Darras tome 32 p. 399
§. VII. LE MONDE ORIENTAL
45. L'année que nous parcourons aurait peut-être vu Sélim franchir les Alpes ou l'Adriatique, envahir l'Italie et menacer Rome en plein concile de Latran, si la marche d'un formidable adversaire ne l'eût appelé sur un point opposé de son vaste empire. Il ne méditait pas moins, nous l'avons déjà fait entendre, que l'absorption du monde occidental et l'anéantissement du chistianisme1. Pour réaliser ses gigantesques desseins, il campait sous les murs d'Andrinople avec une puissante armée, prêt à diriger son vol sur l'Europe centrale comme un oiseau de proie, lorsqu'il apprit que le Schah de Perse, Ismaël Sophi, se portait à travers l'Arménie majeure sur la frontière orientale de ses états, avec une armée non moins puissante. Ismaël s'était emparé coup sur coup de Tauris, de l'Irah, de la Bastriane, du Kourdislan, de l'Hyrcanie, du Farsistan, de l'Albanie asiatique, du Diarbékir, de la Mésopotamie, d'une partie
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1. Bembo, Epist. x, 5, 6, 7.
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même de l'Inde, où l'infatigable conquérant avait rencontré, dans ses courses aventureuses, les marins portugais. Bagdad, la ville sainte du Mahométisme, tombait en son pouvoir et devenait sa capitale. Il y faisait régner avec lui la secte des Schyites ou partisans d'Ali, le gendre de Mahomet, dont Ismaël prétendait descendre ; et de là son titre d'Iman. Le génie de la guerre n'altérait en lui ni le culte drs sciences ni l'aménité dps mœurs1. Après ces conquêtes, marchant vers le Nord, il avait accueilli sous sa tente et couvert de sa protection un neveu de Sélim, légitime héritier du trône et qui venait d'échapper au massacre des siens. Menacé par cette coalition du droit et de la force, le sanglant usurpateur avait ramené ses étendards dans les plaines de l'Asie. De Chalcédoine, où ses innombrables légions étaient venues le joindre, il marchait aussitôt à travers la Bithynie, la Phrygie, la Galatie et la Cappadoce, passait la chaîne du Taurus, à l'endroit où l'Euphrate la divise, apparaissait dans les campagnes de l'Arménie, et là se trouvait en présence de quarante mille cavaliers persans, armés de toutes pièces et commandés par un lieutenant d'Ismaël, qui n'était qu'à trois journées en arrière avec le gros de son armée. La bataille s'engageait sans l'attendre, non loin de Choïm ou Tchaldir. Les Perses semblaient assurés de la victoire, grâce à la valeur de leur chef, à l'impétuosité de leur attaque, à la supériorité de leurs chevaux ; mais quelques bombardes, amenées par les Turcs, mirent un tel désordre dans cette brillante cavalerie qu'elle prit bientôt la déroute et se réfugia près d'Ismaël, laissant la plaine jonchée de cadavres, beaucoup plus nombreux du côté des ennemis, malgré leur apparent triomphe. Peu de jours après, le schah lui-même, dans une prompte attaque de nuit, obtenait une éclatante revanche, un plus réel succès2.
46. En Europe on ne sut d'abord que la victoire de Sélim par des émissaires à ses gages, et la terreur redoubla. Qu'était d'ailleurs son accidentelle défaite, lorsque tant de nations demeuraient attelées à son char, rivées à sa fortune ? De cruels déchirements lui
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1 Padl. Jov. Bist. sui temp. lib. XIV. 2. Bizar. Hist. Persic. lib. X.
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préparaient les voies et lui valaient des armées pour ses futures entreprises, dans celui des royaumes chrétiens qu'il avait le plus à redouter, dont il recherchait même l'alliance, avant son expédition d'Arménie. La croisade suscitée par le légat apostolique Thomas de Strigon, mal organisée peut-être, ou tombant au milieu d'éléments anarchiques et de cupides instincts, fut l'occasion de ces désastres. Elle devint une Jacquerie dont les excès dépassèrent en peu de mois ceux qu'on avait commis en France, durant la longue captivité de Jean le Bon. Au lieu de marcher vers la Thrace et d'aller combattre les Turcs, cette troupe immense et désordonnée se répandit dans la Transylvanie d'abord, puis dans la Hongrie tout entière, comme un fléau destructeur. Recrutée surtout dans les derniers rangs du peuple, elle avait juré l'extermination des nobles et des grands, par amour des richesses, en haine de toute supériorité. Il entrait aussi dans son programme de détruire les sièges épiscopaux, de ne laisser debout qu'un archiprélat parmi ces ruines. Si des hommes bien intentionnés avaient au début suivi le mouvement, ils étaient bientôt entraînés par les masses. L'insurrection se donna pour chef, ou mieux pour despote, avec le titre même de roi, ce qui ne répugne nullement aux agitations populaires, un soldat remarquable par sa valeur, mais perdu de vices. Les uns le nomment Georges de Pékli, les autres Melchior Bannister1. Il ne dédaigna pas d'associer à sa puissance royale le prêtre Laurent et le moine Michel, qui s'étaient montrés dignes d'une telle accession. Ce qui se commit alors de meurtres, de pillages et d'horreurs, nous nous garderions bien de le décrire. Disons seulement qu'on n'évalue pas à moins de soixante mille le nombre de ceux qui périrent de leurs mains, et par les genres de mort les plus atroces. Les monuments publics, religieux et profanes, étaient démolis par le fer ou consumés par le feu. Dès que parvint à Rome le bruit d'une telle révolution, le Pape s'empressa d'appeler au secours de Ladislas le
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1 Ludov. Joooc. in Sigismo. anno 1514; — Georo. Spalat. Comment, tom. Il, col. 589 et seq. Le savant Mansi, dans ses annotations aux Annales Ecclésiastiques, n'admet pas l'identité; il présume que ce sont là deux personnages distincts.
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roi de Pologne et le duc de Livonie, tout comme, à la nouvelle du triomphe de Sélim, il avait tâché de ranimer le zèle ou d'exciter l'amour-propre de l'empereur Maximilien. Si ce dernier prince était plongé dans une irrémédiable incurie, les deux autres avaient sur les bras un assez lourd fardeau, par la lutte qu'ils soutenaient contre les Moscovites. Un homme alors se leva, répondant à l'appel du Souverain Pontife : c'est Jean de Transylvanie, le beau-frère de Sigismond. Il joignit les rebelles près de Témeswar, écrasa leurs tumultueuses cohortes, fit subir à celui qui les commandait, et qui déjà n'était plus maître de leur insubordination, un supplice mérité sans doute, mais dont l'idée glace l'imagination d'effroi : Avant de lui trancher la tête, il le couronna d'un diadème de fer incandescent ; et cette tête, portant l'empreinte de ce lugubre couronnement, fut promenée dans les principales villes du royaume, à Pesth, à Waradin en particulier, épouvantait des sectaires, qui ne tardèrent pas à succomber, ou bien à disparaître. Avant la fin de Juillet, la scène était vide, le dénouement complet, et la Hongrie pacifiée renouait ses glorieuses traditions en face de l'Islamisme.
47. La Pologne allait-elle également recouvrer sa liberté d'action, son rôle historique, ses nobles destinées? Le grand duc de Moscou, quoique battu l'année précédente par le roi Sigismond, pillait et dévastait de nouveau la Lithuanie, mettait le siège devant Smolensk sur les rives du Boristhène. Ce grand duc de Moscou, successeur de Vasili IV, en 1505, était Yvan IV, justement surnommé le Terrible, et qui le premier porta le titre de czar. Il marchait à la tête de quatre-vingt mille hommes. On peut néanmoins douter qu'il se fût rendu maître de la place, tant elle était solidement fortifiée et courageusement défendue, s'il n'avait eu recours à la trahison, en suppléant par la ruse à la force. Sigismond II n'allait pas rester sous le coup de cette insolente provocation. Il préparait la guerre dans des proportions inaccoutumées ; et cette guerre entre princes chrétiens, sous les yeux même de l'Islamisme, ne pouvait manquer d'être fatale à la chrétienté. Le Pape intervint aussitôt par un internonce dont les contemporains louent la haute intel-
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ligence et la rare intrépidité. C'était un membre distingué de la curie romaine appelé Pizon. Il faut l'entendre lui-même exposer son aventureuse mission dans une lettre à l'évêque Jean de Goritz. On y voit encore un assez remarquable aperçu des opérations militaires. « Vous savez combien peu j'avais à cœur de visiter ces lointaines régions ; mais je dus enfin céder à l'ordre du Pontife. En juillet j'arrivais à Vilna, capitale de la Lithuanie, où se trouvait le roi de Pologne, et d'où certainement il serait déjà parti pour continuer sa marche, s'il ne m'avait attendu. Par respect pour le Siège Apostolique, par égard aussi pour moi son ancien client, il m'accueillit avec beaucoup de condescendance et de grâce ; dire avec affection ne serait pas digne de sa royale majesté. Du reste, il ne me promit rien, et ne pouvait me rien promettre ; le sort en était jeté. Ma voix devait se perdre dans la tempête déchaînée, dans le cliquetis des armes, le son des trompettes et des tambours1.» L'internonce décrit ensuite, non sans enthousiasme belliqueux, le formidable aspect de l'armée polonaise. On dirait qu'il la passe en revue. Dès le lendemain de la seconde audience, Sigismond levait le camp et marchait droit aux Moscovites, qui s'étaient avancés sur les bords de la Bérésina. Leur menaçante attitude et leurs habiles dispositions ne l'empêchaient pas de traverser le fleuve à la nage, avec toute son armée.
48. En deux rencontres successives, il leur infligeait deux sensibles échecs et les refoulait sur le Boristhène. Ne se croyant pas en sûreté, malgré la supériorité de leur nombre et la solidité de leurs retranchements, ils se hâtèrent de passer sur l'autre rive, où les Polonais les eurent bientôt rejoints. On était au 8 septembre, et cette grande solennité fut célébrée par une bataille générale. Quand eut pris fin l'épouvantable mêlée, quarante mille Russes environ étaient couchés sur le champ de bataille, quatre mille restaient au pouvoir des vainqueurs, et dans le nombre huit de leurs principaux chefs, trois cents membres de la noblesse, près de vingt mille chevaux5. Sigismond annonçait directement au Pape cette victoire,
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1 Ext. Reb. Polon. tom. III, p;ig. 5 et seq.
2 Ludovic. Jodoc. in Sigismond. anno 1514.
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mais en l'attribuant à Dieu, non à son propre mérite. Il se donnait comme le soldat de Jésus-Christ et l'humble serviteur de l'Église. L'ennemi qu'il venait d'abattre était un schismatique obstiné, visiblement puni pour n'avoir pas écouté les salutaires conseils du Souverain Pontife. L'internonce Pizon n'avait pas même pu l'aborder. Comment eût-il rempli sa mission, quand un messager dont il s'était fait précéder pour instruire le czac de sa prochaine visite et lui demander un sauf-conduit, n'avait obtenu d'autre réponse que d'être jeté dans le Dnieper. « Je ne bois pas à si large coupe, dit alors le délégué romain. La chose est sérieuse ; le Barbare m'eût-il engagé sa foi, ma sécurité ne serait pas plus grande: ne l'a-t-il pas violée envers les rois et Dieu même ? L'hiver commence dans ces régions, et nous ne sommes qu'au mois de septembre. Je suis assez avancé dans le Nord. Pour obéir néanmoins au Pape et me conformer aux instructions de son légat, pour le service et l'honneur du Siège Apostolique, j'irai s'il le faut jusqu'à l'Océan glacial1. » Il ne voulait pas seulement aller chez le Moscovite. Celui-ci, quoique battant en retraite avec les débris de son armée, conservait et conservera longtemps encore la place de Smolensk. Il avait en outre des intelligences dans la Lithuanie.
49. Toute une race, celle des Ruthéniens, habitant en partie cette contrée, soumise extérieurement à la Pologne, se rattachait secrètement à la Russie, ayant embrassé comme elle le schisme grec. Un seul obstacle l'empêchait d'abandonner la Pologne et de se déclarer pour la Moscovic, c'est le cupide et jaloux despotisme du czar, qui semble l'unique propriétaire des biens et des personnes de ses sujets. Aucun n'est riche que dans la mesure et pour le temps déterminés par lui-même. Il tient tout dans sa main ; le commerce des pelleteries, principale source des richesses nationales, constitue son pouvoir. Ce que les aromates sont pour les Indiens, les précieuses dépouilles de certains animaux le sont pour les Moscovites2. On distinguait les Ruthéniens Blancs et les Ruthéniens Rouges, qui tous étaient plus industrieux, plus habiles à la guerre, moins faciles
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1. Pizo, Reb. Polon. tom. III, sub initio. 2 Alvar. Pelag. ils. Yat. BiUioth.
