II. Concile de Chalcédoine IVe œcuménique. 2

Darras tome 13 p. 283

 

14. Le secrétaire continua la lecture et arriva à la profession de foi d'Eutychès. On se rappelle que Dioscore avait étouffé la dis­cussion dogmatique entamée alors par certains évêques avec l'hé­résiarque. Basile de Séleucie en fit l'observation, et dit : «Nous avons interpellé Eutychès, nous lui avons fait passer une formule explicite que j'avais empruntée textuellement, aux décrets du IIIe concile œcuménique. Elle était ainsi conçue : « J'adore un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, Verbe éternel, en une seule personne et en deux natures. » Mais quand on donna lecture de cette formule, tous les évêques égyptiens et le farouche Barsumas, avec ses moines, s'écrièrent qu'il fallait couper en deux et hacher en morceaux les hérétiques qui divisaient l'indivisible et mettaient en pièces la divinité. » —Dioscore, sommé de s'expliquer sur ce point, répondit : « Cela ne me regarde pas; je ne suis point chargé de la conscience d'Eutychès. S'il a d'autres sentiments que ceux de l'Église, il mérite le dernier supplice. Il me suffit à moi de professer la foi catholique, sans me mettre en peine de ce que croit ou ne croit pas Eutychès. Je ne considère que l'honneur de Dieu et le salut de mon âme. » — Basile de Séleucie exposa ensuite

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1. Labb.,.tom. IV, col. 110-135.

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dans le plus grand détail la doctrine orthodoxe qu'il s'était efforcé, lui et quelques autres évêques ses amis, de faire prévaloir au sein du Latrocinium. « Mais, dirent les représentants impériaux, com­ment, après avoir si généreusement proclamé la foi catholique, avez-vous pu souscrire ensuite la déposition de l'évêque Flavien de sainte mémoire? — Cent vingt évêques, répondit Basile, con­damnaient notre doctrine; il nous fallut nous soumettre à leur dé­cision. » Dioscore crut devoir intervenir pour accentuer de nouveau sa thèse en faveur d'un héroïsme idéal. Il est curieux d'entendre ce tyran, maintenant accusé, reprocher à ses victimes de n'avoir pas eu le courage de souffrir la mort dont il les menaçait à Éphèse. « Dès que votre conscience, dit-il, vous défendait de signer, au­cune force humaine ne pouvait vous y contraindre! — Si j'eusse été devant un tribunal de magistrats, répondit Basile, j'aurais peut-être affronté le martyre. Mais je me trouvais dans la situation d'un fils jugé par son père, ou si vous le voulez, d'un évêque dont la doctrine serait repoussée par la majorité de ses collègues ! » — A ces mots, les évêques qui avaient pris part au conciliabule d'Éphèse se levèrent, et, les larmes aux yeux, ils dirent : « Nous avons tous failli; tous nous implorons pardon et miséricorde! » Le sénat, touché de cette explosion de repentir, voulut essayer quelques pa­roles de consolation. Il fit observer que la faute n'était pas si grande, puisqu'en somme la souscription avait été donnée en blanc. «N'importe ! reprirent ces illustres pénitents ; nous avons failli ! Nous le confessons devant Dieu et devant les hommes, et nous demandons humblement pardon. » Trois fois de suite, ils répétèrent cet aveu au milieu de l'émotion générale. — Après cet incident, la lecture des actes continua. Le secrétaire étant arrivé au passage qui mentionnait le refus par Dioscore d'introduire Eusèbe de Dorylée, l'accusateur juridique d'Eutychès, malgré la requête for­melle de Flavien et les instances d'un grand nombre d'évêques, Dioscore essaya de rejeter la faute sur le comte Elpidius, qui s'était, dit-il, opposé au nom de l'empereur à la comparution de l'évêque de Dorylée. « Ce n'est pas là une excuse légitime, dit le sénat. II s'agissait d'une question de foi ; vous présidiez un concile, vous avez

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mal interprété les intentions de l'empereur et vous avez violé toutes les règles canoniques.- — On m'accuse d'avoir violé les canons! s'écria Dioscore. Mais comment les observe-t-on ici ? Vous faites siéger Théodoret, un hérétique notoire, dans votre concile ! — L'évêque Théodoret, répondit le sénat, est entré ici non comme juge, mais comme accusateur. Vous l'avez entendu de sa bouche. — N'importe! reprit Dioscore. Il est assis parmi les évêques. — Eusèbe et Théodoret sont assis au rang des accusa­teurs, comme vous êtes assis au rang d'accusé, dit le sénat1

