118
--------------
Ces réflexions comportent, au‑delà de leur impact en christologie, une signification pour le sens et la notion de l'existence chrétienne; elle apparaît lorsque Jean en fait l'application, par extension, aux chrétiens, issus du Christ.
Sa christologie devient une explication de la véritable condition chrétienne. Nous retrouvons la même complémentarité des deux séries de déclarations.
Parallèlement à la formule « Le Fils ne peut rien faire de lui‑même », qui place la christologie dans l'optique de la relation, à partir du concept de « fils », Jean utilise pour “ceux‑qui-appartiennent-au- Christ” la formule: “Sans moi vous ne pouvez rien faire” (Jn 15, 5). Ainsi l'existence chrétienne avec le Christ est placée dans la catégorie de la «relation ».
Et parallèlement à la conséquence de la première formule, qui permet au Christ de dire : “Le Père et moi, nous sommes un », se présente ici la prière du Christ: “Qu'ils soient un, comme nous, nous sommes un » (17, 11, 22).
Notons cependant ici une différence considérable avec la christologie: l'unité des chrétiens n'est pas exprimée par la forme indicative, mais sous forme de prière.
Réfléchissons très brièvement à ce que représente la ligne de pensée ainsi dégagée. Le Fils, en tant que Fils et dans la mesure où il est Fils, n'existe absolument pas de lui‑même et de ce fait, il est
=================================
p119 LA FOI AU DIEU UN ET TRINE
totalement un avec le Père;
n'étant rien à côté de Lui, ne prétendant à rien qui lui soit propre, qui ne soit que lui, n'opposant rien au Père qui lui appartienne exclusivement, ne se réservant absolument rien qui soit purement à lui, il est pleinement égal au Père.
La logique s'impose : puisqu'il n'y a rien par quoi il serait purement lui, puisqu'il n'existe aucun domaine privé délimité, il coïncide donc avec le Père, il est un avec Lui.
C'est exactement cette totale compénétration que le mot “fils » veut exprimer. Pour Jean, “fils » signifie “être‑à‑partir‑de‑l'autre »; par ce mot, il définit l'être de cet homme comme un être venant de l'autre, ordonné aux autres, comme un être totalement ouvert dans les deux directions et qui ne connaît pas de domaine réservé pour le “Moi ».
S'il apparaît ainsi clairement que l'être de Jésus, en tant que Christ, est un être totalement ouvert, un être “venant‑de », “ordonné‑à », qui ne tient nulle part à lui‑même, qui ne s'appuie nulle part uniquement sur lui‑même, alors il est clair également que cet être est pure relation (non substantialité), et, en tant que pure relation, il est pure unité.
Ce qui est ici fondamentalement affirmé du Christ devient également l'explication de l'existence chrétienne, comme nous l'avons noté. Être chrétien, pour Jean, c'est être comme le Fils, devenir fils, donc ne pas s'appuyer sur soi, ne pas se tenir en soi, mais vivre totalement ouvert dans les deux sens : “venant‑de », “ordonné‑à ». Cela vaut dans la mesure où le chrétien est “chrétien ».
Sans doute, devant les affirmations précédentes prendrons-nous conscience combien nous sommes peu “chrétiens ».
Par là, me semble‑t‑il, le caractère oecuménique du texte cité apparaît sous un angle tout à fait inattendu. Assurément, tout le monde sait que la “prière sacerdotale » de Jésus (Jn 17), que nous évoquons ici, est la charte fondamentale pour tous les efforts visant l'unité de l'Église.
Mais ne restons‑nous pas trop souvent à la superficie ? Il ressort de notre réflexion que l'unité chrétienne est d'abord unité avec le Christ.
Or celle‑ci ne devient possible que là où cesse la revendication de son être‑à‑soi, et où elle est remplacée par un être “livré » sans réserve, purement relation “venant‑de », “ordonné‑à ».
Un tel “être avec le Christ », par lequel on entre pleinement dans l'ouverture à autrui de Celui qui ne voulut rien garder en propre (comp. Ph 2, 6), engendre l'unité parfaite – “pour qu'ils soient un, comme nous sommes un ».
Tout ce qui n'est pas unité, tout ce qui est division, repose sur un manque
=================================
p120 DIEU
latent de véritable vie chrétienne, sur un attachement à son être propre, qui supprime le partage total que représente l'unité.