La Ligue 2

Darras tome 35 p. 434

 

   34  Pendant que les catholiques se liguaient pour se défendre, le roi s'abandonnait, avec une puérilité croissante, à ses guenons, à ses perroquets, à ses petits chiens, à ses mignons... et à ses dévo­tions. Un placard de I576 le nomme basteleur des églises de Paris, marguiller de Saint-Germain-l' Auxerrois, gardien des quatre men­diants, père conscript des blancs battus et protecteur des capucins. L'état d'abjection où il était tombé, amenait naturellement au dessein de l'enfermer comme Childéric, dans un cloître. Un plaisant composa, à ces propos, ce distique où il fait allusion aux couronnes du prince :

Qui dederat binas, unam abstulit, altéra nutat ; Tertia tonsoris nunc facienda manu.

 

   Du sein de la mollesse où il languissait, pour opposer, au crédit de la Ligue, la puissance de la volonté nationale, il convoqua les États généraux et parut, en 1576, à Blois, avec tout l'éclat de la majesté royale. Dans un discours noble et mesuré, il fit, pour ré­concilier les esprits, jouer tous les ressorts d'une élocution gra­cieuse ; mais ces dehors séduisants, qui semblaient réfuter ce qu'on disait de ses habitudes méprisables, restèrent sans effet sur l'assem-

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blée. Je cite encore Ragon et je le cite,   quoique libéral, parce que il est très hostile aux ligueurs et très favorable au roi, qu'il se voit pourtant contraint de condamner. « Trop faible pour oser combattre la ligue à force ouverte, trop pénétrant pour ne pas démêler ses desseins, il prit, par le conseil de sa mère, l'étrange résolution de se mettre lui-même  à la tête de l'union, et d'accéder à une confé­dération secrètement dirigée contre lui. Mais cette démarche qui équivalait à une déclaration de guerre contre les protestants, et qui, aux yeux des catholiques,  prouvait moins son zèle que son impuissance, le faisait ennemi d'un parti sans le rendre maître de l'autre.  Pour empêcher que le duc de Guise ne fût le chef de la Ligue, il voulut l'être lui-même ; il eut le titre, et le duc la réalité. L'édit de pacification  fut aussitôt révoqué sur les instances des États ; la guerre recommença; le duc d'Anjou, naguère l'ami, le généralissime des protestants, commanda l'armée catholique : il avait pour lieutenant le duc de Guise. Les hostilités ne furent ni vives ni de longue durée. Henri III n'avait pas tardé à se lasser de servir la Ligue. Les États, par défiance de ses prodigalités, lui refu­saient les sommes nécessaires pour  faire la guerre. Il congédia les députés, et négocia une paix nouvelle.  Le traité qui se conclut à Poitiers (1377) fut moins humiliant pour l'autorité royale que le précédent : le roi diminua le nombre des villes de garantie laissées aux calvinistes, et apporta quelques restrictions à la liberté  de conscience. Dans le court intervalle de tranquillité que procura la pacification de Poitiers, Henri III institua l'ordre du Saint-Esprit (décembre 1378) (1),  en mémoire de ce qu'il avait été élu roi de

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(1) L'ordre de S. Michel, trop prodigué, était tombé dans l'avilissement, et on appelait, dit P. de L'Estoile, le collier de cet ordre le collier à toutes bêtes. Le roi, pour se rendre les nouveaux chevaliers plus affectionnés et plus loyaux, les obligea à certains serments conformes aux articles de l'institution de l'ordre. Il se proposait en même temps de donner à chacun d'eux une pension annuelle sous le nom de commanderie. Il espérait obtenir du Pape la permission d'im­poser la somme de six vingt mille écus sur tous les bénéfices sans charge d'âmes, et sur tous les riches monastères de son royaume. L'abbé de Citeaux fut envoyé à Rome pour négocier cette affaire ; mais le Pape s'y opposa, ainsi que tout le clergé de France. Le roi fut obligé de prendre ces pensions sur l'é­pargne.

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Pologne et était parvenu à la couronne de France le jour de la Pentecôte, et en même temps dans l'espoir de détacher plusieurs seigneurs du parti protestant, par le désir d'entrer dans le nouvel ordre auquel les catholiques seuls devaient être admis. Mais une conduite sage et décente, une administration ferme et économe (1), eussent été des moyens plus efficaces de relever une autorité sapée de tous côtés par les factions. Tandis que le roi, livré à de vils et avides favoris, chargeait incessamment ses peuples de nouvelles taxes qui allaient s'engloutir dans l'abîme de ses débauches et de ses prodigalitée insensées (2), quelques infractions au dernier traité produisirent bientôt une septième guerre, dite guerre des Amou­reux, parce que de petites intrigues contribuèrent à la faire naître (1380). Les événements les plus remarquables furent le siège de Cahors, où le roi de Navarre se signala par sa vaillance, et, les huguenots par des cruautés, représailles de la Saint-Barthélemy; le combat de Monlcrabel, entre le maréchal de Biron et les troupes navarroises, qui furent vaincues ; et le siège de La Fore, dont le duc de Guise s'empara. En 1381, le duc d'Anjou, qui avait besoin des secours de la France pour une expédition qu'il méditait dans

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(1) L'administration était, au contraire, livrée à de grands désordres. « On distribuoit en ce temps la charge des finances aux plus déloyaux, la conduite des armes aux couards, et les gouvernements aux plus fols. » (Journal de Henri III.) « Tous les états de France se vendoient ou plus offrant, principalement de la justice ; ce qui étoit la cause qu'on revendoit en détail ce qu'on avoit acheté en gros, et qu'on épiçoit si bien les sentences aux pauvres parties, qu'elles n'avoient garde de pourrir. Mais ce qui étoit le plus abominable, étoit la caballe des matières bénéficiales, la plupart des bénéfices étant tenus par les femmes et gentilshommes mariés, auxquels ils étoient conférés pour récom-pense ; jusqu'aux enfans, auxquels les dits bénéfices se trouvoient le plus sou- vent affectés avant qu'ils fussent nés : en sorte qu'ils venoient au monde crossés et mitrés. » (Ibd.) En 1570, le clergé, assemblé à Melun, fit porter au roi des remontrances à ce sujet. Il se plaignit qu'il y eût alors dans le royaume vingt-huit évêchés dont les revenus étaient touchés par des laïques et même par des femmes ; que le patrimoine de l'Eglise fût menacé de passer entre les mains des courtisans et des gens de guerre, et que déjà dans les familles ont mit les béné­fices au nombre des effets héréditaires. (De Thou.)


(2) L'extravagance de ses profusions allait si loin, qu'en 1581, ayant marié son favori Joyeuse à Marguerite de Lorraine, sœur de la reine, il donna à chacun des époux trois cent mille écus d'or, et en dépensa douze cent mille pour les fêtes du mariage. (De Thou.)

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les Pays-Cas, dont les Flamands lui offraient la souveraineté, se présenta comme médiateur entre Henri III et les calvinistes. La paix fut conclue au château de Fleix, en Périgord, à des conditions assez avantageuses pour les réformés. Le duc d'Anjou s'assura des principaux calvinistes pour la guerre qu'il allait porter en Flandre, où il passa la même année à la tête d'une année de douze mille hommes. Mais, par les fautes multipliées, il s'aliéna les esprits de ses nouveaux sujets. En 1583, il fut obligé de renoncer à l'espoir de régner sur eux, et retourna en France. Dans le même temps, Elisabeth, dont il avait demandé la main, et qui avait encouragé ses prétentions, rompit le mariage dont il s'était longtemps flatté. Trompé dans les projets de son ambition, accablé de chagrin et de dettes, il meurt à l'âge de trente ans, en I544 (1). »

 

