Définition et Suspension 2

Darras tome 42 p. 238

 

6O. En même temps que les meneurs de la minorité poussaient des brochures, ils en appelaient au pouvoir civil et recouraient aux plus puérils artifices. Le but était de traîner les choses en lon­gueur et d'amener la prorogation du Concile. L'Evêque de Diakovar s'était vanté de parler dix ans, pour écarter, par ce fait d'obstruction, la définition autrement inévitable : il n'avait pas prévu l'infirmité qui devait réduire au silence le frivole obstructeur. Dans les appels au pouvoir civil, les opposants avaient d'a­bord provoqué une action diplomatique de la France, et en cas d'échec, préparé une action commune des puissances. Ensuite ils manigancèrent avec le comte Daru, les effets habilement calculés d'une dépêche et d'un mémorandum, plus les avanies contre la monnaie pontificale. Après l'avortement de ces intri­gues et la chute des Daru et des Buffet ils s'adressèrent directement à l'Empereur, et, par la plume de Georges Darboy, l'homme de sa confiance, lui suggérèrent, en essayant de l'irriter, la retraite de son ambassade près le Saint-Siège, préface logi­que et fatale du retrait des troupes de Rome. Fort heureusement, par un de ces jeux où se reconnaît l'action de la Providence, le ministère des affaires étrangères était confié à M. Emile Ollivier. Ollivier était un grand esprit, un grand cœur, un de ces hommes qui honorent le libéralisme en le pratiquant et qui le ferait aimer si tous les libéraux le pratiquaient à son exemple. Ollivier se refusa à toute action. « Par la retraite de nos trou­pes, par le rappel de notre ambassadeur, dit-il, toute définition eut été empêchée : le jésuite Libératore en convient comme Mgr Darboy. Néanmoins, par respect de la liberté spirituelle, la forme la plus élevée et la plus sacrée de la liberté, nous ne jetons pas dans les délibérations, le poids de notre volonté; lorsque les droits de l'Etat sont menacés, nous ne réclamons que par un mémo­randum agenouillé; lorsque, malgré son humilité, ce mémoran-

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dum est rejeté, nous n'insistons pas. L'Europe imite notre longa­nimité ; entre les cabinets, il y a comme une émulation à qui sauvegardera le mieux les droits de la conscience religieuse, et le Concile du Vatican dégagé, d'un consentement unanime, de toute pression laïque, jouit de la liberté la plus étendue et la plus paisible qui ait jamais été laissée à une assemblée délibé­rante d'évêques ! (1) »

 

C'est alors que Dupanloup, se tourna vers la Prusse. Lui, fran­çais, lui, évêque, il s'adresse à l'ambassadeur passionné d'une puissance hérétique et le presse avec instances d'employer tout le crédit d'un Bismarck, pour arracher à Pie IX, une prorogation. On savait bien que cet homme était sans principes et sans retenue ; on n'eut pas cru qu'il put descendre si bas. Le délire des passions explique beaucoup de choses; il y en a qu'il ne peut excuser.

 

61. Enfin le 13 mai commença la discussion sur le schéma de l'infaillibilité depuis tant de mois désirée et redoutée. Il ne faut pas croire, comme on l'a beaucoup dit, que ce fut en laisssant de côté des matières qui devaient appeler toutes les préférences. Sans doute, il était d'usage, dans les traités de théologie, de s'occuper du corps de l'Eglise avant de s'occuper de son Chef. La raison de cette marche était que, dans l'exposition de la doc­trine, l'ordre logique se présentait le premier. On pouvait s'at­tendre à voir le Concile suivre la même méthode. Aussi est-il fort remarquable qu'il ait interverti cet ordre et qu'il ait défini la prérogative du Chef avant de traiter de la constitution et des dons du corps. Cette marche n'est pas sans signification. « Les Ecoles théologiques, dit le cardinal Manning, ont suivi l'ordre logi­que; mais l'Eglise assemblée au concile, ayant pour la premiè­re fois à traiter de sa constitution et de son autorité, change de méthode, et, comme le divin architecte de l'Eglise, commence, selon l'ordre historique, par le fondement et par le Chef de l'E­glise. Notre-Seigneur choisit, en effet, d'abord Céphas et l'investit de la primauté sur les Apôtres. C'est sur cette pierre que tout a été bâti, c'est d'Elle que procède toute l'unité, toute l'autorité de

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(1) L'Église et l'État au concile du Vatican, t. 11, p. 240.

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l'Eglise. Plus tard le don du Saint-Esprit fut partagé avec Pierre par tous les Apôtres. Par conséquent, c'est de lui et par lui que tout a commencé. D'où il suit qu'une intelligence claire et pré­cise de sa primauté et de sa prérogative est nécessaire à une claire et précise intelligence de l'Eglise. Si on ne sait pas bien distinctement ce qui le concerne, la doctrine de l'Eglise restera toujours obscure dans la même proportion. Ce n'est pas la doctrine de l'Eglise qui peut déterminer la doctrine de la pri­mauté mais bien la doctrine de la primauté qui peut détermi­ner avec précision la doctrine de l'Eglise. En commençant donc par le Chef, le Concile a suivi l'exemple de Notre-Seigneur et l'on trouvera là l'une des causes de la singulière et lumineuse précision avec laquelle le Concile du Vatican a, dans une courte constitution, exclu les erreurs sur la primauté et l'infaillibilité du Pontife Romain (1). » — En suivant cet ordre, le Concile ob­tint encore l'avantage de compléter son premier décret par la Constitution Dei filius. Il avait déterminé, dans sa généralité, tout l'ordre de nature et de grâce; par la constitution Pater œternus; il en réglait pratiquement le principe d'application.

 

La minorité compacte et animée, s'était distribué les rôles de telle façon que les critiques de chacun de ses orateurs se cor­roboraient réciproquement. De plus, pour empêcher la majorité d'esquisser ses objections, elle les formulait en amendements et, pour éviter les équivoques, proposait, sur chaque sujet, deux amendements contradictoires. La discussion débuta par un dis­cours du rapporteur, Mgr Pie, le grand évêque de Poitiers. Dans ce rapport très net, très grave, très doctrinal, il justifie d'abord la commission d'avoir placé en tête la question de la primauté; il développe magistralement les arguments qui appuient les qua­tre chapitres de la constitution; il montre que le Concile ne pouvait omettre l'affirmation de l'infaillibilité sans blesser l'au­torité du Pape et des évêques; en concluant, il prie les Pères de traiter cette question avec le calme et la majesté dignes d'un grand Concile et d'écarter avant tout cette idée que la doctrine

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(1) Hist. du Concile œcuménique du Vatican, p. 63.

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de l'infaillibilité séparait violemment le chef du corps de l'E­glise. A Mgr Pie succèdent, pendant quatorze congrégations, soi­xante-quatre orateurs, dont treize français, dix italiens, six hon­grois, quatre autrichiens, six américains du nord, cinq espagnols, cinq irlandais, quatre allemands, trois suisses,  trois orientaux, deux anglais, un belge, un de Corfou, un de l'Amérique du sud, un de l'Asie orientale. Tous ces discours, émanant d'hommes graves, doctes et éloquents, sont écoutés avec respect. Les deux discours qui produirent le plus d'effet, en sens contraire, sont ceux de Mgr Darboy et de Msr Manning. Dans le discours de Geor­ges Darboy est résumé avec force et modération, la thèse de la gauche. Dans le discours d'Edouard Manning, on admire la clarté de l'exposition, le choix heureux des termes, le charme de la parole et un tel accent d'autorité qu'il dicte la définition beaucoup plus qu'il ne la conseille. En l'entendant, plus d'un de ses adver­saires s'écrie : « Etant ce que vous êtes, que n'êtes-vous des nôtres? »

 

« Il paraît bien certain, dit l'écrivain à qui nous empruntons ces détails, que l'argumentation de la minorité manqua de la décision logique qui rendit si redoutable au contraire celle de la majorité. Soutenir à la fois que le pape est exposé à faillir, comme l'a fait Honorius, et que cependant on doit à ses déci­sions sur la foi et les mœurs, ainsi qu'à tous les autres actes de son autorité, une prompte obéissance et une entière con­fiance, n'était-ce pas justifier cette objection foudroyante : le chrétien peut donc être contraint d'obéir à l'erreur ? s’élever contre la définition de l'infaillibilité, parce que pendant dix-huit siècles elle n'avait pas paru nécessaire à la chrétienté, après avoir approuvé la définition de l'Immaculée-Conception contre laquelle on en avait dit autant, n'était-ce pas encourir le reproche mérité de se mettre en contradiction avec soi-même? Quelle efficacité pouvait avoir une minorité qui repoussait la définition, non comme fausse ou anthipathique au peuple chré­tien, mais parce qu'étant universellement acceptée en fait par les évêques et les fidèles, il n'était pas nécessaire de proclamer
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ce que nul ne contestait. N'était-ce pas donner le droit de ri­poster : précisément parce que personne ne conteste plus l'in­faillibilité, il n'y a aucun péril à la définir, tandis que le silence paraîtrait une hésitation et ruinerait la doctrine acquise? Com­ment, après cet aveu d'une  foi générale, aurait-on attaché quelque importance aux lugubres prophéties, où l'on se com­plaisait du trouble des consciences et des déchirements immi­nents de la catholicité ? Par quel miracle, une vérité professée partout sans inconvénient pouvait-elle devenir une source de ca­lamités, lorsque, définie par un Concile, elle aura été marquée du sceau de l'Espril-Saint lui-même ?... Aussi la discussion  de la minorité, vague, confuse, superficielle, s'éparpilla-t-elle  en diverses considérations sans en   approfondir aucune : elle fut une retraite hargneuse beaucoup  plus   que l'attaque à fond d'hommes qui luttent en désespérés pour la foi indestructible de leur âme (1). »

  

   62. Après que l'assemblée sauf en de rares  moments d'im­patience, eut écouté avec une attention silencieuse, soixante-quatre fois le même discours sur Honorius, sur l'effet de la dé­finition dans l'esprit des protestants qui nient le pape et l'Église, dans l'esprit des incrédules qui n'admettent pas la révélation, sur les difficultés qu'un nouveau dogme à  croire apportera à  la conversion des Chinois, des Indiens, des  antropophages et autres théologiens de même force ; après qu'elle eut entendu des arguments ressasés depuis trois siècles et rabâchés tous les jours depuis un an ; après qu'elle s'aperçut que la  discussion générale essoufflée se transformait insensiblement en discussion spéciale sur les chapitres  troisième et quatrième; après qu'elle eut recueilli l'opinion des orateurs principaux et compris que ceux qu'elle n'avait pas entendus pourraient se donner libre carrière dans la discussion des chapitres : sur la proposilion de cent-cinquante Pères, elle vota, par assis et levé, à une majorité immense, la clôture d'une discussion générale qui avait pris déjà quatorze séances. Ce vote, si naturel, presque  nécessaire, fut

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(1) Ollivier, l'Église et l'État au Concile, t. II. p, 307.

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considéré par la minorité comme un abus de pouvoir intolérable ; elle en fut indignée, bouleversée au point de mettre en délibéra­tion si elle ne sortirait pas du Concile ou tout au moins des débats. Le ridicule et le danger d'une telle proposition ne pouvait échapper à des hommes intelligents; ils se rabattirent sur une nouvelle protestation. Cette protestation, dit M. Emile Ollivier, est regrettable pour la minorité ; son inconsistance frappera telle­ment les historiens du Concile, qu'elle invalidera l'autorité des précédentes, qui, du moins, avaient une apparence de solidité et de vraisemblance. »

 

La discussion du Proœmium et des deux premiers chapitres s'enleva en deux congrégations ; le troisième sur la primauté en réclama cinq, pour rétablir l'accord de la juridiction ordinai­re et immédiate du pape sur chaque diocèse sur la juridic­tion ordinaire et immédiate de l'évêque. Enfin le 15 juin commença et se continua pendant onze congrégations, la dis­cussion spéciale du schéma de l'infaillibilité. Les discours les plus remarquables furent ceux de Barthélémy d'Avanzo, de Guidi et de Bonnechose. L'évêque de Calvi excita l'admiration par la beauté de sa parole et par son inépuisable érudition. Le cardinal Guidi, archevêque de Bologne, inclina vers les thèses des inopportunistes. Le cardinal de Bonnechose déclara le re­tour pur et simple à la majorité, du tiers-parti où se trouvaient avec lui quelques prélats français. Quelques évêques s'adres­sèrent alors de nouveau à l'Empereur et le supplièrent de de­mander au Pape une prorogation de quatre mois. Mais tout le monde avait senti qu'il fallait en finir et sans attendre la répon­se de la France, il fut décidé que les orateurs renonceraient à la parole.

 

Après une suspension de cinq jours, la commission rapporta le schéma avec des modifications par quoi l'on voulait satis­faire aux vœux de la minorité. On avait modifié le titre, intro­duit la locution sacramentelle ex cathedra et présenté l'infailli­bilité comme une grâce dont le bénéfice ne rend pas impecca­ble. L'opposition demanda qu'une mention quelconque fut faite

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des évêques et des églises. Or cela ne pouvait être accordé sans redonner vie à l'opinion qu'on voulait écarter et sans rendre inutile, quelque anodine que fut la concession, le travail ac­compli depuis plusieurs siècles et qui tendait précisément à ne pas faire de l'intervention officielle de l'épiscopat une condi­tion légalement nécessaire à la définition des vérités dogmati­ques. La majorité ne s'arrêta pas devant ces exigences. Le 13 juil­let on passa au vote d'ensemble qui donna 431 placet; 88 non pla­cet; 62 placet juxta modum. Ces soixante-deux votes condition­nels n'appartenaient pas en totalité à l'opposition; la moitié avaient été émis par des prélats qui réclamaient plus de vi­gueur dans l'affirmation de l'infaillibilité et qui trouvaient, avec Mgr Maupoint, que Mgr Pie n'avait laissé au décret que la peau et les os.

 

Le 16 juillet le rapport de la commission rejeta les proposi­tions de la minorité et accueillit au contraire une rédaction de la majorité qui fortifiait la commission. Après le vote du 13, la formule était : Definitiones esse ex sese irreformabiles ; le 16 on adjoignit non autem ex consensu Ecclesiœ, qui écartent plus directement la thèse gallicane. Après quoi, le Concile condam­na les deux brochures : Ce qui se passe au Concile et la Der­nière heure du Concile. On remarqua que le cardinal Mathieu ne se leva pas pour cette condamnation, mais couvrit d'un pa­tronage dont il doit subir la solidarité, deux infâmes collections d'outrages au Pape et à la majorité du Concile. On vit, par ces approbations muettes d'où venaient ces brochures publiées chez l'éditeur de Dupanloup et, sinon avec son concours, né­cessairement avec son aveu. Les hommes sont hommes ; il est facile de croire que ce vil ramas de grossièretés ne rendit pas la majorité beaucoup plus douce pour le parti de l'agitateur. Ce­pendant les évêques de la minorité, qui faiblissent à mesure qu'il faut passer des paroles et des menaces, aux actes, se dé­cident à un suprême effort. Une députation composée des car­dinaux Swarzenberg et Rauscher, des archevêques de Paris et de Milan, des évêques de Dijon et de Mayence se rend au Vati-

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can le 16 après la séance. Par l'organe de Mgr Darboy, elle dé­clare adhérer à la doctrine de l'infaillibilité, mais demande son introduction dans une forme plus mesurée, par exemple, par l'adjonction de ces mots : Innixus testimonio Ecclesiarum, paro­les qui eussent introduit un gallicanisme pire que celui de Bos­sue.

 

   A cette heure suprême, on ne comprend plus l'intervention de si éminenls personnages, offrant au Pape une adjonction vérita­blement insensée. Entre gallicans et ultramontains, il s'agissait de savoir si le Pape est infaillible en tant que chef de l'Église, vicaire de Jésus-Christ, successeur de saint Pierre, en vertu de son autorité Apostolique ; ou s'il est infaillible, en tant qu'or­gane de l'Église, interprète et représentant des évêques, au­torisé par leur adhésion, expresse ou tacite. Et quand tous les opportunistes ont déclaré qu'ils croient à l'infallibilité person­nelle du Pape, qu'ils croient seulement à l'inopportunité de sa définition, ils viennent proposer une périphrase qui nie l'in­faillibilité et glorifie toutes les révoltes du gallicanisme. Selon nous, cette démarche trahit le jeu des inopporiunistes et révèle le fond des cœurs. Avec cette incise, ils se déclarent partisans de l'infaillibilité, pourvu qu'en la définissant, on en préconise la négation. Ou cette démarche est une frivolité ou elle ne peut avoir un autre sens et d'autre but que l'anéantissement de la définition dogmatique. Le Pape vit dans cette demande des pré­lats un moyen détourné de reprendre ce qu'ils allaient perdre ou une ruse de l'amour-propre effrayé de l'humiliation d'une dé­faite et répondit de manière à ne laisser aucune espérance.

 

Il n'y avait plus, pour la minorité, qu'un parti honorable : persister dans son non placet, puisque telle était la conviction de la gauche ; puis, lorsque les Pères auraient dit : Visum est Spiritui Sancto et nobis, se mettre à genoux et dire, en présence du Concile assemblé : Et nos credimus. L'archevêque de Colocza, Haynald, ouvrit cet avis et soutint qu'il fallait par un vote reten­tissant, protester à la face des rois, des peuples et de l'avenir, protestation qui ne nous paraît  pas cadrer beaucoup  avec les

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exigences de la piété. Les autres disent qu'en maintenant leurs votes, par respect pour le Pape, et aussi par crainte de voir di­minuer sensiblement les 83 non placet, ils s'abstiendraient de paraître à la séance, bien qu'ils n'aient, pour cette abstention, ni autorisation, ni excuse. En sa qualité d'évêque européen, Dupanloup écrivit à Pie IX pour lui promettre, s'il s'abstenait de définir l'infaillibilité, qu'il serait un grand pape. En lisant cette lettre, Pie IX dit: « Que me veut encore celui-ci ? me prend-il pour un gamin ? » Et après lecture : « L'évêque d'Or­léans, ajouta-t-il, est fou, fou, fou ! » canonisation à rebours que n'effaceront pas les trois volumes de son panégyriste. Les autres écrivirent une protestation d'autant plus brave qu'ils ne devaient plus se présenter. On lit, au bas de ce papier, les noms des Mathieu, des Darboy, Ginouilhac, Dupont des Loges, Marguerye, Maret, Foulon, Meignan, Sola, Ramadié, Place, David, RiveL, Dupanloup, Collet, Thomas, Callot, Hugonin, Las-Cases et Guilbert. Beaux noms, mais pauvres raisons !

 

« Exprimer son avis en session publique, dit l'auteur précité, c'était moins offenser le pape qu'on ne l'avait fait par tant de brochures et d'articles de journaux répandus contre lui, contre son entêtement, contre son oppression. La majorité, par res­pect d'elle-même et de son caractère épiscopal, n'aurait pas donné aux peuples le speclacle honteux d'un désordre sans précédents et contraire à la gravité ecclésiastique. Ne pas re­nouveler à la session publique le vote négatif de la congré­gation, c'était plus que l'affaiblir, c'était l'effacer, c'était assurer à la définition l'unanimité si bruyamment dérivée ; c'était avouer que si, après une opposition si vive, on n'osait dire placet on ne voudrait cependant à aucun prix répéter en public un non placet négation dogmatique d'une vérité dont on n'avait pas cessé d'être convaincu, (du moins on le disait.) Se retirer, quoi qu'on écri­vit à l'effet de conjurer celle conséquence, c'était, au regard de l'opinion ameutée par tant d'appels, désavouer la conduite des derniers mois et moralement voter avec la majorité... Toute­fois, par respect humain, la minorité essuya de couvrir ce sauve

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qui peut d'une belle protestation en renouvelant le vote dont elle n'osait pas répondre de sa personne. A quoi bon? Où les actes sont nécessaires, les paroles ne valent rien. Une fanfaron­nade ne couvre pas une reculade. « Nous avons quitté le Concile, disait Mgr Ginouilhac, il a pu décider sans nous. Notre protes­tation est sans valeur ; il eut fallu rester et dire jusqu'au bout conciencieusement non placet- La question est maintenant tran­chée. Nous n'avons plus qu'à nous soumettre (1).  »

 

Pour ne rien omettre, quelques jours après, la Gazette d’Augsbourg publiait un mémorandum qu'elle attribuait aux évêques opposants de France, voici cette pièce :

 

1. L'heure de la Providence a sonné : le moment décisif de sau­ver l'Église est arrivé.

 

2. Par les additions faites au IIIe canon du 3S chap. la commis­sion de fide a violé le règlement qui ne permet l'introduction d'aucun amendement sans discussion conciliaire.

 

3. L'addition subreptice est d'une importance incalculable; c'est le changement de la constitution de l'Église, la monarchie pure, absolue, indivisible du Pape, l'abolition de la judicature et de la co-souveraineté des évêques, l'affirmation et la définition anticipée de l'infaillibilité séparée et personnelle.

 

4.Le devoir et l'honneur ne permettent pas de voter sans dis­cussion ce canon, qui contient une immense révolution. La dis­cussion pourrait et devrait durer six mois, parce qu'il s'agit de la question capitale, la constitution même de la souveraineté dans l'Église.

 

5. Cette discussion est impossible à cause des fatigues ex­trêmes de la saison et des disposilions de la majorité.

 

6. Une seule chose, digne et honorable, reste à faire : De­mander immédiatement la prorogation du Concile au mois d'oc­tobre, et présenter une déclaration où seraient énumérées toutes les protestations déjà faites, et où la dernière violation du règlement, le mépris de la dignité et de la liberté des évêques

 

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(1) Olliyier, L'Eglise et. l'Etat, t. II, p. 343.

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seraient mis en lumière. Annoncer en même temps, un départ qui ne peut plus être différé.

 

7. Par le départ ainsi motivé d'un nombre considérable d'évêques de toutes les nations, l'œcuménicilé du Concile cesserait et tous les actes qu'il pourrait faire ensuite seraient d'une auto­rité nulle.

 

8. Le courage et le dévouement de la minorité auraient, dans le monde, un retentissement immense. Le Concile se réunirait au mois d'Octobre dans des conditions infiniment meilleures. Toutes les questions, à peine ébauchées, pourraient être repri­ses, traitées avec dignité et liberté. L'Église et l'ordre moral du monde seraient sauvés.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon