St Ignace 4

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   180. Ignace possédait à un haut degré le talent de gouverner les hommes. Quoique cette qualité lui ait été reconnue par ses contemporains et qu'elle ressorte d'ailleurs des faits de sa vie, nous caractériserons ici, d'une manière générale, sa conduite dans le gouvernement de la Compagnie. Afin de rendre les siens capables d'en­treprendre les choses les plus difficiles, il s'appliquait surtout à entretenir parmi eux l'ardeur pour le bien.  Dans sa direction il cherchait à inculquer aux supérieurs, l'esprit de douceur et d'a­mour ; c'est pourquoi il ne fit pas de difficulté de changer les rec­teurs du collège, jusqu'à ce qu'il en eût trouvé un qui eût cette ten­dresse maternelle, nécessaire à ceux qui gouvernent. Dans son ad­ministration, il évitait avec le plus grand soin, toute préférence et toute partialité ; souvent, au lieu de nommer lui-même à certains emplois, auxquels étaient attachés des avantages extérieurs, il aban­donnait ce soin à ses conseillers, après leur avoir indiqué les qua-

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lités nécessaires à telle ou telle charge. Pour lui, il savait rendre son autorité douce et aimable, en évitant tout air de commande­ment et un extérieur trop sévère. Non seulement, il consultait les forces et les talents de chacun, mais lorsqu'il avait un ordre ou une réprimande à intimer, il exposait en termes si justes les motifs de sa conduite, qu'il persuadait toujours ceux à qui il parlait. Au re­tour d'une mission, il recevait ses frères d'un air bienveillant et prévenait, par ses questions, tout ce qu'ils avaient à dire. Lorsque l'issue avait été favorable, il les félicitait, les proposait en exem­ple aux autres et témoignait sa reconnaissance par des services de toutes sortes. Si le résultat n'avait pas répondu à son attente, il les exhortait à ne pas perdre courage. Pour encourager les autres, il faisait lire encore les lettres qu'il recevait des divers membres de la Compagnie. Le plus grand écueil des supérieurs n'est pas de négliger le commandement, mais de vouloir trop commander et d'énerver leurs subalternes à force de vouloir en tout les régir. Qu'on écoute Ignace: « Le provincial ou le général, écrit-il en 1552, ne doit pas entrer en ces détails puérils, ni vouloir régler les choses point par point minute par minute ; il est plus convenable, au contraire, à leur di­gnité et plus sûr pour leur propre repos, de laisser ce soin aux su­périeurs qui leur sont subordonnés, et lorsque l'affaire est terminée de leur en demander compte. C'est là ce que je fais dans ma charge de général et je retire chaque jour, plus de fruit de ma conduite, car je m'épargne ainsi beaucoup de travail et de soin. Je vous re­commande donc de diriger principalement vos soins et vos pen­sées sur le bien et l'utilité de toute la province. Occupez-vous de régler les détails quand c'est nécessaire et demandez alors le con­seil des hommes que vous jugez les plus expérimentés ; mais, du reste, abstenez-vous autant que possible, de mettre la main aux affaires particulières et de vous en occuper. » Dans les constitu­tions, il veut que les supérieurs soient des modèles pour les au­tres, qu'ils mortifient en eux, toutes les mortifications de la na­ture, qu'ils soient exercés dans l'obéissance et l'humilité, ornés du don de discernement, habiles à gouverner et à bien mener les af­faires. Il apportait un soin particulier à former les novices ; son

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désir le plus ardent était de voir, avant de mourir, la discipline du noviciat solidement établie, de manière qu'elle pût servir de règle pour l'avenir. Ceux qui ne se maintenaient pas dans les disposi­tions nécessaires à la Compagnie, il les congédiait ; ceux qui, sous l'empire d'une illusion, voulaient se retirer, il savait les retenir. Parfois terrible quand il punissait, et d'autant plus sévère qu'il s'a­dressait à des Pères plus élevés, il ne s'occupait, pour l'ordinaire, qu'à entretenir l'union des cœurs et surtout une exacte correspon­dance. Dans sa pratique, l'autorité et la liberté avaient à peu près résolu le problème de leur mystérieux équilibre.


