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2) “Le Fils ». Du concept de “Fils de Dieu” ainsi défini, il faut distinguer absolument le titre que Jésus se donne en se désignant comme “le Fils”. Ce dernier mot a une autre histoire et appartient à un autre vocabulaire; il appartient au langage énigmatique des paraboles, dont Jésus se servait à la suite des prophètes et des Maîtres de sagesse d'Israël.
D'autre part, ce mot n'est pas destiné à la proclamation à l'extérieur, il est réservé au cercle très intime des disciples de Jésus. Son véritable lieu d'origine est à chercher probablement dans la vie de prière de Jésus; il correspond au mot « Abba » par lequel Jésus s'adresse de façon toute nouvelle à Dieu 20.
Joachim Jeremias a montré par des analyses rigoureuses
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que les paroles, rapportées par le Nouveau Testament grec en araméen, langue maternelle de Jésus, sont particulièrement importantes pour retrouver la manière de s'exprimer originelle de Jésus.
Elles surprenaient tellement les auditeurs par leur nouveauté et définissaient si bien l'originalité et la singularité du Maître, qu'elles furent retenues telles quelles; grâce à elles, c'est comme si nous entendions toujours encore le Maître parler avec sa propre voix.
Parmi ces quelques joyaux, où la communauté primitive nous a conservé, sans le traduire, le parler araméen de Jésus, y percevant de façon particulièrement frappante Jésus lui‑même, figure l'apostrophe Abba (Père).
Ce mot se distingue de l'appellation « Père » déjà possible dans l'Ancien Testament, par le fait qu'il représente une formule de relations intimes (on peut le comparer au mot « papa », bien que Abba soit un terme plus relevé) 21; le caractère d'intimité, qui lui était propre, empêchait le Judaïsme de l'appliquer à Dieu; l'homme ne pouvait prétendre approcher Dieu d'aussi près.
Que Jésus ait prié ainsi, qu'il se soit servi de ce mot pour traduire ses rapports avec Dieu, qu'il ait exprimé par là une nouvelle forme d'intimité avec Dieu, qui ne convenait qu'à lui seul, voilà ce que la chrétienté primitive a voulu retenir en conservant le mot dans sa sonorité originelle.
Or, comme nous l'avons déjà indiqué, cette formule de prière trouve son correspondant approprié dans la désignation de « Fils” que Jésus s'est donnée à lui‑même. Les deux ensemble expriment la nature particulière de la prière de Jésus, la conscience qu'il avait de Dieu, et dans laquelle, de façon fort discrète sans doute, il permettait à ses amis les plus intimes de plonger leur regard.
Si, comme nous l'avons constaté, le titre de «fils de Dieu » est emprunté au messianisme juif, et constitue une expression abondamment chargée d'histoire et de théologie, nous avons ici quelque chose de tout à fait différent, d'infiniment plus simple et en même temps d'infiniment plus personnel et plus profond.
Nous percevons ici l'expérience de la prière de Jésus, la proximité de Dieu, qui dis‑
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tingue sa relation à Dieu de celle de tous les autres hommes; cependant elle ne se veut pas exclusive, mais vise à accueillir tous les autres dans cette relation privilégiée.
Jésus veut en quelque sorte les introduire dans sa propre attitude à l'égard de Dieu, de telle sorte qu'en Lui et avec Lui ils puissent, comme Lui, dire à Dieu Abba: aucune distance ne doit plus les séparer désormais, ils doivent être inclus dans cette intimité, qui est réalité en Jésus.