Darras tome 37 p. 191
107. Bossuet, dans l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre, dit qu'au XVIe siècle s'ouvrit le puits de l'abîme : ce n'est pas une figure de rhétorique, c'est vrai à la lettre. Luther, qui posa le principe radical de la grande hérésie, la séparation d'avec l'Église au nom du libre examen, Luther n'est pas un fou, comme l'a prétendu un
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jésuite allemand, c'est un possédé du démon. Lui-même ne s'en cache pas. A la Wartbourg, il nous raconte ses résistances et à la fin son abdication. Dans la suite de sa carrière, le diable et lui vont compères et compagnons : dans les discours et les actes, c'est Luther qui se montre, c'est le démon qui parle et qui agit. Le matin du jour ou il meurt, il a vu la queue du diable : c'est le signal du départ; auparavant, il ne traitait qu'avec la tête et le ventre. Aurifaber, dans les Tischereden, a recueilli, avec un soin religieux, toutes les paroles de son maître sur le diable : il faut les conserver : ce n'est pas seulement un écho des écoles orthodoxes où Luther avait étudié, c'est surtout la révélation de son expérience et la grande charte de la morale naturelle à l'homme déchu.
« Par delà les cieux, dit-il, il n'y a que Dieu ; mais au-dessous il y a des anges qui veillent sur nous, par ordre du créateur, nous protègent et nous défendent contre les embûches et les mauvais desseins des démons. Ils voient Dieu et se tiennent devant son trône. Quand donc le démon nous tend des pièges, l'ange du ciel, notre bon ange, nous couvre de son aile et chasse le mauvais esprit ; car il a une grande puissance, il regarde Dieu face à face, se pose devant le soleil, toujours prêt à nous aider à accomplir les commandements du Seigneur. Les démons ainsi veillent près de nous, occupés à nous épier, à nous tenter sans relâche, à troubler notre existence et notre vie à venir. Heureusement les bons anges nous apportent leur secours et nous viennent en aide. Il y a des démons dans les forêts, dans les eaux, dans les déserts, dans les lieux humides, partout ou se trouve une créature à tourmenter. Les uns habitent les flancs de noirs nuages, d'autres excitent les tempêtes, soulèvent les orages, font briller l'éclair et rugir le tonnerre, empestent l'air et les champs. Les philosophes et les médecins attribuent ces phénomènes à l'influence des astres. — Le diable connaît les pensées des méchants, car c'est lui qui les leur inspire, qui tient et gouverne leurs cœurs, qui les enveloppe et les prend dans ses filets afin qu'ils ne puissent penser ou agir que suivant son bon plaisir... Mais il ignore ce qui se passe dans la pensée
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des justes. Car, comme il ne pouvait connaître ce que le Christ avait dans le cœur, ainsi ignore-t-il la pensée des justes en qui habite le Christ.
« L'apôtre, (Ibid. 2), donne au diable la puissance de la mort et le Christ l'appelle l'homme de la mort. Et en vérité, c'est un maître meurtrier, qui pourrait vous tuer d'un petit coup de baguette, et qui a dans sa sacoche plus de poisons meurtriers que tous les apothicaires du monde. Ce poison manque-t-il son coup, vite un autre. Le diable est plus puissant, que nous ne pouvons le croire ou nous le figurer ; il n'y a que le doigt de Dieu qui peut le renverser. C'est le diable qui déchaîne les tempêtes et les anges qui soufflent les bons vents. — Je crois que Satan est l'auteur de toutes les maladies qui affligent l'homme, car Satan est le prince de la mort... Les pestes, les maladies, les guerres sont l'œuvre du démon et non de Dieu... Quoiqu'en dise Osiander, il y a des lutins qui font métier de nous tourmenter dans notre sommeil, de nous frapper jusqu'à nous rendre malades. En 1521, après mon départ de "Worms, j'étais emprisonné dans la Wartbourg, ma Pathmos, loin de tous les regards et où personne ne pouvait m'approcher que deux jeunes gens de famille noble, qui deux fois par jour m'apportaient à boire et à manger. Un jour ils déposèrent dans ma chambre un sac de noisettes que je mangeai par intervalles. La nuit après avoir éteint ma chandelle, et quand j'allais me mettre au lit, j'entendis un grand bruit ; il me semblait que mes noisettes se battaient ; je m'endormis, et j'avais à peine fermé l'œil que le bruit recommença ; je crus que l'escalier allait crouler ; je me levai et j'adjurai le lutin au nom de celui dont il est écrit : omnia subjecisti sub pedibus ejus. et j'allai me recoucher.