181. Quoique désormais la vie d'Ignace se confonde, pour nous, avec l'histoire de sa compagnie, nous ajouterons cependant ici quelques mots de ses idées et de sa conduite dans le gouvernement intérieur de la compagnie. Une société, surtout une société reli­gieuse, ne se mène pas seulement par les voies extérieures de l'autorité, elle se gouverne surtout par l'esprit. L'ascèse, cette partie si importante de la vie spirituelle, pour tous les chrétiens en géné­ral et en particulier, pour ceux qui font profession d'imiter Jésus-Christ, doit attirer la particulière attention de l'histoire ; car c'est Ignace qui l'a élevée à son degré de perfection, ou du moins, il y parait un maître accompli. L'expérience lui avait appris les princi­pes de cet ascétisme qui perfectionne la nature morale sans ruiner le corps, qui évite avec soin toute direction incomplète ou fausse de l'esprit et qui prend garde de laisser prédominer, aux dépens de la raison, les sentiments du cœur. A son avis, au commencement de la conversion, il fallait mener une vie plus sévère, mais du mo­ment où l'âme est parvenue à se purifier de ses souillures, on doit diminuer un peu la mortification extérieure. François de Borgia. vice roi de la Catalogne, se sentait poussé à d'énormes pénitences ; Ignace lui écrit en 1518: « Premièrement, pour ce qui concerne le temps que vous vous êtes prescrit pour les pratiques intérieures et extérieures, je crois qu'on pourrait en retrancher la moitié. En se­cond lieu, relativement au jeûne et à l'abstinence je crois qu'il vaut mieux, pour la gloire de Notre-Seigneur, conserver et forti-fier l'estomac et les puissances actuelles, que de les affaiblir :   car,

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lorsqu'on est décidé à plutôt mourir qu'à commettre de propos dé­libéré la moindre offense contre la majesté divine, et que l'on n'est attaqué d'aucune tentation particulière de la part du démon, de la chair et du monde, la mortification extérieure n'est plus aussi né­cessaire. Quant au troisième point, à savoir les châtiments que vous exercez sur votre corps, j'éviterais pour Notre-Seigneur de verser la moindre goutte de sang. » Ennemi de toute direction ex­centrique dans la piété, il s'efforçait avec soin d'en éloigner sa Compagnie. A Gandie, deux religieux s'étaient mis en tête de don­ner plus à la vie contemplative : il fit éloigner l'un et envoyer l'autre à Rome, pour les ramener tous les deux à un sen­timent plus éclairé de leur devoir. En général, lorsqu'il s'agissait des points essentiels, ou qu'il fallait adresser une juste réprimande, ses paroles avaient une telle puissance que personne n'osait lui adresser la moindre objection. Les mortifications particulières auxquelles on se livrait, sans la direction d'un guide habile et ex­périmenté, lui paraissaient plus nuisibles qu'utiles. Ignace voulait (et il savait vouloir) que les exercices de piété, spirituels et corpo­rels, ne fussent employés que comme moyens de s'établir plus soli­dement dans la vertu, laquelle rend l'ouvrier évangélique plus ca­pable de travailler à la conversion des hommes ; et il ne pouvait souffrir qu'on se mit dans l'impuissance de rien faire, en affaiblis­sant l'âme et le corps par une ascèse immodérée. Souvent il re­commandait à ses religieux de conserver leur santé pour le service de Dieu et le soin des malades. Lui-même, ayant épuisé ses forces pendant un carême, se trouva épuisé vers la fin, n'hésita pas un instant, sur l'ordre du médecin, de prendre du poulet pendant la semaine sainte. Pour tout, sa confiance était en Dieu et c'est à sa gloire qu'il savait tout subordonner.


182. Qu'il nous soit permis, avant de terminer cette biographie, de jeter un coup d'œil sur le personnage dont nous venons d'esquisser l'existence. On distingue dans sa vie deux périodes ; le moment décisif, c'est quand, renonçant à l'idée de fonder une société reli­gieuse pour la Palestine, il se retire à Rome. A partir de ce mo­ment, on distingue, dans la vie publique d'Ignace,  un développe-

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ment remarquable de son caractère et de ses aptitudes. Ses  dispo­sitions naturelles prennent un nouvel essor ; les expériences qu'il a faites, lui permettent d'user avec plus de profit des belles qualités qu'il a reçues de Dieu, et de les diriger sur un but qui répond aux plus grands intérêts de l'humanité. L'inspiration première se trans­forme ; ses qualités personnelles se tournent vers la fondation d'un institut qui offre une garantie de durée et s'applique aux besoins
des temps. Dans les circonstances les plus défavorables, son maître esprit s'était appliqué aux études les plus pénibles, afin d'employer au profit de l'Église les lumières de sa science et de rendre plus étroite l'union de la science et de la foi, entre lesquelles l'hérésie a cherché de tout temps à creuser un abîme. Dans l'ardeur  de son prosélytisme, il étendit, sur les peuples païens dégénérés, le prin­cipe vivifiant du  christianisme. Mais,  soucieux surtout de  notre vieil Occident, si peu  fidèle à l'Église sa mère, il  s'appliqua d'abord à soulager ses pauvres, ses malades,  ses prisonniers ; à les tirer de la détresse morale et corporelle où on les laissait languir; son esprit suscita plus tard des institutions salutaires qui se consa­crèrent exclusivement à ces importantes fonctions. C'est lui, ce sont ceux qui travaillaient sous sa direction ou dans son esprit, qui réu­nirent les premiers germes de ces améliorations et de ces perfec­tionnements qui distinguent notre époque.  Quiconque veut  être juste ne peut contester l'influence de S. Ignace  comme bienfaiteur de l'humanité. Urbain VIII dans la bulle de canonisation d’Ignace, s'est appliqué à relever ses mérites sous ce rapport : nous ne  pou­vons mieux clore cette sainte vie qu'en rappelant les paroles du Pape qui résument en quelque sorte la vie d'Ignace comme fonda­teur d'ordre : « Il ne cessa de secourir les pauvres et les malades dans les hôpitaux, leur distribuant les aumônes qu'il avait reçues de personnes  charitables ;  et dès le commencement des conver­sions, il s'appliqua  d'une manière toute particulière à instruire dans la  doctrine chrétienne les enfants et les ignorants. C'est lui qui, par son exemple, introduisit la coutume de  visiter  et de sou­lager les prisonniers. Il fonda des missions dans toutes les contrées du monde, bâtit des églises et des collèges, particulièrement dans la
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ville de Rome, où, sans compter le gymnase dans lequel on reçoit l'enseignement gratuit, il établit le collège Germanique, les hos­pices des orphelins et des catéchumènes, les couvents de Sainte-Marthe. et de Sainte-Catherine et d'autres pieuses institutions. Il concilia les différends, donna de sages conseils, rédigea les Exer­cices spirituels, exhorta à la fréquentation des sacrements, récon­cilia les ennemis et les fit prier les uns pour les autres. Toutes ces choses montrent évidemment jusqu'à quel point il aimait le pro­chain pour Dieu. » — Tel est, sur la personne, sur les œuvres et les vertus de Saint-Ignace, le jugement du Saint-Siège : il confirme toutes les informations de l’histoire.


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§ X. LES CONSTITUTIONS DE LA COMPAGNIE DE JESUS.


   S. Ignace partage, avec S. Benoit, avec S. Dominique et S. Fran­çois  d'Assise, l'honneur   d'avoir formé une innombrable légion d'apôtres et d'avoir conquis, par l'action, le monde qu'ils avaient conquis par la bêche, par la pauvreté et par la parole. A la vérité, il entra dans une carrière ouverte par S. Gaétan de Thienne, déjà parcourue par les Somasques et les Barnabites ; mais il y entra avec une initiative si hardie, il s'y tailla un si  vaste champ, il donna aux siens une si magnifique impulsion, qu'il peut, à bon droit, pas­ser pour un grand chef d'Ordre, et, à certains égards,  pour un grand homme. Au milieu d'un monde qui veut rompre avec Dieu, en présence du protestantisme qui ouvre la marche à l'apostasie et forme sa première étape, né sous un ciel orageux, dans un berceau plein d'agitations, le vaillant Ignace forma une compagnie de sol­dats qui l'élurent général. A ces soldats,  dressés pour la bataille, il n'imposa pas les observances du monachisme cloitré ;  il  leur donna la petite tenue et la forte discipline du soldat en campagne. Mais, plus il les déchargea extérieurement de l'appareil des armes, plus il les voulut intérieurement forts. Par la science, par la vertu, par la bravoure et l'intrépidité, un Jésuite est un homme de  fer. De pauvres sots, un d'Alembert, un Quinet, un Michelet,   leur re-

