Son courage prétendu n'est qu'une audace intermittente, l'astuce fait son habileté, le cynisme et l'emportement constituent son éloquence. Les faits l'ont déjà dit ; ils le diront mieux dans la suite. C'est dans la ville impériale d'Augsbourg que le représentant du Pape attend le moine de Wittemberg. Après d'humiliantes hésitations et de cruelles angoisses, celui-ci se met en route le 26 septembre 1518, au lever de l'aurore. La veille au soir, il avait réuni ses disciples, pour leur adresser des adieux beaucoup trop solennels dans des circonstances aussi réduites. Il affecte une sérénité, une résignation que ses paroles démentent. Toujours l'idée de la mort, d'une mort violente et tragique, quand il ne va pas quitter le sol allemand, quand il va simplement aborder un étranger sans armes, un prêtre tel que Thomas de Vio. Mais il importe de le faire passer pour une victime ; au moment du départ, ses partisans sont réunis en grand nombre, et le saluent avec une émotion qui, pour n'avoir pas de fondement, n'en est pas moins communicative. Plusieurs l'accompagnent assez loin; puis le voilà seul continuant sa route1. A Weimar, il reçoit l'hospitalité chez le curé de la ville, l'humaniste Myconius, un déserteur du catholicisme depuis les thèses de Luther, un apostat qui ne tardera pas à lui donner l'exemple, en se mariant publiquement, comme du reste le prieur Augustin Jean Lange, l'archidiacre Garlostad, AEcolampade et tant d'autres.
52. A Nuremberg, le pèlerin qu'une habile renommée précède est accueilli par Wenceslas Linck, son fidèle séide, qui ne se sépare plus de lui jusqu'au terme du voyage ; et vraiment pour l'honneur du parti, ce n'était pas un secours inutile. Luther n'en pouvait plus ; il était souvent tenté de revenir en arrière, on le voit par sa propre relation. A chaque étape cependant, l'enthousiasme se trouvait échelonné, notamment à la dernière. En avant d'Augsbourg, une foule considérable attendait celui qu'on nommait de toutes part le champion de l'Allemagne, un second Witikind. C'é-
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1 Ulehbero, Ilist. de Vita..., pag. 28 et seq.
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tait le 8 octobre. Après un repas chez l'un de ses bénévoles admirateurs, il se réfugia dans le couvent des Carmes, comme dans un asile sacré, dans une inviolable citadelle. Dès le lendemain, il instruisait le cardinal de son arrivée. Il écrivait ensuite à ses amis de Wittemberg, non seulement pour les rassurer sur son compte et leur faire part, avec une complaisance qui n'a rien d'héroïque, du bruit qui s'attachait à son nom, mais encore pour leur déclarer une fois de plus qu'il ne craint aucun supplice, qu'il saura mourir, si Dieu l'ordonne, et ne se rétractera jamais. Il prend néanmoins toutes ses mesures pour échapper à cette éventualité dont il parle avec tant d'assurance. Au délégué du cardinal légat qui lui garantit un accueil honorable, une complète sécurité, il répond qu'il ne peut comparaître sans avoir auparavant un sauf-conduit de l'empereur lui-même. Maximilien consent à lui donner cette satisfaction. C'est un moyen dilatoire qui glisse sous la main de Luther. Il est forcé de se rendre, Cajetan ne lui refuse pas le baiser paternel ; et le moine ému d'une telle condescendance, se jette à ses pieds, en lui disant d'une voix tremblante, et cependant étudiée : « Seigneur, pardonnez à ma faiblesse ; si, dans de longs et pénibles débats, j'ai prononcé des paroles imprudentes, je suis prêt à les désavouer, en supposant qu'elles soient réellement coupables. Daignez me le montrer. — Mon frère, ni ma mission ni mon intention ne sont de discuter avec vous. Je suis le mandataire du Pape, et je vous demande en son nom de rétracter vos erreurs. — Quelles erreurs ai-je enseignées ? Qu'on me le prouve et je les retracterai. — Nous ne sommes pas ici dans une école. Léon X, à qui vous promettiez naguère une obéissance absolue, dont la voix est la voix de Dieu même, ainsi que vous le disiez, n'attend que cette rétractation pour vous réconcilier avec l'Eglise. Fermez votre coeur à de funestes suggestions, vos oreilles à des conseils intéressés et perfides. N'hésitez-pas, écoutez le Vicaire de Jésus-Christ qui vous parle par ma bouche. »
53. Au lieu d'obéir à cette paternelle sommation, Luther insista de nouveau dans les mêmes exigences, voulant obtenir que ses erreurs lui fussent au moins signalées. Cajetan en releva deux
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parmi tant d'autres. C'était une concession, qui ne tarda pas à faire devier l'entretien. Maintenant il fallait des preuves, et la discussion, s'engageait par degrés, d'abord assez calme, puis véhémente et troublée. Elle durait depuis plus d'une heure, quand le légat se ravisant imposa silence à son interlocuteur, en lui demandant une rétractation pure et simple1. Luther alors demanda de son côté trois jours pour répondre. Le délai fut accordé; mais dès le lendemain le moine se présentait à l'audience, accompagné de plusieurs témoins, et remettait au nonce une astucieuse protestation, et non la rétractation que le Souverain Pontife attendait de lui. La rupture était imminente. Se voyant soutenu, le moine se montra beaucoup plus intraitable. Il n'est pas même jusqu'à ses amis qui ne fussent alarmés du ton qu'il prenait vis-à-vis du nonce apostolique. Staupitz, l'homme de toutes les conciliations, arrivé seulement de la veille, se porta pour médiateur. Il obtint, non sans peine, que son subordonné se défendrait par écrit. Cette défense, Luther ne mit qu'une nuit à la composer ; l'improvisation était un résumé de ses idées antérieures. En la présentant au légat, son arrogance dépassait toutes les bornes. Après une bienveillante observation, Cajetan lui prit la main, le suppliant d'obéir à l'Eglise et de se rétracter. Luther garda le silence. « Tout est fini ! s'écria douloureusement le nonce, ne revenez plus... » Tout n'était pas fini dans son âme. Le soir même il mandait Jean Staupitz et Wenceslas Linck, pour les prier de tenter une suprême démarche, dont l'unique résultat fut une lettre de vaines protestations et de banales excuses, mais où la rétractation était explicitement repoussée. En même temps que cette lettre, Luther rédigeait un appel, celui de tous les hérésiarques : « Du Pape mal informé, au Pape mieux informé. » Laissant l'ordre de l'afficher sur la porte des Carmes, il reprit avant le jour, avec sa prudence ordinaire, la route de Wittemberg.
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1 Pallavicini, Storia del conc. di Trento, cap. îx, pag. 79.
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CHAPITRE IX
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SOMMAIRE.
§ I. ÉLECTION DE CHARLES-QUINT.
1. Insidieux appel au concile. Odieuses récriminations. — 2. Mort de l'empereur Maximilien. Sa religion sincère. — 3. Cercueil d'un vivant. Ses sollicitudes, ses précautions. — 4. Deux redoutables prétendants à l'empire. — 5. Léon X intervient. Diète électorale. — 6. Pression extérieure. Discours opposés. Mayence, Trêves. — 7. Le roi d'Espagne élu empereur. — 8. Capitulation dressée par les Septemvirs.
II. PROGRÈS DE LUTHER DANS L'ERREUR.
9. Charles Miltitz nonce apostolique. Georges Spalatin. — 10. Entrevues à table. Lettre de Luther au Pape. — 11. Fallacieuse promesse. Intime pensée. Blasphème. — 12. Tetzel à Leipzig. Ses angoisses, son humiliation.— 13. Ses pieux sentiments, sa mort édifiante.
§ III. DISPUTE DE LEIPZIG.
14. Joute théologique. Champions opposés. — 15. Thèses de Carlostad. Son éclatante défaite. — 16. Sur la primauté du Pape, Eckius bat encore Luther. — 17. Luther déserte la lutte. Fureurs de ses partisans. Les siennes.
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§ IV. AUDACIEUSE OBSTINATION DE L'HÉRÉSIARQUE.
18. Lettre du Pape à Luther. Suprême tentative. — 19. Emotion du novateur. Illusion de Miltitz. — 20. Luther écrit à l'empereur élu. — 21. Son habituelle duplicité. Sa rage croissante. — 22. Lettre de l'hérésiarque à Léon X. — 23. Sens réel et conclusion de cette lettre. — 24. Liberté chrétienne selon Luther. — 25. Généalogie des erreurs de Luther.
§ V. LA PAPAUTÉ DEVANT L'HÉRÉSIE.
26. Bulle de Léon X contre l'hérésiarque. Introduction. — 27. Propositions condamnées. Délai fixé. Menace d'excommunication. — 28. Frénésie de Luther à la réception de la Bulle. — 29. La Bulle de Léon X brûlée à Wittemberg. — 30. Charles-Quint en Allemagne. Diète de Worms. — 31. Discours du nonce Aléandro. — 32. Luther devant l'empereur et la diète. — 33. Obstination de l'apostat. Sentence impériale. — 34. Luther au château de la Warbourg. — 35. Les Français expulsés de la Lombardie. Mort inopinée de Léon X.
§. I. ELECTION DE CHARLES-QUINT
1. Comme si ce n'était pas assez pour l'hérésiarque, nous pouvons désormais lui donner ce nom, d'avoir déroulé son manifeste sur les murs d'Augsbourg, aussitôt rentré dans son monastère, il en préparait un second, dont le retentissement serait plus grand encore. Son intention aurait d'abord été, si nous l'en croyons, d'attendre le jugement du Souverain Pontife ; mais il se contredit, selon son habitude, dans une lettre à Spalatin. « Je n'attends de Rome que des malédictions, et je les attends chaque jour ; aussi je dispose toutes choses pour n'être pas pris au dépourvu. Suivant l'exemple du Patriarche, sur le point de quitter sa patrie, j'irai partout où Dieu m'appellera. » Toujours les réminiscences bibliques, et parfois le langage de la piété, se mêlant aux cris de la révolte. S'il est maudit, il en appellera du Pape au concile œcuménique. C'est cet appel qu'il prépare avec tant de soin et si peu de mystère. Il pousse les précautions jusqu'à le faire imprimer d'avance : tout sera prêt pour la résistance et le scandale, au moment de la con-
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damnation 1. Attendra-t-il jusque-là? L'imprimeur doit remettre chez lui tous les exemplaires, telle est la convention ; elle demeure seulement lettre morte : la cupidité d'une part, une incompréhensible tolérance, ou mieux une lâche complicité, de l'autre, répondent à la question. L'appel anticipé, mis en vente avec tant de précipitation, eut un écoulement plus rapide encore, grâce aux passions surexcitées dans toute la Germanie, spécialement dans la Saxe. L'orgueil national conspirait avec les idées malsaines, l'amour des nouveautés et les instincts cupides. Au fond ce n'était là qu'un pamphlet, où l'on chercherait vainement une donnée théologique, où le plagiat se montre à première vue. Depuis un siècle, tous les empiétements et toutes les insubordinations usaient de la même menace, opposaient le concile à la papauté, comme si le Pape n'avait pas toujours réuni les conciles dignes de ce nom. L'infaillibilité pontificale, que Luther semblait avoir respectée jusqu'à ce moment, il l'attaquait ouvertement dans ce libelle, sans oublier toutefois de protester qu'il n'entendait pas amoindrir sa puissance, et beaucoup moins se soustraire à son autorité. La tactique est constamment la même. L'intime pensée du prétendu réformateur perce bien dans ses actes publics ; mais elle éclate plus que jamais dans sa correspondance de cette époque. Il se plaignait de Cajetan, en termes qui n'étaient pas exempts d'amertume, dans la rédaction même de l'appel ; et voici comment il s'exprime dans une lettre du 15 novembre à Spalatin : « Je vous assure avoir entendu de sa bouche de nombreuses inepties, des propositions absolument anti-théologiques. Qu'un autre les eût énoncées, et je les aurais déclarées on ne peut plus hérétiques. En vérité, Sylvestre Prierias ne vient qu'après cet homme. Vous connaissez bien le campagnard? Pensez donc ce que doivent être le dixième ou le centième, quand tels sont le deuxième et le premier2 !... » Ecrivant au même, « Au-
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1. « Intérim aliam parabo appellationem ad futurum concilium, adhœsurus Parisiensibus in eventum quo hanc priorem appellationem, de plenitudine potestatis, imo tyrannidis, refutaret papa. » Lettre à Spalatin, 31 octobre 1518.
2. Lettre à Spalatin, 45 novembre, même année.
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jourd'hui, dit-il, la tyrannie de la curie romaine l'emporte sur celle des Turcs. L'Église nous offre partout l'aspect le plus misérable : partout l'ambition, l'avarice et l'immoralité. Inutile de combattre, impossible de triompher. » L'hérésiarque prélude, par cette insolente déclaration, à sa politique anti-chrétienne.
2. Un événement d'une immense portée, quoique peu considérable en lui-même, rompt les derniers freins, en le débarrassant du seul obstacle que Luther pouvait redouter, après avoir brisé celui de la puissance spirituelle: c'est la mort de l'empereur Maximilien, survenue le 12 janvier de l'année suivante. Ecoutons à ce sujet un auteur contemporain : «En Autriche s'éteignait alors un prince recommandable par sa piété, sa prudence et toutes les autres vertus qui font les grands monarques. A partir de ce jour, le moine insubordonné devint le plus audacieux des sectaires, le plus cynique des calomniateurs. Il n'avait certes épargné jusque-là ni les défenseurs de l'Église catholique, ni les plus hautes dignités, ni le Souverain Pontife lui-même ; mais c'était presque de la modération comparativement à ce qu'on vit dans la suite1.» Il n'était pas besoin de cet odieux et funeste contre-coup pour faire regretter à Rome le souverain qui venait de disparaître ; le coup avait déjà retenti douloureusement au cœur de Léon X. Sauf quelques rares défaillances, causées par les embarras du moment, le manque de résolution et d'énergie, la situation générale de l'Europe, la pénurie du trésor surtout, Maximilien s'était constamment montré l'allié sincère et le zélé protecteur de l'Église romaine. Nous l'avons vu se prononcer sans hésitation contre le novateur qui conspirait sa ruine, alors que plusieurs princes allemands le secondaient par leurs sourdes intrigaus ou le couvraient hautement de leur protection. Et ce n'est pas à l'intérêt politique, ne craignons pas d'insister, moins encore à l'égoïsme, c'est à ses profondes convictions, à ses sentiments religieux qu'il obéissait, en prenant cette ferme attitude. Tout concourt à prouver son désintéressement. Du reste, l'amour de la Religion semblait héréditaire dans la maison d'Au-
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1 Paris, de Gbassi, Diar. anno 1519.
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triche. Durant sa vie comme à l'heure de sa mort, Maximilien Ier avait imité les exemples de Frédéric III, son prédécesseur et son père. Il n'avait rien négligé pour étouffer, dans ses pérégrinations, à Pise, à Milan, à Lyon même, le schisme tenté contre Jules II. C'était un rigide observateur des lois ecclésiastiques et des divins commandements. S'il demanda pour ses peuples un adoucissement aux jeûnes ordonnés, à l'abstinence quadragésimale, lui-même les observa toujours d'une manière exemplaire. On doit rappeler à son honneur qu'il détestait spécialement deux vices, le blasphème et l'ivrognerie ; ce qu'il manifesta par ses actes et ses décrets1. Il aimait tellement les pauvres que dans son testament il ordonna la construction et la dotation dotation de dix hôpitaux, sur sa fortune personnelle.