35. La mort du duc d'Alençon appelait au trône Henri de Béarn, roi de Navarre, descendant de saint Louis. Saint Louis avait eu cinq fils, le dernier d'entre eux, Robert, comte de Clermont, avait épousé Béatrix, fille de Jean de Bourgogne, baron de Bourbon, et avait pris dès lors le nom de Bourbon, en ayant soin toutefois de conserver sur son écusson les armes de France. Le petit-fils de Robert avait jeté peu d'éclats ; un seul membre de la famille avait acquis, par la trahison, une célébrité malheureuse; de plus, il était mort sans enfants. Par suite, la branche puînée de Bourbon-Vendôme se trouvait appelée à la succession des Valois. Le chef de cette branche avait eu une nombreuse famille. Des trois fils qui avaient survécu, Antoine devait être le chef de la nouvelle maison de Bourbon ; et le troisième, Louis, chef de la maison de Condé ; quant au second, Charles, devenu cardinal, archevêque de Rouen, il était destiné à jouer, au fond d'une prison, le triste rôle de roi sans royaume. Antoine, marié à Jeanne d'Albret, avait pris le titre de roi de Navarre, très mince principauté, dont les acces­soires, Béarn, Foix, Albret, Armagnac, valaient mieux que le prin­cipal. Tour à tour catholique, protestant et catholique, le médiocre roi de Navarre avait été tué au siège de Rouen, en 1302, laissant pour héritier son fils Henri, alors âgé de neuf ans. Avec

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(1) Hist. gen. des temps modernes, t. II, p. 197.

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une complexion délicate, Henri avait grandi au milieu des rochers, respirant l'air des montagnes, marchant tête et pieds nus, nourri et habillé comme les autres enfants du pays. Grâce à ce régime, son tempérament était devenu fort et robuste. A la mort de son père, il était à la cour. Quatre ans plus tard, il se rendait en Béarn, et, sur les instances de sa mère, embrassait le calvinisme. Cette apostasie à un âge où l'esprit et le cœur commencent à prendre conscience d'eux-mêmes, avaient fait, sur sa jeunesse, une impression qui ne put jamais s'effacer entièrement. En 1509, sa mère lui faisait déférer le titre de chef du parti protestant. A la paix qui suivit la bataille de Jarnac et de Moncontour, il avait épousé Marguerite de Valois, sœur de Charles IX, union qui suivit de près la Saint-Barthélémy. Sur les instances du roi, Henri avait abjuré le calvinisme. Pendant quatre années, il vécut à la cour, remplissant les pratiques extérieures du catholicisme qu'il alliait d'ailleurs aux plus coupables désordres. Un beau jour, il s'évada, rétracta son abjuration et revint au calvi­nisme. Pendant les huit années qui suivirent, il n'avait rien fait qui pût attirer sur lui l'attention. Tel était le prince que la mort du duc d'Anjou faisait héritier présomptif de la couronne, mais que ses croyances semblaient devoir en éloigner à jamais. Aucune action d'éclat ne le recommandait ; il était plutôt homme de plaisirs qu'homme d'affaires. Toutefois, on lui reconnaissait une intelligence fine et déliée, un esprit juste et une grande fermeté de caractère, qu'aucun revers ne pouvait abattre.

 

    36. Après la mort du duc d'Anjou, Henri III. justement alarmé des conséquences qui en découlaient, avait d'abord hésité sur le parti à prendre. Son premier mouvement avait été de se rapprocher des catholiques ; mais soit qu'il fût blessé de l'ascendant du duc de Guise, soit qu'il craignît de porter atteinte à ses propres droits, en contestant les titres du roi de Navarre, il se décida enfin à prendre parti pour ce dernier, et, non content de lui accorder des places de sûreté, le reconnut ouvertement pour l'héritier présomptif du trône. De plus, afin de ne laisser aucun doute sur ses sentiments, il publia un édit par lequel les peines les plus sévères étaient portées contre quiconque n'aurait pas renoncé, dans l'espace d'un mois, à toute

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ligue et association. Toutes les craintes des catholiques étaient ainsi justifiées; le roi passait au protestantisme; un hérétique relaps devait, de par Henri III, monter sur le trône de Saint-Louis et de Charlemagne. Une telle décision n'était pas seulement l'équivalent d'une apostasie personnelle ; c'était, en perspective, l'apostasie sociale de la France, la violation solennelle du droit public en vigueur dans le royaume très chrétien. Solennellement mis en demeure de reconnaître un protestant pour héritier de la couronne ou de résister aux ordres du roi, c'est-à-dire de trahir à son exemple ou de défendre leur foi, les catholiques ne pouvaient hésiter ; pleins de confiance dans la justice de leur cause, ils résolu­rent d'en appeler solennellement aux armes. Dès les premiers jours de 1583, Mayneville, représentant de la ligue de Péronne, vint à Paris pour s'entendre sur les moyens de préluder à une guerre désormais inévitable. Il fut reconnu qu'il ne suffirait pas que la noblesse prît les armes, qu'il fallait que la bourgeoisie s'unît à elle, et qu'il était nécessaire de créer, dans toutes les villes, des centres de résistance. On s'occupa aussitôt de l'exécution ; le jeu des insti­tutions et franchises municipales rendait la tâche facile. De la capi­tale, le mouvement s'étendit à la province. Déjà en relations avec les municipalités des principales villes, les organisateurs avaient député des commissaires pour les informer des projets conçus et les engager à s'unir à eux pour défendre la religion. En peu de temps un grand nombre d'adhésions arrivèrent. Les villes d'Orléans, de Chartres, de Mois, de Tours, furent les premières à se pronon­cer ; la plupart des autres ne tardèrent pas à les imiter ; on com­prenait partout qu'il y allait du salut de l'Eglise catholique en France.

 

   37. La Ligue s'était établie à Paris, sur l'initiative  d'un bon bourgeois, avec le concours de trois curés. On avait recruté des membres dans le secret le plus profond et on se réunissait tantôt ici, tantôt là, pour ne pas éveiller les soupçons. Quand cette ligue bourgeoise et municipale fut formée, on trouva à propos, dit Lezeau, de députer quelques bons bourgeois, habitants de Paris, gens de cervelle, lesquels avec bonne instruction, allèrent en plu-

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sieurs provinces et villes du royaume, pour informer quelques-uns des plus affectionnés catholiques, habitants desdites villes, de la création et formation de la Ligue, et de l'occasion d'icelles, des pro­jets et intelligences avec les princes, afin de ne faire qu'un corps mû par une même intelligence dans toute la France. Ce qu'il faut remarquer pour comprendre que ce sont les peuples qui ont formé la Ligue et qu'en eux résidait la matière et substance d'icelle, et que les princes lorrains n'en étaient que les accessoires, d'autant que la force consistait au fait de la religion embrassée et affectée par les catho­liques de bon cœur et sans feintise, et pour ce, avaient recours à ces princes qui servaient à leur intention, sans qu'ils se sentissent beaucoup obligés d'examiner par quels motifs ces chefs étaient principalement portés, pourvu qu'ils parvinssent à leurs fins, pour lesquels ils employaient volontiers tous les moyens à eux possi­bles (1). Dès mars 1584, en prévision de la mort du duc d'Anjou, Guise et Mayenne s'étaient réunis à Nancy, avec les principaux seigneurs catholiques ; ils proclamèrent éventuellement le cardinal de Bourbon héritier présomptif et déclarèrent que la ligue de Péronne était la seule ressource qui restât à la nation. Le cardinal était l'oncle de Henri de Béarn, qui n'avait pas d'enfants; il se trouvait donc, après lui, l'héritier le plus proche ; en lui reconnais­sant actuellement cette qualité, les catholiques respectaient autant qu'il était en eux le principe de l'hérédité monarchique, puisqu'ils ne faisaient qu'écarter du trône un prince hérétique, que les lois du royaume déclaraient incapables d'y monter. De plus, Henri de Guise désavouait par là toute prétention ambitieuse et reconnaissait lui-même les droits de la maison de Bourbon à la succession de Henri III. Les bases et le but de l'association étant posés, il avait fallu l'étendre et s'assurer le concours du roi d'Espagne, le grand défenseur de l'Église en Europe. Philippe s'était depuis longtemps mis en rapport avec les catholiques de France; aussi s'empressa-t-il de répondre aux ouvertures. Le 31 décembre, un sieur Tassis signait,   en   son  nom,  avec   Mayneville,  agent  du  cardinal de

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(1) Lezeatj. Archives curieuses de l'Histoire de France, 1" série, t. XIV, page 41.

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Bourbon et de Guise un traité en vertu duquel : 1e Le cardinal était reconnu pour héritier présomptif, à l'exclusion de tout prince non catholique; 2° L'exercice de toute religion autre que la catho­lique était interdit ; 3° Le concile de Trente devait être reçu dans le royaume ; 4° La ville de Cambrai, dont s'était emparé le duc d'Anjou, devait être rendue à l'Espagne ; 3° Philippe devait fournir tous les ans, à la Ligue, 50,000 écus d'or. Ce traité fut signé à Joinville. Ainsi la Sainte-Union réunissait tous les éléments de succès : elle avait un chef politique, roi en expectative ; un chef militaire dans le duc de Guise, appuyé d'une portion de la noblesse ; un centre d'action et un soutien dans la bourgeoisie du royaume; enfin, au dehors, un allié puissant, et l'argent, le nerf de la guerre.

 

   38. Afin de donner à la prise d'armes son véritable caractère et d'ôter à la Ligue tout scrupule, le duc de Guise jugea sagement qu'il était de la plus haute importance d'obtenir, sinon le concours effectif, du moins l'approbation explicite du souverain pontife. Le cardinal Pellevé et le P. Mathieu partirent à Rome pour cette né­gociation. La chaire de St. Pierre était occupée par Grégoire XIII, pape d'un caractère modéré, peu enclin aux voies de rigueur. Ins­truit du véritable état des choses, il comprit que le sort de la religion en France dépendait du parti qu'il allait prendre et n'hésita pas à approuver les projets de résistance des catholiques. Toutefois, obligé aux ménagements envers Henri III, il ne donna point son approbation par écrit et se contenta de déclarer de vive voix, au car­dinal Pellevé, que les catholiques ayant pour première et principale intention de prendre les armes contre les hérétiques du royaume, il consentait et approuvait que cela fût fait et éloignait tout scrupule de conscience qu'on pourrait avoir sur cet objet, persuadé que le roi aurait cela pour agréable ; ajoutant, du reste, que, dans le cas où ce prince manifesterait des intentions opposées, les catholiques n'en devraient pas moins suivre leurs desseins. De plus, sur la demande des négociateurs, il accorda une indulgence plénière à ceux qui prendraient part à une œuvre si sainte ; promit de dé­clarer, lorsque les hostilités seraient commencées, le roi de Navarre et le prince de Condé incapables de succéder au trône, et s'engagea

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à favoriser l'entreprise de toute manière ; enfin le 15 février il donna sa sanction au traité de Joinviile. Ce n'est pas que le souve­rain pontife eut aucun parti pris contre le roi de Navarre ; en son privé, il désirait même que ce prince devînt roi de France, pourvu qu'il se fît catholique. Si Grégoire XIII patronnait le cardinal de Bourbon, c'était pour s'assurer, pendant son règne, nécessairement court, de la sincérité des dispositions du Béarnais (1). Pour blâmer cette conduite, il faut ne pas savoir que le catholicisme était la première loi de l'État. Le souverain s'appelait le Fils aîné de l'Église; il ne pouvait pas être un Fils rebelle à son droit d'aînesse ; il s'appelait encore roi très chrétien ; il ne pouvait pas être, en même temps, très hérétique ; il jurait à son sacre de combattre les hérétiques, cela suppose qu'il ne pouvait pas l'être. Henri de Na­varre, prince étranger à la France et hostile à la foi ; parent de Henri III au vingt-deuxième degré, aussi peu parent que possible, mais non plus au degré successible, était donc légitimement écarté, et il est heureux qu'il en ait été ainsi. Dans le cas contraire, la France perdait sa foi comme l'Angleterre et les pays du Nord ; en perdant la foi, elle perdait sa raison d'être providentielle, passait aux rangs subalternes ou devait bientôt périr par l'anarchie des croyances, mère de toutes les autres anarchies.

 

   39. Lorsque tout eut été préparé, Guise se dirigea vers Châlons et fil appel à la noblesse de Champagne ; Mayenne se retira en Bourgogne et rallia la noblesse catholique ; le cardinal de Bourbon convoqua, à son château de Gaillan, la noblesse de Normandie et de Picardie. De là, il se rendit à Péronne et, le 31 mars 1585, publia un manifeste où il exposait les griefs des catholiques et dé­duisait les motifs d'une prise d'armes. Le point principal, sur lequel il insistait, était que, le roi n'ayant pas d'enfants, la France était menacée de passer entre les mains d'un hérétique relaps, ce qui serait contraire à la constitution du royaume et au serment du sacre royal, danger d'autant plus pressant, ajoutait-il, que, tandis que les huguenots refusent de rendre leur place de sûreté, ils ap-

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(I) Instruction   au cardinal Caëtani pour sa  légation en France : Revue du nwnde catholique, t. XVII, p. 410.

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pellent à leurs secours la reine d'Angleterre et les princes protes­tants d'Allemagne pour établir, de concert avec eux, l'hérésie en France ; au contraire, les seigneurs les plus dévoués à la foi catholique sont privés par le roi, de leurs charges et fonctions. Puis il dénonçait l'insatiable avarice des favoris, la multitude des nouveaux impôts, l'accablement et l'oppression de tous les ordres de l'État, enfin l'inexécution de la promesse faite par Henri III, aux derniers États de Blois, de ne plus souffrir, dans le royaume, aucune religion autre que la catholique. « Pour ces justes considé­rations, nous, cardinal de Bourbon, premier prince du sang, assisté des princes, cardinaux, pairs, prélats, officiers de la couronne, gouverneurs de provinces, seigneurs, gentilshommes, villes et au­tres faisant la plus saine partie du royaume, déclarons avoir juré de tenir la main forte et armée à ce que l'Église soit réintégrée en sa dignité et en la vraie religion catholique, la noblesse jouisse de ses honneurs et privilèges, le peuple soit soulagé, les nouveaux impôts abolis, les parlements maintenus dans leurs prérogatives, et les États, lorsqu'ils seront assemblés, en leur autorité. » Ce ma­nifeste donnait, sans doute, la première place aux intérêts religieux, mais il n'oubliait point les griefs politiques, les réformes néces­saires, le maintien des droits. De plus, en tête de la publication, figuraient les adhésions du Pape, de l'Empereur, du roi d'Espagne, de la seigneurie de Venise, du duc de Florence, de la République de Gènes, des ducs de Lorraine, de Guise, de Nevers, c'est-à-dire de tous les représentants et défenseurs de la religion catholique en France et en Europe. Un tel manifeste produisit sur les esprits la plus vive impression. Malgré son incurable apathie, Henri sentit le coup et publia un contre-manifeste. Le roi s'excusait ; mais contre l'évidence, il ne pouvait ni excuser ses mœurs, ni nier le gaspillage des finances, ni contester ses entreprises contre les institutions de la France et la foi de l'Église. Du reste, comme la guerre pour ou contre la religion touche aux plus graves intérêts de la conscience, aux manifestes se joignent les publications contradictoires. Aux catholiques, on reprochait d'être les instruments du roi d'Espagne ; aux protestants, de venir de l'étranger et d'appeler à leur secours

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p444      PONTIFICAT   DB  GRÉGOIRE  XIII   (13/2-1183).

 

les princes étrangers. Le point décisif, c'est que l'indigne monarque avait abdiqué le devoir royal ; qu'il avait contraint les catholiques et les Français à se garer des suites de son abdication et qu'il moti­vait leur action armée en passant à l'ennemi. Henri III était cou­pable de haute trahison.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon