Darras tome 27 p. 167
III. NÉGOCIATIONS ENTRE L’EMPEREUR ET LE ROI DE FRANCE.
Il. Nous le retrouvons peu de mois après sur les bords de la Saône, l’Arar des Gaulois et des Romains, qui séparait du royaume de France les possessions accidentelles de l’empire allemand. Les deux souverains devaient tenir leur conférence, selon les arrangements pris, à S. Jean-de-Losne, bourg alors important situé sur la rive droite du fleuve. Frédéric était de l’autre côté dans la ville de Dole, avec son armée d’Italie, qui campait aux environs ; et les catholiques, attristés déjà de la conférence elle-même, le soupçonnaient de méditer quelque sinistre dessein contre le Pape et le roi. Celui-ci néanmoins, ne voulant pas manquer à sa parole, s’était acheminé vers le lieu du rendez-vous, quoique n’ayant à sa suite qu’un petit nombre de chevaliers français et de ses principaux feudataires. Vainement Alexandre avait essayé de l’en détourner, soit par une lettre à l’évêque de Soissons chancelier du royaume, soit par l’envoi de deux cardinaux au monarque lui-même 1. Le sentiment de l’honneur étant en jeu, Louis n’entendait plus les conseils de la prudence. Entre Bourbon-L’Archambault et Moulins, dans le monastère de Souvigny, dépendant de celui de Cluny, le Pontife et le roi s’abouchèrent, se donnant réciproquement les
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1 Duciiesn. de Rebits fmne. tom.
iv, pag. 593.
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plus grands témoignages d’honneur et d’affection, oubliant le mécontentement qui s’était élevé naguère. Les pourparlers durèrent deux jours, et, malgré toutes les instances, le premier refusa de suivre le second dans cette excursion aventureuse et compromettante; une dernière fois il voulut même l’en dissuader1 . Voyant ses efforts inutiles, il consentit à se faire représenter par cinq cardinaux, mais sous la réserve expresse que son élection ne serait pas discutée comme pouvant être l’objet d’un doute, et qu’on s’occuperait uniquement des mesures à prendre pour ramener les dissidents. Louis VII continua sa route, tandis qu’Alexandre se retirait à l’Abbaye de Bourg-Dieu, sur les confins de l’Aquitaine. Quand le négociateur champenois eut appris que son suzerain était arrivé sans le Pape à Dijon, il vint le trouver dans le palais des ducs de Bourgogne, pour lui rappeler, disait-il, les engagements qu’il avait contractés en son nom, mais auxquels l’absence du Pontife portait essentiellement atteinte ; ce qui les constituait l’ûn et l’autre dans une fausse position.
12. A vrai dire, le roi n’avait eu de ces engagements qu’une bien vague connaissance, Frédéric ayant recommandé de ne les lui préciser qu’au dernier moment. Dès qu’il en vit la portée : — Je m’étonne, s’écria-t-il, que vous ayez fait de telles promesses sans me consulter, à mon insu même.— Ne m’aviez-vous pas autorisé, répondit l’obligeant intermédiaire, par Manassés d’Orléans? Du reste, j’ai juré pour vous ; et, si votre majesté ne ratifie pas ma promesse, je suis dans la rigoureuse obligation de transférer à l’empereur les droits qui m’attachaient à votre couronne et de me déclarer son vassal. — L’entretien était rompu par une telle réponse ; le comte n’attendit pas la réplique du roi. De nouveaux émissaires vinrent dire à Louis de la part de Barberousse : — Vous m’avez trompé, c’est visible ; vous n’avez pas accompli votre serment. — Il me serait facile, répliqua-t-il avec indignation, de justifier pleinement ma conduite et celle du Pontife exilé ; mais je ne veux pas que l’ombre d’un soupçon plane sur l’honneur d’un roi de France,
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1 Adrun. Vales. Xolit. Galliar. ad vocem Salvinfaciem.
