Grégoire VII 22

Darras tome 21 p. 609


   42. La dernière lettre de Grégoire VII datée de Capoue  

est du 15 novembre 1073. Elle était adressée à Gébéhard évêque de Saltzbourg. «On nous apprend, dit le pape, au sujet de votre fraternité une nouvelle qui si elle est vraie a lieu de nous surprendre autant que de nous affliger. On prétend que, sans respect pour les décisions du concile romain auquel vous avez cependant assisté en personne, vous tolérez encore dans votre église les clercs scandaleux. Nous espérions au contraire que vous seriez l'un des plus fermes soutiens de la discipline ecclésiastique et qu'aucune considération humaine ne vous détournerait de l'accomplissement d'un devoir sacré. Nous vous en conjurons, par l'amour que vous portez au prince des apôtres et par votre zèle pour notre sainte religion, venez à Rome nous ouvrir votre cœur, vous nous trouverez prêt à excuser une faiblesse passagère et à vous accueillir dans les entrailles de la charité et de la miséricorde du bienheureux Pierre 3. » Le vénérable évêque de

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1 Greg. VII. Epist. xx et xxi, LiO. III, col. 450.

2. Id. Epist. xix, col. 449.

3. Epist. xxx, Lib. 1, col. 313.

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p610      po:;tificat de sai.\-t Grégoire vu (1073-1033).

 

Saltzbourg saint Gébéhard, n'était nullement coupable de la négli­gence dont on l'avait accusé près du pape. Il luttait au contraire avec saint Altmann de Passau contre la clérogamie qui déshonorait la plupart des diocèses de Germanie. Les autres évêques pour s'au­toriser de son exemple l'avaient calomnié près de Grégoire VII. Le grand pape ne tarda point à en avoir la preuve et rendit pleine jus­tice à Gébéliard. Le 20 novembre à San-Germano près du Mont-Cassin Grégoire VII mandait à l'archevêque de Cantorbéry, l'illustre Lanfranc, de réprimer les sacrilèges entreprises du comte Aréfast contre le monastère de Saint-Edmond. «Nous comptons sur vous comme sur un autre nous-même, lui dit-il. L'abbaye de Saint-Ed­mond a été placée par notre prédécesseur Alexandre II de sainte mémoire sous le patronage immédiat du saint-siége ; les injustes vexations dont elle est victime rejaillissent donc sur l'autorité apos­tolique elle-même. Nous prions le très-glorieux roi Guillaume, le seul de tous les rois qui mérite aujourd'hui le titre de fils de la sainte église romaine, Guilielmum regem clarissimum et unicum filium sanctae romanae ecclesiae de ne point se laisser séduire par les artifices du comte et de lui retirer sa faveur 1.


   43. Guillaume le conquérant était alors en effet le seul roi de l'Europe occidentale qui ne vendit point les bénéfices ecclésiastiques et qui se montrât aussi sévère contre la simonie que contre les dé­sordres du clergé. Philippe I, oubliant son titre de roi très chré­tien, avait importé la simonie en France et suivait sous ce rapport l'exemple de Henri IV d'Allemagne son contemporain. Comme ce dernier, il envoyait à Rome des protestations de dévouement, mais les actes ne répondaient point aux paroles. Sa manière d'exercer la simonie différait pourtant un peu de celle du roi de Germanie. II laissait au clergé et au peuple pleine liberté dans les élections épiscopales; seulement lorsque l'élu se présentait pour recevoir l'investiture il ne l'accordait qu'à beaux deniers comptants. C'est ainsi que vers le commencement de l'année 1073, Landeric de Brézé, archidiacre d'Autun, ayant été canoniquement élu au siège de

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1.Greg. VII. Epist. xxxi, Lib. I, col. 314.

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p611 CHAP.   X.   —  GHÉGOIUE   VII   EN   APULIE,

 

Maçon vacant par la mort du fameux Drogo,  le roi  qui d'ailleurs approuvait l'élection, ne permit point de procéder au sacre tant que le nouvel élu ne lui aurait pas payé les prétendus droits d'investi­ture. Deux lettres pontificales de Grégoire VII,  datées de Piperno le 4 décembre, furent adressées à ce sujet, la première à Humbert archevêque de Lyon avec ordre d'avoir à procéder immédiatement comme métropolitain au sacre de Landeric sans tenir compte de l'opposition du roi de France 1, la seconde à Roclin évêque  de Chalons-sur-Saône portant injonction de transmettre à Philippe la décision irrévocable du saint-siége. « Entre tous les princes de notre temps qui par une perverse cupidité déshonorent la sainte  église leur mère, usurpent ses droits et la réduisent en esclavage, le  roi des Francs Philippe s'est particulièrement signalé par l'oppression qu'il fait peser sur les églises des Gaules. Nous en avons ressenti une douleur d'autant plus vive, qu'autrefois le royaume de France se distinguait davantage par la sagesse non moins que par la puis­sance de ses souverains et par leur dévouement au saint-siége. Les excès de Philippe et la ruine de tant de diocèses ne pouvaient res­ter impunis et nous nous disposions à une répression sévère, lorsqu'en ces derniers jours le roi nous a fait assurer par son chambel­lan Albéric qu'il abjurait ses erreurs passées, voulant à l'avenir ré­former sa vie et respecter les droits de l'église. Nous avons dès lors sursis aux rigueurs canoniques. L'occasion se présente aujourd'hui pour le roi de prouver la sincérité de sa promesse ;  qu'il laisse l'archidiacre d'Autun Landeric prendre possession de l'église de Mâcon depuis si longtemps désolée, et qu'il renonce à exiger un tribut sacrilège. S'il s'obstine dans son refus, il peut tenir pour indubitable que nous ne tolérerons  pas davantage un désordre qui bouleverse l'église. Ou  le roi cessera son trafic simoniaque, ou les français frappés d'un anathème général se trouveront dans la nécessité de renoncer à son obéissance, à moins qu'ils ne préfèrent renoncer à la foi chrétienne 2. » Malgré ces vigoureuses objurgations Philippe I ne se soumit point encore et nous verrons

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1 Epist. xxxvi. col. 318. » F.pid. xxxv, col. 317.

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p612 PONTIFICAT  DE  SAINT  GRÉGOIRE   VII   (1073-1083).

 

bientôt cette importante affaire soumise à l'examen du concile que Grégoire se proposait de tenir à Rome dans la première semaine du carême de l'an 1074.


§ IV. HENRI IV ET LES SAXONS.

 

   41. . Les lettres de convocation pour cette solennelle assemblée furent expédiées de Rome même aussitôt après le retour de l'infatigable pontife (Noël 1073).  L'élévation de leur langage répond à la gravité des circonstances. « Exposée à la fureur de la tempête, dit Grégoire VII, assaillie par toutes les calamités, la barque de l'Église parait à deux doigts du naufrage. Les rois et princes de ce monde ne cherchent que leur intérêt et non celui de Jésus-Christ ; ils foulent aux pieds tout sentiment d'honneur, ils oppri­ment l'Église, la traitent comme la plus vile des esclaves ; ils l'ané­antiraient sans scrupule pour mieux assouvir leurs passions et leurs convoitises. Les prêtres qui auraient le devoir de protéger l'Église dont ils sont les ministres, ont presque partout sacrifié la loi divine et oublié leurs obligations envers Dieu et envers le trou­peau spirituel confié à leurs soins. Dans les dignités ecclésiastiques ils ne poursuivent que la gloire mondaine; ils consument dans les pompes de l'orgueil et les superfluités du luxe des biens consacrés au soulagement des pauvres et au salut de tous. Le peuple ne trouve ni direction près des évêques, ni justice près de ses chefs ; les exemples qu'il reçoit d'en haut le précipitent dans tous les crimes, il n'a plus de chrétien que le nom. Tels sont les motifs qui nous ont déterminé à réunir pour la première semaine de carême un concile où, avec l'aide de Dieu et le conseil de nos frères, nous chercherons un remède à tant de maux, afin qu'il ne soit pas dit que nous avons laissé se consommer sous nos yeux la ruine et la destruction irréparable de l'Église. Nous prions donc votre frater­nité et lui enjoignons de la part du bienheureux Pierre prince des apôtres de se rendre à Rome ainsi que les évêques vos suffragants pour le terme fixé. Dans ce combat que nous engageons pour la li­berté ecclésiastique et la défense de la religion nous serons d'au-

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p613 CHAP. V. — HENRI IV ET LES SAXONS.