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à dominer que les autres populations répandues dans ces immenses steppes. Les premiers occupent la Valachie et la Moldavie ; ils se prétendent les descendants des soldats que les empereurs romains avaient jadis opposés aux incessantes invasions des Scythes. Cette prétention n'est pas dénuée de fondement ; dans leur idiome on reconnaît aisément les éléments altérés de la langue latine ; beaucoup d'Italiens vivent au milieu d'eux et prennent une part importante à la gestion de leurs intérêts. Ils agissent moins sur leurs croyances, si même ils n'en subissent pas la pression. La domination de la Pologne est mieux établie sur les Ruthéniens Rouges, sans avoir pu néanmoins les retenir dans les liens de l'unité catholique. Après les avoir soumis, les rois Polonais leur imposèrent une métropole et sept cathédrales qui subsistaient à l'époque où nous sommes arrivés; mais, par des causes restées ensevelies dans la nuit des temps, ils étaient alors schismatiques, et leurs antipathies comme leurs erreurs renchérissaient sur celles même de Byzance1. L'impossibilité pour le moment de convertir ces nations, d'adresser même la parole évangélique à celui qu'elles reconnaissaient implicitement pour leur chef, ne ralentit pas le zèle du Pontife.
50. Léon fut plus heureux au midi qu'au septentrion. Sachant que les Maronites, isolés dans les hautes vallées du Liban, n'ayant plus les mêmes communications avec Rome depuis les malheurs de la Syrie, étaient tombés dans quelques aberrations concernant la discipline et périclitaient dans leur foi, il résolut d'envoyer à leur patriarche deux intrépides et pieux Franciscains porteurs d'une lettre apostolique, dans le double but de dissiper tous les nuages récemment soulevés et de resserrer les antiques liens qui rattachaient ce peuple à l'Eglise Romaine. Les délégués avaient reçu les plus sages instructions : ils devaient agir avec autant de douceur que de discernement et de prudence. Leur mission eut un plein succès. En prenant de leurs mains la missive du Pape, le patriarche y colla ses lèvres émues, puis la plaça sur sa tête, à la manière des Orientaux, en signe de soumission et de respect ; mais
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1.Bibtioth. Rallie. Ms. litt. C. num. XX, pag. 53.
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c'est dans sa 'réponse écrite qu'il faut surtout voir la touchante expression de ces sentiments. Il commence par rendre un admirable hommage au Dieu Très-Haut et tout puissant, à Celui que le ciel et la terre adorent, au souverain dominateur de l'univers. Il reconnaît et proclame ensuite la suprématie du Pontife Romain, du pape Léon X, sur lequel il appelle avec effusion les bénédictions célestes1, dont il se déclare l'humble serviteur, lui patriarche des pauvres et délaissés Maronites, dont il implore enfin la protection pour lui-même et pour ce peuple entouré de cruels ennemis, courbé sous le joug des Infidèles. Après cela vient une large et solennelle profession de foi, où sont exposés les principaux mystères, la Trinité, l'Incarnation, la Rédemption, l'économie des Sacrements catholiques, le culte de la Vierge Marie, patronne spéciale du Liban. Sur la demande expresse du Pape, il retrace les cérémonies usitées dans son patriarcat, d'abord pour l'élection et la consécration du patriarche lui-même, puis pour la célébration des saints mystères, en y comprenant les ornements sacerdotaux, pour la bénédiction enfin et la composition du saint chrême. S'il reste une obscurité touchant le dogme ou le rit, il demande au chef suprême de l'Eglise de lui donner ses instructions par le messager qu'il lui dépèche, et promet de les observer avec une complète docilité. Il implore des bulles canoniques qui soient un témoignage permanent d'union et de catholicité, le gage d'une protection spéciale contre les Vénitiens, qui soumettent à d'arbitraires exactions la colonie maronite de Chypre. Léon X donna bientôt satisfaction à ces pieux désirs, heureux de rattacher de plus en plus au Saint-Siége une population dont les sentiments remontaient à la plus haute antiquité. Ces instructions n'étaient pas longues. Quelques mots bien précis sur la nécessité d'administrer sans retard le baptême aux enfants, tandis que les Maronites le renvoyaient au quarantième jour ; sur le mariage et la pénitence, le purgatoire et le paradis, la communion pascale, la procession du Saint-Esprit, la suprématie de l'Eglise Romaine. Chaque point fut accepté sans restriction ; le patriarche enverra même des orateurs au concile de Latran1.
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1 Act. Conctl. Lat. sessio n.
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51. Dans les premières années du seizième siècle, existait bien plus loin, par de là l'Egypte, dans ces régions inconnues désignées sous les noms d'Abyssinie et d'Ethiopie, une chrétienté moins bien conservée dans son essence, mais douée d'une aussi puissante vitalité, d'une plus grande force d'expansion. On ne l'ignorait pas à Rome. Léon X écrivait à David empereur des Abyssiniens : « Un de nos compatriotes, le florentin André Gorsalo, part pour aller visiter votre empire ; nous le chargeons de vous porter nos saluts paternels, de vous témoigner la vive reconnaissance, l'ardente affection, la profonde estime que nous ont toujours inspirées votre zèle pour la religion de Jésus-Christ et votre déférence envers ce Siège Apostolique. Mettez de plus en plus, nous vous le demandons avec instance, à répandre le nom de Dieu, sa gloire et ses préceptes, dans des contrées que tant de terres et de mers séparent de Rome, toutes les énergies de votre foi, toutes les ressources de votre empire. En retour vous seront accoordées de plus puissantes bénédictions, par Celui dont la munificence se plaît à triompher de notre amour1. » L'empereur d'Abyssinie n'était encore alors qu'un enfant, placé sous la tutelle de sa grand'mère Hélène ; elle gouvernait ses états avec une sagesse qui rappelait beaucoup mieux que son nom la pieuse et vaillante mère de Constantin le Grand. Albuquerque foudroyait sur tous les rivages des mers orientales, explorés par Vasco de Gama. Grâce à ces deux hommes extraordinaires, la gloire du Portugal avait retenti jusque dans l'intérieur de l'Afrique. Vers le même temps, la régente envoya deux ambassadeurs à Lisbonne : un Arménien nommé Mathieu, aussi distingué par sa science que par ses sentiments chrétiens, et dont le séjour dans ces lointaines contrées n'était pas de date récente ; puis un jeune Ethiopien, appartenant à la plus haute noblesse, parent même de l'empereur David. Le troisième jour après leur arrivée dans la capitale, ils furent reçus par Emmanuel, non seulement avec la distinction qu'imposait leur caractère, mais encore avec l'empressement et la bienveillance qu'inspirait leur religion. Ils présentèrent
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1 Peir. Bembo, Epist. îx, 41.
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au roi du Portugal une lettre dans laquelle, Hélène, au nom de son fils, lui proposait une alliance offensive et défensive, spécialement dans le but d'enlever au Mahométisme sa domination usurpée sur l'Afrique et sur l'Asie, de l'arracher à l'Europe, de délivrer Jérusalem et de la rendre à l'Église Catholique. Ce n'est pas sans une religieuse émotion qu'Emmanuel prit connaissance de cette lettre ; et l'émotion redoubla quand les ambassadeurs Abyssiniens lui remirent de la part de leur prince un fragment considérable de la vraie croix1. Ils exhibèrent ensuite une seconde lettre renfermée dans un roseau d'or, plus expansive et plus chaleureuse que la première. Ces généreuses pensées, où survivait l'esprit des anciennes croisades, n'excluaient pas une réelle ambition, ni ne supposaient un pur catholicisme. Les Abys-siniens mêlaient à la foi qu'ils avaient reçue de leurs pères, des erreurs ou des superstitions dont aisément on retrouve l'origine : elles étaient empruntées aux Juifs, aux Grecs schismatiques, aux Mahométans, aux vieilles sectes des Ja-cobiles et des Nestoriens. En se rattachant à l'Eglise Romaine, ils pouvaient exclure de leur sein ces éléments délétères qui les empêchaient d'arriver à l'épanouissement d'une véritable civilisation ; mais que d'avortements l'historien doit constater en passant à travers les générations et les siècles?
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1 Osorio, Reb. Emman. lib. IX ; — Mamaïa, Reb. Bisp. m, 23.