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qu’il soit, même à tort, accusé de la plus légère dissimulation. J’irai au rendez-vous avec le Pape Alexandre, s’il y consent ; sans lui, s’il refuse. — Et peu de jours après, il se dirigeait vers S. Jean-de-Losne. C’était tomber sciemment dans le piège, aller au-devant de la captivité. Le ciel lui vint alors en aide. L’empereur s’était déjà présenté, poussé par l’antipape. De plus, il avait hâte de rentrer en Germanie, la famine exerçant des ravages affreux parmi ses troupes, tandis que les Anglais, excités par Alexandre, s'avançaient à grandes journées au secours de Louis. Celui-ci ne trouva sur le pont de la Saône que les représentants de l’empereur, ayant à leur tête Raynald l’archevêque intrus de Cologne, l’intime conseiller de Frédéric et le principal fauteur du schisme. Il se fit répéter, devant le comte Henri de Champagne, les conventions arrêtées entre eux. — Elles sont bien telles? demanda-t-il à ce dernier. —Sans nul doute, lui fut-il répondu. — Je le nie, s’écria le chancelier de l’empire. Jamais l’empereur n’a pu s’exprimer ainsi ; il n’entend partager avec personne le droit de porter un jugement sur ce qui touche à l’Eglise Romaine ; car elle ne ressort que de son autorité.
— Cette parole est aussi lumineuse que brutale ; l’intime pensée des Césars allemands éclate dans le feu de la discussion.
13. Le roi devenant maître de lui-même, à mesure qu’il l’était du terrain, dit avec calme et non sans un léger sourire: Maia alors pourquoi suis-ie ici ? Quel était donc l’obiet de cette conférence? Comment un homme aussi prudent, aussi distingué que votre maître m’a-t-il adressé d’inutiles invitations et des messages illusoires? Me voilà cependant. — Se tournant ensuite vers le comte de Champagne, il ajouta : — Il n’est pas là celui dont tu m’avais annoncé la présence. Sous tes yeux, à tes oreilles, les termes de la convention sont changés, — Je suis obligé de le reconnaître. — Ai je rempli mes engagements? —D’une manière parfaite, mon seigneur et mon roi. —Parlant enfin aux nobles personnages, ecclésiastiques et laïques, dont il était entouré : — Vous venez d’entendre, vous voyez de quelle façon j’ai tenu ma parole. Vous semble-t-il que je sois libre maintenant? — Absolument libre, s’écrièrent-ils tous à la fois. Descendant alors sur la rive du fleuve,
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nous apprend un chroniqueur du Nord vivant à cette époque1, le roi se lava les mains; puis, remontant à cheval, il se précipita dans la direction de son royaume. Les Teutons confondus eurent beau courir à sa suite et le conjurer de revenir sur ses pas ; il se garda bien d’écouter leurs prières. Si Louis VII montra tant de résolution et de fermeté pour sortir de l'impasse où l’avaient entraîné son irréflexion et les intrigues des schismatiques, s’il répara d’une telle façon un emportement momentané, seul il n’en eut pas le mérite, bien que ce fût un trait dominant chez lui de se relever contre toute attente et de se révéler au plus fort du danger ; un de ses frères, celui qui s’était engagé dans l’état religieux et qui plus tard avait dû se résigner aux honneurs ecclésiastiques, ne l’oublia pas dans cette périlleuse occasion. De l’évêché de Beauvais il venait de passer, malgré ses résistances, à l’archevêché de Reims. La translation avait eu lieu le 14 janvier de cette même année. Il écrivit au roi les plus énergiques lettres pour arrêter toute compromission avec les ennemis de l’unité catholique. Quant à lui, sa droiture et son zèle avaient éclaté dès le commencement ; pas un prélat dans les Gaules sur l’appui duquel Alexandre comptât davantage. De saintes amitiés corroboraient ses nobles inspirations.
14. Voici ce qu’un humble abbé, Pierre de Celles 2, mandait à l’illustre Métropolitain : « Jusqu’à l’heure présente, le combat languissait et n’exigeait pas un remarquable courage; on pouvait avec assez de sécurité chevaucher sans cuirasse, sans glaive et sans bouclier. Quiconque possède ces armes doit maintenant les porter. C’est la grande lutte, le jour est venu, les bannières sont déployées ; que les forts d’Israël prennent leur casque et ceignent leur puissante épée. Voilà que les Philistins, se dégageant des ombres où se cachait leur perversité, dressent partout leurs innombrables tentes, rangent leurs formidables bataillons. Le chef de cette milice, pour ne pas dire malice, c’est Octavien. Ayant chassé Dieu de son âme,
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i Hermold. Chronic. Slavor. lib. I, cap. 91.
2 Pas tellement humble cependant ; les hommes les plus distingués de l'époque étaient en rapports avec lui. Il existe plusieurs lettres écrites au saint par Jean de Salisbury. Epist. lxxxi, lxxxv, xcvj, xcvn; — Patr. lat. cxcix.
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il veut régner à la place de Dieu. Il déchire dans sa fureur non le voile du temple, mais la tunique du Christ... Quelle doit être, monseigneur, en ce moment, votre altitude ? Rendez-vous à côté de Josué, ou plutôt de Jésus, l’épée nue à la main. Interpellez quiconque passe et dites-lui : «Es-tu des nôtres, ou bien des ennemis 1? » Vous avez Alexandre, ou mieux Pierre, ou mieux encore le Christ, dont Alexandre et Pierre ne sont que les serviteurs. Qui peut trembler avec Alexandre investi de la toute-puissance? chanceler avec Pierre établi sur la pierre fondamentale? Qui pourra nous séparer de la charité du Christ, qui règne au ciel et sur la terre? Je connais votre royale valeur, votre indomptable fermeté contre l’injustice opiniâtre. Je connais les élans de votre zèle sacerdotal. Accomplissez donc ce que vous imposent et la dignité de vos fonctions, et la noblesse de votre sang, et la gloire du christianisme. Grandes sont vos obligations, mais grand aussi est votre pouvoir. J’en ai dit assez pour un sage. » A quel point la conférence avortée rabaissa le parti de Frédéric et de l’antipape, nous le voyons dans une lettre écrite à cette occasion par Jean de Salisbury : « Est-ce que le César teuton n’ébranlait pas naguère l’univers au bruit de sa renommée? N’avait-il pas comme subjugué les royaumes voisins et frappé de terreur l’empire même de Constantinople ? Ses ambassadeurs ne semblaient-ils pas proposer une reddition, quand ils offraient une alliance ? Grâce à Dieu, on ne le craint plus autant ; et ce monarque qui faisait trembler les nations éloignées, est désormais eu butte aux insultes de ses princes germains; celui qui d’un mot imposait aux étrangers la paix ou la guerre, est maintenant heureux d’obtenir des siens le trône qu’il implore. Depuis qu’il est allé sur les bords de la Saône, dans le but d’arracher à l’unité catholique le roi des Francs et l’Eglise des Gaules pour les entraîner dans son hérésie, pour les mettre aux pieds de son idole, le cours de ses prospérités a cessé, comme il l’avoue lui-même en gémissant; la fortune, après l’avoir élevé si haut, l’abreuve d’humiliations et d’outrages2. »
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' Josuc, V, IH.
2 Joan. Saumueu. Epis t. cxi.v,ad Bartholom. episc.Exox. ;/>«('•• /«Uoui.cxcix, col. 133, 134.
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15. L’empereur restait d’autant plus ébranlé que, dans son intime persuasion, il avait vu tomber le chef-d’œuvre de sa politique, le mieux combiné de ses plans : c’était son rêve de domination universelle qui venait de s’écrouler. En attirant le roi hors du royaume, il espérait bien l’amener, par artifice ou par violence, à se déclarer son vassal ; et le roi d’Angleterre, vassal de Louis, rentrait à plus forte raison dans la même sphère : la royauté descendait au second rang et gravitait désormais autour de l’empire. Guidé par la même inspiration, Barberousse avait mis en jeu tous les ressorts pour appeler à la conférence le roi de Hongrie, qui possédait encore une réelle indépendance, et surtout ce Waldemar qui régnait avec tant de gloire sur les Danois. Ni l’un ni l’autre ne s’étaient trouvés au rendez-vous. Waldemar n’eût pas manqué d’y paraître, s’il n’avait rencontré chez ses meilleurs amis la plus constante opposition à ce téméraire voyage ; et le premier des opposants était Absalon, cet évêque de Rosehild dont nous avons admiré déjà le zèle et la sagesse. Il représentait au roi l’imprudence qu’il allait commettre en sortant de ses états pour entrer sans défense au cœur de la Germanie et se mettre à la discrétion de l'artificieux et puissant Hoheustoffen, en se mêlant à des querelles qui n’intéressaient en rien ni sa religion ni sa couronne. On n’obtint cependant qu’un retard. Le prince danois était supérieur à toute crainte ; il désirait visiter les pays étrangers : aucun obstacle, aucun danger ne pouvait le détourner de sa résolution 1. Quoique le blâmant toujours, l’évêque Absalon demanda de le suivre. C’est lui qui l’empêcha de donner son adhésion au parti d’Octavien, dont les intrigues l’avaient circonvenu d’avance ; mais il ne put entièrement l’arracher à celles de Frédéric. Dans un concile réuni par l’antipape, le roi de Danemark se leva fièrement à l’exemple de son frère, et quitta l’assemblée, pour ne point autoriser de sa présence l’excommuncation qu’on allait prononcer contre le Pape légitime et ses principaux défenseurs. Il ne lui fut pas aussi facile de quitter l’Allemagne sans avoir fait acte «le soumission envers l’empereur. Il est vrai
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1 HermolDj Chrome. Slavor. loco cilato.