 

tant plus forts que nous verrons un plus grand nombre de nos frères et évêques nous prêter leur concours de leur prudence et de leurs sages conseils 1. » Une invitation spéciale fut adressée aux évêques pour la plupart schismatiques de la province de Milan. La formule de prescription était ainsi rédigée : «Grégoire évêque ser­viteur des serviteurs de Dieu à tous les évêques suffragants de la métropole de Milan, c'est-à-dire de Brescia, Crémone, Bergame, Lodi, Novare, Ivrée, Turin, Albe 2, Asti, Acqui, Dertona, salut et bénédiction apostolique à chacun d'eux suivant ses mérites. » Le pape en vertu de l'autorité apostolique leur enjoignait d'assister au prochain concile. « Tout chevalier qui abandonne son seigneur au jour du combat, disait-il, encourt la dégradation. Montrez que vous êtes de véritables soldats de Jésus-Christ, en venant vous ran­ger sous ses étendards, combattre à ses côtés et mériter avec l'hon­neur de la victoire les récompenses qui en sont la suite. Notre in­vitation s'adresse avec la même autorité et sous peine de la même désobéissance à tous les abbés de Lombardie. Nous avertissons qu'aucune excuse fictive ne sera reçue 3. »

 

   45. La tournure que les événements avaient prise en Allemagne devenait chaque jour plus critique et l’on pouvait prévoir que le futur concile aurait à intervenir d'une manière décisive. La diète de Gerstungen, dont la formidable échéance avait épouvanté Henri IV au point de lui faire écrire sa fameuse lettre de soumission au pape, s'était teuue le 20 octobre précédent4. » Les princes saxons, dit Lambert d'Ersfeld, s'y rendirent à la tête de quatorze mille hommes d'armes. Le roi ne voulut point y paraître, craignant d'exaspérer par sa présence la fureur du peuple. Il attendit à Wurtzbourg l'issue de la délibération. Les deux archevêques Sigefrid de Mayence, Annon de Cologne, les évêques de Metz et de Bam-

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1.Greg. VII. Epist, xui, Lib. I, col. 322.

2.       Le titulaire d'Albe était toujours le fameux Benzo, le diplomatique chancelier de l'antipape Cadaloüs.

3.     Epist. XLiii, col. 323.

4. M. Villemain ne parle pas plus de la diète de Gerstungen qu'il n'a parlé de celle de Corvey.

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p614 PONTIFICAT   DZ  SAINT  GRÉGOIKE   VII  (1073-lOnOj.

 

berg, les ducs Godefroi de Lorraine, Rodolphe de Souabe et Barthold de Carinthie, avaient reçu la mission de présider le débat et de soutenir autant qu'ils le pourraient la cause de Henri. » En ac­ceptant ce rôle de bienveillante médiation, saint Annon de Cologne et Rodolphe de Souabe obéissaient certainement aux instructions du pape, et tel était le premier fruit de la lettre de soumission écrite à Grégoire VII par le jeune roi. 

« Les princes saxons, continue le chroniqueur, prirent les premiers la parole. Ils supplièreut les envoyés du roi d'examiner attentivement la cause, de se mon­trer impartiaux dans leur jugement, de se préoccuper moins de savoir si la procédure actuelle avait ou non des précédents histo­riques que des atrocités qui l'avaient rendue nécessaire. — Chacun d'eux exposa alors ses griefs et les injustices du roi tant envers les particuliers qu'envers la nation tout entière, les forfaits inouïs dont il avait souillé la majesté du nom royal. Les évêques et les ducs restèrent stupéfaits au récit de tant d'horreurs ; selon le mot du prophète, les oreilles leur tintèrent. Ils ne songeaient plus à trou­ver coupables des guerriers qui avaient pris les armes pour défen­dre leur propre liberté, l'honneur de leurs femmes et la vie de leurs enfants, ils étaient tentés au contraire de taxer de lâ­cheté la patience avec laquelle les Saxons avaient si longtemps supporté ces opprobres intolérables. Les délibérations durèrent trois jours. Après qu'on eût mûrement examiné le parti à prendre, tous unanimement s'accordèrent à déclarer que le roi était indigne de conserver la couronne et qu'il fallait lui élire un successeur. Dès ce moment et sans hésitation le duc de Souabe Rodolphe eût été proclamé, mais il refusa énergiquement. « Jamais, dit-il, je t'accepterai l'honneur qu'on veut me faire avant d'avoir été relevé de mon serment envers le roi et élu dans une assemblée de tous les princes d'Allemagne l. » D'après cette réponse de Rodolphe il est facile de voir que la question du serment était tout le nœud de cette grande crise sociale. Or, au pape seul appartenait le pouvoir de relever un chrétien d'un serment prêté au nom de Dieu et des

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1. Lambert. HersfeUl. Annal. 1073; Pair. Lat. Tum. CXLYI, col, 1142,

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p615 AP. V. — HENRI IV ET LES SAXONS.

 

saints en face de l'Église et la main sur le livre des Évangiles. Ainsi le pape se trouvait en définitive investi juridiquement du pouvoir de déposer les rois. « Ne pouvant obtenir le consentement de Rodolphe, reprend le chroniqueur, les princes jurèrent de gar­der un secret absolu sur leur résolution et d'attendre pour l'exé­cuter qu'il fut possible d'en conférer en une diète nationale où as­sisteraient tous les princes de Germanie. Provisoirement ils publiè­rent une sentence conçue en ces termes : Les Saxons demanderont pardon à Henri de leur révolte : le roi de son côté s'engagera par serment à réparer ses torts et laissera en sécurité parfaite tous ceux que par ses injustices il avait contraints à la rébellion. — Après cette déclaration la diète se sépara et les Saxons retour­nèrent dans leur patrie. »

 

   46. Henri IV reçut à Wurtzbourg communication officielle de sentence provisoire. Ses espions l'avaient déjà mis au courant de l'autre. Il répondit officiellement que « trop heureux de se retrou­ver sur ses pieds, ce sont les expressions du chroniqueur, il sous­crivait à toutes les conditions de la diète de Gerstungen et qu'il les accomplirait ponctuellement pour avoir la paix 1. » Mais un inci­dent inattendu vint tout à coup révéler sa pensée intime. Après la Toussaint (1er novembre 1073) comme il traversait la ville de Nu­remberg pour se rendre à Ratisbonne, un de ses anciens familiers, nommé Réginger se présenta soudain sur la grande place de la ville et interpellant les ducs Rodolphe de Souabe et Berlhold de Carinthie qui faisaient partie de l'escorte royale leur parla ainsi de­vant toute la foule : « Vous savez et nul ici ne l'ignore quelle était naguère la faveur dont je jouissais près du roi. Voici les motifs de ma récente disgrâce. A votre retour de Gerstungen, lorsque vous vîntes avec les autres princes et évêques au palais de Wurtzbourg pour lui rendre compte des négociations, le roi me chargea moi et plusieurs autres de ses favoris de vous attirer dans un guet-apens et de vous assassiner tous. Vous rendrez ainsi, nous dit-il, le plus grand service à la patrie et vous vengerez la majesté royale ou-

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1. Id. ILid.

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p616       ro.vnncAT de saint Grégoire vu (1073-1085).

 

tragée par ces traîtres. » Mes compagnons reçurent cette commu­nication sans manifester la moindre répugnance. Mais l'horreur d'un tel crime et la crainte du jugement de Dieu me firent trem­bler. Je protestai de toutes les forces de mon âme contre la pensée d'un tel forfait. Le roi me bannit aussitôt de sa présence, il donna l'ordre de me poignarder au seuil du palais; mais la rapidité de ma fuite trompa les sicaires et je pus échapper sain et sauf. » Pour ne laisser aucun doute sur la vérité de son articulation, Reginger in­diqua le lieu où les pourparlers avaient été entamés, nomma les personnages qui y avaient pris part et ajouta qu'il était prêt, si le roi voulait nier le fait, à le prouver par le jugement de Dieu en combat singulier soit avec Heuri lui-même, « si les lois le permet­taient, » soit contre tout autre homme vivant. Rodolphe, Berthold et les autres seigneurs qui les accompagnaient frémirent à ce récit. Le chevalier Reginger n'était pas un homme obscur, il jouis­sait à la cour et dans le pays de l'estime générale. On savait d'ail­leurs que le roi avait fait assassiner plusieurs de ses confidents les plus intimes. Aucun doute ne s'éleva donc sur la véracité de Re­ginger. Les princes sortirent sur le champ de la ville, en faisant dire au roi qu'ils se considéraient comme déliés de leur serment de fidélité envers lui, puisque violant lui-même le sien il avait voulu attenter à leurs jours. En conséquence et à moins qu'il ne prouvât la fausseté de cette accusation, il ne devait plus compter ni sur leur fidélité durant la paix ni sur leur concours durant la guerre. Henri IV à cette nouvelle accourut sur la place publique et harangua la multitude qui s'y trouvait réunie. « C'est au moyen de pareilles calomnies, dit-il, que le duc de Souabe Rodolphe prétend se frayer le chemin au trône. Ne trouvant rien à incriminer dans ma con­duite, il invente des forfaits imaginaires. Mais je prétends prouver mon innocence autrement que par des paroles. Sans me laisser ar­rêter par la majesté du nom royal que je porte, j'irai provoquer Rodolphe en combat singulier et le monde saura que si je viens à perdre la couronne ce sera non pour aucune faute commise par moi, mais par les intrigues et les mensonges d'un parjure déloyal et foi-mentie. » Ce beau mouvement d'éloquence indignée n'était

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qu'un jeu théâtral combiné en vue de l'effet à pronuire sur la cré­dulité populaire. Le chevalier Udalric de Cosheim, l'un de ceux qui avaient été désignés par Reginger comme les affidés du complot de Wurtzbourg, s'écria anssitôt qu'un roi ne pouvait se compro­mettre eu un duel contre un sujet révolté. « Je suis prêt, ajouta-t-il, à prouver par les armes l'innocence du roi et la mienne, contre Rodolphe et Reginger aussi bien que contre tout homme vi­vant 1. »

 

   47. Malgré cette pompeuse déclaration Udalric de Cosheim ne se battit contre personne. Si la majesté royale s'opposait à ce combat singulier entre Henri IV et le duc de Souabe, la hiérarchie ne s'opposait pas moins à ce que le duc se compromît avec un simple che­valier. Rodolphe refusa le défi qu'Udalric alla lui porter en per­sonne et répondit qu'avant de l'accepter il lui fallait l'autorisation des princes du royaume. Quant à Reginger il prit les devants et provoqua vingt fois Udalric sans pouvoir obtenir satisfaction. Cependant le roi se voyait chaque jour plus abandonné par l'opi­nion publique. Il dut quitter Ratisbonne où il avait été fort mal accueilli pour retourner à Worms. En chemin il tomba malade à Ladembourg (1er décembre 1073) et resta quelque temps eutre la vie et la mort. « Nombre de gens, dit le chroniqueur, purent alors espérer que la maladie les délivrerait d'un tyran odieux et termi­nerait les malheurs sans effusion de sang. » Mais la force de la jeunesse triompha du mal, et le roi revint à Worms où les citoyens lui firent une réception pompeuse. Déjà la bourgeoisie des grandes villes commençait à secouer le joug féodal des princes et des sei­gneurs. Worms donna le signal de cette réaction qui offrit au jeune roi un point d'appui aussi précieux qu'inattendu. « Les citoyens vinrent en armes à sa rencontre, dit le chroniqueur, non point pour

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1. Lambert. Hersfeld. Annal. 1073; Patr. Lat. Tom. CXLVI, col. 1142. M. Villlemain ne parle pas plus de l'incident de Reginger que des diètes de Gerstungen et de Corvey. Avec un tel parti-pris de réticences, il lui est facile de présenter Henri IV sinon comme le modèle des rois du moins comme un prince plus léger que coupable dont Grégoire Vil se fit de gaieté de cœur le persécuteur acharné.

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p618 PONTIFICAT  DE  SAINT  GHÉG9H1E   VII   (1073-1083).

 

l'effrayer par cette attitude belliqueuse mais au contraire pour ra­nimer son courage et ses espérances en lui faisant admirer la bonne tenue, le nombre, l'instruction militaire et la parfaite discipline d'une jeunesse entièrement dévouée à sa cause. Ils s'engagèrent par serment à fournir de leurs deniers à tous les frais de guerre et à sacrifier leur vie s'il le fallait pour sa défense 1. » Henri profita habilement de ces favorables dispositions. La ville de Worms de­vint comme la citadelle de son royaume, il en augmenta les forti­fications et en fit une citadelle inexpugnable. Ce brusque revire­ment de fortune effraya les princes ses adversaires. Ils s'étaient promis de se réunir à Mayence en une diète nationale pour les prochaines fêtes de Noël (23 décembre 1073) afin d'y concerter définitivement l'exécution du pacte secret de Gerstungen. Mais en apprenant ce qui se passait à Worms la plupart jugèrent prudent de s'abstenir ; il ne vint à Mayence qu'un petit nombre de sei­gneurs aussi inquiets de leur isolement qu'étonnés de la nouvelle situation des affaires.

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