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prochent le Compelle intrare, le Perinde ac cadaver : ce sont là con­signe de bons régiments ; à toute armée, il faut des règlements sé­vères. La preuve qu'Ignace ne s'est pas trompé, c'est que, depuis trois siècles, ses fils sont partout et toujours aux avant-postes ; c'est que, tantôt libres, tantôt proscrits, parfois triomphants, par­fois martyrs, ils sont toujours au feu, et, pour s'en défaire, il ne suffit pas de les diffamer, de les expulser, de les voler, il faut les assassiner. Les scélérats de la rue Haxo, dernière escouade de la bande persécutrice, avaient seuls compris comment on se débarrasse d'un Jésuite: on le tue: encore cela ne suffît pas pour en triom­pher. En présence des exploits prodigieux de cette admirable com­pagnie, on prête, aux jésuites, une sorcellerie qui leur assure tou­jours et partout d'étonnants succès. C'est une grande marque de dé­loyauté et d'inintelligence, c'est faire voir qu'on ne comprend rien à S. Ignace, à ses constitutions et à son histoire. Répandre sur ce grand nom et sur ce grand œuvre des couleurs absurdes à force d'être déloyales ; ériger le jésuitisme en monstre horrible dont l'imagination a fait les frais de peinture et dont la bassesse a in­venté le dessin, c'est montrer peut-être du talent pour la carica­ture, mais se mettre absolument en dehors de cette raison qui as­signe aux effets leur juste cause et en pénétrant le mystère des choses en mesure la véritable grandeur. — Pour entrer dans ce mystère, il faut étudier à fond le code de l'Institut des Jésuites. L'ensemble de leurs lois comprend : 1° Les Exercices pour la for­mation des membres de la compagnie ; 2° Les Constitutions pour la vie commune des frères admis dans l'Ordre ; 3° Les Règles pour la gérance des charges ; 4° Les Déclarations ou éclaircissements du texte. Le tout forme l’Jnstitutum écrit tout entier de la main de S. Ignace. Nous ajouterons un mot sur les Monita secreta, misérable factum d'un calomniateur anonyme. Nous devrons, pour acquérir une plus haute intelligence de ces règles, nous enquérir des résultats effec­tifs dans les esprits et dans les consciences : parler de la situation canonique de l'ordre dans l'Eglise et de son expansion dans l'his­toire, conclure cette étude par une réponse aux difficultés princi­pales soulevées contre la Compagnie de Jésus.

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183. Sous le nom d'Exercices spirituels, on doit comprendre en   général la manière la plus parfaite de prier. La prière parfaite a pour objet de faire vivre l'âme d'une vie semblable à celle de Dieu ; par conséquent, elle se rapporte à ce qu'il y a de plus im­portant et de plus élevé dans l'homme. En nous recommandant de prier en vérité et en esprit, le Sauveur nous apprend à désirer les biens  spirituels et éternels : c'est cette prière qui purifie l'âme, la sanctifie, l'unit à Dieu. Jésus veut donc que dans la prière nous con­naissions Dieu par le moyen de l'entendement et que nous rendions ainsi notre volonté conforme à la volonté divine. Comme à chaque chose il faut une direction, la pratique dont il s'agit ici exige un art saint; Ignace en a présenté d'une manière particulière les  rè­gles d’après sa propre expérience. Pèlerin et mendiant volontaire, le guerrier converti s'est retiré dans la grotte de Manrèze.  Là, parmi les rigueurs de la pénitence, il lutte, il cherche ; il subit des épreuves cruelles qui bouleversent tout son être. Pâle, exténué par la macération, prosterné sous la cendre et le cilice, il semble anéanti. Une main puissante le relève et le conduit, au grand jour des il­luminations divines, jusque dans les régions les plus élevées de la charité apostolique. Alors, retournant sur ses  pas, Ignace mesure la carrière parcourue ; il constate un enchainement de vérités et de luttes intérieures, qui épuisent l'âme, la placent en présence  de la volonté divine trop souvent méconnue, la rendent à Dieu géné­reuse et dévouée. Après en avoir éprouvé la vertu pour lui-même, Ignace pensa qu'il serait utile de retracer pour les autres la suite de ces vérités et l'économie de ces voies : tel est l'objet des Exer­cices spirituels pour apprendre à se vaincre soi-même et pour régler à l'avenir tout l’ensemble de la vie, sans prendre conseil d'aucune  affec­tion désordonnée. « Si l'on en veut une définition logique, dit le Père Génelli, on peut dire qu'ils sont un exercice de l'esprit par lequel un individu médite, devant Dieu, dans la retraite et le  silence,  les vérités éternelles, et scrute à leur lumière l'état de son âme,  dans le dessein de corriger ce qui est défectueux, et de donner ainsi à sa vie la direction la plus agréable à Dieu et la plus utile à son âme. On pourrait d'après cela exprimer en général l'idée des  Exercices,

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en disant qu'ils consistent à rapporter à Dieu les choses temporelles et éternelles de l'homme qu'il a racheté. Celui qui fait les Exercices cherche, par une méthode appropriée à ce but, à comprendre clai­rement et à disposer avec ordre ce qu'il a reconnu comme la vo­lonté divine à son égard. Ils ont donc pour fin de découvir à l'homme en quoi il manque, mais surtout de le conduire au degré de perfection dont il est capable. Et comme on ne peut atteindre celle-ci que dans un état particulier où Dieu nous appelle, les Exer­cices nous disposent à bien choisir cet état, ou, si notre choix est déjà fait, à en retirer le plus de fruit. Leur idée doit donc (de) renfer­mer en soi tous les degrés de la perfection chrétienne, jusqu'au plus élevé, à savoir la perfection évangélique, telle que Notre-Seigneur l'a recommandée à ses disciples par ses conseils et son exem­ple. Elle embrasse donc la perfection ordinaire et générale du chré­tien, laquelle consiste à pratiquer les commandements de Dieu ; et sous ce rapport ils apprennent à chacun ce qu'il doit faire ou omettre en chaque cas particulier pour atteindre sa fin ; mais ils tendent principalement à former des apôtres par l'imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Leur but est donc de développer en nous la vie de l'Homme-Dieu à ces deux degrés par la connaissance et le choix de la volonté1. » Cette idée a sa raison d'être. Le pro­testantisme se plaçant au point de vue humain et en dehors de l'Eglise, posait en principe que la lecture des livres saints et la foi humaine suffisent au salut. L'abaissement moral de l'époque per­mit à cette erreur de s'étendre promptement. Comme on ne prenait point l'Evangile par son côté pratique et que ses influences ne se fai­saient presque point sentir dans la vie, la diffusion de la lettre morte, la simple lecture des livres saints électrisa les esprits ; mais l'effet fut illusoire. Cependant la divine Providence avait déjà pris des me­sures contre le mal et produit dans l'Église, par l'épanouissement de la vie religieuse, un remède contre ce mal. Il s'agissait alors de connaître de plus près l'Évangile, d'en saisir plus intimement les mystères, de rendre plus vives les influences de son esprit et de sa

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1 Vie de S. Ignace, t. I, p. 194.

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foi : ce problème fut résolu par Ignace. Dieu convertit Ignace par les vérités contenues dans l'Evangile, par la parole vivante que l'on cherche vainement dans la lettre morte, par la considération de la vie du Seigneur, laquelle l'enflamme du désir de l'imiter. Et c'est pendant que Dieu formait de lui un nouvel apôtre, qu'il lui inspira le livre des Exercices comme le moyen de réagir plus effi­cacement contre le principe premier du protestantisme.

 

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