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84. On comprend dès lors pourquoi l'Église a poursuivi la maçonnerie de ses anathèmes. L'Église a une très remarquable perspicacité pour discerner les périls et un rare courage pour les dénoncer ; une politique dont la prudence s'inspirerait toujours de la prudence de l'Eglise serait une très habile politique.
En 1738, le pape Clément XII, par la bulle In eminenti condamne et défend à perpétuité certaines sociétés, assemblées, réunions, conventicules ou agrégations appelées vulgairement de francs-maçons ou autrement, répandues alors dans certains pays et s'établissant de jour en jour avec plus d'étendue ; défendant à tous les fidèles de Jésus-Christ à chacun en particulier, sous peine d'excom-
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munication à encourir par le fait et sans autre déclaration, de laquelle personne ne peut être absous par autre que le souverain pontife existant pour lors, excepté à l'article de la mort, d'oser ou présumer entrer dans ces sociétés, ou les propager, les entretenir, les recevoir chez soi, les y cacher, y être inscrit, agrégé ou y assister.
En 1751, le pape Benoît XIV, par sa bulle Providas, renouvelle les prohibitions de Clément XII. « Or parmi les causes très graves de la susdite prohibition et condamnation, dit-il, la première est que, dans ces sortes de sociétés ou conventicules, il se réunit des hommes de toute religion et de toute secte, d'où il est évident quel mal peut en résulter pour la pureté de la religion catholique. La seconde est le pacte étroit et impénétrable du secret, en vertu duquel se cache tout ce qui se fait dans ces conventicules, auxquels on peut avec raison approprier cette sentence de Caecilius Natalis rapportée par Minutius Félix, dans une cause bien différente : Les bonnes choses aiment toujours la publicité; les crimes se couvrent du secret. La troisième est le serment qu'ils font de garder inviolablement ce secret, comme s'il était permis à quelqu'un de s'appuyer sur le prétexte d'une promesse ou d'un serment, pour ne pas être tenu, s'il est interrogé par la puissance légitime d'avouer tout ce qu'on lui demande pour connaître s'il ne se fait rien dans ces conventicules qui soit contre l'Etat et les lois de la religion et du gouvernement. La quatrième est, que ces sociétés ne sont pas moins reconnues contraires aux lois tant civiles que canoniques ; puisque tous collèges, toutes sociétés, rassemblés sans l'autorité publique, sont défendus par le droit civil, comme on voit au livre XLVII des Pandectes, titre XXII de collegiis ac corporibus illicitis ; et dans la fameuse lettre de G. Plinius Caecilius secundus, qui est la XCVII, livre X, où il dit que, par son édit, selon les ordonnances de l'empereur il est défendu, qu'il pût se former et exister des sociétés et des rassemblements sans l'autorité du prince. La cinquième, que déjà dans plusieurs pays les dites sociétés et agrégations ont été proscrites et bannies par les lois des princes séculiers. La dernière enfin est, que ces sociétés étaient en mauvaise réputa-
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tion chez les personnes de prudence et de probité, et que s'y enrôler c'était se souiller de la tache de perversion et de méchanceté.»
De la société des francs-maçons était née, en Italie, la société révolutionnaire des carbonari, société secrète qui s'engageait par les mêmes serments, poussait, par ses inspirations et par ses écrits, à l'immoralité et à la révolte. C'est pourquoi, en 1821, Pie VII, par la bulle Ecclesiam, défend de lire les livres des carbonari, ordonne de dénoncer les membres de cette conjuration, et rappelle les bulles de Clément XII et de Benoît XIV, pour les confirmer :
« Déjà, dit le pontife, par deux édits émanés de notre secrétaire d'État, nous avons rigoureusement proscrit cette société; nous jugeons cependant opportun, à l'exemple de nos susdits prédécesseurs, de décréter plus solennellement des châtiments sévères contre les carbonari ; d'autant plus qu'ils prétendent de tous côtés n'être point compris dans ces deux constitutions de Clément XII et de Benoît XIV, ni soumis aux sentences et aux peines qui y sont édictées.
« En conséquence, après avoir entendu une congrégation choisie parmi nos vénérables Frères les cardinaux de la sainte Église romaine, de son avis, ainsi que de notre propre mouvement, de science certaine, après mûres délibérations et dans la plénitude de notre puissance apostolique, nous avons résolu et décrété, de condamner, de proscrire la susdite société des carbonari ou de quelque autre nom qu'on l'appelle, avec ses assemblées, ses réunions, ses cercles, ses agrégations ou conventicules, comme nous les condamnons et prohibons par notre présente constitution qui aura force de loi à perpétuité. »
En 1825, le pape Léon XII, par la bulle Quo graviora, renouvelle les condamnations précédemment portées, frappe nommément la Société universitaire et étend l'anathème à toutes les sociétés secrètes :
« Et qu'on ne s'imagine pas, dit le pontife, que c'est faussement et calomnieusement que nous attribuons, à ces sociétés secrètes, tous ces maux, et d'autres que nous avons passés sous silence. Les livres que leurs affiliés ont osé écrire sur la religion, sur la société,
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et dans lesquels ils insultent à l'autorité, blasphèment la majesté, répètent que le Christ est un scandale ou une folie ; souvent même qu'il n'y a point de Dieu et que l'âme humaine périt avec le corps ; leurs codes et leurs statuts où sont expliqués leurs plans et leurs vues, démontrent clairement ce que nous avons déjà dit, prouvent qu'ils sont les instigateurs de ces attentats qui ont pour but le renversement des pouvoirs légitimes et la ruine de l'Église. Nous devons tenir aussi pour certain que toutes ces sociétés, bien que désignées sous des noms divers, sont reliées entre elles par une communauté de vues criminelles.
« En conséquence nous pensons qu'il est de notre devoir de proscrire de nouveau ces sociétés occultes, de les proscrire de façon qu'aucune d'elles ne puisse se flatter d'échapper à notre sentence apostolique, et, sous ce prétexte, n'induise en erreur les imprudents et les simples. » Suit la formule de condamnation contre toutes les sociétés secrètes, condamnation qui atteint les membres, leurs complices et leurs fauteurs, oblige de les dénoncer, déclare le serment impie, exhorte les évêques à prémunir les fidèles et les princes à poursuivre les conspirateurs.
En 1832, Grégoire XVI, par l'encyclique Mirari vos, continue la tradition apostolique contre les sociétés secrètes : «Aux autres causes de notre déchirante sollicitude, dit le pontife, viennent se joindre encore certaines associations et réunions, ayant des règles déterminées. Elles se forment comme un corps d'armée, avec des sectateurs de toute espèce de fausse religion et de culte, sous les apparences, il est vrai, du dévouement à la religion, mais en réalité dans le désir de répandre partout des nouveautés et des séditions, proclamant toute espèce de liberté, excitant des troubles contre le pouvoir sacré, et contre le pouvoir civil et reniant toute autorité, même la plus sainte. »
Enfin Pie IX et Léon XIII,
marchant sur les traces de leurs prédécesseurs, viennent de frapper sous nos yeux
les sociétés secrètes et notamment la maçonnerie, d'abord dans une encyclique
aux évêques, puis dans plusieurs brefs aux évêques du Brésil et à des
auteurs
d'ouvrages contre la secte maçonne, enfin par une encycli-
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que Urbi et Orbi. Pie IX et Léon XIII parlent sur ce point comme tous leurs devanciers; ils dénoncent les nouveaux exploits des sociétés secrètes contre l'Eglise, et dissipent fortement les préjugés favorables aux sociétés actuelles. Nombre de gens, plus simples que sages, s'imaginaient, en effet, que les sociétés contemporaines ne sont plus animées des haines d'autrefois ; qu'elles ne se proposent qu'une bienfaisance fraternelle et ne songent point à mal contre l'ordre établi. Les pontifes, en réitérant les anathèmes, ne permettent pas ces illusions ; ils dévoilent persévéramment les projets impies de sociétés si justement réprouvées par les papes. (1J