p45 LUTHER ET L'UNITÉ DES ÉGLISES
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Peut‑on dire que le pluralisme actuel des théologies, dans l'Église catholique comme dans les Églises réformées, facilite un rapprochement des Églises ou seulement un rapprochement des théologiens catholiques et reformés?
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p46 DISCERNER ET AGIR
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------- L'unité des résultats scientifiques est, d'après sa nature, ce qui peut être révisé en tout temps; la foi est ce qui est constant.
------- Luther -------- son doctorat en théologie fut pour lui, toute sa vie, une instance décisive de légitimation dans son opposition à la doctrine de Rome. L'évidence de l'exégète relaie l'autorité du magistère; le magistère appartient au docteur, et à nul autre.
Que la doctrine ecclésiale ait été liée de cette manière à l'évidence de l'interprétation, c'est ce qui a constamment, depuis le début du mouvement réformateur, rendu fragile l'unité ecclésiale dans ce mouvement lui‑même.
Car cette évidence foncièrement susceptible d'être révisée devient nécessairement un produit explosif contre l'unité conçue matériellement; or l'unité sans contenu reste vide et s'effondre. ----------
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p47 LUTHER ET L'UNITÉ DES ÉGLISES
--------- le lien entre l'Église et la théologie est le noyau proprement dit: là où cesse cette unité fondamentale, là aussi toute autre unité est sans racines.
Y a‑t‑il encore entre l'Église catholique et les Églises réformées des différences séparatrices, et si oui, lesquelles?
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p48 DISCERNER ET AGIR
-------- On peut naturellement se contenter d'indiquer un ensemble de questions dans lesquelles des oppositions subsistent: Écriture et Tradition, ou Écriture et magistère de l'Église; liée à cela, la question de l'autorité religieuse en général, de la succession apostolique comme forme sacramentelle de la tradition et sa concentration dans le ministère de Pierre; le caractère sacrificiel de l'Eucharistie et la question de la transsubstantiation des dons comme de la présence permanente du Seigneur dans les hosties consacrées, et par là de l'adoration eucharistique en dehors de la messe ------ le sacrement de pénitence; différentes manières de voir dans le domaine de la morale chrétienne, pour lesquelles naturellement le problème du magistère joue de nouveau un grand rôle, etc. --------------
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p49 LUTHER ET L'UNITÉ DES ÉGLISES
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Luther lui‑même était convaincu que la séparation d'avec la doctrine et la coutume de l'Église papale, séparation à laquelle il se sentait obligé, concernait absolument la forme fondamentale de l'acte de foi lui‑même.
------- la foi est pour lui la libération à l'égard de la loi, mais elle lui apparaissait, dans sa forme catholique, comme assujettissement à la loi. -------------
-------------Mais Luther ayant fixé avec une telle insistance pendant toute sa vie la différence centrale dans la doctrine de la justification, l'hypothèse me paraît aujourd'hui encore justifiée que c'est à partir de ce point qu'on peut trouver le plus facilement la différence fondamentale. --------
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p50 DISCERNER ET AGIR
---------- Le fondamental (me semble‑t‑il) est l'effroi en présence de Dieu, par lequel Luther, dans la tension entre l'exigence divine et la conscience du péché, a été atteint jusqu'au fond de son être ‑ à tel point que Dieu lui apparaît « sub contrario », sous le contraire de lui-même, comme un diable qui veut anéantir l'homme.
La libération de cette angoisse devant Dieu devient le véritable problème du salut. Elle est trouvée à l'instant où la foi apparaît comme ce qui permet d'échapper à l'exigence de devenir juste par soi‑même, comme certitude personnelle du salut.
Dans le Petit Catéchisme de Luther, ce nouvel axe du concept de foi apparaît très clairement: «Je crois que Dieu m'a créé... Je crois que Jésus Christ.., est mon Seigneur, qui m'a racheté... afin que je devienne son bien.,, et que je le serve dans la justice, l'innocence et la béatitude éternelles,...”
La foi donne avant tout la certitude du salut. La certitude personnelle du salut devient son centre décisif ‑ sans elle il n'y aurait pas de rédemption.
------ la charité qui, pour le catholique, constitue la forme interne de la foi, est totalement exclue du concept de foi, jusqu'à la formulation polémique du grand commentaire de l'Épître aux Galates: Maledicta sit caritas.
Le « par la foi seule » sur lequel Luther insistait tant, signifiait précisément et exactement cette exclusion de la charité hors de la question du salut. La charité appartient au domaine des «oeuvres» et devient pour autant «profane».
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p51 LUTHER ET L'UNITÉ DES ÉGLISES
--------- Alors l'homme doit sans cesse s'attacher, contre le Dieu ou le Christ exigeant et jugeant, apparaissant « sub contrario » (comme «diable »), au Dieu qui pardonne;
à cette dialectique de l'image de Dieu correspond une dialectique de l'existence que Luther lui‑même a une fois formulée ainsi: «Le christianisme n'est rien d'autre que l'initiation constante à ce point de doctrine, à savoir de sentir que tu n'as pas de péché, bien que tu aies péché; que tes péchés sont plutôt suspendus au Christs. »
---------cette prémisse fondamentale signifie que la foi, dans la conception de Luther, n'est plus, comme pour le catholique, d'après son essence, une foi commune avec toute l'Église; en tout cas l'Église ne peut d'après lui ni garantir la certitude du salut personnel ni décider sur les contenus de la foi d'une manière définitivement obligatoire.
Pour le catholique, l'Église est au contraire contenue dans le commencement le plus intime de l'acte de foi lui‑même: c'est seulement par la foi commune avec elle que j'ai part à cette certitude sur laquelle je peux fonder ma vie.
A quoi il correspond que, dans la vision catholique, l'Écriture et l'Église sont inséparables, tandis que pour Luther l'Écriture devient une norme indépendante de l'Église et de la tradition.