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que cet acte fut entouré de telles restrictions et renfermé dans de telles limites qu’il perdait à peu près toute sa signification et ne devait avoir aucune conséquence. Waldemar l’oublia dès qu’il fut rentré dans sa patrie.
16. Par ses lettres et ses émissaires, Frédéric exerçait en même temps, à l'autre bout de l'Europe, une suzeraineté non moins illusoire, qui flattait peut-être son orgueil, mais n'étendait nullement son empire. Dans un traité fait avec Raymond comte de Provence, et signé par l'oncle de celui-ci, Raymond-Bérenger, comte de Barcelone et prince d'Aragon, il cédait en fief cette même Provence à ce même Raymond qui la possédait en grande partie, bien qu'elle lui fût sans cesse disputée par les seigneurs de Baux, une race ancienne et vaillante. La cession de l’empereur ne modifia guère la position des belligérants : le débat ne sera tranché que par les armes. Une autre clause du traité portait que les deux comtes reconnaîtraient et feraient reconnaître Victor comme le vrai chef de l’Eglise Catholique ; elle ne sera pas mieux respectée, les prétentions du sectaire n’obtiendront pas plus de crédit, n’exerceront pas plus d'influence que celles du suzerain. La gloire du comte de Barcelone ne restera pas sensiblement amoindrie par cette défaillance momentanée de sa vieillesse. Le grand Raymond-Bérenger s’éteignait peu de jours après cette regrettable convention dans les sentiments d’une piété sincère ; « et sa mort fut un sujet de deuil pour ses peuples, de joie pour les ennemis, d’inconsolable regret pour les pauvres et pour les religieux1. » Il laissait la réputation d’un prince habile dans le maniement des affaires, sage et modéré dans le gouvernement de ses états, magnifique et généreux à l’égal des monarques, vaillant dans les combats, modeste pour lui-même, jaloux de son pouvoir et de ses droits héréditaires, plein de zèle et de dévouement pour l’honneur du christianisme. Son règne si long s’était écoulé dans une lutte incessante contre les Sarrasins, dont il avait éloigné les frontières. Il comptera toujours au nombre des héros échelonnés dans le cours huit fois séculaire de la croi-
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1 Auctor auouym. de Gcslis Comit. Barcin. cap. 17.
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p174 PONTIFICAT D’ALEXANDRE III (11591 181).
sade hispanique. Il eût pu sans usurpation ceindre la couronne royale , on le lui conseilla souvent. — Je ne suis pas meilleur que mes ancêtres, répondait-il, j’aime mieux être le premier des comtes que le six ou septième des rois. — Son fils Alphonse, auquel il léguait le royaume d’Aragon, avec la principauté de Catalogne, n’imita par cette fière et prudente modestie ; il monta plus haut que son père, sans atteindre à sa hauteur. Du moins ne le voyons-nous pas adhérer au schisme.
17. Frédéric demeurait toujours, malgré ses guerres et sa diplomatie, le seul partisan couronné de l’antipape. L’isolement se faisait autour d’Octavien, bien qu’il dominât dans la cité pontificale ; et dans l’exil Alexandre recevait les incessants témoignages de la vénération la plus profonde et du plus ardent amour. Le roi d’Angleterre alla le visiter au monastère de Bourg-Dieu, comme il revenait de faire contre l’Allemand, sur la demande du Pape, la démonstration dont nous avons parlé. Il se prosterna devant Alexandre, lui baisa les pieds et refusa d’occuper le trône qu’on avait préparé dans la salle de réception, voulant rester humblement assis sur les marches du trône pontifical, avec les barons qui l’accompagnaient. Il ne quitta le monastère qu’au bout de trois jours, plein d’admiration pour le chef suprême de l'Eglise et de reconnaissance pour ses bontés. Le roi de France ne pouvait pas demeurer en arrière, quand il s’agissait d’un hommage inspiré par la piété. Sa visite eut lieu sur les bords de la Loire, près de Courcy. L’Anglais revint en cette circonstance joindre son suzerain ; et la présence de ces deux grands monarques, les sentiments dont ils se montrèrent animés, la pompe qu’ils déployèrent, l’immense concours provoqué par la cérémonie, font dire aux historiens qu’elle n’eut jamais d’égale. Les deux rois servirent en même temps d’écuyers au successeur de saint Pierre, marchant à pied, un de chaque côté de la haquenée pontificale1. Les entretiens qui suivirent la cérémonie devaient avoir une tout autre importance : c’est là que les deux princes rivaux, presque toujours en lutte, se donnèrent mutuelle-
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1 RoBEhT de monte, ad annum 11G2.
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p175 CHAP. III. — LE PAPE ALEXANDRE A PARIS.
ment, sous les yeux de leur père commun, les gages d'une réconciliation éclatante, si nécessaire à leurs états, si profitable au bien de l'Église universelle.
§ IV. LE PAPE ALEXANDRE A PARIS.
18. Apres cette solennité, le Pape se retira
daus la ville de Tours, où son entrée fut encore l’objet d’une splendide fête.
Arrivé le jour de S. Michel, 29
septembre, il y séjourna le reste de l’année, puisqu’il y célébra la Nativité
du Seigneur. — A l’approche du carême, après l’indiction d’un concile général pour l’octave
de la Pentecôte, dans cette même ville de Tours, il s’achemina vers la capitale
de la France, où l’appelaient les instantes prières du peuple et du roi. Les
honneurs rendus au Pontife brillèrent encore plus par l’empressement et la
piété que par l’éclat et la magnificence. Nous n’avons pas à revenir sur le
cérémonial de semblables réceptions. Disons seulement que le monarque, entouré
des princes du sang et de ses hauts barons, était venu l’accueillir à deux
lieues de Paris, et que la population entière se tenait massée aux portes de la
ville quand le Pape y fit son entrée. Il n’en devait repartir que peu de jours
avant la Pentecôte, pour revenir à Tours présider le concile. « Pendant notre séjour
à Paris, raconte-t-il lui-même, plusieurs grands et vénérables personnages nous
demandaient de canoniser Bernard, l’illustre Abbé de Clairvaux, de sainte et
glorieuse mémoire. Ils insistaient d’autant plus que le prochain concile leur
semblait une occasion ménagée par la Providence et répondant à leurs impatients
désirs. Ces vœux étaient aussi les nôtres, et nous inclinions à les réaliser,
quand de diverses provinces nous furent adressées de nombreuses suppliques
ayant un même objet ; ne pouvant satisfaire à toutes, nous prîmes le parti
d’ajourner pour un temps celle-là, dans la crainte d’être obsédé par des
récriminations scandaleuses. » Ce temps ne sera pas long : dix années à peine1.
Le séjour d’Alexandre III à Paris fut encore signalé par la
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1 Bollasd. Bull, canonis. Jie 20a Ausust.
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p176 PONTIFICAT D ALEXANDRE III (jloü-1181).
pose et la bénédiction de la première pierre du monument sacré qui porte le nom de Notre-Dame, toujours debout avec la même destination et dans toute sa splendeur, malgré les révolutions et les siècles. Nul ne contestant à l’évêque Maurice de Sully la gloire de l'avoir érigé, ce fait détermine une date diversement assignée par les historiens, celle de la mort du fameux théologien Pierre Lombard, le prédécesseur de Maurice et le précurseur de saint Thomas d’Aquin.