« Mais l'esprit des ténèbres n'est pas toujours exorcisé par les textes de l'Écriture; j'ai la preuve que les plaisanteries et les joyeuses railleries le chassent infailliblement.
« Le diable aime à se changer, pour nous tourmenter, en serpent ou en singe. Il y a dans les divers pays du monde des habitations qu'affectent les malins esprits ; la Prusse est un séjour qu'ils aiment beaucoup. En Suisse, non loin de Lucerne, sur le sommet
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d'une haute montagne, est un lac qu'on nomme le lac de Pilate ; c'est là que le démon fait souvent des siennes. Ici, sur le Polters-berg, est aussi un lac où, quand vous jetez une pierre, vous êtes sûr d'exciter une grande tempête, tous les environs s'émeuvent et se troublent. Le diable est semblable à une mouche ; paraît-il un beau livre, la mouche vole, voyage sur les blanches feuilles qu'elle souille de son passage, comme si elle voulait nous dire : Mes pattes ont passé par là. Ainsi du diable, quand il a trouvé un cœur bien net et bien blanc, il s'abat, le souille et le corrompt. J'ai toujours été beaucoup mieux traité par le diable que par les hommes, et j'aimerais mieux mourir de la main de Satan que de celle de l'empereur, je mourrais au moins de la main d'un grand homme. C'est un esprit chagrin qui ne songe qu'à tourmenter et à qui la joie est importune. La musique le chasse ; dès qu'il entend chanter, surtout des cantiques spirituels, il fuit aussitôt. David apaisait les transports de Saül en jouant de la harpe. La musique est un don du ciel, un présent de la divinité, que hait le diable et qui a le pouvoir d'apaiser les tentations et les mauvaises pensées. Un jour je trouvai sur mon chemin une chenille : Voilà bien, dis-je, le marcher et le ramper du diable, sa robe aux couleurs changeantes, son regard et son allure. Fous, boiteux, aveugles et muets sont des hôtelleries du diable. Les médecins qui les traitent d'après les règles de l'art n'entendent pas le démon (1).»
108. Luther avait posé, en principe et en fait, les doctrines du satanisme ; elles devaient se répandre avec d'autant plus de rapidité qu'elles rencontraient davantage la faveur des circonstances. Le vieux fond du paganisme est toujours dans l'homme déchu et le vieux paganisme n'avait jamais été entièrement effacé de l'histoire. Le démon peut, contre leur volonté, entrer en possession des hommes ; l'homme peut entrer volontairement dans un commerce familier avec le démon. Dans ce dernier cas, le rapport entre l'homme et le démon ne s'établit pas d'une manière subite, vio-
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(1) Tous ces passages de Luther, extraits textuellement des Propos de tabla du docteur de Wittemberg, se trouvent in extenso dans l'Hïstoire de Luther, par AUdin, t. III, p. 219.
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lente et imprévue ; l'homme abuse de sa liberté, s'abandonne avec une certaine réflexion à l'enivrement de l'orgueil, et, après s'être soumis volontairement aux puissances infernales, entre en participation de leurs pouvoirs et reçoit ainsi la triste récompense de son crime. Parmi toutes les causes qui rendent possibles ces associations monstrueuses de l'homme avec le démon, une des plus efficaces est, sans contredit, la doctrine régnante ; les dispositions naturelles continuent l'œuvre commencée par les doctrines; la perversité l'achève. Les doctrines qui préparaient depuis longtemps le triomphe du satanisme étaient le manichéisme, la cabale judaïque et les pratiques des Bohémiens. Le manichéisme faisait, de l'être mauvais, un rival de Dieu et lui attribuait le royaume du monde matériel. Le Talmud et la Cabale admettaient un double royaume des esprits, des Satanim, des Schédrin, des Séirim, dont le chef est Satan ou Samael, qui a, pour femme, Lillith ou le serpent. De là ces arts magiques, dits arts du serpent, et ces légions d'esprits mauvais qui occupent toutes les sphères de la création et établissent sur l'homme leur empire. Les Bohémiens, sortis de l'Egypte, et antérieurement de l'Inde, avaient importé en Europe la croyance aux talismans, à la chiromancie et aux jongleries qui les accréditaient près des classes dont ils exploitaient la crédulité. Les effets de lumière de leurs bivouacs dans la solitude des forêts, le contraste singulier entre la nature sauvage au milieu de laquelle ils vivaient et la connaissance qu'ils avaient des raffinements de la civilisation, les dérèglements d'une vie qui rejettait toute contrainte, pouvaient agir fortement sur l'imagination et produire comme un effet des visions du sabbat. Ces doctrines et ces pratiques, pour produire leur effet, devaient rencontrer, dans les individus, des dispositions naturelles à la magie et à la sorcellerie, dispositions provenant, les unes du tempérament, les autres des astres, d'autres enfin de la configuration des lieux habités. Chez certains individus, ces dispositions proviennent d'une altération de l'ordre naturel, qui établît entre les ténèbres des régions infernales et les ténèbres de leur propre cœur une certaine sympathie : ils quittent les sentiers battus, vont frapper à la porte de l'abîme et
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invoquent l'appui du démon. Lorsque ce trouble se produit dans l'organisme, il forme une disposition aux choses extraordinaires, une idiosyncrasie qui prend plaisir aux choses irrégulières et trouve son bien dans le mal. Ces dispositions sont développées par les influences sidérales, surtout par les influences de la lune. La lune est le soleil de la sorcellerie. La nuit avec ses obscurités, les forêts avec leurs sombres repaires, les montagnes avec leurs précipices sont le théâtre de ses exploits.
On voit ainsi apparaître et se développer l'idée d'un royaume de Satan, ayant ses lois, ses constitutions, ses formes et subsistant, à côté du royaume de Dieu, pour offrir à la chair toutes les satisfactions. La lutte irréconciliable de la matière et de l'esprit doit être continuée dans le monde. Dans cette lutte, la chair se présente avec ses instincts énergiques et semble combattre pour son émancipation. Cette lutte dut être plus terribles encore dans les classes inférieures, où les instincts charnels ont toujours plus de puissance et où l'Évangile remporte ses moindres victoires. Les cultivateurs, les bergers, les marins, tous ceux qui sont plus condamnés au travail et à la misère, prirent plus volontiers parti pour le règne de la chair et de Satan. Les habitants des montagnes, des régions marécageuses, des côtes de la mer, tous ceux qui sont réduits à la plus extrême pauvreté, devinrent en quelque sorte les alliés naturels du nouveau royaume. Il se recruta surtout parmi les femmes, que leur constitution corporelle met en rapport plus intime avec la nature, que la mobilité de leur être, leur facilité à recevoir les impressions extérieures, la vivacité de leur imagination et leur nature vive inclinaient davantage de ce côté. Au temps de Henri IV, les Alpes et les Pyrénées paraissent comme les foyers du satanisme en Europe. Le Labour, au pays basque, lui est acquis presque tout entier ; de là, le mal gagne la péninsule espagnole. Sur les versants des Alpes, d'un côté, le Dauphiné, les Cévennes, la Provence et le Languedoc lui sourient ; de l'autre, les districts de Côme, Bergame, Brescia. L'Angleterre était ébranlée depuis Wiclef et les lollards ; en Allemagne, Huss et les Tha-borites avaient ouvert les mêmes voies. Il n'est pas jusqu'à la Suède
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avec les gorges de ses côtes et ses souvenirs d'Odin qui n'eût ses avances pour le retour au paganisme.
109. Ce paganisme se résume dans le culte de Satan. Ce culte a sa liturgie. Le Symbole est ainsi conçu : « Je crois en Lucifer, Dieu le père qui a créé le ciel et la terre, et dans son fils Belzébuth, qui a été conçu de Saint-Esprit. Je crois en Léviathan le Saint-Esprit et la sainte Église catholique, la synagogue réformée.» Les dix commandements sont l'antithèse des commandements de Dieu : «Tu adoreras Lucifer comme le vrai Dieu et tu n'en aimeras point d'autre que lui. Tu blasphémeras assidûment le nom de Jésus. Tu haïras ton père et ta mère. Tu tueras les hommes, les femmes, et surtout les enfants. Tu commettras sans difficulté l'adultère et la fornication. Tu te livreras à l'usure, au vol et à la rapine. Tu porteras faux témoignage et tu te parjureras. Tu convoiteras la femme et les biens de ton prochain. » Les œuvres de miséricorde consistent, dans le culte de Satan, à refuser aux pauvres la nourriture, le breuvage et le vêtement ; à ne point accueillir l'étranger ; à délaisser les prisonniers et les faibles ; à déterrer, pour le sabbat, les enfants morts ; à semer les erreurs et les hérésies ; à propager les doutes et les scrupules ; à augmenter l'affliction de ceux qui sont affligés; à plonger davantage dans le péché ceux qui y sont tombés déjà ; à ne point prier pour les morts; à s'impatienter dans les contradictions. Toutes les vertus sont considérées comme des vices. Le libertinage prend la place de la chasteté, l'envie de la charité, l'avarice de la générosité, l'orgueil de l'humilité, et ainsi de suite. Le satanisme a aussi ses litanies ; on y lit entre autres choses : « Pour que vous daigniez troubler par les hérésies et détruire l'Église catholique, apostolique et romaine, nous vous prions, écoutez-nous. — Pour que vous daigniez extirper les ordres religieux et l'ordre sacerdotal. — Pour que vous daigniez entretenir toujours notre fureur contre Dieu, contre les hommes et contre les saints qui sont et qui doivent être. — Pour que vous daigniez conserver toujours la dureté de notre cœur. — Pour que vous nous donniez toujours votre secours pour résister au Saint-Esprit, à ses divines inspirations, à ses avertissements et
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à tout ce qui peut servir à notre salut, nous vous prions, écoutez-nous. » Ce rituel est complet. Les sacrements et le sacrifice y portent les mêmes noms que dans l'Église, mais ne s'offrent et ne s'administrent pas de la même manière. Le néophyte, avant de recevoir le baptême du diable, prononce cette formule de renoncement : « Je renonce à Dieu, à Jésus-Christ son fils, au Saint-Esprit, à la sainte Vierge, aux saints, à la croix, au saint chrême, au baptême et à la foi que j'ai tenue jusqu'ici, à ceux qui m'ont tenu sur les fonts, et je m'abandonne en tout à ton pouvoir, ne reconnaissant point d'autre Dieu que toi et voulant être ton esclave. » Puis le maître, avec sa griffe, lui efface au front le caractère du baptême et lui imprime avec une aiguille le caractère de stigmatisation. De plus, il promet un bonheur durable et la satisfaction de tous les désirs. — On administre aussi un second baptême, dans un bassin rempli d'ordures et avec des cérémonies dérisoires. Le néophyte reçoit d'autres parrains et un nom nouveau. Initié, il promet de ne jamais se présenter à la Table sainte ou de ne le faire que pour abuser de la sainte hostie ; d'outrager la sainte Vierge et les saints ; de conspuer les reliques ; de s'abstenir du signe de la croix et de le détruire partout où il le trouvera ; de ne se servir jamais ni d'eau bénite, ni de sel bénit, ni de cierge ; de ne jamais se confesser, de cacher toujours ses rapports avec le démon et les mystères du sabbat.
Plus tard, il reçoit la confirmation et de nouveaux parrains. En reconnaissance de sa divinité, il promet de nouvelles victimes au démon. Les uns s'engagent à ensorceler un enfant chaque année ; les autres à en amener un chaque année et à payer une amende s'ils ne le font pas ; comme arrhes, ils donnent un morceau de leur habit. Après quoi, on trace un cercle sur le sol et les initiés prêtent serment. Pour marquer la rupture des derniers fils qui attachaient l'homme à l'Église, on inscrit son nom sur le livre de mort. Dès lors, la nature de l'homme est complètement changée, ou plutôt déplorablement pervertie.
Après le baptême et la confirmation vient le sacrifice, contrefaçon de l'auguste sacrifice des autels, dans lequel Satan rompt, à
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ses adeptes, le pain et présente le vin sur lequel il a prononcé des paroles de malédiction. L'objet de ce sacrilège, c'est de nourrir ses adeptes de sa substance et de se les identifier. On le voit déjà par la forme extérieure des festins du sabbat. Dans des espèces de Benedicite et de Grâces, ils confessent que le boire et le manger, dans Belzébuth, ne servent qu'à nos voluptés et à son exaltation. Dans le festin eucharistique, le vin est ce breuvage avec lequel la femme de l'Apocalypse enivre les peuples et les rois. Au lieu du miel et du lait dont se nourrissaient les premiers hommes, les enfants du démon se nourrissent du lait vénéneux des euphorbes et de ce miel du Caucase qui rendait furieux les Romains. De même, leur pain se façonne avec des épis gâtés par la nielle. Au lieu d'eau bénite, ils ont l'urine du maître et s'en aspergent. L'office commence ordinairement par la confession de leurs bonnes œuvres ; le diable les absout de la main gauche et leur donne pour pénitence de manger de la viande les jours défendus. Après la confession, le démon se revêt d'habits sacerdotaux et marmotte une espèce de messe. A l'offertoire, les assistants l'adorent avec des cierges noirs ; lui offrent du pain, des œufs et des pièces de monnaies, non marquées du signe de la croix. Le démon prêche; ses discours ont pour objet d'éloigner des bonnes œuvres et de prêcher la haine des chrétiens. Le démon élève, sur ses cornes, une hostie noire portant son image, en disant : « Bouc en haut, bouc en bas ; il fait la même chose avec le calice qu'il vide ensuite. Les assistants communient avec une partie de l'hostie et une gorgée d'un vin dont l'odeur et le goût sont insupportables, et qui mettent leur corps en sueur, pendant qu'un froid aigu pénètre jusqu'à la moelle des os. Le libertinage fait partie essentielle de cette messe diabolique. Ce que l'imagination la plus déréglée peut imaginer en fait de voluptés, des choses même devant lesquelles la nature semble reculer d'horreur, tout cela est bienvenu au sabbat. Les danses les plus lascives sont des danses religieuses. Les amours ressemblent à celles du tigre et du léopard ; il faut du sang pour en éteindre les flammes. Les sorcières dansent à la lueur d'une torche de poix ; elles se plongent dans les mouvements
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d'une folle ivresse, passent du plaisir à la douleur, de la fureur à l'affaissement, et de l'affaissement à la frénésie. Le sabbat, église des initiés et messe des enfants du démon, est un horrible sacrifice et une orgie (1).
110. Cette superstition exécrable se manifeste, soit sous une forme scientifique, soit sous une forme vulgaire, l'une s'unissant à l'autre, pour tirer, de ces faux principes, d'épouvantables effets. « On ne prend pas assez garde, dit Cantu, qu'à l'apogée des arts et des lettres, au sein des jouissances de la civilisation, en Italie comme ailleurs, les sciences occultes prirent un grand développement. » (2). Les auteurs les moins ouverts aux préjugés, croyaient à l'astrologie, aux pronostics, aux songes. Pomponace, qui combat l'immortalité de l'âme, soutient l'influence des planètes : c'est par elles que l'homme peut conjurer le temps, changer en bêtes et faire d'autres prodiges. Pour découvrir un voleur, enseigne-t-il, prends un vase, emplis-le d'eau bénite, approche un cierge bénit et dis : «Ange aux blanches ailes, ange saint, par ta virginité, par ma virginité, découvre-moi celui qui a enlevé telle chose : » et l'image du voleur apparaîtra au fond du vase. Charles VIII faisait croire au succès de son expédition, en publiant une prophétie qui lui promettait des victoires. En 1501, à Lyon, un italien se vantait de posséder toute la science des grecs, des latins, des juifs et plus encore; de savoir interpréter les secrets de la nature, de prédire l'avenir, de transmuer les métaux, de rendre bonnes les mauvaises chances et réciproquement. François Ier lui fit donner beaucoup d'or, en échange d'une épée formée de cent quatre-vingts petites épées, et d'un bouclier contenant un miroir merveilleux : ces deux armes avaient été fabriquées sous la conjonction de certaines étoiles. Parmi les croyants à l'astrologie, il faut ranger Campanella Fracastor, Luther. Mélanchthon la défendait contre Pierre la Mirandole, montrant que beaucoup d'événements avaient été prédits
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(1) Gœrrès, Mystiques, t. V, passim ; Gougenot
des Mousseaux, Les Hauts
Phénomènes de la Magie, Moeurs et Pratiques du Démon, les Médiateurs de
la Magie, trois volumes, passim.
(2) Les hérétiques d'Italie t. III, p. 107.
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par la conjonction des planètes ; et, pendant la diète d'Augsbourg, il se consolait en considérant, comme imminente, la chute de Rome, parce que le Tibre avait débordé, parce qu'une mule avait mis bas un monstre à pied de grue et parce que sur le territoire de la diète était né un veau à deux têtes. Marzio de Montagnana et Zabarella de Padoue étaient passionnés pour l'astrologie. Rossiliano Sesto, astronome Calabrais, avait, par son art, prédit un déluge universel : il fut réfuté, en 1516 par Arménini de Faenza. Quand Stofler de Tubingen annonça que, d'après la conjonction de trois planètes supérieures, le monde subirait un déluge en 1534, toute l'Europe se mit en quête de moyens de préservation. Toutes les biographies sont pleines d'horoscopes. On avait prédit à Bembo qu'il serait choyé des étrangers et qu'il ne serait point pape. François Guichardin, lorsqu'il gouvernait Brescia, eut des visions de congrès et de batailles. Benvénuto Cellini voit des sabbats et des diables au Colysée, comme Luther en voyait partout. Machiavel consacre un chapitre de ses Décades, aux signes célestes qui annoncent les révolutions des empires, attribuant aux astres la profonde perversité des hommes et la dépravation croissante de la race. Catherine de Médicis portait sur la poitrine la peau d'un enfant écorché tout exprès pour se préserver des attentats contre sa personne.