Libéralisme 2

Ratzinger

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La conversion ne mène pas à une relation privatisée avec Jésus, ce qui ne serait, finalement, qu'un monologue. Au contraire, c'est un passage vers un type d'enseignement, comme le dit Paul. C'est l'entrée dans le «nous » de l'Église, comme dit Jean. C'est la seule manière de faire de l'obéissance qui est due à la vérité une réalité concrète. Guardini a dépeint maintes et maintes fois cette dimension de son expérience de conversion qui est devenue le centre de sa théologie et un nouveau départ en théologie après la faillite du modèle libéral.

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   Le passage biblique qui est devenu le tournant de sa vie est tiré de l'Evangile de Matthieu: «Celui qui veut sauver sa vie (c'est‑à‑dire celui qui s'efforce de se réaliser) la perdra et celui qui perdra sa vie par amour pour moi la trouvera. »

 

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6. L'exemple de l'exégèse

 

   Néanmoins, aussi justifiées que puissent être ces peurs, il y a certaines limitations dont il faut se souvenir. Sûrement, on travaille déjà sur une fausse construction de la théologie si on ne voit dans la supervision de l'Église que chaînes et entraves. C'était la remarque que faisait Guardini à ses professeurs orthodoxes qui étaient scientifiquement des imitateurs du libéralisme. Cela le conduisit à un commencement radicalement nouveau: si la théologie, maintenant, ne voit dans ses origines qu'une entrave, comment deviendra‑t‑elle jamais féconde?

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   L'Église et ses dogmes devaient être envisagés comme une force puissante, dynamisante, pour la théologie, et non pas comme une chaîne. En fait, c'est cette force dynamisante qui peut ouvrir à la théologie ses plus grands horizons.

 

   Nous pouvons prendre pour exemple cette sorte d'exégèse biblique qui ne voit dans l'Église qu'un obstacle mais qu'atteint réellement une exégèse qui s'émancipe de l'Église? De quelle sorte de liberté jouit‑elle alors? Elle devient un article d'antiquité. Elle ne cherche que ce qui a été et présente des hypothèses changeantes sur les origines de textes isolés ou sur leur relation avec la réalité historique. De telles hypothèses n'ont d'intérêt pour nous qu'à partir du moment où c'est toujours l'Église qui établit que ces textes ne témoignent pas seulement de la vérité qui fut jadis, mais qu'ils parlent de ce qui est vrai aujourd'hui. La situation ne s'améliore pas du tout si l'exégète essaye de mettre la Bible à jour par une réflexion philosophique privée: il existe déjà des philosophies bien meilleures que la sienne et cependant elles nous laissent à peu près indifférents!

Mais comme l'exégèse peut devenir stimulante quand elle ose lire la Bible dans son unité! Quand elle la fait naître du peuple de Dieu et, à travers ce peuple de Dieu, de Dieu lui‑même, alors elle parle effectivement à l'époque actuelle. Alors vraiment sa grande connaissance de la diversité historique devient féconde : l'unité doit dès lors être cherchée dans cette diversité, non pas malgré la diversité mais par l'intermédiaire de la diversité ; à son tour, cette

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diversité même devient la richesse de l'unité. La largeur de l'espace pour la créativité est ainsi immense, avec pour seule limitation qu'elle ne détruise pas l'unité que l'on trouve à un niveau beaucoup plus profond que celui de l'auteur individuel. L'unité de la foi biblique se situe à un niveau différent du niveau littéraire, mais elle fait partie néanmoins de la réalité littéraire de la Bible elle-même.

 

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7. L'usage de l'autorité

 

   On ne peut jamais permettre que ce lien vital entre théologie et Église se détériore au point que la théologie aille à l'autre extrême et fasse une idole de l'enseignement de l'Église. Le danger d'une vigilance mesquine et peureuse n’est pas du tout un fantôme. L'histoire du combat moderniste en est une preuve même si, parfois, on émet aujourd'hui des jugements simplistes qui ignorent la complexité de la période. Naturellement, il ne s'ensuit pas que l'Église doive abdiquer sa responsabilité d'enseigner, car ce serait ignorer le fait que le problème existe effectivement.

 

   Pour illustrer cela, permettez‑moi de revenir encore une fois à Heinrich Schlier. Ses conférences sur la théologie en 1935 et 1936 ont marqué la première phase du combat de la part des croyants dans les Églises évangéliques pour maintenir l'identité du christianisme alors qu'il était menacé d'annexion par un pouvoir totalitaire. Ses remarques distinguent clairement entre le courage du théologien pour balayer une pseudo‑théologie qui n'a pas saisi la vérité, et le faux courage de l'hérétique qui y substitue purement et simplement une déviation évidente de la foi. Tenant compte de ce que les organes officiels de l'Église gardaient alors massivement le silence à cause de leur peur ou même de leur manque d'intérêt, et qu'ils consen­-

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taient ainsi ouvertement à ce que leurs coreligionnaires chrétiens soient trompés, Schlier posait cette question à ses étudiants en théologie : « Demandons‑nous un instant ce qui est le meilleur: que l'Église, d'une manière méthodique et après mûre réflexion, interdise à un professeur d'enseigner à cause de ses enseignements erronés, ou que l'individu comme personne privée dénonce le faux enseignant et mette en garde les fidèles contre lui? Personne ne pourra penser que cette seconde sorte de condamnation aura quelque effet réel, que ce théologien se tiendra désormais tranquille, puisque tout le monde a le droit d'avoir son opinion personnelle. Ici l'opinion libérale est logique. Elle dit qu'il n'existe aucune possibilité de prendre une décision à propos de la vérité d'un enseignement, que tout point de vue comporte quelque vérité, et que donc chacune et toutes les opinions doivent être tolérées dans l'Église. Mais nous ne partageons pas cette opinion parce qu'elle nie un fait que Dieu a pris une décision parmi nous.”

 

   Si nous regardons cette situation dans la perspective qui est la nôtre aujourd'hui, il est facile de dire que la seule question était de savoir si l'Église continuerait à proclamer l'Evangile ou si elle allait devenir un outil aux mains des antéchrists. Mais, à un moment donné, le choix n'est pas aussi clair pour la personne qui est appelée à agir. Il y a des milliers de pour et de contre. Il faut admettre le fait que les êtres humains individuels sont capables de décisions qui sont terriblement mauvaises. Il n'existe pas de calcul facile pour éviter de prendre une décision. C'est pourquoi l'évidence de la foi n'est pas la même

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que l'évidence en mathématiques. Elle peut toujours être exposée à une révision dialectique. C'est parce que les choses sont ainsi qu'existe la tâche de la mission apostolique dans l'Église. C'est la fonction qui a la responsabilité d'étudier soigneusement la situation puis d'exprimer l'évidence de la foi sous la forme d'une décision.

Il n'y a pas de doute qu'il est important de trouver des formules légales qui permettent de sauvegarder la liberté objective de la pensée scientifique à l'intérieur de ses limites, et de garantir une nécessaire liberté de manoeuvre à la discussion scientifique. La liberté de l'enseignant individuel n'est pas le seul bien que la loi doive protéger, et n'est pas non plus le plus grand bien à sauvegarder ici. En ce qui concerne la question de la subordination des divers biens dans la communauté du Nouveau Testament, il y a un jugement divin intraitable dont l'Église ne peut jamais faire abstraction « Quiconque est une cause de scandale pour l'un de ces petits qui croient, mieux eût valu pout lui qu'il fût jeté à la mer avec une meule attachée à son cou » (Me 9, 42).

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon