Assomption de Marie 1

Darras tome 6 p. 16

 

§ II. Assomption de la très-sainte Vierge.

 

   8. Pendant que la nationalité juive marchait si rapidement à sa ruine, la fille de David, la fleur de Jessé, la Vierge immaculée qui fut mère de Dieu, prenait possession du trône de gloire qu'elle occupe au ciel. Le silence des évangélistes, pour tout ce qui concerne la mort et l'assomption de Marie, est un des faits les plus significatifs de l'histoire de l'Église. Nous avons essayé déjà de faire comprendre les mystères d'humilité, de grâce virginale et d'amour maternel qui se dérobent sous le voile d'obscurité recherchée et voulue dont la reine des anges aimait à s'envelopper. Le moment est venu de dire ici toute notre pensée, et nous le faisons avec d'autant plus de joie que les voûtes des catacombes viennent de laisser échapper un rayon du culte de la sainte Vierge, au temps des apôtres. L'auteur de cette histoire n'oubliera jamais l'émotion qu'il ressentit, le jour où, guidé, dans le cimetière de sainte Priscille, par l'illustre archéologue chrétien M. de Rossi, ils parvinrent ensemble à un loculus situé près de la galerie où furent inhumés les chrétiens de la famille sénatoriale de Pudens, disciple de saint Pierre. La voûte plate du loculus était ornée d'une fresque représentant un pasteur portant, sur l'épaule droite, une brebis qui approche sa tête caressante du visage de son maître, comme pour le remercier de lui avoir sauvé la vie. A droite et à gauche, deux autres brebis lèvent un regard intelligent vers le pasteur et semblent le féliciter de leur ramener une compagne égarée. Cette gracieuse scène évangélique est encadrée entre deux arbres dont le feuillage vert et les fruits couleur de pourpre rappellent les rouges grenades de la Judée. La peinture, d'une finesse exquise et d'une admirable exécution, est évidemment contemporaine des fresques retrouvées à Pompéï. C'est l'art romain du plus beau

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1.  Salvador, Domin. rom. en Judée, tom. I, pag. 508-514.

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siècle de l'empire. Le stuc, employé pour le revêtement des murs, est lui-même d'un fini qu'on ne retrouve plus dans les monuments des temps postérieurs. Les épigraphes et les inscriptions sépulcrales de ces galeries, peintes au minium et rehaussées de vermillon, attestent la plus haute antiquité. Les noms eux-mêmes forment une famille parfaitement distincte, qui n'a rien de commun avec les formules usitées dans les tombeaux chrétiens d'un autre âge. On y retrouve les Pudens, les Titus-Flavius avec les tria nomina, comme au temps d'Horace ou de Sénèque. Enfin, me disait M. de Rossi, quand, en 1831, je découvris cette partie ignorée de la catacombe, elle était obstruée jusqu'à la voûte sous le sable dont la galerie avait été comblée, à mesure que les fossores, creusant toujours en avant dans le tuf, poursuivaient leurs travaux. On refermait ainsi les galeries primitives, pour en ouvrir de nouvelles et faire place aux générations qui se pressaient dans les sépultures chrétiennes. Ainsi le doute n'était plus possible. La catastrophe de Pompéï, survenue l’an 79 de l'ère actuelle, donne une date certaine à toutes les fresques similaires des catacombes. Le cimetière de Priscille, si célèbre dans les martyrologes, est indiqué comme le lieu de la sépulture des vierges Pudentienne et Praxède; il remonte incontestablement au siècle apostolique. J'avais donc sous les yeux une peinture aussi rapprochée que possible de l'âge de saint Pierre. Je foulais un sol sur lequel vraisemblablement le premier des papes avait posé le pied! Dans ces ténèbres souterraines et pour ainsi dire palpables, où vacillait la tremblotante clarté de nos flambeaux, Pierre avait apporté la grande lumière de l'Évangile ! Il me souvenait alors que la tradition fait de saint Luc un peintre habile. Peut-être la même main qui a écrit l'Évangile a-t-elle tenu ou dirigé le pinceau qui traça sur ces murailles l'image du divin Pasteur. Les brebis caressantes, qui accueillent avec un sentiment d'allégresse inexprimable le retour du pasteur et de leur compagne égarée, sont-elles le symbole des premières joies de l'Église, au retour triomphal du premier de ses pasteurs humains? Quoi qu'il en soit, le fruit divin de la vie évangélique avait répandu là ses premiers parfums et ses merveilles de grâces. En même temps qu'il

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versait l'eau régénératrice sur les premiers fidèles de Rome, Pierre avait baptisé l'art chrétien. Ces images symboliques, dont l'œil jaloux du paganisme ne pouvait deviner la signification mystérieuse, étaient à la fois une protestation contre le préjugé rabbinique qui proscrivait toutes les représentations humaines par la peinture et la sculpture, et la condamnation anticipée de l'hérésie byzantine des iconoclastes, et de son rigoriste imitateur, le protestantisme.

 

   9. Plongé dans ces réflexions, il me semblait assister à une réunion des premiers chrétiens, alors que, protégés pour quelques jours encore contre les fureurs de Néron par l’obscurité des catacombes, ils se groupaient autour du prince des apôtres, et recueillaient les paroles de celui qui fut élu pour être la pierre fondamentale de l'Église, et chargé par Jésus-Christ de confirmer ses frères dans la foi. Pierre revenait du concile de Jérusalem; la mort de Claude lui avait permis de rentrer dans cette ville de Rome, où sa présence avait dès l'abord inquiété la puissance des Césars. Or, selon la tradition, Pierre avait dû assister, dans l'intervalle, aux derniers moments passés sur la terre par la vierge Marie. Le tombeau vide de l'auguste Mère de Dieu se montre encore aujourd'hui, sur le flanc de la montagne des Oliviers, à tous les pèlerins des saints lieux. La mort et l'assomption de la sainte Vierge ont donc laissé un monument visible sur le sol de la Judée, de même qu'elles ont imprimé un si profond souvenir dans les cœurs catholiques. Mais en quels termes Pierre, à son retour à Rome, sous Néron, annonçait-il ces glorieux événements à la piété des fidèles? Pourquoi, me disais-je, l'écho de ces sombres voûtes ne me renvoie-t-il pas aujourd'hui les paroles prononcées alors par le prince des apôtres, en l'honneur de la divine Mère de Jésus-Christ? Sous les traits à demi effacés de cette fresque vénérable, je retrouve l'image du Bon Pasteur, du fils de Marie. Pourquoi la Mère n'est-elle pas à côté de son Fils? A la crèche, au calvaire, au tombeau de Joseph d'Arimathie, ces deux figures étaient ensemble. Les apôtres pouvaient-ils les séparer aux catacombes? Je savais bien que l'humilité de Marie avait imposé un silence absolu aux évangélistes sur tous les faits

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qui ne concernaient que sa personnalité seule. Et quelle autorité ne dut point exercer la Mère de Dieu sur le collège apostolique pour que cette recommandation, d'une modestie si touchante, ait été scrupuleusement observée, malgré l'effusion de reconnaissance et de tendre vénération, prête à déborder du cœur des disciples! N'avait-il pas fallu, par exemple, que saint Jean comprimât toutes les ardeurs de son amour filial, pour n'oser pas, dans son Évangile, consigner un seul mot des derniers moments de la Mère adoptive qui lui fut léguée sur la croix?  La sublimité de cette respectueuse obéissance dans l'apôtre, et de cette abnégation virginale dans la Mère de Dieu, m'apparaissait alors avec une réalité saisissante. Je comprenais qu'une telle Mère avait voulu disparaître devant un tel Fils! Tout à coup, abaissant sur la paroi du mur latéral la flamme de sa torche, M. de Rossi me montrait, peinte dans la retombée de l’aracsolium, une délicieuse image de la vierge Marie, tenant l'enfant Jésus dans ses bras. La Vierge est assise sur une cathedra, dont le temps a presque entièrement fait disparaître les lignes. Son visage est encadré d'un voile qui retombe gracieusement sur les épaules, à la manière des femmes juives. Elle porte une tunique, à manches courtes, et, par-dessus, le pallium. L'Enfant-Dieu assis sur les genoux de sa mère, et le corps incliné sur son sein, retourne la tête vers les spectateurs, et semble, du geste, les inviter à se réfugier eux-mêmes dans les bras de Marie. Une étoile, à cinq rayons flamboyants, se détache au-dessus de la Vierge et inonde son front d'une lumière céleste. A gauche, un homme jeune encore se tient debout, vêtu seulement du pallium. Il lève la main droite et montre, de l'index, la Vierge ainsi que l'étoile. Sa main gauche tient un volumen roulé, dont on ne distingue plus qu'une faible trace. C'est Isaïe, prononçant, en face de l'étoile qui devait se lever sur Jacob, l'oracle fameux : « Voici qu'une Vierge concevra et enfantera un fils, dont le nom sera: Dieu avec nous. » Quand cette image de la Mère de Dieu, tracée sous les yeux des apôtres, m’apparut ainsi, je tombai à genoux, fondant en larmes; et je compris que la voix de saint Pierre m'arrivait ainsi, à travers les âges, pour me dire : L'étoile de Jacob descendue du ciel sur la

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terre de Judée était remontée au ciel. La Mère de Dieu, toujours jeune ici-bas, comme à la crèche de Bethléem, est allée s'asseoir à côté de Jésus, sur un trône immortel. Son corps et son âme ont suivi l'âme et le corps de son Fils. Voilà la grande nouvelle que j'apportai de Jérusalem aux fidèles de Rome, à mon second voyage. Pouvaient-ils mieux la transmettre aux chrétiens de tous les âges qu'ils ne l'ont fait dans cette touchante image?

 

   10.  Voilà donc sous quels traits les apôtres, qui avaient vécu à Jérusalem, à côté de la vierge Marie, la présentaient à la vénération très-sainte des fidèles, sur tous les points du monde ! Le protestantisme nous reproche, comme une innovation idolâtrique, le culte de la sainte Vierge. Il prétend qu'on n'en trouve nulle trace, au premier âge de l'Eglise. Dieu permet que, sous la poussière de dix-neuf siècles, une image exhumée au sein des catacombes, nous offre le monument irrécusable du culte de Marie, que saint Pierre et saint Paul enseignèrent aux fidèles romains. On comprend dès lors comment saint Jean dans son Apocalypse, respectant toujours la recommandation de l'auguste Mère de Dieu, décrit, sans la nommer, les ma-gnificences de la femme bénie, « enveloppée du soleil comme d'un manteau de gloire, ayant la lune à ses pieds, et portant au front un diadème de douze étoiles. » On comprend pourquoi saint Épiphane n'osait affirmer que la Mère de Dieu fût morte comme les autres filles d'Eve, ne sachant point si son assomption glorieuse avait été précédée pour elle du trépas. Cependant nous savons aujourd'hui ce que le saint évêque de Salamine ignorait encore. La vierge Marie, comme Jésus son fils, subit la mort, avant d'être transportée, en corps et en âme, dans les splendeurs célestes. La parole de saint Denys l'Aréopagite, témoin oculaire, a fixé toutes nos incertitudes. Dans son traité des Noms divins, adressé à Timothée, saint Denys s'exprime en ces termes: «Hiérothée, notre maître sublime, brillait entre les pontifes inspirés, comme vous l'avez vu, quand vous et moi, au milieu d'un grand nombre de frères, nous vînmes contempler le corps vénérable qui avait produit la vie et porté Dieu. Là se trouvaient Jacques, frère du Seigneur, et Pierre, coryphée et chef suprême des théologiens. Alors tous les pon-

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tifes voulurent, chacun à sa manière, célébrer la toute-puissante bonté du Dieu qui s'était revêtu de notre infirmité. Or, après les apôtres, notre illustre maître surpassa les autres pieux docteurs, tout ravi et transporté hors de lui-même, profondément ému des merveilles qu'il publiait et estimé par tous ceux qui l'entendaient et le voyaient, qu'ils le connussent ou non, comme un homme inspiré du Ciel et comme le digne panégyriste de la Divinité. Mais à quoi bon vous redire ce qui fut prononcé en cette glorieuse assemblée? Car, si ma mémoire ne m'abuse, il me semble avoir entendu souvent de votre bouche des fragments de ces divines louanges : tant vous déployez toujours une pieuse ardeur en ce qui concerne les choses saintes. Mais laissons ces mystiques entretiens, qu'on ne doit pas divulguer aux profanes et que d'ailleurs vous connaissez parfaitement 1. » Ce précieux témoignage d'un contemporain mérite toute notre attention. Il prouve tout d'abord que la sainte Vierge mourut à Jérusalem, et non à Éphèse, comme l'ont prétendu quelques écrivains de date relativement récente. En effet, nulle réunion de Jacques, frère du Seigneur, de Pierre, le coryphée et chef suprême des théologiens, et des autres apôtres, n'eut lieu à Éphèse. L'opinion erronée qui plaçait à Éphèse la mort de la sainte Vierge, dut son origine à une phrase incom- plète de la lettre adressée à toute la catholicité par le concile œcuménique d'Éphèse en 431. Les Pères y disent que Nestorius a été anathématisé en cette ville où Jean le théologien et la sainte Vierge Marie.......Les trois mots qui terminaient cette période manquent, dans le manuscrit d'où sont tirés les actes du IIIe concile général. On crut pouvoir les rétablir et achever le sens interrompu en comblant ainsi cette lacune :   «Où Jean le théologien et la sainte

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1.         Dionys. Areopag., de Divinis nomin., cap. m, § 2, traduction de Mgr Darboy. L'illustre prélat a parfaitement établi l'authenticité des ouvrages de saint Denys l'Aréopagite. (Œuvres de saint Denys l'Aréopagite traduites du grec, précédées d'une introduction par l'abbé Darboy, Paris, 1845, in 8°.) Désormais la controverse est finie sur ce point, et le monde savant a adopté les conclusions du célèbre traducteur. Nous nous abstiendrons donc de rentrer dans un débat clos définitivement, le lecteur trouvera tous les arguments dans l'in- troduction de l'ouvrage que nous citons.

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vierge Marie » ont leur tombeau. Une étude plus approfondie des monuments relatifs au concile général d'Ephèse, et en particulier des œuvres de saint Cyrille, qui prit une part si active à la condamnation du nestorianisme, prononcée dans cette réunion solennelle, avait depuis longtemps fait abandonner cette hypothèse. Saint Cyrille nous apprend en effet qu'il y avait à Éphèse une église dédiée à l'apôtre saint Jean et une autre à la sainte Vierge. Ce fut dans cette dernière que le concile tint ses séances et condamna l'erreur de Nestorius. On conçoit facilement qu'au milieu de la chrétienté qu'il évangélisa, saint Jean ait introduit le culte de Marie; de même que saint Pierre et saint Paul l'avaient porté à Rome. Il faut donc rétablir en ce sens le texte mutilé de la lettre synodale d'Ephèse. La véritable leçon doit être celle-ci : « Nous avons anathématisé Nestorius en cette ville, où Jean le théologien et la sainte vierge Marie, mère de Dieu, ont leur temple 1. » La tradition qui fixe à Jérusalem le séjour de la sainte Vierge après l'ascension du Sauveur et qui l'y fait mourir, est donc confirmée implicitement par le témoignage contemporain de saint Denys l'Aréopagite.

 

    11. Ajoutons que les monuments de la ville sainte parlent ici le même langage. « Nous avons encore, dit Mgr Mislin, les relations d'un grand nombre de voyageurs, qui, à commencer du septième siècle, ont visité le lieu où mourut la sainte Vierge, sur le mont Sion. La maison où elle vécut après la descente du Saint-Esprit et où elle mourut était attenante au cénacle. Près de la maison de la sainte Vierge était une petite chapelle, où saint Jean célébrait pour elle les saints mystères 2. Les auteurs grecs admettent la même tradition. Celui qui est le plus explicite c'est André, archevêque de Crète 3, qui vivait au VIIe et au VIIIe siècle. Il dit que la sainte

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1 Voici le texte original du passage en question : "08ev xal NeaTÔpio? ç6âaai; èv tri 'Eçs<7ttûv, ëv9a à OeoXôyo; 'Iwâvvïiç xai i\ 8eot6xo; napOsvoç ^ àyîa Mapt'a...... toO ovlloYQv Tûv àyiwv TtaTÉpwv xaî imaxontùv Çevwua; éauxâv, x. t. X. ( Concil. Col. Reg., Paris., 164i, fol. Tom. V, pag. 551.

2.  Marinus Sanutus, lib. III, § 14, cap. vin ; Bonifacius, De perenni cultulerrœ sanctœ , lib. II. —3 Andr. Cretens., Orat. in dormit. B. M.,Patrol. greec, tom. XGVII, col. 1046-1109.

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Vierge demeurait sur le mont Sion ; qu'on y montrait sa maison convertie en une église; qu'elle y mourut en présence des apôtres et des disciples; que son corps fut porté par les apôtres dans la vallée de Gethsémani; qu'il n'y éprouva point la corruption; qu'il ressuscita et monta au ciel, et que le tombeau de Marie est honoré par le concours des peuples 1. » Ces souvenirs si détaillés, empruntés à la tradition locale de Jérusalem, frappent davantage encore, quand on les rapproche du silence complet gardé, par les annales de la ville d'Éphèse, sur un point aussi important que celui de la mort de la sainte Vierge. Par exemple, à l'époque de la controverse des quartodecimans, dans la correspondance échangée entre le pape saint Victor (185-187) et Polycrate, évêque d'Éphèse, ce dernier fait l'énumération des privilèges de son Église. Il rappelle qu'elle doit sa fondation à l'évangéliste saint Jean; qu'elle tient de cette source vénérable sa liturgie et ses usages, relatifs à la célébration de la fête de Pâques. Nul doute que, si la sainte Vierge eût passé les dernières années de sa vie terrestre et fût morte à Éphèse, Polycrate ne se fût prévalu d'un titre aussi auguste, et n'eût indiqué, à côté du tombeau de l'apôtre saint Jean, dont il fait une mention expresse, le sépulcre vide où aurait été déposé le corps virginal de la Mère de Dieu. Mais ce monument, qui ne se trouve point à Éphèse, est connu de temps immémorial à Jérusalem : « En descendant au fond de la vallée du Cédron, dit encore Mgr Mislin, on passe un pont en pierre, d'une seule arche, jeté sur le torrent, et on se trouve au pied de la montagne des Oliviers. A quelques pas, vers la gauche, est l'entrée de l'église souterraine qui renferme le tombeau de la sainte Vierge 2. C'est dans cette église que la sainte Vierge avait été ensevelie ; mais Dieu n'a pas voulu que cette demeure de la mort gardât le corps qui avait été

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1. Mgr Mislin, Les Saints Lieux, tom. II. 355-358.

2.  On la trouve désignée sous les noms suivants : Virginis Mariae sepulcrum de valle Josaphat (Radulfo, de Diceto). S. Mariae ecclesia in valle Josaphat (Arculf). Le moustier de madame sainte Marie (Citez de Jérusalem). Chiesa della Madonna detta de sepolcro di Maria santissima nella valle di Giosafat

(Mariti). Ecclesia genitricis Dei Mariae (Gesta Francorum). Ecclesia Assumptionis (Fabri). Église de Gethsemani (dans les auteurs, arabes). Note de Mgr Mislin.

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la demeure de la vie. C'est là qu'a eu lieu l'assomption. On accède à l'église par le sud. On trouve d'abord un assez grand espace aplani et pavé, où l'on descend par trois marches, et sur lequel s'élevait autrefois une abbaye de Bénédictins, et on est en face d'un portail, de style gothique, qui a subi les injures du temps. On descend alors un grand et magnifique escalier en marbre, dans la direction du sud au nord; il a quarante-sept marches qui n'ont pas toutes la même largeur; dix à douze personnes peuvent s'y tenir de front. Il y a d'abord, à droite, une porte fermée, qui conduisait jadis dans la grotte de l'agonie de Notre-Seîgneur; puis, un peu plus bas, du même côté, un enfoncement qui renferme les tombeaux de saint Joachim et de sainte Anne, et vis-à-vis, à gauche, un autre enfoncement plus petit avec le tombeau de saint Joseph. Quand on est parvenu au bas de l'escalier, on se trouve dans une église qui a la forme d'une croix; sa plus grande longueur de l'est à l'ouest, est de quatre-vingt-quinze pieds, et sa largeur de près de vingt. Elle est solidement murée de tous les côtés; sa partie orientale est taillée dans le roc. Elle ne reçoit de lumière que par une ouverture pratiquée dans la voûte, du côté de la montagne1, et par l'escalier. Les autres ont été fermées. Elle était déjà ainsi il y a cinq cents ans 2. Le tombeau de la sainte Vierge est placé au milieu de la grande nef, mais aux deux tiers de la grandeur de l'église, vers le côté oriental. Toutes les anciennes descriptions s'accordent à dire que ce tombeau était taillé dans le roc, comme celui de notre Sauveur 3. Le sépulcre de Marie est renfermé dans un petit monument, ou chapelle, qui a deux entrées, l'une au couchant, l'autre au nord. Les Grecs ont aujourd'hui le privilège de célébrer leurs offices sur la table de marbre qui le recouvre. Les catholiques y disaient la messe, quand ce monument était en leur

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1 Non habet lumen, nisi in efus orientait parte est apertura fada versus cœlum, et per hoc foramen parum de iumine intrat, et solum unum ecclesiœ angulum il» îustrot. Hoc foramen est superius muro et margine circumdaium, ac si esset cis- terna (Fabri, i, 375.) Note de M& Mislin.

2. Marins Sanutus, Liber secreiorum fideliurn Crucis de Terrœsanctœ récupératicne (1306-1321). (Id., ibid.)

3.  Quaresmius, n, 238; Perdicas, 73; Délia Valle, i, 143.

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possession, et y entretenaient vingt et une lampes toujours allumées. Dès l'an 429, il existait en ce lieu une église, sous le vocable de l'Assomption 1. » A ces intéressants détails recueillis sur les lieux par Mgr Mislin, nous pouvons joindre le témoignage récent d'un illustre archéologue français. « Le tombeau dans lequel, suivant une très-ancienne tradition, le corps de la sainte Vierge reposa entre sa mort et son assomption, dit M. le comte de Vogué, se compose d'une petite chambre sépulcrale, taillée dans le roc, sem-blable à tous les tombeaux juifs que nous connaissons, et offrant la plus grande analogie avec le tombeau de Jésus-Christ. Lorsqu'au IVe siècle, il fut, comme tous les lieux saints, recouvert par une église, il subit la même modification que le saint sépulcre; c'est-à-dire, qu'il fut séparé de la masse du rocher, dans laquelle il avait été creusé, au moyen d'une coupure artificielle, de manière à for-mer un édicule cubique, isolé au milieu d'un large espace vide. La date de cette transformation est indiquée par sa nature même et par son identité avec le travail exécuté, sous Constantin, autour du saint sépulcre. Les deux opérations semblent inspirées par la même pensée; cependant les preuves écrites manquent pour établir leur simultanéité. Mais, en fait de monuments, les analogies matérielles sont des guides plus sûrs que les textes les plus précis. Eusèbe, saint Jérôme et les autres historiens de la même époque, ne parlent ni du sépulcre de la sainte Vierge, ni de l'église qui le contenait; mais leur silence ne saurait détruire, à mes yeux, les conclusions qu'on est en droit de tirer de la forme extérieure donnée au tombeau, laquelle appartient au système constamment appliqué, pendant le IVe siècle, non-seulement au saint sépulcre, mais aux principales sépultures des catacombes romaines. La première mention historique se trouve dans saint Jean Damascène 2, à propos du fait suivant : L'impératrice Pulchérie (390-430) avait fait construire à Constantinople une église en l'honneur de la Mère de Dieu 3; et, sachant que le tombeau de la Vierge se trouvait à

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1 Mgr Mislin , Les Saints Lieux, tom. II, 459-462. — 2 Orat. II de Assumpt., Patrol. grœc. — 3. C'est la fameuse église, dite des Blaquernes, ainsi nommée d'un des sept quartiers de Constantinople où elle était bâtie.

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Jérusalem, dans une église bâtie au lieu nommé Gethsémani, elle voulut avoir de ses reliques pour les placer dans sa nouvelle cons-truction. Elle s'adressa donc à Juvénal, patriarche de Jérusalem, qui se trouvait alors à Constantinople pour le concile de Chalcédoine; mais elle apprit de lui que le sépulcre de la Vierge était vide, et que la vénération dont il était entouré ne s'adressait qu'au souvenir du court séjour de la sainte Mère de Dieu dans la poussière du tombeau1


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