 

15. La lecture fut reprise et amena la récitation des actes du synode de Constantinople, lesquels avaient été, on s'en souvient, insérés in extenso dans ceux du conciliabule d'Éphèse. La foi catholique y était solennellement affirmée, d'après les témoignages des pères et des docteurs. Lorsque le secrétaire Constantinus lut la lettre dogmatique de saint Cyrille à Jean d'Antioche, les légats et tous les évêques du côté gauche s'écrièrent : « Notre foi est celle de Cyrille ! Honneur immortel à la mémoire du saint pa­triarche ! » — Les évêques du côté droit, c'est-à-dire les partisans de Dioscore, se levant à leur tour : « Nous aussi, dirent-ils, nous croyons comme Cyrille. Anathème à qui ne partage pas sa doc­trine! — Mais, reprirent les légats, Flavien la partageait; il la maintenait, il la proclamait, et cependant c'est pour cela que Dioscore l'a déposé! » Et le sénat, intervenant, dit à Dioscore : « S'il est vrai que vous partagez la foi de Cyrille, la foi du bienheureux pontife Léon, celle des augustes empereurs, celle de tout l'univers catholique, comment avez-vous réhabilité Eutychès qui la niait et condamné Flavien qui la soutenait? » — Troublé par cette question imprévue, Dioscore se contenta de répondre : « La suite des actes le fera voir. » — On continua donc la lecture des actes, et l'on en vint à la profession de foi catholique par laquelle Flavien avait terminé le synode de Constantinople. Le sénat interrompit le secrétaire et dit : « Quelle est l'opinion des évêques du présent concile? Flavien, dans la profession de foi que

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1.  Labb., Concil., tom. IV, col. 135-146.

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vous venez d'entendre, exprimait-il la croyance catholique? — Le légat Paschasinus répondit : La profession de foi du bienheureux Flavien est irréprochable; elle est parfaitement conforme à la lettre dogmatique du pontife Romain Léon. » Tous les évêques du côté gauche firent une semblable déclaration. « Le martyr Flavien, disaient-ils, a très-bien défini la foi. » Dioscore essaya de jeter quelque incertitude dans les esprits. « On n'a pas saisi, dit-il, le véritable sens des paroles de Flavien; il s'est contredit mi-même. Je demande à en fournir la preuve. » — Mais tout à coup, et comme par une inspi­ration irrésistible de l'Esprit-Saint, tous les évêques du côté droit, qui s'étaient jusque-là abstenus d'acclamer l'orthodoxie de Flavien, se levèrent. Juvénal de Jérusalem, parlant en leur nom, s'écria : « La doctrine de Flavien est exactement celle de Cyrille. Sa foi est celle de tous les catholiques! » Puis, quittant son siège, il vint se placer au côté droit, près des légats apostoliques. Tous les évêques de Palestine le suivirent. Ce fut un moment d'émotion sainte et d'allégresse indescriptible. Les évêques orthodoxes embrassaient leurs frères et les accueillaient avec des larmes de joie. «Gloire à Dieu ! disaient-ils en baisant les mains de Juvénal de Jérusalem. Béni soit le Seigneur qui vous rend à notre amour î » — Ce premier signal entraîna tous ceux qui hésitaient encore. Pierre de Corinthe, suivi des évêques d'Achaïe, de Macédoine et de l'ancienne Épire, passa du côté droit. Quelques évêques égyptiens firent de même, mais une dizaine de ces derniers res­tèrent à droite. —Dioscore comprit qu'il était perdu. Il fit un der­nier effort : « Je demande à prouver, s'écria-t-il, l'hérésie de Flavien. J'ai sous la main des textes d'Athanase, de Grégoire et de Cyrille qui ne reconnaissent qu'une seule nature dans le Verbe incarné. » — Cette exclamation était aussi maladroite qu'impie. Jusque-là, Dioscore avait affecté de reconnaître le dogme catholique des deux natures en Jésus-Christ. Maintenant il se déclarait fran­chement eutychéen. Son but était de provoquer une controverse doctrinale, et de gagner ainsi du temps. On le comprit. Le jour s'avançait. La fatigue et les émotions de cette longue et laborieuse séance avaient épuisé toutes les forces. Sans répondre à  l’inter-

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pellation de Dioscore, on continua la lecture des actes. Des flam­beaux furent allumés dans la basilique et l'on continua d'entendre le récit des dernières scènes de violences qui terminèrent le Latrocinium d'Éphèse. Quand le secrétaire fut arrivé à la sentence inique qui déposait Flavien, tout le concile s'écria : «Anathème à Dioscore ! Seigneur, vengez la mémoire de l'innocent ! que Dioscore soit déposé à son tour ! Longues années au bienheu­reux pontife de Rome Léon, défenseur de la justice et de Ja vé­rité! » Le sénat dit alors : « L'innocence de Flavien de sainte mémoire et celle d'Eusèbe de Dorylée sont suffisamment établies. Nous en informerons l'empereur, afin que, dans son équité souve­raine, il prononce sur le sort de Dioscore, Juvénal de Jérusalem, Thalassius de Césarce, Eusèbe d'Ancyre, Eustathius de Beryte et Basile de Séleucie, qui ont présidé à la condamnation de deux in­nocents. » — Ces paroles du sénat jetèrent l'épouvante dans l'âme des pères. A l'exception de Dioscore, les autres métropolitains dont on venait de prononcer le nom s'étaient sincèrement rétractés; ils imploraient le pardon de leur faute passée. Le concile ne voulait pas les envelopper dans la condamnation qui allait frapper l'impénitence obstinée de Dioscore. Ce double sentiment de miséricorde pour les premiers et de juste sévérité pour le second se tradui­sit par deux acclamations successives. Les évêques d'illyrie et tous ceux qui avaient pris part à l'assemblée d'Éphèse dirent d'abord : «Nous avons tous péché! Tous nous demandons pardon! » Puis le concile d'une voix unanime s'écria : «Dioscore est frappé juste­ment ! C'est Jésus-Christ lui-même qui dépose l'assassin! » Les représentants impériaux firent un signe d'acquiescement ; et de toutes parts s'élevèrent les cris de : «Longues années à l'empe­reur ! Longues années à la pieuse impératrice ! Longues années aux membres du vénérable sénat ! » Après quoi l'archidiacre de Constantinople, Aétius, primicier des notaires, prononça la clôture de la première session en disant : Completum est1.

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1.  Labb., Concil., tom. IV, col. 147-310.

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16. Le surlendemain, 10 octobre 451, la seconde session s'ouvrit dans la basilique de Sainte-Euphémie. Dioscore, Juvénal, Thalassius, Eusèbe d'Ancyre, Eustathius de Béryte et Basile de Séleucie, n'y assistèrent point, soit qu'on leur eût signifié l'ordre d'attendre la sentence définitive qui réglerait leur sort, soit qu'ils se fussent abstenus volontairement par suite de la proposition émanée pré­cédemment du sénat. L'objet de la séance était la définition du dogme des deux natures et la souscription que chaque évêque y devait apposer individuellement. Quand on proposa de mettre ce point en délibération, tous les évêques dirent : « Il n'est pas nécessaire de formuler une nouvelle profession de foi. Les pères de Nicée ont expliqué la croyance catholique contre l'arianisme ; ceux d'Éphèse, sous la présidence du grand Cyrille, l'ont fait par rap­port à l'hérésie de Nestorius. La lettre du très-bienheureux pontife de Rome Léon, adressée au martyr Flavien, répond à toutes les difficultés soulevées par Eutychès. Nous demandons qu'on s'en tienne là. » — En conséquence, les secrétaires lurent successive­ment le symbole de Nicée, les deux lettres de saint Cyrille à Nestorius et aux Orientaux, enfin la fameuse décrétale de saint Léon le Grand. — Cette dernière fut accueillie par d'unanimes et enthousiastes acclamations. « C'est la foi des apôtres et des Pères ! dirent les évêques. Pierre a parlé par la bouche de Léon.  Sa voix est celle du collège apostolique. Sa croyance est la nôtre. Léon et Cyrille tiennent le même langage. Pourquoi n'a-t-on pas lu cette magnifique lettre au Latrocinium d'Éphèse? Voilà donc le trésjor de piété et de foi que Dioscore voulait dérober à l'Église et au monde 1 ! »

 

17. La troisième session fut tenue le samedi suivant, 13 octobre, et comme elle ne devait point être publique, les évêques se réu­nirent non point à la basilique de Sainte-Euphémie, mais dans une chapelle [martyrium) située dans le voisinage. On avait différé la séance pour instruire canoniquement le procès de Dioscore. Les représentants impériaux, ou sénat, n'y assistèrent point, par respect

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1. Labb., Coneïl., tom. IV, pag. 323-371.

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pour la discipline ecclésiastique qui ne permettait pas à des laïques de siéger comme juges dans une cause épiscopale. Le légat Paschasinus prit la présidence : l'archidiacre byzantin, Aétius, remplissant les fonctions de promoteur, remit au légat un libellus, ou requête juridique signée par Eusèbe de Dorylée qui demandait à être con­fronté avec Dioscore, pour obtenir justice des actes de barbarie exercés par ce dernier contre le plaignant et contre le patriarche saint Flavien. — Le concile ordonna d'introduire Dioscore. Mais celui-ci ne se trouva point. A trois reprises différentes on lui adressa une citation canonique. Il refusa d'y obtempérer sous di­vers prétextes. Une première fois, il répondit qu'il n'était pas libre et que les soldats de l'empereur le gardaient à vue. Cette excuse était d'autant moins admissible que les officiers prétoriens avaient ordre de le conduire à l'assemblée, s'il y consentait. Une seconde fois, il répondit : « Si le sénat, délégué par l'empereur veut assister à cette réunion, je m'y rendrai. » C'était un piège assez grossier tendu à la bonne foi des pères. Dans le cas où le sénat eût été appelé, Dioscore se réservait d'incriminer la canonicité de la sentence, en disant qu'elle avait été portée par des laïques. Enfin, une troisième fois, il se borna à dire que l'état de sa santé ne lui permettait pas de sortir. Le concile passa outre. On introduisit le prêtre Athanase, les diacres Ischyrion et Théodore, et un laïque, Sophronius, tous d'Alexandrie, lesquels étaient porteurs de requêtes contre Dioscore. Elles étaient adressées « au très-saint et universel archevêque, patriarche de la grande Rome, Léon, ainsi qu'au saint et œcuménique concile de Chalcédoine. » Par ordre des légats, l'archidiacre Aétius en donna lecture. Nous avons déjà fait con­naître celle du prêtre Athanase, neveu de saint Cyrille 1. Les diacres Théodore et Ischyrion, dans leur mémoire juridique, révélaient des actes non moins criminels et non moins odieux. Le premier avait été frappé d'excommunication et réduit à la mendicité, uni­quement pour le punir de son attachement à la mémoire de saint Cyrille. Le feu avait été mis à ses maisons et à ses récoltes ; les

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1. Cf. pag. 219-221 de ce volume.

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soldats du patriarche avaient coupé les arbres de ses vergers, et attenté plus d'une fois à sa vie. Ischyrion avait été victime de semblables vengeance? De plus, il accusait Dioscore d'avoir re­tenu et fait vendre à son profit le blé fourni chaque année par l'empereur aux églises de Lybie, pour la nourriture des pauvres et les besoins du sacrifice eucharistique. Les malheureuses chré­tientés ainsi spoliées étaient restées depuis lors sans aucunes res­sources matérielles, et privées de la consolation d'assister aux saints mystères. Tout l’or que ces exactions et ces violences procuraient au patriarche était distribué aux danseuses et aux hétaïres dont il peuplait son palais. L'une d'entr'elles, Punsophia, connue de toute la ville d'Alexandrie sous le titre d’Opéinè (La Montagnarde) ne quittait pas Dioscore et l'accompagnait publique­ment au bain. La plainte du laïque Sophronius était, s'il se peut, d'une nature encore plus révoltante. «J'étais marié, dit-il. Ma femme, Theodota, m'avait donné plusieurs enfants ; nous nous aimions l'un et l'autre. Un jour elle fut enlevée de ma demeure par des soldats, qui la conduisirent chez le curialis, Macarius, l'un des amis du patriarche Dioscore. Livrée à la brutalité de Macarius, elle était perdue pour moi et je ne la revis plus. Je vins à Constantinople; à force de démarches et d'instances, j'obtins un ordre impérial qui commettait le juge Théodore pour instruire contre le ravisseur. Muni de ce document, je rentrai à Alexandrie. Mais le soir même, le diacre Isidore, envoyé par le patriarche, envahit ma demeure avec une troupe de soldats, se saisit de ma personne, me dépouilla de mes vêtements et me traîna demi-nu dans la campagne, où je restai demi-mort. Tous mes biens furent confisqués par le patriarche, et j'ai vécu depuis mendiant mon pain sur toutes les routes de l'exil 1. » On ne peut, sans frémir d'indignation, enregistrer de pareils griefs, articulés publique­ment contre un évêque, un patriarche, le plus élevé après le pape dans la hiérarchie sacrée. Et pourtant ce n'étaient point des ca­lomnies imaginées pour le besoin de la cause. Les plaignants

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1 Labbé., ConciL, ton. IV, col. 412-416 pass.

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avaient amené avec eux des témoins oculaires qui certifiaient la véracité des faits et les prouvaient en bonne forme. Ces excès, il faut le dire, ne se rencontrèrent jamais à un pareil degré en Occi­dent, où l'action immédiate des souverains pontifes se faisait plus directement sentir. Il n'est pas douteux que la décadence si la­mentable des églises d'Asie ne tienne à cet ensemble d'incroyable despotisme vis-à-vis des inférieurs, et de servilisme honteux à l'égard du pouvoir civil, qui fut la plaie de l'épiscopat oriental aux IVe et Ve siècles. Le Latrocinium d'Éphèse ne pourrait se renouveler de nos jours, par la raison que nul évêque n'aurait à couvrir par une recrudescence de fureur despotique des crimes aussi ignomi­nieux que ceux de Dioscore. Quoi qu'il en soit, les révélations des plaignants excitèrent un mouvement de vive et douloureuse surprise, dans le concile de Chalcédoine. Depuis le règne de Valens et les scandales de l'arianisme, on n'avait rien vu de semblable. Les vio­lences de Théophile, de sinistre mémoire, n'égalaient pas les tur­pitudes et les immoralités du nouveau patriarche. Il avait fallu à Dioscore l'appui d'un eunuque comme Chrysaphius, pour com­mettre impunément cette série d'attentats. Après en avoir délibéré en commun, les légats apostoliques se levèrent et le président Pas-chasinus dit : « Il est maintenant hors de doute que Dioscore, autrefois évêque de l'illustre église d'Alexandrie, a multiplié sciemment et volontairement les plus horribles forfaits, au mépris des saints canons et de la discipline ecclésiastique. S'arrogeant une primauté qui ne lui appartenait pas, il à réhabilité l'hérésiarque Eutychès, et s'est fait le bourreau du martyr Flavien. Il a supprimé les lettres pontifi­cales du très-bienheureux évêque de Rome, Léon : il a transformé l'assemblée d'Éphèse en une caverne de brigands. Cependant nous hésitions encore à l'exclure des mesures de clémence qui ont été prises envers d'autres moins coupables que lui. Mais il a dépassé tous ses premiers excès par des crimes plus grands encore. Il en est venu jusqu'à dicter une sentence d'excommunication contre le très-saint pontife de Rome. Des libelli, contenant une série d'atrocités dignes du plus abominable tyran, viennent de vous apprendre  comment il use de l'autorité pleine de mansuétude

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qu'il tient de sa charge pastorale. Cité à trois reprises différentes par ce saint et œcuménique concile, il a refusé d'obéir. En consé­quence, le très-saint et bienheureux pontife de la grande et antique Rome, Léon, par notre voix et celle de cet auguste synode, au nom de l'apôtre Pierre, fondement et base de la catholique Église et de la foi véritable, dépose Dioscore de la dignité épiscopale et du sacerdoce de Jésus-Christ. Que chacun des membres de cette vé­nérable et sainte assemblée fasse connaître son sentiment, suivant les règles canoniques. » A l'unanimité, les pères souscrivirent la sentence 1. Le lendemain, Dioscore était exilé à Gangres, en Paphlagonie. Il y mourut, trois ans après, sans avoir rétracté les erreurs d'Eutychès et sans avoir expié ses crimes par la péni­tence.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon