Grégoire VII 13

Darras tome 21 p. 525

 

90. Pendant que les troubles de Germanie attristaient les derniers regards d'Alexandre II, Guillaume le Conquérant demandait à la chaire apostolique le moyen de rétablir la discipline en An­gleterre. La mort de Robert de Jumièges ayant laissé vacant le siège de Cantorbéry, il y appelait l'illustre Lanfranc. Celui-ci venait

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1 Annal. d'Halia ann. 1073.

2. Yilleinais. llist. de Grégoire VU, Tom. I, p. 273.

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p526  PONTIFICAT D'ALEXANDRE  II  (1061-1073).

 

déjà de refuser l'archevêché de Rouen pour lequel tous les suffrages le désignaient comme successeur de saint Maurilius. Il refusa de même le siège primatial d'Angleterre, mais Alexandre II intervint et fut heureux d'imposer à son ancien maître un honneur dont il était d'autant plus digne qu'il mettait plus d'insistance à le repousser. Deux synodes à Wincester et à Windsor tenus sous la présidence du légat apostolique Hubert confirmèrent en faveur de Lanfranc les antiques privilèges de l'église de Cantorbéry (1072). L'illustre doc­teur fit revivre dans la Grande Bretagne les glorieuses et savantes traditions d'Alcuin et du vénérable Bède. Sauf l'Allemagne que le cruel despotisme d'un monstre couronné entraînait à la ruine, le monde chrétien offrait, après les agitations causées par le schisme de Cadalous, le spectacle d'une concorde inespérée, que M. Villemain lui-même s'est vu forcé de retracer en ces termes : « Unie pacifiquement aux deux souverainetés les plus entreprenantes d'a­lors, aux ducs normands d'Apulie et aux conquérants de l'Angle­terre, l'église romaine se faisait aisément respecter par les autres peuples de l'Europe. Ses légats venaient librement en France tenir des conciles et juger des contestations ecclésiastiques. Le cardinal Hugues le Blanc, le même qui s'était montré si zélé pour l'antipape Cadaloüs, allait, au nom du pape Alexandre II, changer en Espagne le rite mozarabe : le Danemark payait son tribut annuel à la cour de Rome. Les évêques de Dalmatie, de Slavonie, recevaient le pallium du pape. Les querelles mêmes de Constantinople semblaient amorties ; et à l'avènement de l'empereur Michel VII fils et succes­seurs de Ducas (1007), Alexandre II lui envoya un légat qui revint avec de riches présents. Dans le nombre étaient deux portes d'ai­rain d'un travail précieux. Le pape en décora l'église de saint Paul-hors-les-Murs, en donnant à l'une le nom d'Hildebrand et à l'autre celui du consul en charge. Ainsi puissante au dehors, l'église de Rome était aussi plus libre au dedans. Elle n'avait plus de préfet nommé par l'empereur, puisqu'il n'y avait plus d'empereur et que Henri IV n'était pas encore venu recevoir des mains du pape le diadème impérial. D'autre part la durée et le succès du pontificat d'Alexandre, la fermeté de son principal conseiller le cardinal Hilde-

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p527 CHAP.   IV. —  HENRI  IV   ROI  DE   GERMANIE. 

 

brand avaient surmonté les désordres qui naissaient dans la ville même de l'audace et de l'impunité de quelques châtelains;  l'obéis­sance était rétablie au profit de l'Eglise et sans intervention de l'empire 1. »

 

   91. Tel fut, glorieux dans ses résultats bien que traversé par tant d'orages et d'épreuves, le pontificat d'Alexandre II, attaqué avec une fureur satanique par des milliers d'ennemis et soutenu jusqu'au martyre par une légion de saints. Aux noms à jamais vénérés d'Ariald, de Pierre Damien, de Jean Gualbert, de Pierre Igné, d'Annon de Cologne, de Hugues de Cluny, il faudrait pour compléter la liste de l'hagiographie contemporaine en ajouter cent autres. En Italie saint Dominique l'Encuirassé, dont Pierre Damien voulut être le biographe après avoir été son plus fervent admirateur, che­valier anachorète qui porta durant quarante ans sur sa chair nue une cuirasse de fer, ne la quittant que pour s'infliger à lui-même le supplice de la flagellation ; saint Rodolphe d'Eugubium qui à quinze ans quittait le château de ses aïeux, mettait en liberté tous les serfs de ses domaines pour se faire moine à Fontavellane, et de­venu malgré lui évêque, continuait à vivre de pain d'orge pour dis­tribuer aux pauvres tous les revenus de sa mense épiscopale 2; saint Thibaut de Provins, un descendant des comtes de Champagne, qui alla vivre inconnu et mourir en Italie dans un ermitage près de Vicence, où le pape Alexandre II lui décerna vers l'an 1070 les honneurs de la canonisation solennelle 3 : en France, saint Robert de l'illustre famille des comtes d'Aurillac, fondateur de l'abbaye de la Chaise-Dieu et de l'hôpital de Brioude 4; saint Gérard religieux de Corbie et fondateur du monastère de Salvia-Major (la Grande Sauve) au diocèse de Boudeaux 5 ; saint Gautier (Gualterus) abbé d'Esterp au

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1. Villemain. IHst. de Grérj. VU. tom. I, p. 376.

2.  La fête de saiut Dominique l'Encuirassé se célèbre le 14 octobre et celle de Rodolphe d'Eugubium le 27 juin. Cf. Petr. Dam. Vita SS.Hodo/ph. et Dominici Loriciili. Pâli: Lut. Tom. CXL1V, col. 1010.

3.  Mgr Allou évêque de Meaux a publié en 1873 une Vie de saint Thibaut prêtre et ermite, où l'érudition la plus complète et la plus exacte se joint au charme du récit.

4. Saint Hubert est honoré le 21 avril. — 5 Avril.

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p528  TONTIFICAT  D*ALEXANDRE II  (IOC1-1073).

 

diocèse de Limoges, qui fut surnommé le «grand aumônier » de sa province et renouvela les merveilles de vertu du bienheureux Israël du Dorât dont il avait été le disciple 1 : en Allemagne saint Altmann évêque de Passaw, saint Gébéhard archevêque de Saltzbourg, saint Bennon évêque de Misnie que nous retrouverons aussi fidèles à l'autorité de Grégoire VII qu'ils l'avaient été à celle d'Alexan­dre II, et enfin le roi martyr Gothescalc, l'apôtre des Slaves, dont la domination s'étendait depuis l'Elbe jusqu'au Mecklembourg et que ceux de ses sujets restés païens massacrèrent à Lenzin, le 6 juin 1066. Adam de Brème consacre au martyre de ce roi missionnaire les dernières pages de son « histoire ecclésiastique2,» qui comprend les origines des chrétientés du nord et la suite de leurs évêques depuis l'entrée de saint Willibrord en Saxe jusqu'à la mort de l'ar­chevêque Adalbert, c'est à dire une période d'environ trois siècles. Dans cet intervalle la foi chrétienne avait conquis la Saxe, le Dane­mark, une grande partie de la Suède et de la Norvège. Les fils d'Odin s'étaient enrôlés sous l'étendard de la croix et reconnaissaient l'autorité paternelle des vicaires de Jésus-Christ.

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1. Saint Gautier est honoré le  11   mai  et le  bienheureux Israël le 22 dé­cembre.

2. ADAM. Bremens. Hist. E<r.l. — Pair. Lat. Tom. CXCVIII, col. »

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CHAPITRE 7

SOMMAIRE

PONTIFICAT DE SAINT GRÉGOIRE VII (22 avril 1073— 25 mai 1085)


Ire période 1033-1094


1. Election spontanée. Intronisation. Procès-verbal officiel. — 2. Récrimina­tions des schismatiques. Leur appel au roi de Germanie. — 3. Lettre de Guillaume de Metz au pape élu. — 4. Message du pape élu à Henri IV. Question de forme. — 3. Question de fond. Légitimité du recours au roi de Germanie. — C. Ratification de l'élection par Henri IV. Sacre de Gré­goire VII.

 

§ 11. ADMINISTRATION DU PONTIFE ÉLU.

7. Lettre à Desiderius abbé du Mont-Cassin. — 8. Une anecdote apocryphe. — 9. Injustes accusations de la critique moderne. — 10. Lettre du pape élu à Wibert de Ravenne. Déloyauté de Wibert.— 11. Gothfred investi par Henri IV du siège de Milan. Ses violences sanguinaires. — 12. Election canonique d'Atto au siège de Milan. Émeute. Sacre de Gothfred par les évêques simoniaques de Lombardie. Excommunication de Gothfred par Alexandre II. — 13. Lettre du pape élu à Béatrix de Toscane et à la comtesse Mathilde au sujet de l'intrusion de Gothfred. — 14. La grande comtesse Mathilde, épouse de Godefroi de Lorraine, dit le Bossu. Lettre du pape élu au duc Godefroi. Sentiments de Grégoire VII à l'égard du jeuue roi Henri IV. — 15. Modération de Grégoire VII. — 16. Châtiment providentiel des nations perverties. — 17. Lettre du pape élu à l'évêque Guillaume de Pavie. — 18. Élection de saint Anselme neveu d'Alexandre II au siège de Lucques. Question de l'investiture à demander au roi. Abstention conseillée par Gré­goire VII. — 19. Anselme commensal de Grégoire VII au palais de Latran. Miracles. — 20. Sainteté de Grégoire VII. Ses pieuses institutions. — 2t. In­vestitures et clérogamie. — 22. Lettre du pape élu aux princes d'Espagne. Mission du cardinal Hugues le Blanc. — 23. Lettre du pape élu aux légats du saint siège dans la Gaule méridionale. — 24. Les droits antiques de l'é­glise romaine sur le royaume d'Espagne.

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p530    SOMMAIRE.


§ III. GRÉGOIRE VII EN APULIE.


25. L'armée d'Hildebiand. Violences, crimes et désordres en Allemagne et en Italie. — 26. Lettre de Grégoire VII aux évêques lombards. — 27. Départ de Grégoire VII pour l'Apulie. L'évêque conquérant Jaromir à Prague.- 28. Les ambassadeurs byzantins à Albano. Lettre de Grégoire VII à l'empereur Mi­chel.— 29. Serment de fidélité de Landulphe prince de Bénévent. — 30. Gré­goire VII et Robert Guiscard à Bénévent. Politique astucieuse de Robert Guiscard. — 31. Serment de fidélité de Richard prince de Capoue. Clause relative au roi Henri IV. — 32. Lettre de Grégoire VII à Rodolphe duc de Souabe. — 33. Diète de Corvey. — 34. Mise en accusation de Henri IV par la diète nationale.— 35. Lettre de soumission écrite par Henri IV à Grégoire VII. — 36. Authenticité de la lettre de Henri IV. Son analyse par Fleury. — 37. Etendue de la confession renfermée dans la lettre de Henri IV. — 33. Déclaration de principes contenue dans la lettre royale. — 39. Série de né­gociations échangées entre Grégoire VII et Henri IV. Soumission du roi, — 40. Heureux résultats de la soumission du roi en Italie.—41. Grégoire VII à Capoue. Les églises d'Afrique. — 42. Lettres de Grégoire VII à saint Gébéhard de Saltzbourg et à Lanfranc de Cantorbéry. — 43. Guillaume le Con­quérant et Philippe I roi de France.


§ IV. HENRI IV ET LES SAXONS.


44. Indiction d'un concile à Rome pour le carême de 1074. — 45. Diète de Gerstungen. — 46. Incident de Réginger. — 47. Les bourgeois de Worms s'arment pour la cause de Henri IV. — 48. Conférence d'Oppenheim. Mort inopinée de Réginger. — 49. Intervention de Grégoire VII. Notification d'un armistice entre les deux partis. — 50. Violation de l'armistice par Henri IV. Campagne désastreuse. — 51. Traité de Hersfeld. — 52. Diète de Goslar. Humiliation du roi parjure. Son retour à Worms.


§ V. CONCILE BOMAIN DE L'AN 1074.


53. Les monuments du concile romain.— 54. Première promulgation officielle des croisades. — 55. Les quatre décrets contre la simonie et les clérogames. — 56. Encyclique de Grégoire VII aux fidèles de Germanie coutre les clérogames. — 57. Sacre de Hugues évêque élu de Die et de saint Anselme de Lucques.—58. Affaires particulières aux évêques de France traitées par le con­cile. — 59. Guillaume de Pavie. Le marquis d'Esté Azzo, le duc de Hongrie Geisa. — 60. Tyrannie et violences des évêques simoniaques. — 61. Aggression contre le saint siège et excommunication  de Robert Guiscard.

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 p531 CHAP. Ar.   V.   —  ÉLECTION   DE   SAINT  GRÉGOIHE   VII.  

Election de Saint Grégoire VII.


   4. «Le jour des funérailles d'Alexandre qui  eurent lieu avec grande magnificence à l'église de Latran, dit le catalogue de Cencius, comme l'archidiacre Hildebrand procédait aux dernières cérémonies, la basilique retentit soudain d'acclamations unanimes. Clergé et peuple, hommes et femmes, tous ensemble poussaient le même cri : «Hildebrand, Hildebrand! C'est lui que le bienheureux Pierre choisit pour pape. » A ces mots, l'archidiacre demeura un instant consterné, puis s'élançant comme hors de lui vers l'ambon, d'un geste il commanda le silence et s'apprêtait à repousser éner-giquemenl la manifestation dont il était l'objet. Mais le cardinal Hugues le Blanc devinant son dessein l'avait prévenu; et s'adressant à l'assemblée il parla en ces termes1 :« Vous savez tous, bien-aimés frères, ce que depuis l'époque du seigneur pape Léon IX, Hildebrand, ce vénérable archidiacre dont le monde entier admire la vertu et la prudence, a fait pour l'exaltation de la sainte Eglise et pour la défense de la ville de Rome. Tous vous en avez été té­moins. Il vous serait impossible de trouver pour le gouvernement de l'Église catholique et pour celui de notre cité un personnage plus capable et plus digne. En conséquence, nous tous évêques et cardinaux à l'unanimité, déclarons au nom du Seigneur que nous élisons Hildebrand pour le pasteur et l'évêque de nos âmes. » Les évêques et cardinaux, tout l'ordre sacerdotal, celui des diacres et enfin le reste du clergé, chacun selon son rang, confirmèrent la déclaration de Huges le Blanc en repétant successivement l'accla­mation consacrée : «Saint Pierre a élu pape le seigneur Hildebrand qui s'appellera Grégoire VII. » On le revêtit alors de la chlamyde rouge, on lui ceignit le front de la mitre pontificale et mal­gré ses pleurs et sa résistance, il fut porté par le peuple dans la basilique de Saint-Pierre-aux-Liens, où on l'intronisa sur la chaire

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1 Voir sur la sincérité de Hugues le Blanc en  cette circonstance  solennelle le N° 65 de ce présent chapitre.

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p532  PONTIFICAT  DE  SAINT  GRÉGOIRE  VII   (1073-10S5).

 

apostolique 1. » Le procès-verbal de l'élection fut rédigé séance tenante et lu au peuple qui le ratifia par des acclamations enthou­siastes. Nous avons encore ce précieux monument qui inaugurait un pontificat immortel. En voici la teneur : « Sous le règne de Jésus-Christ Notre Seigneur, l'an de sa très-miséricordieuse Incar­nation MLXXIII, le X des calendes de mai, IIe férié (lundi 22 avril), le jour de la sépulture du seigneur pape Alexandre II de bonne mémoire, pour ne pas laisser plus longtemps la chaire apostolique dans le deuil et sans pasteur, nous cardinaux, clercs, acolythes, sous-diacres, diacres et prêtres de la sainte Église catholique apostolique romaine, réunis dans la basilique de Saint-Pierre-aux-Liens, avec l'assentiment des vénérables évêques et abbés, clercs et religieux ici présents, aux acclamations des assistants de tout ordre, rang et condition, nous élisons pour notre pasteur et souverain pontife l’archidiacre Hildebrand, ce modèle de religion et de science, de prudence et de foi, le défenseur du droit et de la justice, intrépide dans l'adversité, modeste dans la prospérité. En lui se rencontrent toutes les qualités énumérées par l'apôtre, pureté de mœurs, tem­pérance, modération, hospitalité, sagesse administrative. Il a été élevé et instruit dès ses premières années au sein de cette auguste église romaine notre mère; son mérite le fit promouvoir à la di­gnité d'archidiacre qu'il a exercée jusqu'à ce jour. Nous le procla­mons pour jamais pape et seigneur apostolique, nous approuvons qu'il prenne le nom de Grégoire. — Vous plait-il qu'il en soit ainsi ? — Cela nous plait. Placet. — Le voulez-vons ? — Nous le vou-

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1. Le récit du catalogue de Cencius et celui de Bonizo (Ad amie. Lib. VII, Patr. Lat. Tom. CL, col. 83G) sont presque textuellement identiques. Watterich (T. I, p. 308) les reproduit en regard l'un de l'autre sur deux colonnes paral­lèles. Notre traduction les donne au complet. Emanés de témoins oculaires, ils nous semblent devoir être préférés à celui de Berthold de Constance, le­quel écrivant loin des lienx et sur des renseignements peu précis, dit dans sa chronique : « L'archidiacre se croyant indigne de l'honneur qu'on lui voulait faire demanda un sursis dont il profita pour s'enfuir. Il resta caché durant quelques jours. A force de recherches, on découvrit le lieu de sa retraite, qui n'était autre que la basilique de Saint-Pierre-aux-Liens. On se saisit de sa per­sonne et on l'intronisa de force sur le siège apostolique. » (Berthold, Const. Chrome. Patr. Lat. Tom. CXLVI1I, col. 103).

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p533 CHAP.   V.  —  ÉLECTION  DE  SAINT  GRECOIRE   VII.  

 

Ions. — L'approuvez-vous?— Nous l'approuvons. —Fait à Rome le X des calendes de mai, indiction XIe 1. »

 

   2. Conservé en tête du Reqistrum de Grégoire VII,  ce procès-verbal établit péremptoirement la canonicité de l'élection; Il fut cependant attaqué plus tard avec passion par les schismatiques, entre autres par le pseudo-cardinal Benno qui y trouva matière à diverses objections formulées en ces termes : « Le pape Alexandre mourut un dimanche soir, et le même jour, contrairement à tous les canons, Hildebraud fut élu par les laïques. Mais les cardinaux ne souscrivirent point à son élection. Les canons prescrivent sous peine d'anathème d'attendre le troisième jour qui suit les funérailles d'un pape défunt avant de procéder à l'élection du successeur2. » II est certain que le procès-verbal que nous venons de citer ne porte point de signatures pas plus du collège cardinalice que d'aucun des autres ordres du clergé, du sénat où de la magistrature de Rome. Mais il n'en devait point porter. La souscription collective, générale, unanime se trouve dans la ratification finale : Placet! » Nous le vou­lons! Nous l'approuvons ! » On ne fait pas signer tout un peuple. L'argutie du délai canonique n'est pas plus sérieuse. Les règle­ments édictés en vue d'élections qui peuvent être longues et labo­rieusement discutées ne sauraient s'appliquer aux élections spon­tanées que le souffle de l'Esprit-Saiut fait jaillir soudain de la conscience des électeurs. Grégoire VII fut élu, comme Pie IX devait l'être de nos jours, avec cette soudaineté exceptionnelle d'inspira-

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S. Greg. VII. Vita. Pair. Lat. Tom. CXLVIII, col. 49. — 2.Watterich, Tom. I

3 Benno, Epist. I. ad clerum Romnmmi. App. Orluinu'j Gratium, Fasckulus rvrum expetendarum ac fugiendorum. Colouice lii35. v\ 4°, fol. 39, verso. Les deux lettres de Benno au clergé romain connues sous le titre de Vita et Gesta Hildebrandi n'ont point été reproduites par la Patrologie. Le même scrupule qui fit écarter de cette collection monumentale le pamphlet de Benzo contre Alexandre II en a également banni l'œuvre non moins iujurieuse de Benno contre saint Grégoire VII. Mais les outrages prodigués à Alexandre II et à son illustre successeur par deux contemporains schismatiques sont le plus bel hommage rendu à la mémoire de ces grands papes. Ils donnent la mesure des difficultés qu'ils eurent à vaincre, des haines aussi passionnées qu'injuste suscitées autour d'eux par leur zèle apostolique et leur admirable énergie.

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p534  PONTIFICAT  DE   SAINT  GRÉGOIRE  VII   (1073-!075).

 

tion qui rend inutiles les formalités prévues pour les circonstances ordinaires. Etienne X l'avait été de même en 1037 ; saint Léon IV en 847 ; saint Grégoire le Grand en 590. Quant à l'articulation de Benno qui présente l'élection d'Hildebrand comme l'œuvre exclu­sive des laïques romains, elle est amplement réfutée par le texte même du procès-verbal. Ces récriminations d'ailleurs n'avaient dans l'esprit même de l'écrivain schismatique qu'une valeur secondaire. Le principal grief que de concert avec les césariens il opposait à la validité de l'élection de Grégoire VII nous est révélé par la chro­nique d'Ursperg qui s'exprime ainsi : « Comme Hildebrand avait été sans le consentemeut préalable du roi et par la seule interven­tion des Romains promu au souverain pontificat, il ne manqua pas de gens qui protestèrent contre la canonicité de son élection et soutinrent qu'il avait tyranniquement usurpé la chaire apostoli­que. Ce furent les raisons qu'un certain nombre d'évêques schismatiques mirent plus tard en avant pour le déposer 1. » Mais ce zèle pour les droits de César dont nous parle le chroniqueur n'était lui-même qu'un manteau d'hypocrisie. Il cachait un senti­ment ignoble dont Lambert d'Hersfeld nous livre à son tour le se­cret en ces termes : « Les Romains sans consulter le roi élurent pour succéder au pape Alexandre l'archidiacre Hildebrand. C'était l'homme le plus profondément versé dans la science des saintes lettres. Durant les pontificats précédents il avait acquis dans toute l'Église une réputation et une célébrité justement méritées par son génie et sa vertu. Son zèle pour la discipline était aussi ardent que notoire. A la nouvelle de son élection l'anxiété fut grande parmi les évêques d'Allemagne. Redoutant pour eux-mêmes la sévérité de l'élu des Romains, ils tremblaient à la pensée de se voir pour­suivis pour leurs prévarications. D'un commun accord ils s'adressè­rent au roi, le suppliant d'annuler une élection faite sans son or­dre, ajoutant que s'il n'opposait dès le début une barrière à l'impé-

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1 Cum absque régis consensu, solis tanium Romanis faventibus hune apieem conscendisset, sunt qui illura non canonice constitutum, sed lyrannice papatum sibimet assererent usurpasse, pro quâ re et a nonnullis episcopis abdicatus est. (Chronic. Ursperg. ap. Baron. Annal. 1073, n« 22).

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p535 CHAP.   V.   —   ÉLECTION   DE  SAINT GKÉGOIliE   VII.  

 

tuosité   de   cet  homme il en serait lui-même la première  vic­time 1. »

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